Depuis jeudi 18 Novembre, un convoi militaire de l’opération militaire Barkhane qui devait relier Niamey (Niger) à Gao (Mali) effectuant des liaisons régulières avec Abidjan (Côte d’Ivoire) est bloqué par des manifestants dans un camp militaire à une trentaine de kilomètre de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou.

Plusieurs fois dans le pays, des manifestations importantes ont eu lieu : des véhicules de l’armée essuient des jets de cailloux et les insultes fusent à l’encontre des militaires français, accusés d’aggraver la crise que subit le pays en proie à des troubles liés à la présence de groupes proches de Daesh et Al Qaïda depuis l’intervention française au Sahel.
Il faut rajouter à ça une situation sociale difficile, écrasée par le poids du rapport de domination Nord/Sud défavorable, imposé notamment par la présence française. Les militaires représentent le bras armée de l’ancien colonisateur aux yeux d’une partie de la population. Le convoi dont nous parlons est actuellement suspendu.

Sorti de 27 ans de dictature en 2014, après un soulèvement contre Blaise Compaoré soutenu par l’Elysée, qui avait fait assassiné le président panafricaniste Thomas Sankara (nous y reviendrons), le pays subit successivement un coup d’état et une période de troubles internes.
Pour essayer de comprendre comment le pays a pu basculer et se retrouver dans une telle situation de déstabilisation devenue hors de contrôle, nous devons interroger le rôle de la présence française.
La genèse de cette situation prend racine après la mort de Kadhafi et la destruction de la Libye.
L’un des arsenals parmi les plus puissants d’Afrique se retrouve dispatché dans les mains de plusieurs milices.
Parmi elles, se trouvent des groupes takfiristes : Daesh, Al Qaïda, Mujao, Ansar Dine (devenus Al-Mourabitoune puis GSIM), opérant progressivement un peu partout à travers le Sahel.

D’un épiphénomène cantonné surtout aux frontières de l’Algérie et du Niger, ces groupes gagneront du terrain d’abord depuis le Nord Mali où ils assiègent temporairement Gao et Toumboutkou (on se rappelle avec tristesse des destructions et de pillages des mausolées).
En représailles, la France décrète alors une intervention militaire de taille, d’abord au Mali (opération Serval) puis dans plusieurs pays, menant une coalition avec des alliés occidentaux ainsi que le G5-Sahel comprenant le Tchad, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso.
Cette opération nommée Barkhane, a pour vocation de freiner la progression des groupes liés à Al Qaïda et Daesh, mais le but est aussi et probablement surtout de protéger les intérêts français. Notamment les ressources pillées, à l’instar de l’uranium qu’exploite Aréva au Niger.

Depuis quelques années, l’effet tâche d’huile contamine le territoire burkinabé, pays jusque là épargné par ces groupes obscurs. L’opération militaire est pour le moment un échec total qui n’est pas sans rappeler la déblacle américaine en Afghanistan. Les groupes prétendus « islamistes » ont gagné du terrain au fil des années et perpétuent des massacres de civils : on évoque plus de 2000 morts et 1 million et demi de déplacés pour le seul Burkina Faso. Impossible aussi de faire l’impasse sur de nombreux crimes de guerre liés à l’occupation.
Au Mali voisin, l’intervention française a tué plus de civils que ces groupes liés à Al Qaida ou Daesh.

A cela, s’accumule une histoire douloureuse reproduite inlassablement par les gouvernements successifs à travers la Françafrique et ses mutations. Comme en témoigne l’attitude arrogante et d’un mépris incommensurable d’Emmanuel Macron lors de son intervention à l’université de Ouagadougou y compris lorsqu’il s’adresse au président du Burkina Faso : « il est parti changer la clim »‘. Des étudiants qui manifestaient dans la capitale contre le président Macron avaient alors rebaptisé le boulevard du général De Gaulle « Avenue Sankara ».

Le Burkina Faso est classé 151e pays le plus pauvre sur 190. L’or représente 11% du PIB et le coton représente 95 % des exports du pays. Le secteur tertiaire représente lui 50% du PIB bénéficiant du « boom » des services de communications et financiers. Le Burkina Faso est le 8ème client subsaharien de la France. Au 1er semestre 2020, les exportations françaises vers le Burkina Faso ont progressé de 17,3% à 158,9 M d’euros.

« Selon la Banque mondiale, près de 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie à la naissance se situe autour de 60 ans et plus de 65% des personnes âgées de plus de quinze ans ne sont pas alphabétisées. Les inégalités de revenus sont aussi prégnantes, selon le PNUD, les 20% de la population les plus riches ont un revenu moyen 7 fois supérieur aux 20% les plus pauvres. Le Burkina Faso qui connait une situation sécuritaire dégradée depuis 2014 est également marqué par d’importants déplacements de populations, estimés à plus de 2,2 millions de personnes.  (…)
Dans l’ensemble, la présence française est estimée à une cinquantaine de filiales d’entreprises françaises (stricto sensu) et à une centaine d’entreprises burkinabè à intérêts capitalistiques et/ou management par des ressortissants français, présentes dans la plupart des secteurs de l’économie : l’agriculture (notamment le coton avec Geocoton ou encore Advens), le secteur agroalimentaire (brasserie Castel dans Brakina, huilerie SN-CITEC de Geocoton), l’industrie de la transformation, le BTP (Vinci/Sogea-Satom), la logistique et les transports (Air France, Groupe Bolloré), le commerce, la distribution (Total) et les services bancaires (Société Générale) et assurances (Sunu ex-Allianz).
La dernière implantation significative est celle du groupe Orange en 2017, suite au rachat des actifs d’Airtel Burkina, qui représente un investissement de l’ordre de 100 Mds FCFA (150 M EUR). Par ailleurs, une cinquantaine d’entrepreneurs français seraient établis dans les secteurs de l’hôtellerie-tourisme sur l’ensemble du territoire. (source ministère de l’économie et des finances)

Pour conclure et lier le rejet de la population burkinabaise à l’histoire du néo-colonialisme français, il paraît impensable de ne pas évoquer le destin brisé d’un pays qui aurait du servir d’exemple pour l’ensemble du sud Global à travers le parcours de Thomas Sankara, celui qui disait « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous ». La haute volta devient  « Pays des hommes intègres » en 1984, après la prise du pouvoir par le Capitaine Thomas Sankara. A cette époque le pays est l’un des plus pauvres du monde.
Thomas Sankara est considéré par les révolutionnaires du monde entier comme un symbole de la résistance envers l’impérialisme aussi important que le Che. Entre 1984 et 1987, Il mettra en application des réformes politico-sociales d’envergure (démocratie participative, vaccination, réformes agraires, alphabétisation, interdiction des mariages forcées, économie localiste…) et aussi écologique.
La malnutrition disparaît temporairement et des progrès spectaculaires sont réalisés dans tous les domaines. En plus de refuser l’occidentalisation, le concept de développement au sens libéral, il affirme une identité panafricaine et marxisante avec humilité et fermeté. Son discours sur la dette face au conseil des Nations Unies, et le refus de la mendicité des ONG auprès de la charité impérialiste raisonnent encore et trouvent écho auprès de toute une génération qui affirme son héritage.

Aujourd’hui, celle-ci semble prête à vouloir devenir actrice de son futur, prendre son destin en mains, et ne semble pas prête à courber l’échine, nous la soutenons.

L’impérialisme à bas :  nous vaincrons !