Il faut se rendre à l’évidence. Le socle de nos libertés fondamentales, inscrites dans les Droits de l’Homme ou dans le droit tout court, ne nous aide pas beaucoup à freiner les exigences des pouvoirs politiques et financiers. De la détérioration des droits sociaux au pass vaccinal, en passant par la loi de Sécurité Globale ou la reconnaissance faciale… les droits descendent en flèche et le pouvoir de la police ne cesse d’augmenter pour imposer des nouveaux devoirs. Pendant ce temps, les sorties médiatiques des dirigeants esquissent un basculement de société inspirant la plus grande méfiance. Si le terme de crédit social chinois est dans beaucoup d’esprits pour évoquer la société vers laquelle on tend, nous allons voir ce qu’il est vraiment et comment il s’est imposé en Chine. Loin du repoussoir étranger que les médias en font, nous verrons qu’il s’inspire de la doctrine néolibérale et que ses formes sont à l’œuvre dans nos sociétés occidentales. 

Le 31 décembre 2021, Macron déclarait pendant sa présentation des vœux que « les devoirs valent avant les droits ». Quelques jours plus tard il fait une autre sortie fracassante dans une interview au Parisien, déclarant « qu’un irresponsable n’est plus un citoyen ». Ces deux phrases dites à propos de la vaccination avouent l’ambition d’un changement radical de société qui dépasse largement le cadre épisodique d’une gestion sanitaire. Elles laissent comprendre qu’il souhaite un régime qui évaluerait les citoyens selon une morale que lui même aura défini et qui pourrait les déclasser si besoin.

Au delà des mesures coercitives déjà annoncées à l’encontre des non vaccinés, il faut clairement y voir un changement de paradigme politique, un chantage pour nous faire accepter l’inacceptable. Le pass sanitaire et encore plus vaccinal s’imposent comme de nouvelles conditions pour avoir accès à des droits élémentaires. Ce qui n’était au départ qu’un droit d’accès aux bars et aux restaurants s’étend plus largement. Au Canada, il est prévu de supprimer les allocations chômage aux non-vaccinés. Pendant qu’en France, des voix s’élèvent pour un système de soin à deux vitesses pour les non vaccinés. Jusqu’où ira la honte ?

De plus en plus de libertés fondamentales semblent vouées à devenir illégales, voire simplement à disparaitre. Le droit de circulation l’est déjà devenu depuis longtemps pour une partie de l’humanité qui risque sa vie en migrant, faute d’avoir les bons papiers. Des structures internationales comme Frontex s’assurent que le droit de circuler n’en soit pas un pour tout le monde. Aujourd’hui, la discrimination des non-vaccinés, à l’heure où la moitié du monde ne l’est pas, rendra illégales un bon nombre d’habitudes sociales pour certains. Le rapport entre les non vaccinés et les migrants nous direz vous ? C’est que le système se nourrit de la division et d’un droit à deux vitesses. C’est comme ça qu’il règne et que beaucoup se laissent prendre au jeu… Être un citoyen dans les clous aujourd’hui, ne garantit pas que vous le serez demain.

CE QUI MOTIVE LE TOUT SÉCURITAIRE
Follow the money. (Suivez l’argent)

En pleine explosion dans les démocraties occidentales, l’autoritarisme est intimement lié avec les exigences grandissantes de l’économie dans un monde de plus en plus contesté. Les dirigeants voient très probablement dans l’industrie sécuritaire et les lois liberticides les parfaits outils de contrôle pour rassurer les marchés. En pleine pandémie de surcroit, n’est t’il pas est vital pour l’économie d’avoir des outils lui permettant de faire fonctionner les échanges ? De faire tourner la machine quand elle menace de s’arrêter. C’est la fonction fondamentale du pass sanitaire, puis vaccinal. Fluidifier l’économie pour rassurer les marchés.

Ceci n’est pas sans rapport avec le crédit social chinois qui existe officiellement depuis 2014. Au départ, le crédit social nait dans les années 2000 d’une volonté de réguler l’économie chinoise qui souhaite garder le contrôle alors qu’elle est ouverte à l’économie de marché mondiale. Son plan initial est d’assainir le crédit chinois en le dotant d’une base de données nationale détaillée, afin de démocratiser, faciliter et sécuriser les prêts et les échanges financiers, notamment pour les bas revenus qui ont beaucoup recours à l’économie souterraine. C’est une sorte de contrat de confiance destiné à agréger le maximum de citoyens et d’entreprises dans une société de contrôle par le crédit.

Son ambition est largement élargie par la suite à la récolte de tout un tas de données, toujours pour fluidifier l’économie. Un organisme de crédit privé avait donné le ton avant 2014. Le Crédit Sésame : Ainsi « les clients qui disposaient d’un bon score de Crédit Sésame étaient dispensés de caution au moment de louer une voiture ou un vélo, ou pouvaient recevoir une meilleure visibilité sur l’application de rencontres. » (Le système de crédit social chinois : miroir pour l’Occident, Clémence de Gail). Des techniques finalement très proches de ce qu’on connait du néo-libéralisme occidental…

Mais la Chine ne s’est pas arrêtée là et a largement assis l’emprise étatique sur le secteur privé. Plusieurs institutions sollicitées au départ ont été écartées. Le gouvernement chinois s’est même présenté en garant de la protection des données personnelles contre les abus que pouvait faire le secteur privé.

Si l’objectif a toujours consisté par la suite à donner confiance dans l’économie chinoise, avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013 le crédit prend très vite la fonction d’un outil pour instaurer le socle d’une « morale sociale » et faire appliquer la loi partout.  Aux citoyens, aux entreprises et aux institutions publiques par le biais d’un système de notation. Il recouvre un aspect économique, sécuritaire et se veut un outil moderne du maintien de la bonne morale tout en s’inspirant des mœurs culturelles. Il devient vite un vecteur de propagande définissant le bon citoyen en ayant recours à des notions de patriotisme et de civisme. Les informations contenues dans ce crédit social forment au final ce qui pourrait s’apparenter à une réputation. C’est cette réputation qui déterminera vos conditions d’accès à un crédit, à un logement ou à un job, avec des nuances et des critères variant selon les localités. En parallèle de ça, il existe aussi des listes rouges ou noires qui sont encore une autre couche de contrôle social pouvant en venir au « shaming ». C’est ce qu’on a pu voir fin décembre avec les 4 citoyens exposés à l’humiliation publique en combinaisons blanches dans les rues de Jingxi. Ils étaient accusés d’avoir laissé passer des migrants en dépit de la fermeture des frontières dues aux restrictions sanitaires.

SOCIÉTÉ DE LA TRANSPARENCE ET DE LA CONFIANCE : LES FAUX AMIS

La notion de réputation est une base dans la transparence du système des crédits à travers le monde. Elle n’est pas propre à la Chine. Avec l’avènement du digital et des big datas, elle a passé un stade supérieur. Les données sur nous même nous échappent, dans un monde où la notion d’anonymat est en train de disparaitre. L’État chinois a su vite en tirer parti.

Il faut comprendre ici que le système de crédit donne le ton en matière de vie privée numérique, et ce partout dans le monde. La viabilité des marchés financiers tient sur des notions de confiance et de transparence via la récolte de données privées, personnelles ou étatiques massives permettant de prévoir les risques, d’anticiper, de savoir quand investir ou quand rémunérer les actionnaires par exemple. Beaucoup d’États, comme la France, travaillent à augmenter cette transparence. Les politiques de transparence sont en général asymétriques. Alors qu’elles sont chargées de récolter toujours plus de données citoyennes, l’État n’est pas pour autant plus lisible aux yeux des citoyens.

Le cas chinois nous permet de voir à quel point le système économique commande des outils politiques et sociaux permettant de le rassurer. C’est une des fonctions du crédit social chinois et il nous paraît évident que c’est aussi la fonction des pass sanitaire et vaccinal. La venue de ces outils de régulation tombe à point nommé dans un contexte des plus incertains où la défiance envers les pouvoirs est grande et représente une source d’instabilité. Surtout en pleine pandémie. Le pass vaccinal ou sanitaire est un gagnant-gagnant entre le pouvoir économique et le pouvoir politique.

Le crédit social chinois est régulièrement utilisé comme repoussoir par les médias occidentaux, faisant de la Chine un bouc émissaire. S’il n’y a rien à redire aux critiques sur l’aspect totalitaire d’un tel système, il faut voir que bien des aspects du crédit social chinois sont des techniques de gestion largement inspirées par les secteurs privés des entreprises occidentales attribuant des scores à leurs clients. C’est bien sûr le cas des assurances, mais il y a des domaines où le public lui même est pro-actif en la matière et participe à son propre flicage. Il en va des notes des chauffeurs Uber, des avis AirBnB et nos interactions sur les réseaux sociaux, notamment quand on y donne des informations qui pourront être contrôlées par le fisc (Loi de finances 2020).

Un des épisodes les plus connus de la série Black Mirror, où les personnages se notent mutuellement et déterminent ainsi le rang social de chaque personne, a beaucoup été commenté comme une critique de la société chinoise alors qu’il faut plutôt y voir la pente glissante vers laquelle sont en train de tomber les sociétés occidentales.

Nous donnons une quantité folle de données aux entreprises privées et l’État se dit littéralement « pourquoi pas moi ». Toutes les données de prévisions comme le Health Data Hub (mis en suspens par la CNIL. Les données étaient hébergées par Microsoft) ou plus récemment le Crisis Data Hub consistant en un projet de croisement de données massives en cas de crises, sont indéniablement des initiatives en ce sens auxquelles la crise sanitaire vient donner une forte impulsion en permettant comme jamais aux pouvoirs de prendre le pouls de la société. Cela nous rend plus lisibles que jamais, pour le plus grand bonheur de l’économie. Rappelons qu’en Mars 2020, nous apprenions par la presse qu’Orange utilisait les données de géolocalisation de millions d’utilisateurs pour évaluer l’effet du confinement.

Le pass sanitaire, lui, fournit un indicateur sur le taux d’approbation d’une société à se plier à des échanges économiques régulés de près en temps de pandémie. C’est comme si l’État disait : « avec le pass nous pouvons faire fonctionner la société à tel niveau de rendement et avec tel degré d’acceptabilité des morts ». Il est censé rassurer l’économie à un instant T que le futur proche ne sera pas fait d’un nouveau confinement réduisant le volume des échanges. Il permet donc de faire des prévisions économiques. Il faut le voir comme un gage donné par l’État. Qu’il soit efficace ou pas sanitairement n’est même pas la question.

En outre, il offre une opportunité inespérée pour l’industrie techno-sécuritaire dans le développement et le renforcement d’une société d’accès conditionnés. Libre ensuite aux politiciens et leurs lobbies de déterminer la nature des accès et des conditions. S’il fallait prendre un exemple, Alicem est un projet gouvernemental conditionnant l’accès aux services sociaux par une carte d’identité numérique possédant nos données biométriques telles que la reconnaissance faciale.

Le pass est un signe fort pour bon nombre de marchés qui n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.

SOCIÉTÉ DE MALADES, SOCIÉTÉ DE CONTRÔLE

Il se peut que le système économique mondial ait trouvé une zone de fonctionnement idéale avec la pandémie. Une société de malades implique la prise de température permanente de l’ensemble des individus, et donc d’un ensemble de données visant à rassurer les calculs et les prévisions de l’économie.

Il va sans dire que le processus d’acceptation d’un tel dispositif implique son niveau de chantage et de propagande. Au delà de l’aspect économique qu’il encourage et dont il nous rend dépendant, le pouvoir politique y tire un profil qui lui permet de façonner la société. C’est une façon d’étendre son influence au niveau moral et sécuritaire. Les appels au civisme, à l’effort commun et les menaces coercitives participent à un endoctrinement auquel il est difficile d’échapper. Refuser le contrôle par le pass vous relègue immédiatement au ban de la société dans un contexte où le gouvernement vous expose à une forme d’humiliation sociale. Même si beaucoup de poches de résistance se sont développées pour contourner le pass, ou s’organiser sans… Et tant mieux.

Vu l’incapacité du vaccin à endiguer la pandémie à lui tout seul, il est évident que l’entêtement du gouvernement à imposer le pass vaccinal est d’ordre idéologique. Et il n’y a rien d’étonnant à ça. L’approche néolibérale conditionne le rôle de l’État à n’intervenir que lorsque l’économie est en présence de risques externes. Son rôle est de régler ce qui pourrait l’entraver. L’État rend l’économie plus fluide. On peut voir ici l’expression d’une véritable pensée unique, voire d’un parti unique, qui gouverne depuis au moins 30 ans.

Il faut regarder la société de contrôle avec la même froideur qu’elle nous regarde. Si complot il y a, il est littéralement sous nos yeux. Le contrôle ne vise pas des plans secrets, il se soucie de nous et vient à notre chevet pour savoir quel est le niveau maximum de rendement qu’il pourra obtenir de nous. De celles et ceux qui font tourner la machine.

Nous n’avons pas d’autres raisons d’être anti-capitalistes et de vouloir la chute d’un tel système.

Les plus optimistes pourraient dire : « ça va, il suffit juste de faire un vaccin et on n’en parle plus ». Mais on voit bien que l’instauration des pass est une question à part de celle des vaccins. Dans un monde en perpétuelle crise, on peut être sûr que l’approche néolibérale des États va continuer d’imposer ses indicateurs, comme le pass en est un, et qu’ils seront à chaque fois de nouvelles conditions pour accéder à la citoyenneté. Imaginez quelles seront ces nouvelles conditions quand les États feront mine d’affronter les risques liés au réchauffement climatique…

Les prochains outils coercitifs seront vendus comme les seuls moyens de faire face aux crises avec des arguments tels que « il faut construire une société de la confiance », « la transparence de nos données est la condition pour un monde plus sûr », « chaque citoyen doit être responsable face aux crises que nous traversons », « les devoirs passent avant les droits », « la société de la vigilance combinée aux futures Smart Cities nous permettront d’adopter la sobriété énergétique dans un monde en crise climatique. » Autant de blabla pour en arriver à une société de contrôle parfaite. Au delà de façonner le citoyen responsable, c’est l’achèvement du projet capitaliste, considérant les milliards d’individus comme une ressource ajustable dont la fonction est d’obtenir le meilleur rendement économique à toute époque et selon les crises que ne manque pas de provoquer le système.

On aurait tort de s’attendre à autre chose d’un monde qui fait de l’économie et de l’enrichissement les seules aventures possibles. Une question nous semble alors évidente. Plus que de savoir comment nous irons sur Mars, on ferait mieux de se demander comment se faire confiance à plusieurs milliards d’individus en dehors des règles de soumission qu’imposent ceux qui ont de l’argent sur ceux qui n’en n’ont pas.

Tant qu'il y'a aura de l'argent, il n'y en aura jamais assez pour tout le monde