Après la « tragédie » de l’incendie du Fouquet’s lors de l’ultimatum 1,  le pouvoir et les médias ont trouvé une nouvelle cible pour discréditer la révolte des GJ et détourner le regard des violences policières, des atteintes aux libertés et des revendications sociales : 20 personnes (sur au moins 15 000 manifestants) ont adressé un chant aux policiers, pendant 30 secondes : « Suicidez-vous ».

Si la condamnation de ces propos est tout à fait logique, même souhaitable, l’ampleur de cette condamnation la rend totalement caduque. Elle montre qu’elle n’est qu’une stratégie politique et médiatique. Ce samedi 20 avril, la République (et sa place) a été profondément bafouée, humiliée, souillée. Et pas que par 30 secondes de chant du plus mauvais goût. Par d’autres actes, physiques, tout aussi violents et dangereux. L’heure est grave et il appartient à chacun de regarder la situation en face.

Depuis cinq mois, plus de 300 000 personnes différentes (probablement le double) sont descendues dans la rue lors d’un des 23 actes des Gilets Jaunes. Plusieurs millions de personnes soutiennent toujours le mouvement, malgré les nombreuses campagnes de diabolisation. Que l’on soit d’accord ou non avec ce mouvement, toute personne prétendant défendre la démocratie et la République se doit de regarder la situation telle qu’elle est, factuellement : ces militants sont désormais traités comme des citoyens de seconde zone, n’ayant pas les mêmes droits que les autres. Porter un gilet jaune peut désormais aboutir à recevoir une amende. Avoir des outils dans son coffre de voiture et un gilet jaune peut aboutir à des peines de prison fermes. La présomption d’innocence a totalement été renversée. Des éléments montrant qu’une personne aurait pu commettre des crimes ou délits suffisent à le faire condamner.

On parle de milliers d’arrestations abusives, de milliers de violences policières sans justification (photos et vidéos à l’appui). On parle de citoyens ayant perdu des mains ou des yeux, ayant des côtes fracturées. On parle de force de l’ordre interdisant aux journalistes d’accéder à des chambres d’hôpitaux de victimes. On parle d’ordres donnés aux infirmiers de lister les noms des blessés GJ. On parle de journalistes tabassés et placés en GAV, fichés S, et désormais interdits de se rendre à Paris les jours de manifs . On parle de milliers de personnes confinées sur une place et gazées pendant plus de trois heures, avec des dizaines de charges policières « dans le tas ». On parle de la France de 2019. Une France qui n’a jamais été aussi proche de sombrer dans le totalitarisme. Sous les yeux de tous.

Alors oui, ceux qui aujourd’hui passent plus de temps à s’indigner du chant de 20 personnes plutôt que des dérives totalitaires du pouvoir sont clairement complices de cette dérive. Et si dans chaque corps de métier, le haut de la pyramide a totalement besoin de cette complicité pour maintenir leurs privilèges, ceux qui sont à la base ne doivent plus accepter. Policiers, journalistes, politiciens : Réveillez-vous !

Aux forces de l’ordre : votre métier est de servir les citoyens et de les protéger. D’ailleurs, initialement, vous n’étiez pas des « forces de l’ordre » mais des agents de maintien de la paix. Si votre obéissance aux ordres de la hiérarchie est nécessaire dans votre métier, il vous faut également vous soucier des conséquences de ces ordres et de vos actes.. Vous devez servir le pays et les citoyens, et non les intérêts des puissants. Fermer les yeux sur une dérive autoritaire de vos services, couvrir des dérapages, c’est prendre le risque de couper encore plus le lien entre la population et vous. Au début du mouvement, de nombreux manifestants chantaient « rejoignez-nous ». Il est peut-être encore temps.  Le pouvoir joue volontairement la carte de l’escalade et allume des brasiers. Il a besoin que tout le mouvement déteste la police, pour que la police déteste le mouvement. Il ne craint rien de plus qu’une défection de ses derniers remparts. Mais quand un pouvoir utilise sa police et son armée pour ses propres intérêts et contre les principes fondamentaux de la démocratie, il appartient à cette police de refuser et de résister. Il faut que quelques courageux chez vous dénoncent l’escalade totalitaire qui ne fait qu’empirer la situation.

Aux médias de masse : la défiance grandissante des citoyens à votre égard est encore réversible.  Mais cela ne tient qu’à un fil. Les smartphones et les réseaux sociaux ont changé la donne concernant le rapport à « la réalité ». Quand les principales chaines françaises annoncent 18 000 GJ dans toute la France et que des vidéos au téléphone montrent au moins 5 000 personnes rien qu’à Toulouse, cela pose de sérieux soucis pour ces médias.  Mais surtout, lorsque ces médias couvrent à peine les dérives totalitaires du pouvoir (arrestations arbitraires, violences, humiliations, jugements sans aucune preuve) mais passent des jours à traiter du Fouquet’s ou d’un chant scandé par 20 personnes, cela devient intenable. Samedi dernier, pendant 3 heures en plein Paris, des milliers de citoyens ont vécu une nasse avec charges, gaz, et matraquages. Des journalistes ont été tabassés, d’autres sont partis en GAV. Une telle situation à l’étranger aurait été couverte par les médias « mainstream » français de façon très large et avec une forte indignation. Ne pas couvrir en profondeur ces dérives est une faute professionnelle. C’est aussi ce qui pourrait signer le divorce définitif. Aux journalistes de ces médias, il vous revient de refuser ce traitement, digne de l’ORTF et d’une propagande d’état. Vous devez le faire pour vous, pour votre média et pour l’importance du journalisme dans notre société.

Aux femmes et aux hommes politiques : quand une partie du peuple a la fièvre, c’est qu’il est malade. Si vous ne cherchez qu’à faire tomber la fièvre sans vous soucier de la maladie, vous n’êtes pas dignes de représenter autre chose que vous-même. Si vous ne comprenez pas pourquoi des citoyens « ordinaires » descendent dans la rue depuis 23 semaines, en sachant qu’ils vont se faire insulter, humilier, tabasser… c’est que vous ne pouvez plus prétendre les gouverner. Surtout, si vous acceptez de couvrir les dérives policières et judiciaires liées à ce mouvement, vous ne pourrez plus jamais trouver grâce aux yeux de ces citoyens.

Le vol noir des corbeaux sur nos plaines se rapproche dangereusement. Mais il est encore temps de se réveiller.

Crédit photos  : Jerome chobeaux