Sur le séisme dramatique en Turquie, Syrie et Kurdistan

Lundi 6 Février 2023, un séisme exceptionnellement violent, de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter, a frappé le sud de la Turquie aux abords de la ville de Kahramanmaras à environ 60km de la frontière syrienne.

Il a été suivi quelques heures plus tard, d’une seconde secousse de magnitude 7,5 et de nombreuses répliques. Une catastrophe qui n’est pas sans rappeler celle d’Izmit en 1999 qui avait coûté la vie à 17 000 personnes dont 1000 dans la capitale, Ankara.

Des régions entières de Turquie et de Syrie ont été dévastées et on dénombre déjà environ 20 000 morts alors que les chances de retrouver des survivants s’amoindrissent au fil des heures.

Entre l'attitude démagogique du Nord global, le manque de coopération et d’aide au niveau international, le blocus économique contre la Syrie déchirée par la guerre civile, qui continue même en période d’urgence et la gestion de crise catastrophique d’Erdogan, les victimes se retrouvent abandonnées à leur sort.

Il est par définition impossible de prédire ces phénomènes extrêmes, au mieux nous pouvons vaguement anticiper une réaction s' ils se produisent. Néanmoins, la gestion de cette crise et son traitement médiatique révèlent des impasses sur bien des aspects.

 

La faille anatolienne, une zone à risque

La terre est en mouvement perpétuel de l’intérieur, ses plaques tectoniques se déplacent constamment. Située au nord de l’Anatolie et à Chypre, la faille anatolienne présente plusieurs “zones à risques” appelées aussi segments.

C’est une « microplaque », c’est à dire une plaque qui naît d’une zone de fracture entre les 14 plaques tectoniques majeures qui recouvrent le globe. La plaque anatolienne a pour particularité d’être en contact avec la plaque arabique, africaine, eurasiatique et de la mer Égée. Son activité sismique y est conséquente et imprévisible.

Dans le cadre du premier séisme, il s’agirait d’un mouvement coulissant de cette plaque au contact de la plaque arabique. L’est de la plaque (plaque est-anatolienne) n’avait pas connu de séisme majeur depuis plus deux siècles en Août 1923. A celà s’additionne un deuxième tremblement de terre qui a surpris plusieurs sismologues car celui-ci ne serait pas une réplique.

« Il est vrai que les prédictions faisaient plutôt état d'un séisme de magnitude 7 à 7,4. Avec une magnitude de 7,8, qui indique que l'ensemble de la faille a été mobilisée, on pouvait s'attendre à ce que toutes les contraintes soient libérées et donc que les répliques aient des magnitudes plus faibles lors du retour à l'équilibre de la faille comme attendu. Visiblement, les contraintes plus au Nord n'ont pas été relâchées et, quelques heures après le premier séisme, un deuxième de magnitude 7,5 s'est produit sur un segment différent, orienté d'Est en Ouest. Son mécanisme est donc différent. Cela est sans doute dû à la forte complexité des structures présentes dans cette jonction triple entre les plaques tectoniques africaines, arabiques et anatoliennes. » explique dans Sciences et Avenir le chercheur Jean Virieux, chercheur au sein de l'Institut des Sciences de la Terre. (Article « Séisme en Turquie et Syrie : jusqu'à 9 mètres d'écartement entre les bords de la faille »).

Les séismes et leurs répliques ont touché directement Chypre, la Jordanie, le Liban, la Géorgie, l’Arménie et l’Irak et les premiers bilans des scientifiques sont tristement impressionnants.

A chaque catastrophe naturelle majeure se pose la même question : peut-on tout justifier par l’imprévisible ?

 

La vétusté des logements mise en cause

Rappelons qu’après la catastrophe de 1999, la Turquie avait imposé de nouvelles règles sur le logement, censées imposer un cadre de construction plus strict. Or, les logements sociaux gérées par la société TOKI seraient parmi les plus touchées par les destructions.

Vulcanologue à l'Université britannique de Portsmouth, Carmen Solana, rapporte à l’AFP que "La résistance des infrastructures est malheureusement inégale dans le sud de la Turquie et particulièrement en Syrie. Par conséquent, sauver des vies dépend maintenant de la rapidité des secours".

La qualité des matériaux de chantier ou le manque de respect des normes peuvent expliquer la résistance ou non d’immeubles situés dans le même quartier. Les effondrements brutaux de résidences s’effondrant tels des châteaux de cartes compliquent l’accès aux secours.

« L'importance des destructions dépend également de la longueur de la rupture du sol le long de la ligne de faille (une centaine de kilomètres pour le séisme de lundi) (...) Cela signifie que n'importe quel point à proximité de ces 100 km s'est retrouvé, de fait, au centre du tremblement de terre. » (Source : Géo, Bill McGuire vulcanologue pour l’ULC)

Enfin, la situation météorologique hivernale rend les conditions de survie laborieuses. Comme à l’accoutumée, nous avons à faire à une course contre la montre laissant derrière elle un désespoir majeur et son lot de miraculés et de survivants qui pourront témoigner de l’ampleur et de la gravité de la situation.

 

Erdogan critiqué : laisser aller volontaire ou défaillance étatique ?

Le président turc est largement critiqué pour sa gestion ou plutôt son ingérence. L’aide civile aurait mis plus de 24, voire 48h pour arriver dans les districts de Pazarcik et Elbistan, à Maras (Kurdistan), situés sur les deux épicentres. L'implication des infrastructures étatiques est jugée très loin d’être la hauteur, le chef d’état autoritariste a fini par reconnaître “des lacunes”.

Il est important de rappeler que le Kurdistan, situé à l'épicentre, est le plus impacté et qu’Erdogan fera le minimum pour y déployer l'aide d'urgence, et ce pour des raisons purement politiques. L’Etat turc a d'ailleurs déjà pris le contrôle sur le dispositif humanitaire, régulant l’aide civile à son bon vouloir. Des collectes du HDP, parti de gauche radicale, ont par exemple été interceptées et saisies.

Pour couronner le tout, plusieurs témoignages accusent l'État turc d’avoir bloqué les accès aux réseaux sociaux, notamment Twitter, pour étouffer la contestation et ce malgré l’utilité de ces plateformes dans les sauvetages. Les utilisateurs auraient eu recours à des VPN pour contourner cette censure. Même certains partisans du président ne cachent plus leur colère.

Dans une vidéo devenue virale, un membre du conseil exécutif du district de l'AKP (le parti du président Erdogan) à Hatay-Kırıkhan, s'indigne : "Maudit soit ce gouvernement. Tous mes enfants sont sous ces décombres. Il n’y pas un seul homme d'État. Tout ce qu'ils font c’est pour le spectacle. Qu'ils viennent m'arrêter."

Concernant, le Rojava, le compte Twitter d’Azadi, rappelle que “L’aide humanitaire est très limitée dans la zone. Envoyer des dons et matériels sur place est très difficile, passer par la Turquie ou le régime de Damas étant impossible. Le Rojava travaille avec les ONG sur place afin de les aider à atteindre toutes les zones en Syrie”.

 

(Pour faire un don au Soleil rouge - Roja Sor Kurdistan : http://rojasorfrance.com)

 

Catastrophe syrienne sous fond de guerre civile

Le Secours Rouge a appelé l’UE à une levée immédiate des sanctions internationales qui pénalisent l’ensemble de la population syrienne, plus particulièrement les plus précaires. Réélu à 95%, le dictateur El Assad se retrouve renforcé alors que l’Occident fantasme sur une chute du régime en appauvrissant la population. Dans ce genre de situation, ce blocage freine toute possibilité d’arrivées massives des aides.

« J'appelle tous les pays de l'UE à lever les sanctions économiques contre la Syrie (...) il est temps, après ce tremblement de terre », M.Khaled Haboubati, directeur syrien de l’organisation.

En dehors du Rojava, le séisme a aussi dévasté dans le Nord-Ouest syrien à Alep, Hama ou encore Idlib dernière poche rebelle partagée par les dissidents d’Al Qaïda à et une coalition de rebelles alliant groupes “islamistes”, parfois pro-démocratie, plus rarement libéraux regroupés derrière l’Armée Syrienne Libre, soutenue et armée par la Turquie.

Le Nord-ouest a été déchirée par la guerre civile, la division entre factions rebelles, la cruauté des bombardements et de la répression de l'État syrien en générale ou encore la présence de Daech, sous fond d’impérialismes régionaux ou plus conséquents, nous ne pouvons que constater, que toutes les nations et forces impliquées dans ce conflit ne feront pas de ce cataclysme une priorité.

Les températures glaciales viennent s’ajouter au désastre de plus de dix ans de guerre civile d’un pays qui a vu la mort de plus d’un demi-million de personnes dont plus de 306 000 civils et des centaines de millions de déplacés depuis 2011.

Le nord de la Syrie se retrouve dans l’incapacité de faire face à cette situation et les survivants au tremblement de terre risquent d’être amenés à vivre une nouvelle catastrophe immédiatement.

 

Service minimum de l’OTAN

Côté occidental, l’Europe envoie 79 chiens de recherches et 1185 secouristes venus de 19 états-membres. Les Etats-Unis, de leur côté, envoient deux équipes de secouristes en Turquie et le président Biden promet à son homologue turc une aide conséquente. La Syrie appelle l’UE à l’aide, de son côté le chef de la diplomatie affirme qu’une aide sera envoyée tant qu’elle ne tombe pas aux mains du régime.

Envenimer le conflit ukrainien plutôt que le résoudre impacte logiquement le sens des priorités, et les capacités de mobilisation des équipes se retrouvent forcément amoindries.

 

A quoi s’intéresse la presse mainstream ?

On ne peut que saluer les secouristes et les personnes qui tentent de sauver des vies parfois au péril de la leur. Nous sommes naturellement touchés par la mort ou la survie d’un être humain retrouvé sous les décombres ou survivant à ses blessures.

Cependant, les récits des médias mainstreams français se résument globalement au récit de ces histoires, plutôt qu’aux conséquences et aux facteurs qui impacteront sur la situation économique, sociale et politique des zones touchées à court et moyen terme. Ce que nous retenons en plus de notre tristesse, c’est un sentiment d’impuissance.

Les catastrophes naturelles ne peuvent être évitées, certes. Mais les facteurs aggravants sont le plus souvent le résultat de la volonté arbitraire de celles et ceux qui méprisent l’humanité.

Il ne devrait s'agir là que de solidarité. La seule chose dont toutes les victimes aient besoin. Le seul levier à actionner, sans faire de différence entre les humains.