A quelques jours d’une rentrée des classes controversée, une institutrice écrit cette lettre à destination de ses élèves.

Mes chers petits élèves,

Cela fait maintenant 50 jours que l’on s’est brutalement quittés… Du jour au lendemain, sans prévenir, nous avons du fermer toutes les écoles. Et les mêmes adultes sans cœur veulent maintenant nous forcer à les ouvrir. Pourquoi est-ce que je ne suis pas d’accord ?

Parce que dans notre classe, chaque jour, je vous aide à apprendre à vivre ensemble, à partager vos jeux, à communiquer avec les autres. A chercher des solutions toutes et tous ensemble quand on a un problème. A aider un copain à fermer son manteau ou à finir sa construction. Je vous observe, je vous écoute inventer des jeux, des histoires entre vous… je vous vois grandir et devenir de plus en plus capables de vivre et de créer des choses en groupe.
Dans notre classe, vous pouvez circuler librement, parfois vous rouler par terre, vous coucher sur le banc, ramper sous une table ou vous asseoir sur une chaise… et changer de position quand vous le voulez. Parce que je sais qu’à votre âge bouger est un besoin vital. Tout comme toucher les autres et échanger.
Dans notre classe, quand vous avez du chagrin, ce qui arrive souvent à votre âge, je vous prends la main, vous montez sur mes genoux, je vous caresse la tête… Parce que je veux que notre classe soit un endroit qui vous sécurise autant qu’il vous inspire.
Et c’est là tout ce qui fait que cette classe est un endroit vivant, bouillonnant, joyeux, chaleureux. Humain.

Je mesure combien vos copains et copines vous manquent, ou peut-être le toboggan, ou le grand tableau de peinture, les jeux de construction, les histoires, le parcours de sport, nos projets… Et j’ai moi aussi beaucoup de tristesse à ne plus vivre tout ça avec vous. Peut-être aussi que vous en avez marre de rester à la maison, que vos parents sont très fatigués par tout ça, qu’ils aimeraient retrouver leur vie « normale ».

Mais l’école qui sera ouverte la semaine prochaine, ce n’est pas cette école : certains adultes imaginent que nous pourrons faire classe sans rien toucher, sans bouger, en restant éloignés les uns des autres. Ils ont dû oublier que l’école ça ne pouvait pas être ça. Ils ont pourtant été petits comme vous.

Et c’est parce que je souhaite le meilleur pour vous que je refuse que vous reveniez dans notre classe dans ces conditions. De vous voir en petits robots inactifs, passifs.
Parce que je ne peux pas imaginer passer la journée à vous empêcher de vous approcher les uns des autres, à vous interdire de vous prêter du matériel.
A détruire tous vos repères affectifs et votre confiance qui ont mis tant de temps à se construire. Certains d’entre vous commençaient à peine à oser m’adresser la parole.
Vous forcer à rester assis à la même table toute la journée.
Vous forcer à circuler dans les couloirs en respectant un sens de circulation.
Désinfecter chaque chose que vous aurez touchée.
De faire de ma classe un endroit où vous aurez peur de tomber malade, voire de mourir.
Que votre famille ait peur de mourir à cause de l’école.
Parce que je ne veux pas vous imposer l’absurdité du monde de certains adultes.

Évidemment, si vos parents n’ont pas le choix, qu’ils sont forcés d’aller travailler, je serai là pour vous, comme je l’ai été pour les enfants des médecins, des infirmières… Et j’essaierai tout pour que ce ne soit pas traumatisant pour vous, mais j’ai très peur que ça ne marche pas.
Tant que nous n’avons pas de traitement contre ce vilain virus, il faudrait que les patrons de vos parents ne les forcent pas à aller travailler. Et que ceux qui doivent y aller soient bien protégés.
Il faudrait que l’on puisse toutes et tous s’organiser pour garder les enfants les uns des autres, par petits groupes, hors de l’école.
Que l’on continue de s’organiser pour aider les familles des copains et copines qui n’ont pas assez à manger, pas d’attestation pour sortir, pas de matériel informatique, qui ont de graves problèmes à la maison.
Il faudrait que les parcs et jardins soient ouverts pour que vous puissiez vous y défouler, et pourquoi pas, y organiser des moments d’école !

Quand vous serez adultes, j’espère que tout ça ne sera qu’un mauvais souvenir. En attendant, on va continuer à se téléphoner, à s’écrire, à s’envoyer des photos, des vidéos, à se donner des nouvelles… Et c’est aussi de ça qu’il faudra se souvenir plus tard !

A bientôt je l’espère, dans les meilleurs conditions possibles.

Votre maîtresse

illustration : classe de maternelle dans laquelle ont été appliquées les 63 pages du protocole sanitaire des écoles (Jura, Conliège)lettre à mes élèves déconfinement rentrée des classes 11 mai