DÉFIER L'INTERDIT. MONTRER L’ILLÉGITIME 

Qu'est-ce que nous dit un Etat qui tient une contestation démocratique à l'écart des lieux de pouvoir et qui enferme 3 lycéens pendant 36 heures de garde à vue pour les punir d'avoir bloqué leur lycée contre les réformes Blanquer ? Peut-être tout simplement qu'il a peur... Peur au point de vouloir intimider le mouvement lycéen et peur au point d'interdire la moitié de Paris à une manifestation de gilets jaunes.

Vu de loin, cet acte 64 des GJ à Paris pourrait être considéré comme un échec : aucune manif sauvage n'a pu avoir lieu et de nombreux manifestants ont été interpellés/verbalisés de façon totalement arbitraire. 403 verbalisations rien qu'à Paris ! Et 3 gardes à vue.

Sauf que ce qui s'est passé à Paris samedi est nettement plus fort qu'une manif déclarée et totalement nassée de bout en bout par la police, qui ne dérange absolument pas le pouvoir.

Ce samedi, plusieurs centaines de Gilets Jaunes (sans leur gilet) ont bravé l’arrêté préfectoral grotesque qui leur interdisait d'être "présents" dans une bonne partie de la capitale (tous les lieux de pouvoirs et touristiques). Malgré les menaces du préfet, ils se sont retrouvés au lieu de départ de la manif refusée par la préfecture, devant le Conseil d'Etat. Le dispositif policier était énorme, démesuré, comme depuis plusieurs mois. Et pourtant, ces citoyens ont décidé de venir dans la gueule du loup, non pour être victime, mais pour tenir la dragée haute à l'intimidation d'un pouvoir qui n'a plus que la surenchère de ses muscles pour empêcher une simple manifestation. Rapidement nassés (comme prévu), ils ont été rejoints par d'autres manifestants qui se sont payés le luxe de nasser la nasse policière. Une dérision délectable qui a pour quelques instants désorganisé le dispositif. Un peu gênée aux entournures dans ce quartier touristique, la police a ensuite desserré les dents et les gilets jaunes ont pu rester manifester devant le conseil d'état ou marcher dans le quartier puis se rendre sur un plan B.

Pendant plusieurs heures, les GJ ont continué à défier le pouvoir et son bras armé (les BRAV), sûrs de leur légitimé à manifester et à se battre pour une société plus juste et plus humaine.

La réponse du pouvoir apparait dès lors forcément disproportionnée et illégitime. Et c'est tout l'intérêt de cette action !

Car un pouvoir autoritaire et de plus en plus fascisant peut tout à fait se faire passer pour démocratique tant que tout le monde respecte ses "conditions" et feint d'accepter le consentement forcé. Mais lorsqu'on l'oblige à montrer son vrai visage, simplement en décidant d'aller manifester où bon nous semble, la part sombre et dangereuse du pouvoir apparait au grand jour.

En cela, les 500 GJ parisiens présents ce samedi ont été bien plus subversifs et utiles à la lutte que s'ils avaient été 3000 dans une manif totalement "encagée", dans une nasse policière mobile.

Et si, samedi prochain, ils sont plus nombreux, le pouvoir aura de plus en plus de mal à contenir la colère légitime. Et il n'aura d'autre solution que de montrer encore plus son visage fascisant.

Revenons maintenant sur l'arrestation des 4 lycéens.Vendredi matin, ils sont arrêtés dans le cadre de la mobilisation contre les épreuves de contrôle continu du nouveau bac (une des réformes de Blanquer). On leur reproche d'avoir bloqué le lycée Ravel avec une poubelle en feu. La mise en garde à vue de 4 mineurs pour des faits de la sorte est exceptionnelle. Alors qu'un des lycéens a été libéré sans suite au bout de 24h, les 3 autres ont été déférés au tribunal et leur garde à vue a été prolongée.

Mais coup de théâtre samedi, le parquet se rend compte que le dossier ne permet pas de faire passer les lycéens devant un juge pour la poubelle brulée par manque de preuves et des irrégularités dans la procédure. Il décide donc de leur notifier une mesure alternative. Ainsi le parquet garde la face dans une affaire qui aurait pu lui couter cher : se faire désavouer par un juge.

C'est la même technique qui est employée contre les gilets jaunes rappelle Lucie Simon, l'avocate des jeunes lycéens. En sommes une technique qui consiste à arrêter arbitrairement, et, fautes d'éléments tangibles, coller un rappel à la loi.

Macron et son monde ne tiennent plus que par sa police et sa justice à deux vitesses. Plus la contestation sociale augmente, plus les moyens répressifs sont démesurés pour terroriser tous ceux qui osent résister. Cette débauche de moyens a un but : faire peur aux autres, à ceux qui ne s'organisent pas encore face à cela et qui pourraient rejoindre le mouvement. Dans le cas du lycée Ravel comme dans le cas de la manif gilets jaunes, le procédé est le même : envoyer un message de terreur. Ainsi l’État dit aux parents que leurs enfants pourront souffrir dans les mains de la police s'ils s'opposent aux reformes. Que même si les accusations ne sont pas fondées, il aura malgré tout les moyens de punir dans les interstices. Voilà ce qu'on appelle une manière de faire de la police politique. Les gilets jaunes ne connaissent que trop bien cette rengaine. Les lycéens de Mantes la Jolie qui avaient été mis à genoux l'année dernière sur ordre de flics armés aussi.

Face à cela, il n'y a pas d'autre choix que de résister et de déranger. Au risque de se faire arrêter, interpeller, verbaliser.

Même si cela fait mal, n'oublions pas que cela est juste. Légitime. Et que c'est ce qu'il faut faire.

Alors disons le clairement : bravo à celles et ceux qui ont tenté de changer les choses ce samedi à Paris avec la manif gilets jaunes. Et bravo aussi aux lycéens et lycéennes qui s'organisent pour bloquer l'application de réformes injustes. Et bravo à tout celles et ceux qui ont le courage d'accompagner les révoltes en cours.

A trop montrer les muscles de son autoritarisme, l'Etat est en train de s'effondrer par le propre poids de sa force, en se délégitimant. Et si nous poussons tous, il tombera


ÇA VA COGNER SEC !

Le mouvement de grève initialement débuté le 5 décembre se transforme. Les nouvelles que nous recevons de Strasbourg représentent bien l'état de la situation dans tout le pays. Ce qui est en train de se construire dans l'université et l’Éducation nationale est inédit et n'a pas encore usé de tout son potentiel. Tout comme la multiplication des actions à travers la France dans de nombreux secteurs.
Le pouvoir et sa police creusent jour après jour leur illégitimité et la mécanique inégalitaire de la République néo-libérale ne tient plus que par son vernis.

Mardi 28 janvier 2020

Les AG se poursuivent, de plus en plus nombreuses, rassemblant de plus en plus de secteurs qui se coordonnent petit à petit. A Strasbourg, des AG en histoire, en architecture, en géographie, en maths, en philo, en sciences sociales etc… avec à chaque fois la présence de nombreux professeurs qui s’engagent de plus en plus fermement dans la lutte contre la réforme des retraites. Le corps enseignant et les chercheurs eux aussi se mobilisent de leur côté à travers des AG régulières qui poussent à une convergence massive avec les étudiants.

La lutte prend un tournant décisif, celui d’une lutte coordonnée nationalement. Les enseignants sont d’autant plus remontés contre la réforme des retraites que la loi LPPR (Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche) vient consolider le ras le bol général. La précarité ? on n’en veut plus. La réforme des retraites ? on n’en a jamais voulu. La loi LLPR ? non plus. La réforme Blanquer ? personne n’en veut, il n’y a qu’à constater les perturbations des épreuves des E3C dans les lycées. Ça gronde, et sérieusement. La mobilisation qui se prépare promet d’être rude, et les enseignants savent le poids qu’ils peuvent faire peser sur les universités et les lycées pour relancer la mobilisation étudiante, en baisse depuis la rentrée des vacances de Noël. Selon Pascal Maillard, professeur à l’Université de Strasbourg et membre du syndicat SNESUP-FSU, « ça monte très fort chez les enseignants », et une grève de la recherche et de l’enseignement est même envisagée, à tel point la mobilisation qui se profile revêt désormais un caractère exceptionnel, et s’encre fermement dans la lutte sociale qui traverse notre pays depuis plus d’un an.

Certains professeurs sont en grève « active », c’est-à-dire qu’ils continuent de donner des cours, mais consacrent une partie de ces derniers à expliquer la réforme des retraites et différentes réformes menées par le gouvernement de Macron. C’est en sciences sociales que la mobilisation est pour l’instant la plus forte, notamment avec une AG qui a regroupé près de 200 étudiants et professeurs, les cours de la semaine étant pour la plupart consacrés à des débats sur la réforme des retraites. En sciences sociales la mobilisation a commencé, on attend maintenant que ça prenne partout.

Cependant, la défaite de la mobilisation contre la loi Pécresse (la LRU : loi relative aux libertés et responsabilités des universités) demeure un profond traumatisme pour les étudiants et le corps enseignant et chercheur des universités. Sachant cela, en en prenant acte de cet échec, il nous faut y aller doucement, ne pas se précipiter, sans non plus trop prendre notre temps. Une révolution c’est toujours le chaos comme dit l’autre. Toujours est-il qu’on ressent une claire ébullition partout, quelque chose qui mijote, prêt à surgir. Un fait curieux s’est produit récemment, et vient renforcer l’idée que quelque chose de gros se prépare : la conférence des doyens des facultés de droit de France (à noter que les facs de droit se distinguent généralement par leur indifférence impériale face à toute sorte de mobilisation sociale) s’est illustrée par le vote d’un texte fustigeant la loi LPPR, un texte de gauchos ! Ça va chauffer…

Après une AG dans un amphi peu rempli, les étudiants mobilisés ainsi que des enseignants nous sommes dirigés vers une salle de conférence qui accueillait aujourd’hui le Congrès de l’Université, avec la présence de nombreux élus ainsi que du président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, afin d’exprimer notre profond malaise sur ces quelques sujets :

- La banalisation des cours les jours de mobilisation pour que les étudiants souhaitant participer à la lutte puissent le faire sereinement et l’esprit tranquille.

- Que l’Université se positionne clairement contre la réforme des retraites et soutienne administrativement tous ceux (étudiants et corps enseignant) qui souhaitent se mobiliser.

- Nous demandons que Monsieur le Président condamne avec la plus grande fermeté les violentes agressions perpétrées par l’Action Française et la Cocarde Etudiante sur des étudiants mobilisés, en nommant clairement ces sombres groupuscules.

- L’Université de Strasbourg est décorée du statut d’université « résistante ». C’est une des raisons pour lesquelles nous demandons, par respect pour les personnes blessées et choquées par ces évènements, par respect pour l’Histoire, et pour honorer notre devoir de mémoire pour la Resistance Française face au fascisme, que l’université porte plainte contre ceux qui ont commis ces actes.

Après avoir appelé la sécurité pour fermer à clef les portes permettant d’accéder à la salle de conférence, M.Maillard a pu négocier quelques minutes avec le directeur pour nous laisser entrer pour nous exprimer, suite à quoi nous nous engagions à quitter les lieux sans « chahuter ».
Monsieur le Président Deneken, nous attendons toujours.

Quasiment tous les vœux des élus LREM sont perturbés, les pompiers ont de nouveau manifesté à Paris, où des scènes de folie se sont produites : charge des soldats du feu qui ont courageusement tenu tête aux forces de l’ordre, faisant face à une répression désormais presque banale. Mais les scènes de confrontation entre pompiers et policiers ne sont pas banales, elles sont profondément tristes et témoignent de la fadeur du gouvernement qui ne tient encore, mais peut-être pas pour toujours, grâce à la police.

Ça bout, ça chauffe, ça grogne, ça va cogner sec, il va pleuvoir des grenades et on va entendre siffler les matraques et meurtrir les flashballs. Mais on va tenir, et on va gagner, parce que si on ne tient pas on tombe, et si on tombe ce sera, cette fois, peut-être bien pour de bon. Alors aucune désescalade n’est à envisager, c’est la victoire qu’il nous faut, quoi qu’il en coûte, surtout s’il en coûte !

Oriol BAILLAUD ROCA, étudiant en Humanités à l’Université de Strasbourg


CRS frappe un lycéen

L’Éducation Nationale est dirigée par des menteurs autoritaristes

L’administration sort l’artillerie lourde face aux enseignant.es impliqué.es dans le mouvement contre les réformes des retraites et du bac, notamment pour celles et ceux qui ont décidé de monter d’un cran dans leurs actions, ayant acté que la contestation passive ne mènera à rien : menaces de sanctions, accusations démesurées, criminalisation de la contestation… Appeler désespérément à l’ordre et aller jusqu’à mentir ou déformer la réalité, n’est-ce pas le signe qu’ils n’ont rien d’autre à répondre à celles et ceux qui demandent simplement un futur un peu meilleur pour tout le monde, non asservi au système économique ? C’est que nous sommes sur la bonne voie. Alors continuons !

Parce que nous sommes convaincu.es que ce projet de contre-réforme des retraites est profondément injuste, que celle du bac relève du même système, et que nous pensons que nos acquis sociaux sont notre bien commun, nous (enseignant.es) avons été nombreux.ses à participer ces dernières semaines à des actions de blocages, de perturbations… Suite à ces actions, plusieurs courriers ont été écrits par des recteurs d’académie, avec des menaces de sanctions administratives et pénales envers les enseignant.es qui y ont participé[1]. Un rappel à obéir, à « fonctionner ». A appliquer les directives sans se poser de questions sur leur intérêt public. Un appel à plus de fermeté, qui serait le « sel de toute vraie pédagogie »[2]. Des appels à dénoncer les collègues, même de façon préventive, susceptibles de participer à des perturbations. Moins directement lié au mouvement contre la réforme des retraites, un autre recteur (de Rennes) envoie un courrier qui demande de refuser aux mineurs en situation irrégulière d’assister aux stages et ateliers (même s’il a ensuite retiré sa circulaire, il n’empêche que ça ne l’a pas dérangé de l’écrire et de l’envoyer)[3]. Ensuite, il y a les proviseur.es qui cautionnent les coups de matraque et l’usage de lacrymogène sur des lycéen.nes qui bloquent leur lycée avec quelques poubelles[4]. Et d’autres encore qui s’associent pour écrire une tribune[5] qui tente de culpabiliser les enseignant.es les plus mobilisé.es.

Cela donne un premier aperçu de l’état d’esprit des gens qui dirigent l’Éducation Nationale. Un état d’esprit peut-être galvanisé par l’augmentation récente de la prime annuelle des recteurs, qui peut s’élever à plus de 50 000€…[6]

Ils et elles nous appellent à l’obéissance comme un dernier recours, quand ils et elles n’ont plus d’autre argument à nous opposer pour nous faire avaler leurs réformes. Tout ceci doublé d’une floraison de mensonges dont le Ministre, JM Blanquer, n’est pas en reste...

Il avait notamment promis une revalorisation de nos salaires afin de contrebalancer les centaines d’euros que nous perdrons chaque mois sur nos retraites ; la somme annoncée était déjà loin de couvrir ces pertes, et le Conseil d’État vient d’invalider cette possibilité[7]. L’Éducation Nationale n’hésite pas non plus à publier de faux chiffres de grévistes[12].

Concernant les E3C (épreuves anticipées du bac) il affirme qu’une minorité seulement s’y oppose[8]. Or, la Fcpe (fédération nationale des parents d’élèves), tous les syndicats enseignants et l’Union Nationale Lycéenne ont demandé à minima le report des E3C[9][10]. D’après les outils auto-organisés de recensement, au moins une centaine de lycées ont déjà dû reporter leurs E3C, et 349 établissements ont déjà pris des décisions collectives de résistance aux E3C[11].

M.Blanquer dénonce les « intentions politiques » des manifestant.es qui ont perturbé les épreuves.
Le recteur d’Aix Marseille accuse les collègues de transformer les salles de classes en réunions syndicales[2] (mot qui sonne comme un gros mot dans sa bouche), de manipuler les élèves et les jeunes collègues en leur distribuant des tracts… Est-ce que ne rien leur expliquer, ne pas les faire réfléchir à ces questions fondamentales de société aurait été un choix moins politique ? On devrait redonner ici au « politique » son sens premier, à savoir « ce qui concerne le citoyen » ; question qui a toute sa place à l’École. Ces collègues auraient « perdu sagesse et courage », alors qu’ils risquent des sanctions pour défendre un monde un peu moins injuste et développer l’esprit critique de leurs élèves !!!

Le Ministre va même jusqu’à nous accuser d’être des « ennemis de la démocratie », de vouloir créer du « mauvais climat »[8] ; qu’il vienne voir nos AG, nos cortèges, nos fêtes de soutien, nos outils et médias auto-organisés : ce sont des modèles de démocratie horizontale, de solidarité, de respect, de joie. Sa démocratie à lui ? C’est le parlement (largement acquis à LREM ), les médias (qui appartiennent à des hommes et femmes d’affaires), le droit de manifester pacifiquement (d’un point A à un point B, décidés par la Police, et encadrée par celle-ci). Une démocratie où l’on peut faire une nuit de garde à vue pour porter un badge syndical à la sortie d’une manif, où des manifestant.es sont mutilé.es, où des êtres humains sont traité.es comme des parias parce qu’ils n’ont pas de papiers...

Il nous accuse d’avoir pour seul objectif de semer le désordre et la violence, ou d’incarner l’immobilisme et le conservatisme[8] : nous n’avons vu ces revendications dans aucun compte-rendu, et nous avons au contraire plein d’idées pour changer l’Ecole ! Il va jusqu’à dire que si la Police est violente, c’est la conséquence de la stratégie de « l’extrême gauche » ! Il ose même citer La Fontaine de façon erronée pour justifier ses mensonges : or, « quand on a un peu de culture » (pour reprendre son expression), on comprend que la fable de la poule aux œufs d’or ne dénonce absolument pas celles et ceux « qui veulent casser ce qui nous permet à tous de vivre » mais elle dénonce la cupidité individuelle.

Des mensonges encore sur des actions de perturbations qui auraient été « violentes », « indignes », « lamentables », des « actes de folie »… A propos des actions récentes de jets de manuels, il dit que c’est « nier la noblesse et la dignité de notre métier » (il oublie qu’en juin dernier, des milliers de manuels ont du être jetés à cause de ses nouveaux programmes d’ailleurs fortement critiqués). Des mots honteusement démesurés quand on a assisté à ces actions, lors desquelles personne n’a été frappé.e ni blessé.e par des manifestant.es ! Si des enseignant.es participent à des blocages ou des occupations, c’est que cette « violence » (toute relative) est le moyen de se faire entendre qui vient naturellement quand on ne nous écoute pas. Nous ne sommes pas une minorité radicale et violente qui veut semer le chaos. Nous avons simplement acté que faire grève et manifester gentiment ne suffirait pas. Nous avons le courage de risquer des sanctions, de se faire violenter par la Police, pour la défense de nos biens communs, pour le futur de nos élèves, pour un mouvement social soutenu par des millions de personnes. La minorité radicale et violente qui veut imposer son point de vue, ce n’est pas nous, c’est l’État ! Que ces gens là nous donnent des leçons de morale et nous fassent passer pour de dangereux semeur.ses de troubles est inacceptable !

Face à ces mensonges, à ces mots détournés de leurs sens, à ces appels à la délation, à la fermeté, à la répression, face au mépris de notre propre capacité à réfléchir, à faire nos choix et à agir pour les mettre en œuvre, nous n’avons qu’un seul choix : la résistance.
Partout, il faut se réunir, continuer de créer des liens entre nous mais aussi interprofessionnels, redéfinir collectivement le sens et les enjeux sociétaux et politiques de notre métier. Plus nous serons nombreux.ses à participer aux actions, à sortir de la contestation « passive » et plus nous serons organisé.es, plus difficile ce sera pour eux de nous menacer et nous sanctionner, et plus nous pourrons mettre en échec la destruction de nos biens communs, et construire ensemble une École plus juste, plus émancipatrice, qui porte une autre ambition que de faire de nos élèves de futur.es esclaves du système économique. Il faut que les enseignant.es assument le pouvoir qu’ils et elles peuvent avoir dans la transformation de la société. Intensifier notre lutte, c’est renforcer notre démocratie !

Des enseignant.es en lutte

SOURCES

[1]https://rapportsdeforce.fr/breves/le-recteur-de-lacademie-de-toulouse-menace-douvrir-des-procedures-disciplinaires-contre-des-enseignants-grevistes-01225849

[2]https://lundi.am/Greve-des-profs-Menaces-chantage-appel-a-la-delation

[3]https://www.letelegramme.fr/bretagne/cafouillage-du-recteur-d-academie-sur-la-question-des-eleves-etrangers-24-01-2020-12486680.php

[4]https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/20/rassemblement-devant-un-lycee-a-paris-pour-denoncer-des-violences-policieres_6026598_3224.html

[5]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/27/plus-de-cinquante-chefs-d-etablissements-scolaires-parisiens-demandent-que-cessent-les-blocages_6027306_3232.html

[6]https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/16/en-plein-mouvement-social-la-prime-de-fin-d-annee-des-recteurs-qui-fache-les-enseignants_6026078_3224.html

[7]https://www.huffingtonpost.fr/entry/retraites-le-conseil-detat-raye-la-promesse-de-revalorisation-du-salaire-des-profs_fr_5e2c0c46c5b6d6767fd4769b

[8]https://www.franceinter.fr/emissions/questions-politiques/questions-politiques-19-janvier-2020

[9]https://www.fcpe.asso.fr/actualite/e3c-rupture-degalite-entre-les-eleves

[10]http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/01/13012020Article637144954192555112.aspx

[11]AG Education Ile de France du 25 janvier 2020 à Paris

[12]https://blogs.mediapart.fr/pascale-fourier/blog/130120/education-nationale-le-scandale-des-panels-pour-compter-les-grevistes


Je suis lutte des classes. Je suis notre Joker

Vous allez battre en retraite. Je suis lutte des classes. Je suis résistante ! Cléone - Lettre 3

"Je reprends corps.
Vous allez battre en retraite.
Je suis lutte des classes. 
Je suis les trente, les vingt prochaines années. 
Je suis le pire cauchemar de vos sociétés de contrôle.
Je suis notre Joker.

Je suis résistante !" (Cléone - Lettre 3)

Je suis Cléone et on ne me rattrapera jamais…
Je suis marronne, je suis le chœur du Bloc.
Je suis le cortège qui bille en tête vous a renversé et vous renversera encore.

Je suis la grève, celle que j’ai foulé il y a des siècles, le corps hagard, rompu et enchaîné, mais vivante. Je suis la fuite, l’échappée. Je suis la rapine, la ruse, l’incendie, le poison, la machette retournée contre vos gorges. Je suis la rumeur des soulèvements du passé parvenue jusqu’à vous. Les mornes, les oasis, les communes, les landes, les friches, les squats sont ma terre. Le monde qui vous survivra est un Quilombo.

Je suis le spectre de la révolution.

Mon esclavage, mon labeur, ma vie vous a nourri, soigné, blanchit et élevé, lavé, éduqué, transporté et diverti. Ma sueur, mon sang, mon sexe vous ont assez enrichis. A mon tour, je veux vous affamer.

Je suis la grève face à vous, la colère partout, ruinée mais déchaînée. Je suis désespoir, joie et fureur. Je suis la pénurie, le blocage, le sabot dans le rouage de la machine, je suis le train arrêté en pleine voie, le piquet de grève, le bateau à quai, l’occupation, l’amoncellement de palettes, de pneus, la barricades de chaises, le fumigène, le bris de verre… je suis l’obscurité du courant coupé.

Je suis lucidité.

Je suis nue ; sans robe noire, sans blouse blanche, sans cartable et sans livre, sans outils et sans arme… Je vous les jette à la gueule. Je suis combattante : danseuse, chanteuse et musicienne aux marches de vos palais, je suis solidarité.

Je suis celle qui t’aide à te relever en pleine embuscade, à t’échapper de la nasse, à revenir ensemble à la charge. Je suis Street Medic.

Je suis réalité.

Je suis le butin, la caisse de grève, le nerf de la guerre. Je suis condition d’existence.

Je reprends corps. Vous allez battre en retraite.

Je suis sans boulot. Exploitée, dépouillée, endettée, édentée, je suis celle qui dort dans sa voiture, qui roupille dans la rue, qui vole dans vos poubelles ; celle qui crève en EPHAD. Je suis votre bilan politique.

Des lustres à ingurgiter vos éléments de langage, vos flux d’images, vos insultes, vos imaginaires, vos dénis, vos trahisons, vos comptages, vos indignations, vos mépris, vos manipulations, vos compassions. Vous êtes nauséabonds.

Je vomis votre pouvoir d’achat, votre Etat de droit, votre rétablissement de l’ordre, votre universel, vos politiques d’égalité, votre épouvantail d’âge pivot, vos coupes budgétaires, vos fonds de pension, vos dividendes, votre PIB, votre société de consommation, votre plastique sur vos produits bio, vos RIO, vos tribunaux, votre Europe, vos privatisations, vos armées, vos pillages, vos saccages, votre morale, votre humanisme, vos humanitaires, vos égouts et vos décharges. Je suis lutte des classes.

Je suis la lutte idéologique même.

Je suis notre rencontre funeste. J’ai trébuché, ployé… Je suis ensanglantée, je suis assassinée. J’ai succombé sous la charge de votre brutalité meurtrière. Je suis l’eau dans les poumons de Steve Maia Caniço dans Nantes insurgée. Au milieu de la cour de la gendarmerie de Persan, je suis l’air qui manque dans les poumons d’Adama Traoré qui vous implore. Je suis le cœur qui cesse de battre de Cédric Chouviat au pieds de la Tour Eiffel. Partout vos genoux sur mon dos, je suis nos morts, je suis votre crime.

Dans les yeux endeuillés des familles : Cléone-Antigone est vérité. Je suis justice.

Je suis le bras fantôme qui ne cessera plus de vous renvoyer vos bombes et vos grenades assassines. Je suis Rémi Fraisse. Je suis Zineb Redouane.

Je suis la mémoire de la main coupée des esclaves en fuite repris par les colons et leurs chiens au nom du Code Noir. Je suis la main arrachée au nom de la République du peuple des ronds-points, monté à Paris pour fracasser vos fétiches de plâtres, piller vos boutiques de luxe et saccager vos immeubles haussmanniens. N’oubliez pas, d’un œil je vous vois encore.

Je souris à vos profilages ; je suis le pire cauchemar de vos sociétés de contrôle. Je suis notre Joker.

Du fin fond de ma geôle, des cales du néolibéralisme, je continue à hacker vos datas. Dans vos conseils au sommet, dans vos CA d’actionnaires, dans vos bureaux, dans vos réunions de crise… Je suis pirate.

Jusque dans vos abattoirs implantés à l’abri des regards, je vous filme. Vous savez que nous savons : nous savons que vous saviez.

L’information est mon Pharmakon, elle me gave, me sidère, m’épuise. Je suis désorientée, tétanisée, lobotomisée. Je voudrais oublier. Ne plus regarder, ne plus entendre l’insupportable, l’inexorable. Je suis folie.

Et l’intranquillité tapie dans mon intimité atomisée rencontre l’écho du soulèvement : ils sont les 1%, je suis les 99%. Je suis l’affrontement inévitable.

Je suis nécessité.

Je suis le marteau de la philosophie du Nous, l’accoucheuse de l’histoire d’un Commun.

Je suis l’éminence de la fin du monde. Je suis les trente, les vingt prochaines années.

Je ne suis pas encore morte et plus tout à fait vivante, je suis zombi.

Je suis les forêts et les arbres, les océans, les rivières, les oiseaux et les insectes, les mammifères et les poissons, je suis l’air, la terre et l’eau… j’agonise. Je suis l’espèce intoxiquée, chassée, massacrée, décimée. Vous êtes DDT, chlordécone, mercure, chlore, glyphosate, nitrite, E120, E129, E150, E250, E407, E621…

Je suis cendres, ruines, déchets. Je suis devenue votre vermine, votre parasite, je suis nuisible.

Vous êtes jetables. Vous puez la mort, le cramé, le roussi.

J’entends ici les craquements des glaciers et des forêts primaires, les hurlements assourdissants des bêtes brûlées vives sous les flammes. Tout flambe autour de moi, je me consume. Tout succombe à grande échelle… Vous êtes des colons, des bourgeois, des nationalistes, des fascistes, des pentecôtistes, des thatchéristes, des impérialistes, vous êtes les terroristes. Vous êtes le cœur radioactif de la centrale incendiaire, je suis immolée sur l’autel du Capitalocène.

Je suis feu de joie. Comme j’ai brûlé vos habitations, je brûlerai vos palais, vos centres commerciaux, vos bourses et vos banques.

Je suis vengeance.

Je suis l’urgence de la révolte, la carte globale des soulèvements, des exils, des replis, des zones à prendre et à défendre pour s’y sauver. Ici, je suis humble, locale, solidaire, là je suis massive, compacte et jusqu’au-boutiste ; partout je suis là pour renverser votre régime de mort. Je suis l’insurrection qui revient des basfonds de la terre, des faubourgs de la Modernité. Je suis damnation.

Je suis la lutte à la vie à la mort. Je suis adresse et prière à Hong Kong, à Beyrouth, à Santiago, à Port-au-Prince, à Alger et Oran, aux 480 districts en grève en Inde, …

Je suis le silence, le cri et la parole contre vos mains au cul, vos coups de poing, vos mains sur nos bouches et vos bites criminelles. Je lance des alertes, des pierres, des conques et des pavés pour me défendre et je garde des minutions pour les bouffons du Flore et de la Closerie des Lilas. A la mémoire des viols que j’ai subis, moi, toi, nous ; nos mères, nos sœurs, nos filles et nos fils des empires et des colonies, du Jardin du Luxembourg, de Megève, de Cannes, de Marrakech ou de Thaïlande, … du confessionnal : le prochain saccage sera celui des vies impunies, de vos genoux fragiles, de vos larynx littéraires. Je suis corps-arme.

Je suis résistante.

Je suis l’archive inconsolée des féminicides. Je suis Zapatiste, Indienne, Argentine, Espagnole… Je suis les noms qui recouvrent les murs de France. Je suis passée depuis des siècles à l’autodéfense – je suis la chronique continue, foisonnante, des résistances sans mythologie ; ma rage est grimoire de sorcellerie, journal intime, manifeste. Je suis déclaration de guerre, puisque guerre il y a.

Je suis le linceul de mes entrailles qui périssent en méditerranée, dans vos checks points de Lybie, dans les déserts, les montagnes, les jungles urbaines, sur les barbelés de vos murs et sous vos fenêtres. Je suis l’hôte de Cédric Herrou, votre mauvaise conscience.

Je suis l’enfant né dans la rue.

Je suis cette puanteur de la vie destituée, exilée, harcelée. Le tremblement des corps apeurés, les gargouillis obscènes des ventres affamés, la crasse des vêtements mouillés, souillés. Je suis la taule, le carton des bidonvilles, le tissu des tentes lacéré dans l’ignominie des expulsions au petit matin. Je suis les regards adressés, les paroles, les histoires, les rires échangés, les vivres partagés autour de nos foyers de fortune. Je suis rencontre.

Je suis le miroir dans lequel se reflète le futur immédiat de nos vies traquées.

Alors, je suis l’offrande de la mémoire des combats remportés hier aux luttes d’aujourd’hui.

Je suis victoire.

Je suis Cléone, je suis violence.

Lettre #1 : https://cerveauxnondisponibles.net/2019/11/04/je-suis-cleone-je-fus-esclave-a-saint-domingue/
Lettre #2 : https://lundi.am/Cleone-seconde-lettre
Lettre à Cléone du Cameroun : https://cerveauxnondisponibles.net/2019/11/11/une-reponse-a-la-lettre-de-cleone-depuis-le-cameroun/
Lettre à Cléone du Chiapas : https://cerveauxnondisponibles.net/2020/01/06/lettre-a-cleone-depuis-le-chiapas-jerome-baschet/


18 Janvier : Infos et liens utiles

A l'approche de la date du 18 janvier et de l'appel de plus de 70 signataires à un rassemblement national sur Paris pour protester contre la réforme des retraites et la politique ultra libérale de Macron, voici une page pour retrouver toutes les infos et liens utiles. Cette page sera actualisée au fur et à mesure.

COVOITURAGE / HEBERGEMENT

Groupe GJ Covoiturages Solidaires
Groupe covoiturages et hébergement GJ

RDV / APPELS

APPEL NATIONAL : LE 18 LA FRANCE ENTIÈRE A PARIS
Plus d'infos prochainement

EVENEMENTS FACEBOOK

18 JANVIER : LA FRANCE ENTIERE A PARIS
Révolution générale
Le casseur, c'est toi

Par Régions :
Occitanie
Auvergne-Rhône Alpes
Lorraine
Provence-Alpes-Côte d'Azur

INFOS PREFECTURES / RATP

Plus d'infos prochainement

 

CONSEILS JURIDIQUES ET PRATIQUES

NUMÉRO DE LA LÉGAL TEAM : 07 52 95 71 11 (joignable sur Signal)
Appelle ou laisse un message, si tu assistes à des arrestations

AVOCATS :
Liste à venir

CONSEILS DE BASE EN CAS DE GAV :
– Demandez un avocat de la Legal Team (retenez un nom avant la manif)
– Demandez à voir un médecin
– “Je n’ai rien à déclarer” est un droit ! (et c’est votre meilleure défense, pour vous et les autres)
– Pas la peine de signer quoi que ce soit (aucune conséquence)
– Les flics mentent pour mettre la pression (ex : “Ton avocat.e n’est pas dispo, choisis un commis d’office”, “Tu sortiras plus vite si tu parles/donne ton ADN/empruntes”…)
– Légalement tu es juste tenu de décliner ton identité
– Renseigne toi sur la signalétique (le refus d’ADN ou d’empreinte est une infraction, mais s’opposer au fichage généralisé est un acte politique qui peut établir un rapport de force au service d’une défense collective…)

Groupe légal Paris
Conseils en manif
Comment échapper au fichage (de la police et des hôpitaux)

Les 10 Conseils « Numérique » avant manif, par ordre de priorité :

1 Laissez si possible votre téléphone chez vous.
2 Supprimez les historiques des discussions sensibles SMS / Signal / Telegram / Mails.
3 Quittez les groupes les plus sensibles, que les flics n’aient pas accès aux messages futurs.
4 Chiffrez le disque dur de votre téléphone, ou vérifiez que c’est déjà fait.
5 Programmez un code de déverrouillage robuste (composé d’au moins 6 chiffres et lettres).
6 Programmez un code d’accès à Telegram différent du code de déverrouillage du téléphone.
7 Supprimez vos historiques de localisation sur Facebook / Google / Apple.
8 Supprimez les photos/vidéos sensibles compromettantes pour vous ou des camarades.
9 Éteignez votre téléphone dès que le risque d’interpellation est réel.
10 Refusez de donner votre code de déverrouillage du téléphone. Les dernières jurisprudences donnent raison.


La semaine pivot

Macron avait tout écrit à l'avance. La grève serait longue et suivie mais les fêtes de noël auraient raison du mouvement.
Erreur.

En bon stratège, il avait une deuxième cartouche : la suppression (provisoire) de l'âge pivot. La fameuse mesure épouvantail rajoutée en dernière minute, pour justement pouvoir l'enlever en prétendant avoir fait une concession. La CFDT, fidèle à elle-même, a mordu à l'hameçon, où peut être simplement a profité de loccasion de sortir l'esprit tranquille, d'un conflit dans lequel en réalité elle n'est jamais entrée. Mais le tollé provoqué par cette sortie, chez les militants de base, est un désastre pour le syndicat réformiste. Tant pis pour eux, personne dans notre camp, n'a besoin de Berger.

Mais pour le reste, une grande partie de la société reste farouchement opposée à cette réforme. Opposée à l'idée de privatiser nos retraites, nos vies. A devoir confier notre épargne à des sociétés privées dans l'espoir d'avoir un peu d'argent pour survivre, au lieu de vivre notre retrait du monde du travail comme une période de vie agréable.

Cette semaine est celle de tous les possibles. Celle à ne pas rater en terme d'initiatives, de solidarité et de détermination. Les grévistes RATP et SNCF restent fortement mobilisés. A cela s'ajoute de nouveaux secteurs à l'image des avocats, des éboueurs, ou encore de la Banque de France, des archéologues... Les étudiants et les profs continuent également à se battre dans leurs établissements.

Reste que pour gagner, il va falloir se battre très fort.
Macron n'est pas dans le dialogue social. S'il recule sur cette loi, ce sera seulement parce qu’il n'a pas eu le choix.
Et pour cela, il faut qu'il se retrouve acculé. Qu'il ait peur : peur de perdre le contrôle de la situation, peur de perdre le soutien de son entourage, peur de perdre la confiance des puissances financières (dont il est une marionnette).

Et pour en arriver là, il n'y a pas 36 solutions : il faut que le pays soit totalement bloqué et que leur système ne puisse plus fonctionner "correctement". Bloquer Paris parait alors essentiel. Bloquer des flux, blocages des routes mais aussi occupations et manifestations déterminées.

Rien de nouveau en somme. Sauf que les manifestations de la semaine passées ont montré une vraie montée en puissance de la colère et de la détermination. Un refus de se laisser insulter, mépriser et tabasser par la milice du capital. Cette énergie doit se retrouver dans les prochaines manifestations et autres actions.

Depuis plus d'un an, le paysage de la lutte sociale ne cesse de surprendre. Par son ampleur, par sa radicalité, par son horizontalité ou encore par son endurance. Il faut continuer à surprendre. Et à nourrir nos espoirs et nos envies.

RDV sur les piquets de grèves, sur les actions de blocage, dans les lycées ou dans les facs. En manifestation. Et bien sûr, dans les rues de Paris samedi 18 !


L'horreur et le sublime

La période actuelle a cela d'étonnant qu'elle fait monter en miroir l'horreur de la répression d'une société fascisante de Macron avec l'espoir et la beauté de ceux qui résistent. Tout est plus fort, de jour en jour : l'horreur et le sublime.
La manif parisienne du 09 janvier en fut une parfaite illustration. Elle fut aussi désespérante qu'enthousiasmante.
L'espoir perdu, c'est celui d'un état de droit, d'une société respectueuse où la violence est combattue et non encouragée par le pouvoir. Nous écrivions il y a quelques jours que le pouvoir était devenu objectivement autoritaire et qu'il était en voie évidente de fascisation. Tous ceux qui étaient parmi les milliers de manifestants en tête de cortège jeudi ne peuvent que constater que la deuxième étape est déjà là.

Les scènes sont vraiment hallucinantes : des centaines de forces de l'ordre (CRS, policiers, gendarmes mais aussi les terribles BRAV) se sont employés durant toute la journée à terroriser, à blesser. Au point qu'un mort n'aurait pas été une surprise ! Il y a eu un tir de LBD à bout portant. Il y a eu de multiples matraquages au crane. Un déchainement de brutalité et de sauvagerie.

Nous l'avons déjà dit mais il ne s'agit pas de bavures. Comment pourrait-on en parler quand il y a autant d'actes et qu'aucun n'est puni. En une semaine, la police française a tué deux fois, en dehors même des manifs. Sans compter les morts des deux dernières années.

La police tue. Le pouvoir couvre. Voire encourage. Car c'est sa dernière carte pour tenter d'écraser une révolte sociale qui n'en finit pas depuis plus d'un an. Avec ou sans gilet jaune.

Mais jeudi, c'était aussi l'espoir, à la hauteur de l'horreur. Car jamais depuis le 05 décembre nous n'avions vu un cortège aussi fort et courageux. Une motivation, une détermination, de la passion, une folle envie de résistance. Des milliers de personnes ont décidé de ne plus se laisser faire, de refuser de laisser la police les nasser en permanence, les menacer de leur LBD, les encadrer comme on "autoriserait" une manif dans une dictature qui chercherait à prendre les habits d'une démocratie.

Il y eut de nombreuses scènes improbables de manifestants avançant vers les cordons policiers, malgré les coups de matraque et les gaz, voire les tirs de LBD. Il y eut des charges de manifestants, qui réussirent plusieurs fois à casser les nasses et cordons policiers. Des œufs jetés sur les policiers, des légumes !

Le niveau de violence n'a pas été fixé par les manifestants mais bien par la police et la préfecture. Leur présence ultra anxiogène et leur nombreux assauts à l'intérieur même de la manif, juste pour séparer différents cortèges, les ont exposés comme rarement cela aura été le cas.

Cette stratégie voulue par Lallement et validée par Castaner et Macron est très dangereuse et pourrait conduire au pire. Jeudi à Paris, nous avons senti que le drame était vraiment proche. En blâmer les manifestants serait d'une malhonnêteté intellectuelle inouïe.

Quand la police tue, mutile et éborgne en toute tranquillité, il est normal (et même sain) que la population résiste et refuse de manifester dans de telles conditions.

L'espoir de jeudi, c'est aussi l'évidente Giletjaunisation du mouvement. Là encore, depuis le 05 décembre, aucune manifestation sur Paris n'avait autant pris l'ADN du mouvement GJ. Le cortège de tête était en fait une immense manif GJ, mais version 2020. D’apparence, à part quelques gilets jaunes visibles, cela ressemblait aux cortèges de tête de 2016. Sauf que parmi tous ceux en noirs, en rouge ou sans habits particuliers, se trouvaient énormément de GJ. Cela s'est notamment manifesté clairement lorsque le "chant des Gilets Jaunes" était lancé. A plusieurs reprises, des centaines de manifestants ont repris le chant, y compris des syndiqués ! Et puis il y a évidemment eu les désormais classiques "GJ, quel est votre métier ?" , "révolution !" , "on est là..."

Alors bien sûr, le cadre de la manif déclarée (et ultra encadrée par la police) n'a pas permis les débordements des actes les plus offensifs des GJ. Mais l'envie, la passion et la détermination étaient plus que jamais présentes, et pas que chez quelques dizaines de personnes.

On ne peut même plus parler de convergence. L'esprit GJ, la façon d'envisager le combat politique face à un pouvoir autoritaire a désormais imprégné une partie importante du paysage des luttes sociales. Cela crée forcément quelques contradictions (à l'image des manif déclarées) mais cela permet aussi au mouvement d'évoluer et de toucher de nouvelles personnes, tout aussi attachées à se battre pour un futur où l'humain et la planète passent avant les profits de quelques uns.

Alors après ce 09 janvier, il convient de prendre acte de deux réalités : le pouvoir ne connait aucune limite dans sa violence et sa volonté de casser les luttes sociales, quitte à blesser voire tuer. Une partie de plus en plus importante de ce mouvement social est prête à combattre et à résister face à cette dérive.

Cela peut parfois paraître vain de résister face à une armée sans limite et décidée à tous les massacres. Mais dans l'histoire, il n'est jamais vain de résister. Loin de là.


profs, écoles : grève illimitée !

PROFS : LE MOMENT EST HISTORIQUE, FAISONS VRAIMENT GRÈVE !

Les prochains jours seront décisifs dans la lutte contre la réforme des retraites, alors c’est maintenant ou jamais : fermons tous les établissements scolaires et ne les rouvrons qu’en cas de victoire !

Alors que les grévistes de la RATP et de la SNCF sont épuisé.es après ces courageux 35 jours de grève, nous risquons de perdre le combat si un autre gros secteur ne se mobilise pas fortement. Ils et elles auraient fait tout ça pour rien ?
Nous sommes des centaines de milliers, nous, les profs de la maternelle à l'université. Si on s’y met toutes et tous, on a dans nos mains le pouvoir de faire plier le gouvernement !
Mais une seule journée de grève, même massive, n’y suffira pas.

Alors oui, c’est dur de faire plusieurs jours de grève. On trouve toujours plein d’excuses… Mais d’autres y arrivent quand même : la RATP et la SNCF nous ont montré l’exemple, mais aussi de nombreux collègues profs mobilisés depuis le 5/12.

Oui, c'est dur de perdre plusieurs journées de salaire, même pour les profs. Nous aussi on a parfois du mal à la fin du mois. Mais si on compare cette perte là à l'énormité de ce qu'on risque de perdre au moment de partir à la retraite, y a pas photo! Nous qui rentrons parfois épuisés d’une journée de classe quand on a 30 ans, dans quel état rentrerons-nous quand on aura 63 ans ? Nous, les nombreuses enseignantes et mères, combien perdrons-nous si la retraite est calculée sur l’ensemble de notre carrière, avec les congés parentaux et les temps partiels, au lieu des 6 derniers mois ? Nous toutes et tous, qui consacrons toute notre carrière à préparer le futur de la société, de quel futur profiterons-nous avec une retraite au rabais ?

Oui, c’est dur de suspendre les apprentissages de nos élèves…..Il faudra annuler la visite au musée, la fête de la galette, les RDV avec les parents pour les livrets, zapper un chapitre de sciences ou plusieurs leçons d'orthographe et de maths… Mais prenons du recul : dans 9 mois, une nouvelle année scolaire commence, on n'y pensera déjà plus. Et dans 50 ans, nos élèves prendront leur retraite, encore assez jeunes pour en profiter, avec un revenu décent garanti chaque mois. Et pour ça, ils et elles pourront dire "heureusement que des gens se sont battus pour ça à l'époque!" Exactement comme nous pouvons dire aujourd'hui "heureusement que des gens avant nous se sont battus pour la réduction du temps de travail, pour les congés payés, pour la sécurité sociale, pour les droits des femmes…" Maintenant, à nous d’être une génération à la hauteur de notre époque !

Ne rêvons pas, nous n'aurons pas d'augmentation qui couvrira ce qu'on va perdre avec cette réforme. Ce que nous propose le gouvernement, c'est juste de toucher quelques primes ridicules en échange de travailler plus. Ne nous battons pas pour obtenir quelques privilèges pour nous ! Nous ne sommes pas égoïstes, sinon nous aurions choisi un autre métier. Si nous avons choisi ce métier, c'est aussi pour pouvoir agir sur le monde, alors faisons-le !

Nous qui travaillons au quotidien avec les injustices sociales, nous qui croyons encore que l’Éducation Nationale peut jouer son rôle d’émancipation et de réduction des injustices, va-t-on laisser le gouvernement détruire encore un de nos acquis sociaux, après les lois travail, les lois Blanquer, les lois ultra sécuritaires, les lois contre l’immigration, la « réforme » du chômage, la destruction des hôpitaux et des autres secteurs publics, les cadeaux fiscaux faits aux plus riches ?

Nous avons le pouvoir entre nos mains, soyons en grève dès demain, et ne retournons travailler que quand nous aurons obtenu le retrait de ce projet de réforme ! C’est maintenant ou jamais, il y a urgence à rejoindre tous les autres secteurs en lutte ! Le gouvernement joue le pourrissement, à nous de porter le coup fatal !

Des enseignantes en grève


Terre Liberté Egalité

Lettre à Cléone, depuis le Chiapas (Jérôme Baschet)

Cléone est un personnage mystérieux qui nous a adressé sa première lettre en novembre. Ancienne esclave qui s'est libérée de ses chaines, elle nous écrit d'un futur victorieux où parait il, nous avons vaincu le capitalisme. La réponse par cette lettre de Jérôme Baschet depuis le Chiapas, nous donne des nouvelles d'un territoire en lutte qui depuis plus de 20 ans construit l'autonomie au quotidien. Sûr que Cléone a dû passer par là, par ce territoire qui est un point d'une constellation autonome qui s'agrandit de jour en jour à travers les révoltes qui essaiment partout et qui construisent un temps et des solidarités libérés des diktats du monde marchand.

Chère Cléone,

C'est une joie de vous écrire, même si je sais l'impossibilité de se porter au degré d'intensité de votre verbe ardent et de votre rebelle périple à travers géographies et calendriers.
Bien sûr, le sentiment de fraternité-sororité m'inclinerait au tutoiement, mais votre être multiple impose tant de respect. Vous êtes si nombreuse, Cléone, si heureusement collective, que je crois plus convenable d'opter pour la seconde personne du pluriel.

Vous venez de plus loin que nous, et pourtant vous nous avez devancés. Chargée de féroces siècles d'expérience, vous avez pris de l'avance sur nos futurs possibles. Les plus tragiques, mais aussi les plus désirables d'entre eux. Ceux dont nous avons le devoir de débattre davantage, de parler sans cesse plus fort. Ceux qu'il nous incombe de rendre dès maintenant visibles, hautement sensibles et puissamment actifs. Non pour demeurer confits dans une attente béate ou pétrifiés par l'angoisse, mais pour nourrir l'action présente, au milieu des immenses périls qui s'accumulent.

*

Je vous écris depuis le Chiapas, au moment où s'achève un mois de décembre d'intenses activités zapatistes. Je devrais, en tout premier lieu, mentionner la Rencontre internationale des femmes qui luttent, qui s'est tenue dans le caracol de Morelia. Mais, à quoi bon ?, je suis certain que vous y avez pris part ; et de plus, moi, je n'y étais pas, puisque la gent masculine, héritière – consentante, ou bien malgré elle – de millénaires de domination patriarcale, n'y avait pas été conviée. Peut-être est-ce vous qui nous la raconterez un jour...

On peut quand même évoquer la forte impression d'une rencontre organisée de Z à A par les femmes zapatistes, qui a réuni près de 4000 personnes, venues de 47 pays des cinq continents. Et en particulier, la puissance émotive de cette inauguration au cours de laquelle les femmes réservistes de l'armée zapatiste vinrent former plusieurs cercles concentriques autour d'une fillette indienne, pour la protéger de leurs arcs tendus. Comme l'expliqua la commandante Amada, « notre devoir comme femmes que nous sommes, comme femmes qui luttent, est de nous protéger et de nous défendre. Et plus encore, s'il s'agit d'une petite fille. Nous devons la protéger et la défendre avec tout ce que nous avons. Et si nous n'avons rien, avec des bâtons et des pierres. Et si nous n'avons ni bâton ni pierre, alors avec notre corps... Les choses sont ainsi, il nous faut vivre à la défensive, et enseigner à nos filles à grandir à la défensive. Et cela, jusqu'à ce qu'elles puissent naître et grandir sans crainte. Nous, comme femmes zapatistes, nous pensons qu'il est préférable, pour y parvenir, d'être organisées. Nous savons que certaines pensent qu'on peut aussi y parvenir de manière individuelle, mais nous, comme zapatistes que nous sommes, nous le faisons de manière organisée ». Il y a peu, les zapatistes avaient dit déjà que leur lutte ne prendra fin que le jour où ce calvaire féminin de devoir grandir et vivre dans la peur sera entièrement éradiqué.

femme armée zapatiste
*

Mais tout cela, vous le savez bien, chère Cléone, et jusque dans votre chair, je crois. D'ailleurs, ces regards qui brillent de tendre fureur derrière les passe-montagnes, ce sont ceux de vos sœurs, n'est-ce pas ? N'oublions pas que les zapatistes sont depuis longtemps passés maîtres dans l'art de donner corps au moi collectif de celles et ceux qui luttent. Déjà, en 1996, lors de la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme (rappelez-vous : c'était avant Seattle, au temps du triomphe encore incontesté de la pensée unique néolibérale), ils en accueillirent les participants par ces mots : « detrás de nosotros, estamos ustedes ». Derrière nous, derrière nos passe-montagnes, il y a vous. « Derrière nos passe-montagnes, il y a le visage de toutes les femmes exclues. De tous les indiens oubliés. De tous les homosexuels persécutés. De tous les jeunes méprisés. De tous les migrants maltraités. De tous les prisonniers pour leur parole ou leur pensée. De tous les travailleurs humiliés. De tous les morts d'oubli. De tous les hommes et femmes simples et ordinaires qui ne comptent pas, qui ne sont pas vus, qui ne sont pas nommés, qui n'ont pas de lendemain ». Les douleurs et les rages partagées tissent un pacte de reconnaissance qui déjoue l'enfermement dans les identités particulières. Le nous et le vous s'entrelacent, tout comme le je et le nous. La trop simple grammaire des trois personnes en perd son latin – et son cogito, par la même occasion. Je est un nous. Il y a nous, donc je est.

*

En ce décembre zapatiste hyperactif, il y eut aussi une semaine de Festival de cinéma, occasion de faire communauté autour des dizaines de films projetés et aussi d'inaugurer le caracol flambant neuf de Tulan Kaw, avec son auditorium géant, baleine melvillienne échouée à flanc de coteau, exploit de travail collectif achevé en tout juste deux mois. Il y eut une nouvelle édition du « CompArte », partage des arts cette fois consacré spécifiquement à la danse. A noter que l'an prochain, il y aura à côté de la baleine, si les moyens réunis le permette, un théâtre en rond shakespearo-maya pour un futur « CompArte » théâtral...

Il y eut encore, cette fois dans l'enceinte du Cideci-Université de la Tierra devenue caracol Jacinto Canek, l'Assemblée du Congrès national indien (CNI) et du Conseil indien de gouvernement, puis les deux jours du Forum pour la défense du territoire et de la Terre-mère, qui ont permis de faire un bilan, à travers les multiples régions de la géographie mexicaine, de toutes les luttes contre les grands projets et autres atteintes aux territoires des communautés indiennes, ainsi que de dénoncer les actes de répression et les assassinats qui ont ensanglanté l'année écoulée.

*

Puis vint le 31 décembre, vingt-sixième anniversaire du soulèvement zapatiste, dans le caracol de Morelia. L'atmosphère festive et joyeuse contrastait avec le goût amer de la même fête, un an plus tôt, à La Realidad. Elle avait été marquée par le très inattendu défilé de 3000 réservistes zapatistes et le véhément discours du sous-commandant Moisés, défiant le Président de la république tout juste entré en fonction et annonçant une opposition ferme à ses grands projets, en particulier le mal nommé « Train maya » devant relier le Chiapas aux sites touristiques et archéologiques du Yucatan. Cette fois-ci, la tonalité était tout autre ; l'heure était bel et bien à la fête, celle d'abord de la jeunesse zapatiste qui se retrouvait là, dans la danse prolongée tard sous les étoiles.

A minuit, la présence des commandantes et commandants de l'EZLN et leurs discours sobres et simples marquèrent avec force la détermination à poursuivre la construction de l'autonomie. Ils n'avaient pas besoin d'en dire davantage pour impressionner et émouvoir, car chacun des mots qu'ils prononçaient était chargé de plus d'un quart de siècle de lutte quotidienne, de la capacité à défendre, jour après jour, l'exercice effectif de l'auto-gouvernement populaire et l'art de se soustraire autant qu'il est possible aux injonctions de la marchandisation capitaliste. D'ailleurs, vous savez bien, chère Cléone, que les zapatistes ont annoncé, en août dernier, la création de 4 nouvelles communes autonomes (s'ajoutant aux 27 déjà existantes) et de 7 nouveaux centres régionaux (les caracoles) avec leurs Conseil de bon gouvernement respectifs, en plus des 5 déjà existants. Réjouissante reconfiguration de la géographie rebelle ! Et même si cela ne se concrétise qu'avec lenteur tant l'effort à accomplir est important, l'autonomie marque aussi son expansion dans des régions où, jusqu'à présent, elle n'était pas déclarée et visible. Voilà bien un signe manifeste de la vitalité de l'autonomie zapatiste : « nous avons grandi et nous sommes devenus plus forts », avait pu dire alors le sous-commandant Galeano.

Pourtant, si l'année s'est achevée par une séquence très active et même joyeuse, la situation n'est pas moins préoccupante qu'il y a an. Elle l'est sans doute plus encore. Entre temps, dans l'état de Morelos, Samir Flores, membre de la communauté d'Amilcingo en lutte contre l'installation d'une double centrale thermo-électrique, a été assassiné. D'autres membres du CNI aussi, comme le rappeur TíoBad, dans l'état de Veracruz, tout récemment encore. Le projet de « Train maya », resté un long moment en sommeil, semble sur le point d'entrer dans sa phase opérative, après la réalisation, à la mi-décembre, d'une simulation de consultation des communautés indiennes concernées, dont même le bureau de l'ONU au Mexique s'est inquiété qu'elle n'ait pas respecté les critères prévus par les accords internationaux en la matière. C'est pourquoi, le sous-commandant Moisés, quoiqu'usant cette fois d'un ton plus posé, a réitéré la même mise en garde que l'an dernier. Pour les zapatistes, le mal nommé « Train maya » et les autres grands projets du gouvernement fédéral porteraient des atteintes inacceptables à la Terre-mère, à la survie des peuples indiens et à la construction de leur autonomie. Face à ces menaces, ils ont donc réaffirmé qu'ils étaient prêts à se défendre, « jusqu'à la mort, si c'est nécessaire ».

Je serais bien incapable de vous dire, chère Cléone, ce que les prochains mois nous réservent. Mais j'aimerais du moins rappeler que contrairement à l'idée, énoncée parfois avec légèreté depuis de confortables positions, selon laquelle cette expérience n'aurait été tolérée qu'en raison de son caractère inoffensif, l'autonomie zapatiste a toujours dû s'affirmer au milieu d'attaques et de menaces constantes. Et pour peu qu'on ait le souci de voir croître partout les espaces libérés qui luttent pour échapper à l'emprise de la marchandisation capitaliste et des institutions étatiques qui la servent, peut-être m'accorderez-vous, chère Cléone, que, tout comme le Rojava rebelle récemment pris en tenaille entre les offensives turques et syriennes, le Chiapas zapatiste aurait quelques raisons de bénéficier d'un soutien international plus affirmé.

Enfin, le sous-commandant Moisés lança une dernière question, adressée à nous toutes et tous : « nous vous invitons à vous demander à quoi êtes-vous disposés pour arrêter la guerre qui est menée partout contre l'humanité, chacun.e dans sa géographie, son calendrier et avec ses façons d'être et de faire ». Pas une trop mauvaise interrogation pour commencer l'année, sinon pour démarrer la décennie.

Chiapas et Rojava
*

La question du moment sans doute – pour peu que l'on veuille bien comprendre la guerre en cours en son sens le plus global, et pas seulement militaire. Cette question n'est pas tant celle du constat et de l'analyse, même si cette dimension ne saurait être négligée, que celle du degré de détermination individuelle et collective à agir pour faire front à une Tourmente aussi colossale et ravageuse que les incendies qui se propagent actuellement d'un continent à l'autre, véritable holocauste planétaire où sont consumés des dizaines de milliers de kilomètres carrés de forêts et des milliards d'animaux, parmi lesquels quelques dizaines ou centaines d'humains.

A dire vrai, au cours de l'année écoulée, bien des peuples ont déjà commencé – et avec quelle puissance ! – à répondre à la question du sous-commandant Moisés, depuis le Soudan jusqu'en Haïti, de Hong Kong au Chili, en passant par l'Algérie, le Liban, l'Irak, l'Iran, l'Équateur, la Colombie et d'autres encore. En un peu plus d'un an, depuis ce 17 novembre 2018, qui a marqué le début du soulèvement des Gilets Jaunes, quelques pas de géants ont été accomplis. Dans tant de pays, le point d'innacceptation de l'inacceptable a été atteint. Il s'est produit l'inimaginable, parfois là où on l'attendait le moins. Là où les passivités routinières et la soumission aux normes néolibérales semblaient devoir se perpétuer inlassablement, la rupture soudaine du « Ya Basta » a fait son œuvre. L'impossibilité de continuer à vivre comme avant, le basculement dans l'insubordination, la communauté retrouvée dans la lutte, la découverte d'une autre vie possible se sont propagées à vive allure, malgré la violence de la répression, la montée de l'autoritarisme et les menaces néo-fascistes.

Et s'il n'était pas insensé de prétendre que l'irruption des Gilets Jaunes était le signe annonciateur de nouvelles formes d'explosion sociale appelées à se multiplier, le cycle planétaire des soulèvements qui se sont succédé depuis annonce probablement une phase plus aiguë encore de l'affrontement en cours. Dans un tel contexte, la question du sous-commandant Moisés revient à se demander ce qui permettra désormais d'aller plus loin encore, afin d'amplifier les dynamiques véritablement libératrices.

Que les colères soient amenées à se faire partout plus vives apparaît plus que probable. De fait, la Tourmente provoquée par la perpétuation des logiques marchandes-capitalistes ne peut que s'accentuer au cours des prochaines années : effets dramatiques du dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité et pollutions en tous genres, dégradation des conditions de vie du plus grand nombre, décomposition sociale sans cesse croissante, discrédit généralisé des gouvernants et des systèmes politiques, à quoi pourrait s'ajouter la spirale de la prochaine crise financière. En outre, un levier décisif des basculements en cours est la délégitimation croissante dont souffrent désormais les politiques néolibérales, sous le double effet de l'accentuation des inégalités, parvenues à des degrés d'obscénité insoutenables, et d'une catastrophe climatique devenue le potentiel foyer critique de remises en cause en cascade. En bref, la dynamique de destruction du monde engendrée par le productivisme capitaliste est en passe d'être mise à nue et identifiée comme telle.

Pour le reste, il est certain que nous avons besoin de davantage de détermination et de force collective, de plus d'expériences partagées, de plus d'intelligence et de créativité, de plus de capacité d'organisation et de plus de liens transnationaux (les zapatistes appellent avec insistance à la formation de réseaux planétaires de rébellion et de résistance). Serons-nous suffisamment préparés, dans les moments critiques, pour tenir à distance la bête capitaliste et déployer assez de savoir-faire pour commencer à vivre sans elle ? Pour éviter l'imposition des vieilles formules institutionnelles (gouvernement de transition et assemblée constituante) qui reconduiraient l'oppression dont il s'agit de se débarrasser ? Pour que l'emporte la capacité d'auto-organisation, dans les assemblées populaires de base et les communes libres, afin de donner corps à de nouvelles formes politiques, localisées mais aussi supra-locales, autonomes et capables de déjouer la capture étatique de la puissance collective ?

Puisse votre sagesse, forgée par la traversée des siècles et des continents, nous aider, chère Cléone, à surmonter petitesses, goût de l'entre-soi et dogmatismes, certitude d'avoir raison et incapacité à écouter, exacerbation des petites particularités et démesure des égos, afin de trouver, au plus loin des appartenances identitaires, le chemin d'un faire-commun avec nos différences.

Et, dans ce monde où l'imprévisible devient, chaque jour un peu plus, la seule chose qu'on puisse prévoir, il peut nous être précieux de garder à l'esprit ce que les zapatistes ont l'habitude de dire : jusqu'au jour d'avant, tout paraît impossible...

San Cristobal de Las Casas, 4 janvier 2020

Un je-nous,
traversé par les multiples rencontres sans lesquelles il ne serait pas grand-chose

PS (au Chiapas, le post-scriptum est une coutume presque obligée) : vous y serez, j'en suis sûr, chère Cléone ; en France, la décennie décisive commence le 9 et le 11 janvier...