A Paris, il n’y a jamais eu autant de k-ways noirs dans les manifs des Gilets Jaunes que lors du 20 avril et du 1er mai. Et pourtant, les débordements ont été largement moins importants que lors des actes de novembre et décembre, voire même de certains actes de janvier ou du fameux 16 mars.

Depuis plusieurs semaines, le récit qu’on cherche à nous imposer est le suivant : le mouvement GJ a été infiltré par les anarchistes et l’ultra-gauche, et notamment par LE black bloc. Qui a intérêt à accréditer cette thèse en dehors du pouvoir qui ne craint rien de plus qu’un mouvement pluriel et massif ?

On rappelle que black bloc n’est pas un « groupe » mais une technique visant à se masquer et se regrouper dans une manifestation, afin de se protéger et de réaliser des actions offensives en minimisant les risques d’interpellations. Un black bloc est donc une formation éphémère, constituée de personnes très différentes et ne se connaissant pas forcément.

On rappelle également que de nombreux Gilets Jaunes n’ayant aucune sympathie pour la gauche (et encore moins la gauche radicale) sont toujours massivement présents dans les rues.

Ceci étant dit, les rassemblements de Gilets Jaunes comptent effectivement de plus en plus de K-way noirs dans leurs rangs. Cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agit de « nouvelles » personnes venant aux actes GJ. Certains venaient aux actes précédents mais habillés « normalement », d’autres en jaune.

Comment expliquer le manque relatif d’actions offensives et subversives alors que les cortèges n’ont jamais été aussi noirs et déterminés ?

La première explication vient évidemment de la stratégie de la préfecture et des forces de l’ordre : semaine après semaine, le pouvoir durcit le ton et ajoute des techniques de « maintien de l’ordre » : BRAV, drones, voltigeurs et bien sûr toujours plus de gaz et de charges. La technique de la nasse « préventive » également. A cela, il faut ajouter le bilan terrible de la répression : des milliers de blessés et d’interpellés. Forcément, cela impacte acte après acte la force du mouvement dans sa composante la plus radicale (puisque la plus exposée).

Mais cela n’explique pas tout. L’autre phénomène qui pourrait expliquer la baisse d’actions offensives des rassemblements GJ vient justement de la présence de Black bloc. En effet, cette présence désormais acceptée et même souhaitée par une grande partie des manifestants, tend à décharger tout le poids et la responsabilité des débordements à ceux habillés en noir. Le 1er mai, de nombreux manifestants se demandaient « pourquoi le BB n’avait pas forcé le passage pour partir en sauvage » ou encore pourquoi le BB « n’avait pas répliqué à une charge abusive de la police ». Se poser ce genre de questions revient à attendre des autres que les choses se fassent.

C’est tout l’inverse de l’essence du mouvement GJ, qui a toujours promu la responsabilité individuelle dans le cadre d’actions collectives. En novembre ou en décembre, c’est grâce à des actions individuelles mais réalisées par un grand nombre que tant de manifs ont pu déborder. C’est parce que chaque Gilet Jaune a décidé d’avancer face aux barrages policiers que les Champs Élysées ont été repris plusieurs fois de suite.  C’est parce qu’une personne a pris un transpalette qu’une porte de ministère a été défoncée.

Le risque aujourd’hui, c’est d’assister à une montée des idées et volontés radicales en même temps qu’une baisse des prises d’initiatives. C’est de voir des manifestants poussant à l’action mais sans y prendre part. En regardant, voir en filmant. Cela ne ferait que fragiliser le mouvement et exposer inutilement ceux qui prendraient les initiatives les plus radicales.

Il importe aujourd’hui de réfléchir à ce que chacun est prêt à apporter à la lutte. D’autant que radicalité et subversion ne signifient pas forcément actions violentes et dangereuses. Chacun dispose d’une multitude d’actions possibles pour fragiliser le pouvoir et pour faire progresser la lutte.  Mais l’idée d’être spectateur du mouvement et d’assister à un show émeutier atteint ses limites. L’enjeu nous impose de dépasser ce stade au plus vite.

 

Crédit photo : Mathias Zwick