Un an après, on n’a pas oublié la violence d’Etat que se sont pris 151 jeunes mis à genoux, les mains sur la tête, dans une ambiance dictatoriale à Mantes la Jolie. Dimanche 8 aura lieu une manifestation d’autodéfense populaire à 14H à Barbès. Plus qu’un hommage, une réponse et un après !

Si pour la cheffe de l’IGPN il n’y a pas eu de comportement anormal de la police, pour nous c’est un scandale d’Etat de plus dans un régime qui s’effondre et ne tient plus que par sa police.

Alors qu’un autre mouvement lycéen et étudiant est en train de prendre et qu’on arrive en pleine grève, on est allé interviewer Yessa, une des mamans du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois qui organise cette manifestation.

« L’heure de nous-mêmes a sonné ». Interview avec Yessa, une maman du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois.


Raconte-nous cet appel pour le 8 décembre 14h à Barbès, comment vous l’avez organisé ?

On a longtemps hésité. On s’est dit : souvent quand il y a une grosse mobilisation autour des violences policières c’est quand il y a eu un mort. Nous ce qu’on dit c’est qu’on ne va pas attendre qu’il y ait un mort. On ne veut plus entrer en lutte uniquement quand il y a un drame. Il faut prévenir et se mobiliser contre toutes les injustices et contre toutes les violences, qu’elles soient systémique, qu’elles soient policières, les violences sociales aussi. Prenons ça tous ensemble à bras le corps. On n’attendra plus le prochain drame. Aujourd’hui les femmes dans le Collectif de Défense des Jeunes du Mantois, si elles ont la force de porter le combat c’est parce que leur enfant est toujours en vie et qu’elles savent les violences policières qu’ils subissent, elles avaient pour certaines déjà porté plainte contre des violences policières parce que leur gamin avait été tabassé dans le commissariat de Mantes la Jolie. Quand il y a un drame, quand les mères perdent la chair de leur chair souvent elles n’ont plus la force et c’est les frères ou les soeurs qui mènent le combat.

Ces mères elles ont encore la force parce que leur enfant est encore là. Elles ont encore l’instinct de protection et l’utilisent à ce moment là pour lutter. Qu’on nous fasse de la place !

Je le dis parce que c’est compliqué face à la machine étatique, le rapport de force il est dur. On le voit avec les gilets jaunes qui bataillent depuis plus d’un an. Avant ça il y a eu toutes les mobilisations, ça part de 1983, la marche pour l’égalité. Ensuite il y a eu toutes les marches à chaque fois qu’il y a eu un mort entre les mains de la police.
Les mouvements sociaux, les manifs loi travail, les luttes portées par l’antiracisme politique et le mouvement décolonial tout ça cumulé, on arrive à un moment ou là – je vais citer Césaire :

« l’heure de nous-mêmes a sonné » à tous. Le 5 c’est important d’être dans la rue. Parce que cette question des retraites nous touchent tous, habitants des quartiers, pas des quartiers, arabes, noirs, musulmans… Les retraites ce n’est que la partie visible de l’iceberg, mais ça va avec cette montée du tout sécuritaire.

Quelque chose doit se jouer au cœur de cet hiver. Il y a des rendez-vous à ne pas louper : celui du 5, mais aussi les mobilisations contre la précarité des étudiants, les mobilisations de sans papier, et lorsque nos migrants sont chassés aux frontières. Mais aussi lorsqu’une partie de la société civile fait corps avec le gouvernement pour asseoir une légitimité de classe contre les plus fragiles, il faut se mobiliser. Et là on ne pourra pas parler de lutte sociale en occultant l’antiracisme politique, parce que la précarité elle touche un bon nombre de français aujourd’hui, mais lorsqu’on cumule, qu’on est un jeune homme noir ou arabe et qu’on vit dans un quartier comme celui du Val Fourré, qu’on se mange les violences sociales et racistes… On parle même pas du racisme ordinaire, mais bien du racisme d’Etat qui permet ensuite à des chroniqueurs de tenir des propos violents à l’antenne. Comme se fut le cas de Zineb El Rhazoui qui a dit qu’il faudrait que la police tire à balle réelle sur les jeunes. Comment cela est permis ? Si on en arrive là, la responsabilité elle vient de là haut.
Notre ennemi à tous c’est l’Etat. On nous a reproché que notre appel était trop politique, et même que c’était bizarre que ça soit des mamans qui l’aient écrit. Donc le mépris il vient même d’ici, de certains milieux militants, sous prétexte qu’on est des mamans, on ne serait pas capable d’avoir un discours politique. Donc nous avons introduit volontairement notre appel par « nous sommes en guerre » et cette guerre que les différents prédécesseurs de Macron ont initiée, lui il la perpétue.

C’est une guerre intérieure, une guerre qui cache son nom derrière des lois liberticides, derrière des réformes assassinent…etc

On n’a pas vécu de guerre civile, mais on a vu des choses, on a lu et on voit ce qui se joue sur la scène internationale : au Chili, en Algérie, à Hong Kong. Tout ça est lié. Le fil rouge c’est l’impérialisme et le capitalisme. C’est ce rapport de domination du Nord sur le Sud. Cette volonté des puissants, des gouvernements et des institutions d’assoir leur pouvoir par la violence ne présage rien de bon pour nous tous. Donc nous ce qu’on dira le 8 décembre c’est que nous sommes en guerre contre tout cela. Mais nous disons surtout que nous voulons la paix ! Tout a été fait pour qu’on en soit là aujourd’hui. Cette conscience politique, nous la vivons au quotidien à différents moment : Premièrement, dans notre rapport aux institutions. Deuxièmement, quand nous retournons dans nos pays d’origine et que nous voyons les dégâts de l’impérialisme. Et troisièmement, au repas en famille quand il y a les grands pères qui nous parlent de ce qu’ils ont vécu pendant la guerre d’Algérie avec les pratiques policières. Aujourd’hui, qu’est ce qui a changé ? Il y a juste une transposition géographique. Mais les arabes et les noirs aujourd’hui sont traités de la même manière que leur aïeux. Rien a changé. Donc les différents champs qui composent la lutte aujourd’hui doivent prendre conscience qu’on ne peut pas lutter uniquement contre le capitalisme sans se soucier du racisme, c’est pareil pour les luttes contre l’impérialisme ou les luttes féministes. Prenons conscience de ça ensemble, on invite celles et ceux qui vont manifester le 5 à nous rejoindre le 8 décembre. L’année dernière quand il y avait les gilets jaunes et que les lycéens ont commencé à faire blocus ça a fait flipper l’Etat.

Les prochaines étapes c’est le 5, le 7 avec les gilets jaunes qui seront massivement présents dans les rues, et nous on a choisi le 8 pour permettre aux gilets jaunes de nous rejoindre.

Depuis un an, on s’est rapproché de différents collectifs en lutte. Ces convergences qui n’étaient pas d’actualité il y a un an, elles le sont plus que jamais aujourd’hui. Donc l’heure de nous-mêmes a sonné. A toutes et tous.


Est-ce que d’une certaine manière il ne faut pas « institutionnaliser » la défense populaire ?

Je dirais plutôt qu’il faut l’organiser, mais avec beaucoup de souplesse, car tout est muable et surtout les spécificités des uns et des autres sont multiples. Quand j’entends parlé de « méthode » de lutte à suivre dans le milieu militant ça me fait marrer. Dire cela c’est vouloir imposer une manière de faire et nous on est contre ça. On s’inspire des luttes passées certes mais on improvise surtout avec nos réalités.
Enfin on se dit qu’entrer dans la lutte politique c’est aussi faire de belles rencontres.

Au départ on pensait être isolées, et on s’est rendues compte que partout en France il y a des femmes qui sont entrées dans la lutte des mères de familles.

Il y a les femmes en luttes du 93, il y a le comité de vigilance des violences policières à Pantin, il y a les femmes de Villeneuve Saint Georges, les very bad mothers du coté de Nantes. Pour préparer le 8/12 nous avons pu compter sur la solidarité et le soutien actif du Collectif des mères solidaires co-fondé par Geneviève Bernanos. A l’internationale également des collectifs de mères et de femmes nous soutiennent, les Omas gegen Rechts qui nous rejoignent (les grands mères autrichiennes et allemandes opposées à l’extrême droite et la droitisation de la société), des mères italiennes qui vont venir de Turin, les Madres Contra la Represion, des femmes belges qui ont l’intention de venir. Il y a eu une manifestation de solidarité dès le départ lorsqu’on a lancé la marche au mois de septembre. Toutes ces alliances qu’on a faites depuis le 6 décembre dernier compte beaucoup.
Il y aura un après 8 décembre. Ça ne sera pas qu’un one shot. Là on a préparé des choses concrètes qu’on dira le 8 décembre parce qu’on a réfléchi à l’après.

Comment avez-vous réagi en apprenant ce qu’il s’était passé à Massy où des policiers ont tiré aux flashball sur des lycéens suite à un blocus ?

Quand on a vu la vidéo à Massy c’était fou. Ça s’est passé aussi à Toulouse et à Creil.

A partir du moment où on est capable de tirer à bout portant sur un gamin, il faut se dire que plus personne ne sera épargné.

C’est grave. Le 8 décembre ça sera ça aussi.
Quand on a un étudiant qui s’immole, épuisé par la précarité, quand un autre étudiant s’étouffe avec un sac plastique dans sa chambre de Crous et qu’il y a zéro réaction de la part du gouvernement. Ou quasi rien. Ils ne sont plus capable de regarder la population en face. Et ça c’est grave. Donc on va marcher le 8 décembre contre ça aussi. Mais aussi contre la répression qui s’abat contre les militants antifas, comme on a pu le voir dans le cas d’Antonin Bernanos, cet acharnement judiciaire dont il est victime est à dénoncer avec autant de ferveur que lorsqu’on lutte contre les violences étatiques plus visibles, la répression par l’enfermement est une violence. On pense aussi à Dan, cet étudiant italien, qui aujourd’hui est enfermé dans un CRA pour délit d’opinion, menacé d’expulsion. Aujourd’hui en France on en là. Que la France arrête de donner des leçons de droit de l’hommisme !

Raconte-nous ce 6 décembre à Mantes le Jolie et le contexte de mouvement lycéen dans lequel cette journée s’inscrivait.

Le blocus avait commencé dès le début de la semaine. Dès le départ ce qu’on a répondu à cette mobilisation lycéenne naissante ça a été une réponse répressive. Dès le départ les forces de l’ordre étaient présentes aux abords des établissements. C’est allé crescendo jusqu’au 6 décembre. Les lycéens ne comprenaient pas l’usage de la force ; les policiers ont très vite lancé des grenades lacrymogènes, ils ont très vite utilisé leurs LBD et évidemment la violence répond à la violence. C’est à dire que ces gamins là qui s’étaient préparés à faire blocus, à l’instar des différentes mobilisations lycéennes partout en France, ils se sont retrouvés face à la violence étatique.
Je fais partie de ces parents, de ces adultes, qui trouvent légitime que la colère, que le sentiment de révolte ne trouve parfois pas d’autres choix que de s’exprimer par la violence à un instant T. Et notamment dans le cas de Mantes la Jolie, la violence de nos gamins, lorsqu’ils répondent par des jets de pierres, ils répondent à une violence qui leur fait face. C’est une manière de dire nous existons. Ils nous l’ont expliqué de cette manière. « On en est venu à la violence parce que c’était tout à fait légitime, on était en droit de manifester, on a voulu nous priver de ce droit, donc on a répondu de la même manière. »

Est-ce que les lycéens avaient en tête le contexte gilets jaunes et sa violence répressive à ce moment là ?

 

C’était clairement dans la tête des lycéens. J’ai encore ce fameux screenshot qui était touchant d’une adolescente, c’était sur Insta, elle avait lancé le truc en disant : « venez on fait comme les gilets Jaunes ». insta qui pour faire les jaunes devant rostand ?

Ça se poursuit sur Snapchat dans les appels à blocus et ça c’est un truc sur lequel les médias mainstream sont complètement passés à coté. Ils ont repris la version de la préfecture qui a légitimé les interpellations du 6 par un climat de violences urbaines, de climat émeutier… Mais personne avant le 6 n’est allé trouver les lycéens pour leur demander pourquoi ils étaient dans la rue.

La presse classique n’a pas pris la peine de rencontrer les lycéens qui non seulement emboitaient le pas aux gilets jaunes, mais avaient aussi des revendications claires. En tant que jeunes des quartiers, noirs, arabes, ils avaient conscience que Parcoursup allait impacter leur avenir scolaire et professionnel.

Ils n’auront plus accès de manière démocratique aux études universitaires parce que quand on regarde les établissements qu’on a ici, sur un CV ça ne le fait déjà pas, mais pour entrer maintenant avec la sélection dans les universités, clairement ça devient encore plus dur. Ils ont conscience de ça.
En tant qu’adulte, ça me chiffonne de voir qu’on occulte trop souvent leur conscience politique, l’acuité qu’ils ont à comprendre les choses même s’ils ne le verbalisent pas de la même manière qu’un adulte. Et c’est tant mieux, parce que les discours très carrés des gens qui maitrisent tout, ça enlève de l’authenticité parfois à certains combats. D’ailleurs c’est pour ça que le mouvement des gilets jaunes est beau, parce qu’il est à l’image de la société. Le peuple à des choses à dire, ceux dont on n’entend pas les voix parce que ces discours là sont loin des codes de l’oralité dite « académique », c’est pareil pour les gamins de Mantes, ou les lycéens en général. On leur enlève de fait la possibilité de s’exprimer sur la scène politique, ou là dans la rue parce qu’on estime souvent que les revendications ne sont pas claires, voire même qu’il n’en existe pas.

Comment les jeunes ont vécu ça ? Comment ils en parlent ? Y a-t-il des traumatismes ?

La chose sur laquelle ils reviennent souvent, c’est le sentiment d’humiliation. Cette vidéo elle va rester; ils sont à un âge où ils se construisent, aussi à travers le regard de l’autre. Ce qui les a marqués c’est l’humiliation collective. Surtout les jeunes hommes noirs, arabes, turcs qui habitent le quartier du Val Fourré, à quelques centaines de mètres de ces 2 lycées, (Jean Rostand et St Exupéry), qui ont l’habitude d’être confrontés de manière individuelle à la police dans leur quotidien (du contrôle au faciès à la palpation), mais là ils étaient 151, donc cette volonté de les humilier, elle les a marqués d’autant plus qu’après, ils sont retournés en cours, et pour ceux qui vont poursuivre leurs études, dans les programmes scolaires, ils vont être confrontés à des images d’archives, par exemple celles de la guerre d’Algérie, ou par exemple du Chili sous Pinochet, la guerre du Viêtnam, d’Indochine.

Ils vont être confrontés à une iconographie qui va leur rappeler que, eux aussi, en France, en décembre 2018, à Mantes-La-Jolie, sous Macron, sous Castaner, ils ont été mis à genoux…

C’est fou, hein, mais c’est ce qu’ils nous disent, quand on les rencontre avec le collectif: « Madame, on a étudié un texte, qui était accompagné d’une photo, et ben on a été mis dans la même position… »

Quel est le bilan de cette journée en terme de blessés, d’arrestations et de signification ?

151 interpellations, des blessés. Il y a eu beaucoup de tirs de flashball. Des lycéens ont été touchés mais sans blessures graves, à la joue, à la cuisse, suite aux tirs de LBD. Les témoignages qui ont été recueillis à chaud, quand les lycéens sont sortis de garde à vue sont glaçants. Ceux qui avaient plus de 16 ans, ont fait automatiquement 48 heures.
Puis il y a la vidéo filmée par un policier qui circule, elle ne dure que quelques secondes, mais c’est déjà un condensé de violence, symbolique parce qu’il n’y a pas de geste violent à ce moment là, mais la posture, le maintien tête baissée, l’humiliation c’est une pratique violente.
Les plus « chanceux » sont embarqués au bout d’une quart d’heure, ils n’ont pas eu à subir cette position non seulement humiliante, mais aussi douloureuse: on est au mois de décembre, il fait froid, il pleut, ils sont agenouillés dans la boue, les cailloux, ils n’ont pas le droit de se mouvoir, de se regarder, de parler.
Les violences individuelles n’ont pas pu être toutes recensées, mais on a 151 gamins qui ont subi, pour paraphraser un peu Fanon, un langage de pure violence, physique et verbale, de la part des autorités. Parce qu’à ce moment là les forces de l’ordre obéissent à des ordres, qui viennent du ministère,

donc les responsables de l’affaire de Mantes-la-Jolie ce ne sont pas uniquement les policiers, ce serait trop facile! C’est tout un gouvernement qui, en décembre 2018, a permis ça. C’est tout un gouvernement qui, depuis l’automne dernier, massacre sa population.

C’est tout un gouvernement qui, aujourd’hui, tient sa population par le taser, les lacrymos, la matraque et le LBD. Il y a vraiment un langage de pure violence, un usage de plus en plus accru de ce qu’on appelle la violence légitime celle dont l’Etat a le monopole.

Ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie, c’est pas tellement une montée de la violence policière, ça résulte de décennies d’histoires de violences policières dans les quartiers d’immigration, c’est plutôt une extension.

A l’automne dernier, cette violence franchit le périph et touche une autre frange de la population, celle des gilets jaunes. Il y a évidemment des gilets jaunes qui viennent des quartiers populaires, il y a des gilets jaunes noirs, arabes, musulmans, qui eux connaissent déjà ou ont connu les violences policières.
Le 6 décembre dernier, la volonté de l’Etat était qu’il ne fallait surtout pas que vienne s’ajouter au mouvement des gilets jaunes, un mouvement lycéen. Et ça a fonctionné. On parle beaucoup de Mantes-la-Jolie, mais ailleurs aussi il y a des lycéens qui ont été violentés, voire blessés. Mais l’affaire de Mantes est vraiment venue couper l’herbe sous le pied à ce mouvement naissant, qui était celui de la jeunesse; en tous cas, nous, c’est comme ça qu’on l’analyse.

Ça en est où du côté de la justice ?

Il faut voir la réponse de Brigitte Julien, cheffe de l’IGPN. Elle est interpellée à l’assemblée nationale dans le cadre d’une enquête parlementaire en mai sur les violences policières. A propos de Mantes la Jolie elle dit que l’enquête de l’IGPN est bouclée et sa phrase c’est « il n’y a pas eu de comportement déviant de la part des policiers ce jour là à Mantes la Jolie. » Bien qu’on sache que l’IGPN n’est en aucun cas un corps indépendant de la machine policière et judiciaire, on reste stupéfaites. Il y a quand même une vidéo. Rien qu’en se focalisant sur le droit, ce policier qui filme 151 gamins entravés (même si lui dit qu’il a mis cette vidéo sur un groupe whatsapp et qu’ensuite c’est quelqu’un d’autre qui l’a mise sur les réseaux sociaux) ça ne va pas, il y a quand même des histoires de droit à l’image et là c’est des mineurs en plus.

Brigitte Julien qui a certainement quelques notions de droit doit savoir qu’on ne peut pas filmer et diffuser les images d’une personne dans le cadre d’une procédure ou d’une interpellation et qu’on ne peut pas filmer et diffuser les images de personnes entravées parce qu’il y a cette fameuse présomption d’innocence, et il s’agit d’autant plus de personnes mineures.

Elle ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de comportements déviants. Cette vidéo elle contient à elle seule toutes les déviances dont sont capables les forces de l’ordre qui œuvrent en toute impunité.
Ensuite, la procureur de Nanterre classe sans suite 4 plaintes durant l’Eté. Comment peut-on classer sans suite une affaire comme celle-ci après avoir auditionné 4 lycéens sachant que dans cette affaire il y a autant de victimes que de témoins, ils sont 151! Elle ne se base que sur 4 plaintes.
Alors, on avait été préparées, on savait que des violences plus graves ont déjà été commises, des violences policières qui ont entrainé la mort on les comptent par centaines depuis des décennie, des éborgnés et des mutilés, notamment dans le cadre des gilets jaunes. Alors nous, on se dit qu’on va pas lâcher l’affaire. Elle classe sans suite, mais nous on ne classe rien du tout.
Au mois de septembre, les familles se portent partie civile et l’UNL suit également. Il y a eu les premiers dépôts de consignation il y a quelques semaines. On poursuit de cette manière.

Note : L’UNL a porté plainte pour « violences sur mineurs de 15 ans et plus par personne dépositaire de l’autorité publique », « actes de torture et de barbarie sur mineurs par personne dépositaire de l’autorité publique et en réunion », « violations de libertés individuelles » et « diffusion illégale d’images de personnes identifiables mises en cause dans une procédure pénale ».

Comment ça s’est passé au niveau des soutiens ?

Au moment où la vidéo est diffusée, évidemment l’indignation est générale sur les réseaux, et même avec des grosses organisations comme Amnesty international ou la LDH, donc les images suscitent l’indignation. Point. Mais après c’est le propre des réseaux sociaux et de l’instantanéité de l’info. Tout vas trop vite parfois. Mais il y a l’après. Il y a une solidarité qui est là et qui était presque naturelle, d’abord de la part le milieu de l’antiracisme politique et la plupart des collectifs de lutte contre les violences policières, notamment Urgence Notre Police Assassine, les antifas aussi, et bien évidemment, les Gilets Jaunes. Jusqu’à présent il faut savoir que la page du collectif reçoit énormément de messages de soutien de la part des gilets jaunes. Nous, on a nos gilets jaunes locaux, les gilets jaunes de Buchelay, mais il y a des gilets jaunes de par la France qui nous envoient des messages de soutien. Souvent on reçoit des photos de cette posture qui avait été imposée aux gamins de Mantes la Jolie et par laquelle les forces de l’ordre ont essayer d’humilier, de porter atteinte à la dignité de nos enfants.

Dès le lendemain c’est une posture qui est devenue un acte militant. C’est devenu un symbole contre les violences policières.

hommages aux lycéens de mantes la jolie
Voilà pour les solidarités fortes qu’on a depuis le départ. Le collectif a essayé tant bien que mal de tenir l’opinion publique en alerte, mais c’est hyper compliqué parce qu’une actualité en chasse une autre. Mais jusqu’à présent on tente de le faire malgré tout. Même si certaines membres du collectif sont essoufflées. Ce ne sont pas des militantes. Forcément l’investissement s’est un peu amoindri au fil du temps, même si on reste un bon petit groupe actif localement. Parfois on est sollicitées ailleurs et on le fait parce qu’on se dit que pour tenir la distance sur le marathon juridique et judiciaire il faut aussi asseoir une place dans l’espace militant, dans les espaces de lutte contre les violences d’état.
Ce qu’on dit aujourd’hui et c’est une des raisons pour lesquelles on a décidé d’organiser une marche pour la date anniversaire, c’est que les mamans sont souvent fantasmées comme des sujets politiques passifs et dociles. Et il y a aussi un côté hyper infantilisant de la société en général. Les institutions, l’école. On nous a assignées à un rôle auquel il faudrait se cantonner. Sortir de ce rôle c’est être considérées comme des mères inconscientes « occupez-vous d’abord de l’éducation de vos enfants et nous on s’occupera du reste ». Mais l’éducation de nos enfants elle se fait à la maison et à l’extérieur. Quand on envoie nos enfants à l’école on ne laisse pas notre rôle qui est d’éduquer et d’accompagner à la porte de l’établissement. Ce qu’on demande surtout aux enseignants c’est de transmettre des apprentissages, mais on ne leur demande pas d’éduquer nos enfants. On ne veut plus répondre à ces injonctions sur l’éducation. Les mères dont les gamins ont subi des violences physiques et verbales, souvent on leur dit « mais enfin c’est un peu de votre faute ». Ça c’est d’une violence…!
Là on a touché à la chair de leur chair, il y a des gamins qui se sont pris des coups en garde à vue, qui ont été insultés de sales arabes, de sales noirs, il y a des jeunes filles qui ont reçu des insultes sexistes de la part de policiers hommes, envers des mineurs. Et on voudrait que ces mères restent dans leur cuisine ? Parce que c’est de cette manière qu’on voudrait nous assigner. On est des femmes d’origines maghrébines, africaines, musulmanes, ou ne nous imagine pas ailleurs que dans nos cuisines.

Cette interview a été réalisée avant le 1 décembre et il semblait important de rappeler des dates de mobilisation contre les violences policières. Certaines sont passées depuis et d’autres sont à venir, mais nous les énumérons toutes ici quand même :

– Le 1er décembre avait lieu un hommage à Zineb Redouane, morte par un tir tendu de lacrymogène d’un CRS à Marseille alors qu’elle fermait ses volets.
– Le 3 décembre a eu lieu à Paris une campagne de soutien à Assa Traoré dont le frère Adama est mort sous le poids de trois gendarmes en aout 2016. Assa Traoré comme le reste de sa famille subit depuis un acharnement judiciaire.
– Le 7 décembre à 14H à Rennes aura lieu la marche pour Babacar Gueye tué en 2015 par un agent de la BAC de 5 balles.
– Le 8 décembre à 14H à Barbès (Paris) aura lieu la marche des mamans pour la justice et la dignité.

Marche des mamans