Une réponse à la lettre de Cléone, depuis le Cameroun

Cléone,

J’ai lu ta missive écrite depuis le futur, façon lance-flammes sans recul. Bouleversante de sensibilité et de justesse, chargée de sainte colère, celle que même les montagnes ne peuvent stopper. Je l’ai lue et relue, comme on sirote un exquis single malt, en te suivant à travers l’Histoire, au pas de tes mots articulant ténèbres et lumière. Esclave capturée au Congo par la noirceur insondable du mâle blanc, tu as pris la clé des champs en brisant les chaînes de cet asservissement. Marronne ou rien. Qui t’entendra ? Enfoncées dans le bruit de la Marchandise à tous les étages du pouvoir d’achat, les cohortes de la servitude volontaire continuent de mettre de l’eau au moulin du Détriment sur Terre. Pour un Levi’s 501, une escapade aux Seychelles, des Weston en croco, un robot-mixeur, un écran plat, pour le dernier-né de Apple, pour payer le loyer, pour se soigner, pour toutes sortes de raisons, bonnes et mauvaises. Ils/Elles continuent de se lever tous les matins que le Soleil fait, quelle que soit la saison, sous toutes les latitudes, au nom du travail. Emportés par le tapis roulant de la routine, cet assujettissement ne leur saute pas aux yeux, rouages parfaitement intégrés du dispositif cannibale qui utilise leur existence au profit d’un aréopage de milliardaires en devises-clés et se réservant le privilège exclusif de vivre, eux, dans la félicité permanente. Quand des myriades d’enfants meurent d’inanition parce que leurs parents sont démunis.

Refuser de faire partie de la caravane des dindons farcis demande un courage inouï que trop peu ont en ces jours insipides, Cléone. C’est bien plus confortable et facile de s’accommoder du climat suscité par la soumission à l’argent, cette vénalité ordinaire qui ne dit pas son nom et se pare de vertus fleurant l’encaustique des bancs de monastères. La planète bat pavillon de soumission au Lucre sous toutes les latitudes, avec ce que cela comporte de surdité obligée. Ce mur de granite auquel se heurtent les voix contraires comme la tienne, porteuses de tumulte dans le douillet ronronnement des acquis. Il y a belle lurette que cette gent mixte ne prête plus l’oreille qu’à la musique douce de l’oseille par tous les moyens. Plus que jamais le fric est inodore, alors même que son emprise sur les existences frise désormais la constriction, moyennant la dématérialisation croissante. L’argent accède à la qualité de médium produisant un milieu dans lequel les corps immergés d’une aube à l’autre ne sont que des débouchés pour le Marché. Réduire la voilure des besoins a le potentiel de porter un coup décisif à ces empires de biens et de services. Se désister ici et là, demain, sous toutes les latitudes, du Coca & Co, des cigarettes et plus, de toutes les inclinations sans issue. Qui osera descendre sine die du tapis roulant après avoir lu ta lettre publique, chère marronne qui fit naguère le serment de Bois Caïman, l’acte fondateur d’une Ayiti libre ?

Qui se joindra à cette conjonction des insubordinations à laquelle tu appelles si ardemment? Tu as mille et une fois raison, ardente Cléone : on ne demande pas justice à la main qui étrangle, on la coupe pour respirer à nouveau, c’est tout et ça ne souffre point de discussion. Il y va de vie et/ou de mort sur ce palier. L’empire de la futilité ne cesse de gagner du terrain chaque jour, chaque heure, chaque seconde, multipliant sur 360° ces mirages hypnotiques auxquels succombe l’ingénuité en toute ignorance entretenue par la médiarchie et ses affidés. Subjugués par les promesses irisées des Féticheurs, une large fraction de nos semblables renonce au libre arbitre et ses chemins de traverse si incertains mais poétiques, en échange d’un statut assuré dans une geôle dont les murs pour invisibles qu’ils soient n’en sont pas moins hauts et solides. La lucidité n’a rien à voir avec une croisière dans les Caraïbes à bord du Harmony of the Seas : c’est, dixit René Char, la brûlure la plus rapprochée du Soleil. Au regard des plus de 7 milliards de Bipèdes que nous sommes à arpenter la planète today, les Lucides ne sont encore qu’une goutte d’eau dans la mer.

Le capitalisme n’est nullement entré en phase terminale. Au contraire et tirant parti des critiques les plus virulentes, il met le grand braquet par ces jours sous algorithmes, big data et calcul quantique. Sa forme accomplie dans l’Histoire s’approche et elle ne tardera plus à se manifester, intelligence artificielle et blockchain aidant. Cette fascinante panoplie technologique ne vise en effet pas à un autre projet que permettre son apothéose, entre câbles sous-marins reliant les continents et essaims de satellites placés en orbite géostationnaire. La Nasse est en place, Cléone, pour ce New Big Game que va orchestrer le trading à haute fréquence depuis les black pools, ces places de marché qui font concurrence désormais au Nymex & Co et où s’échangent entre investisseurs des volumes insensés de titres à l‘échelle de la milliseconde. L’Hydre du profit à tout prix se porte comme un athlète préparant les jeux olympiques d’été et la Grande Altération suit son effroyable cours entropique dans l’écoumène. Qui se désistera et descendra du tapis roulant, céleste Refuseuse ?

Lionel Manga


Ode à la déraison

Dans un pays où le champs des possibles est rendu de plus en plus exsangue par un pouvoir fascisant, il ne reste plus que la folie pour sortir de l’impasse. Et depuis un an, combien d’actes complétement inconsidérés, déraisonnables, sont restés dans nos mémoires comme des moments de bravoure et de beauté absolue. Alors, oui, à toi qui refuse la raison du plus fort et qui préfère la déraison du plus faible, nous te dédions cette lettre d’amour.

A toi qui a défoncé la porte d’un ministère avec un transpalette
A toi qui te rends tous les samedis en manif alors que tu es en fauteuil roulant
A toi qui a occupé un rond point pendant des mois, sans jamais rien lâcher
A toi, Geneviève, qui est retournée manifester dès ta sortie d’hôpital
A toi qui es allé sur les Champs le 21 septembre malgré le dispositif ultra guerrier, et a réussi à y manifester !
A toi qui joue de la musique dans les manifs malgré la pluie de lacrymos et les coups de matraques
A toi qui a forcé un barrage policier pour partir en manif sauvage
A toi qui est allé dans la manif des policiers pour crier ta colère face à l’impunité de ces derniers
A toi Christophe, qui t’es battu à mains nues face à des policiers protégés et armés
A toi qui a continué de chanter et de manifester alors que tu étais dans une nasse policière
A toi qui est allé sur les Champs le 14 juillet, en plein défilé militaire, pour défier le pouvoir et son bras armé
A toi qui continuera à nous surprendre par ton audace et ta déraison

Tu es fou. Et c’est ce qui te rend si beau.


Nouveau blocage de Facebook : la censure En Marche ?

Notre page fb est à nouveau victime d'une censure (qui ne dit pas son nom). La troisième fois depuis fin août. Et surtout, la deuxième en deux semaines.

Nous avions été "invisibilisés" durant une semaine (jusqu'au 1er novembre). Et voilà que trois jours après un retour "à la normale", Facebook nous bloque à nouveau jusqu'au 11 novembre ! Concrètement, cela signifie que nos 130 000 abonnés ne voient plus aucune de nos publications, et qu'il est impossible de les partager. Autant dire que cela réduit à néant notre audience.

Ainsi, Fin août alors que nous couvrions le contre-sommet du G7, la même sanction nous était déjà tombée dessus (une première en 7 ans d'existence). Notre audience avait alors été divisée par 1000 pendant une semaine, passant de plusieurs centaine de milliers de vues par jour à quelques centaines. Après une petite enquête nous nous étions aperçu que nous n’étions pas les seuls et qu’une vingtaine de pages subissait le même sort (Lille Insurgée, Nantes Révoltée, Gilets Jaunes Toulouse ou Bretagne Noire…), toutes suivaient notamment le mouvement des gilets jaunes.

A cette "sanction" qui enlève nos publications des murs de nos abonnés, se rajoute une nouvelle sanction, qui court depuis plus de dix jours et se prolonge chaque jour d'une journée supplémentaire (au point que cela ressemble à une mesure permanente) : Facebook nous empêche de poster des publications avec des liens externes (un article d'un site Web, un lien vidéo YouTube, ou autre). D'autres pages ont subi ce même genre de restriction, à l'image du syndicat SUD Rail.

Malgré de nombreux appels de ces sanctions, nous n'avons reçu aucun retour ni explication. Plusieurs journalistes ont enquêté sur la situation, notamment suite à la sortie d'un article sur médiapart, mais aucun n'a réussi à avoir de réponse de Facebook, en dehors de réponses standards sur le "non respect des règles d'usages".

L'absence totale de transparence de Facebook à ce sujet laisse de sérieux doutes sur les raisons réelles de ces sanctions, d'autant que de nombreuses pages appelant à la haine (voir pire) ne connaissent aucune sanction. A cela s'ajoute les nombreux posts de militant En Marche qui se vantent de lancer des "campagnes de signalement" de pages jugées "hostiles" au gouvernement. A l'image de ce groupe facebook qui lance régulièrement des signalements sur la page CND, grâce à de nombreux profils (dont certains clairement créé pour l'occasion) :

Cerveaux Non Disponibles est un média engagé. Au vu des personnes au pouvoir en France, nous assumons même d'être un média "d'opposition". Mais, jusqu'à présent, cela n'est pas interdit en France. Et c'est même un élément important d'une démocratie. Si nous relayons des articles et tribunes parfois ouvertement révolutionnaire, il ne s'agit jamais de texte appelant à la haine ou contraire à la législation.

Si sur les deux premières sanction d'invisibilisation, ainsi que sur l'impossibilité de poster des liens, nous n'avons jamais su quel post avait été pris comme "raison officielle", nous avons eu un signalement précis pour la plus récente invisibilisation : c'est le relais d'une lettre anonyme sur notre page : Je suis Cléone. Je fus esclave à Saint Domingue. Une œuvre de fiction très forte, qui a également été reprise par Lundi Matin, Grozeille et d'autres médias français, et qui a aussi été diffusée sur des murs au Chili et à Hong Kong. Mais apparemment pour ce qu'on peut appeler "le réseau de la censure", la lettre "va à l'encontre des standards de la communauté en matière de discours haineux". Que le ton et le contenu de cette œuvre littéraire éminemment révolutionnaire ne plaise pas à tout le monde, notamment aux militants de la République en Marche et aux partisans d'un statut-quo politique et économique, cela ne nous étonne pas. Mais que Facebook accède à leur demande (voir l'anticipe) en supprimant notre publication puis en nous sanctionnant pour ce post, cela dépasse la raison.

Il est donc très inquiétant de voir que des structures politiques, médiatiques et syndicales puissent se retrouver totalement invisibilisées sur le plus gros réseau social de la planète, et ce, sans aucune explication. Que ce soit un acte volontaire de Facebook (en lien avec le gouvernement), ou le résultat de campagnes de trolls pro Macron, cela pose d'énormes questions.  Bien sûr, Facebook "fait ce qu'il veut" sur sa plateforme. Chaque utilisateur a signé les conditions d'utilisations qui permettent au réseau de décider comment faire apparaitre (ou non) les publications. Mais cela pose problème si ces choix se font de façon totalement opaque, sans réponse, et de façon très ciblée sur certaines pages (clairement opposée au pouvoir en place). Même si Facebook est un organe privé, vu son poids aujourd'hui dans nos sociétés, nous ne pouvons accepter que ce groupe décide de censurer des pages, avec les conséquences (politiques et sociales) que cela peut avoir. C'est une sérieuse menace pour la liberté d'expression et d'opposition.

Car ce qui arrive aujourd'hui à CND (et d'autres pages) pourra arriver dans quelques mois à Médiapart, à Libération, à la CGT, à ATTAC, à XR, à Greenpeace ou à n'importe quelle autre structure. Ne pas interroger aujourd'hui Facebook sur ces agissements, c'est laisser la porte grande ouverte à des dérives de plus en plus fréquentes et importantes.

Plus que jamais (surtout à l'approche de l'anniversaire des GJ), nous vous invitons à nous suivre sur nos autres réseaux :
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Je suis Cléone. Je fus esclave à Saint Domingue.

Nous publions ci-dessous une lettre que nous avons reçue de la part d'une mystérieuse Cléone

Je suis Cléone, originaire du Congo, maronne à l’âge de 35 ans. J’ai fui le maître et ses chaînes, M. Galibert, le 30 avril 1766. Partout dans les rues cet avis fut placardé comme chaque fois qu'un frère ou une sœur se faisait la tchave :

Saint-Domingue, Affiches américaines - 1766-04-30

On ne me retrouva jamais. Les babtous ces bâtards m'ont pas québar ; leurs larbins, ni leurs ienchs m'ont pétée ; j'ai cavalé, j'ai gagné les montagnes où j'ai rejoint les autres marronnes et les autres marrons. Le 14 août 1791, à Bois-Caïman, je fus bien sûr avec les marrons et les maronnes qui fomentèrent la révolte ; j'ai été avec Boukman à la cérémonie vaudou, j'ai été avec la mambo Cécile Fatiman, j'ai fait le pacte de sang, j'ai signé le pacte dans le sacrifice d'un cochon noir.
À Haïti bien sûr avec les révolutionnaires, au mexique avec Zapatta, en Chine avec les Boxers, en Angleterre avec mes sistas les suffragettes du Self-Defense Club, en Algérie contre l'impérialisme français, en Espagne aux côtés de celles et ceux qui ont combattu les fascistes et la dictature de Franco, au Chili avec les résistantes et les résistants au régime de Pinochet soutenu par les ricains, au Rojava... de ouf j'ai cavalé !

Partout où des individus avaient compris qu'on ne négocie pas dans la loi du maître qui la réajuste, sa loi, à sa convenance, selon les situations et son avidité. Partout où des individus avaient refusé les règles tronquées d'un jeu pipé qui les oppressait, les tuait, les endormait... Partout où des individus en avaient fini de sagement réclamer justice à la justice du maître — réclame-t-on justice à la main qui vous étrangle !? On la coupe. Partout où des individus avaient jeté leur chair dans la bataille, avaient levé leur corps pour exploser leurs chaînes, défoncer les structures étatiques qui justifiaient ces chaînes et niquer la police qui défendait ces structures... Partout j'ai mené ma folle cavale.
De la moindre grève à la plus petite rebuffade, toute pompe j'ai cavalé. D'émeutes en soulèvements, de mutinerie en insurrections... avec les communardes en 1871, et sur chaque barricade j'ai été là ! Derrière le premier cacatov de Gilet Jaune — je suis Fouquet's ! — parmi les émeutiers de 2005 et les lycéennes et les lycéens de Mante-la-Jolie, de Grenoble, d'Aulnay-sous-Bois, de Bergson... j'ai été de toutes les révoltes. Et je ne suis pas seule. Vous n'êtes pas seules, vous n'êtes pas seuls.

Chaque fois que s'est levée la chair, notre horde se renforçait. Lorsqu'un corps se mettait en travers du pouvoir dans une usine, lorsqu'un corps se cabrait dans le Mac-do le plus pourri de la banlieue la plus abandonnée, lorsqu'un corps s'entêtait devant le canon d'un LBD... lorsqu'un corps se dressait, il se dressait puissant de nous toutes, il se dressait chargé de nous tous. Il s'élançait, ce corps, plein des autres marrons, fort des autres marronnes, hérissé de la mémoire des esclaves déportées dans les colonies, chaud du souvenir des communards... Sur les Champs Elysées on était là ! À Alger, au Soudan, à la zad de Notre-Dame-des-Landes, au Panthéon avec les Gilets Noirs, au Chiapas, au Palais de la femme, à Hong Kong... on était là !
Partout où nos corps se sont soulevés contre la tyrannie du patriarcat, nous avons attaqué la norme, nous avons brisé la laisse de l’identité civile. Ni monsieur, ni madame ! Queer n’est pas une fonction, fuck tes cases. Non, blanc blaireau, tu ne nous gères pas, tu ne me gères plus. Nous poussons sauvages. Au fil des luttes, notre puissance ne cessait de se renforcer. Avec nous la mémoire des femmes assassinées par les bourreaux du patriarcat, celle d’Adama Traoré, de Marielle Franco, de Steve Maia Caniço, de Zineb Redouane, avec nous les milliers d'hommes, de femmes et d'enfants disparus dans la méditerranée. Chaque fois que nous nous sommes relevés nous avons intensifié nos désirs, notre seum, notre histoire, nos liens et nous avons gagné.
Je suis Cléone et j’ai vu le maître sénile occidental, détruire les mondes multiples d’avant l’expansion de son commerce international. J'ai vu le mâle blanc, ce dégénéré, coloniser les corps pour épandre sa toxicité, détruire la biodiversité en imposant partout sur la planète une langue d’asphalte monochrome et unicellulaire. Je suis Cléone, l’histoire de la puissance d’agir, des mondes multiples et désirables.

Je me souviens en 2019 qu’en France un autre grand bourgeois, premier d'la classe dont l’histoire n’a pas retenu le nom, joua une fois encore au pyromane en soufflant sur les braises de la haine et du racisme. Il se rêvait tyran, réélu en 2022 sur les cendres d’un pays en ruine et divisé. Ces élections n’eurent jamais lieu.
Après les grands incendies de l’été 2019, les forêts du monde dévastées, le nuage du libéral-fascisme se déplaça sur la ville de Rouen. De cette métastase capitalistique, longue de 22 km et de 6 km de large, ruisselait la morgue et la malfaisance du maître.
Nuages lacrymogènes, nuage d'amiante, fumées hydrocarbures, incendies de forêts, quartiers populaires assiégés, opposants brutalisés, manifestants criminalisés... nasses par les milices zombies, plus nous suffoquions, plus se dessinait notre commune destinée : déchirer l’horizon funèbre du capitalisme.
En phase terminale, le patriarcat et le capitalisme n’arrivaient plus à dissimuler la relation directe entre pouvoir et hiérarchie, oppression et destruction du vivant. Les populations opprimées, de plus en plus lucides, descendaient dans les rues.

Gilets jaunes, gilets noirs, esclaves en fuite, protester, ouvrières, zadiste, précaires, lycéennes, écologistes radicaux... nous étions l’épaisseur historique de nos luttes. De Hong Kong au Chili, du Liban à l'Équateur, de l'Irak à la Catalogne... nous étions des millions armées de nos mains, armés de courage, de parapluies, de mémoire, de pavés, de gilets, de malice populaire...
Et plus dans les rues, sur les rond-points... nous nous rencontrions, nous nous reconnaissions, nous tissions de nouvelles amitiés, nous renforcions des complicités... plus devant les prompteurs affolés aboyaient ses chiens de garde. Et plus ses chiennes de gardes dans la lucarne s'égosillaient, plus le capitalisme thésaurisait dans sa fuite en avant, ravages, meurtres, nihilisme...
Le pouvoir et ses valets chiaient de trouille. Je me souviens en 2018 en France, l’hélico dans le jardin de l'Élysée. En 2019 toujours en France le ministère de l'intérieur — en plus des cargaisons usuelles de grenades, LBD, lacrymogènes — passait commande de 25 millions de cartouches pour fusil d'assaut... Dans le même temps à Hong Kong, le pouvoir faisait tirer, déjà, sur ses opposants à balle réelles. Testament dans la poche, les jeunes protesters pourtant se battaient.

En France, le président ni ses ministres ne pouvaient plus visiter un recoin du pays sans que le village soit colonisé par les forces de l'ordre et ses habitants confinés chez eux. Les flics en venaient à crever des ballons d'anniversaire au prétexte qu'ils étaient jaunes. Quand on lance sur ses enfants, les chiens, les grenades ; quand on les tire au LBD, qu'on les agenouille mains derrière la tête, qu'on envoie sur ses gosses ses milices de BACqueux... c'est qu'on a perdu son sang froid, sa dignité, qu'on se fait dessus.
Nous le savions, il était indispensable et possible de vivre autrement. Chacune devait entreprendre sa traversée, chacun devait se départir de l’assignation à se zombifier. L’intelligence collective produisit concrètement un paysage des plus désirables.
L’autonomie fut le principe actif d’une reconnexion vitale avec le réel. Ce fut long, compliqué, mais pas à pas, rue par rue, bloc après bloc... à base d'émeutes, de cantines populaires, d'occupations, de grèves sauvages, de ZAD, de collectifs de quartier, de sabotages... nous sommes parvenus à libérer tous les corps.
Plus personne n’avait a craindre d’apparaître dans sa singularité, autant de races et de sexualités possibles que d’individus. C’est la multiplicité des conditions d’existences qui permit d’amortir le choc de la catastrophe écologique et d’en finir avec la nécropolitique des oppresseurs. La substitution d’un monde gouverné par le manque au profit d’un monde de désirs a sauvé les vivants. Forts de la solidarité de toutes nos luttes dans le monde, un nouveau continent d’auto-défense émergeait. Seule comptait la puissance historique de nos luttes, notre puissance d’agir retrouvée, notre rage.

Je suis Cléone et c'est depuis le turfu que je vous parle — à force de cavales, de cavales et de révolutions, je suis allée loin... — je vous parle, depuis bien après ce 2022 qui n’a jamais eu lieu. Depuis là je vais vous raconter comment nous avons gagné.
Ma petite cicatrice entre le pouce et l'index, je l'ai toujours, mais de maison toujours pas... je poursuis mon évasion, je prolonge ma cavale, j'éprouve ma liberté. Je n'ai pas de maison, je posterai cette histoire, la nôtre, sur des sites amis.

Mon visage comme la nuit est insaisissable et comme elle mon récit sera nomade,

Cléone


GJ, il n'y aura pas d'après !

Novembre 2019 est arrivé, avec dans son sillage l'anniversaire des GJ. Ceux qui parlaient d'essoufflement en janvier, puis au printemps, puis pendant l'été, n'ont toujours pas compris l'essence du mouvement, qui, de part son ADN, ne peut se terminer. 
A chaque mouvement social sa temporalité, sa spécificité et sa façon de se terminer. Quelques mois après une grosse grève, des manifestations massives ou des soulèvements populaires, les experts médiatiques et politiques enveloppent la séquence dans du papier journal et la rangent dans les archives de l'Histoire. On en reparle alors au passé, en en analysant les conséquences. 
Avec les Gilets Jaunes, il ne sera pas possible d'en faire autant. Car analyser l'après GJ signifierait que le mouvement GJ est terminé. Hors, nous sommes des milliers, des dizaines de milliers même, à savoir qu'il ne sera jamais terminé. 
Pourquoi ? Parce que les Gilets Jaunes ne sont pas un énième mouvement de grève ou de manifestations. Les personnes qui se sont impliquées depuis 11 mois dans cette dynamique ne retourneront jamais à leur vie d'avant. 
Les Gilets Jaunes n'ont pas vécu un mouvement social mais ont vécu une rupture dans leur vie. Une rupture du train train quotidien imposé par la société de consommation. Une rupture dans la façon de se voir par rapport aux autres. L'idée que des liens autres que professionnels ou familiaux sont possibles. Que l'atomisation voulue et forcée de cette société ultra libérale n'est pas une fatalité. 
Une rupture également face aux pouvoirs : politique, économique et policier. Des milliers de personnes ont été blessées, arrêtées, condamnées, insultées et méprisées. Toutes ces personnes ont vu les mécanismes en place pour sauver les intérêts de quelques uns. Mécanismes de stigmatisation, d'exclusion et de terreur permanente. Pour beaucoup, la police n'est plus cette institution censée protéger les citoyens. La justice n'est plus cette institution censée punir les personnes malhonnêtes. 
Les Gilets Jaunes ont compris, parce qu'ils ont du l'expérimenter dans leur corps et dans leur vie, que les institutions sont désormais utilisées par les puissants pour protéger leurs acquis et leurs richesses, pour empêcher tout changement radical de la société. 
Cette prise de conscience, ce changement de regard, il ne pourra plus jamais disparaitre. On ne retourne pas dans l'obscurité d'une caverne après en être sorti et avoir vu la lumière du soleil. 
Il n'y a pas d'après. Car il n'y a pas de fin. 
Les Gilets Jaunes sont en perpétuel mouvement. Une dynamique des corps et des esprits. Sur les rond points, dans les cabanes, lors des blocages, dans les manifestations, les GJ se rencontrent et se découvrent. Ils ne sont pas figés sur des principes théorisés par d'autres. Chaque rencontre, chaque discussion, chaque action fait évoluer ces personnes. 
Il n'y aura pas d'après. Car les Gilets Jaunes sont dans le présent. Car les Gilets Jaunes font le présent. 

Cerveaux Non Disponibles censuré par Facebook ?

Mis à jour le 25 octobre à 19h30

Restrictions arbitraires de Facebook

La page Cerveaux Non Disponibles subit pour la deuxième fois un dé-référencement drastique de la part de Facebook. Cela veut dire que vous ne verrez plus nos publications arriver sur votre mur.

réstriction et déréférencement

 

Et de fait, la couverture de nos publications a été réduite d'environ 600k affichages par jour à 30k :

Fin août alors que nous couvrions le contre-sommet du G7, la même sanction nous était déjà tombée dessus. Notre audience avait alors été divisée par 1000 pendant une semaine, passant de plusieurs centaine de milliers de vues par jour à quelques centaines. Après une petite enquête nous nous étions aperçu que nous n’étions pas les seuls et qu'une vingtaine de pages subissaient le même sort (Lille Insurgée, Nantes Révoltée, Gilets Jaunes Toulouse ou Bretagne Noire...), toutes suivaient notamment le mouvement des gilets jaunes. La seule différence cette fois c’est qu’une notification nous a été envoyée avec un motif.

En cliquant sur le bouton "en savoir plus" on tombe sur des phrases comme ça : « Nos Standards de la communauté ont pour objectif d’encourager l’expression et de créer un environnement sûr. » La bonne blague ! Quant au bouton "faire appel" nous n'avons jamais obtenu de réponse.

Nous sommes un média de critique sociale. Récemment nos publications ont relaté ce qu’il se passe au Rojava où l’Etat turc mène une guerre d’invasion aux ambitions génocidaires, au Chili où la révolte contre la vie chère est matée dans le sang, en Catalogne où ont éclaté des manifestations gigantesques pour l'indépendance, en France avec les Gilets jaunes qui battent le pavé depuis 49 semaines, ou à Rouen avec l'usine Lubrizol qui a intoxiqué toute une agglomération dans la sous-estimation indécente des pouvoirs publics.

Quelle est l’expression qu’encourage Facebook en rendant muet un média comme le notre ? Quelle est donc leur idée de la démocratie quand hier par exemple ils empêchaient le syndicat Sud Rail de s’exprimer par le biais de leur page en les déréférençant eux aussi* ? Ou que la semaine passée des pages italiennes comme Oscurate Milan In Movimento, GlobalProject et Contropiano qui avait relayé des informations sur la campagne militaire turque au nord de la Syrie étaient bannies**…

Le moins qu’on puisse dire c’est que le climat que Facebook fait régner sur son réseau est tout sauf sûr. Car si on peut propager la propagande des États qui bombardent sans problème, il semblerait que si on est une parole d'opposition on subisse des restrictions.

On ne le dit pas assez, mais beaucoup trop de pages de collectifs qui ont juste le culot de relayer les luttes sociales du coté de la résistance se font tout simplement invisibiliser honteusement et arbitrairement. Celles qu'on connait s'appellent Lille Insurgée, Paris Luttes info, Nantes Révoltée, Luttes Invisibles, Gilets Jaunes Toulouse, Peuple Uni, Mr Propagande, Collective auto média énervé, Bretagne Noire, Média Jaune Lorraine, Lyon Résistance, Le Nouveau Web Média 2019, Paris Blocage Résistance, Black & Yellow France, Gilets jaunes du 92, Alexandre Ribeiro t'rien engagé, Humanité tout simplement, Résistance Gilets Jaunes France, Liberté j'écris ton nom, L'information pour l'action, Les citoyens en colère jaune, Printemps jaune, je suis légion...

Aujourd'hui nous tentons de sortir de ce monopole dangereux qu'à constitué Facebook et nous avons notamment ouvert un compte sur Mastodon, un équivalent de Twitter mais libre et décentralisé. C'est une des meilleurs alternatives. On vous invite à nous y rejoindre pour rendre ce réseaux le plus massif et intéressant possible. L'infrastructure est là, il faut s'en saisir. Nous n'avons que trop tarder à faire le pas.

Nous n'imaginions pas qu'il aurait pu en être autrement. Bien sûr que Facebook est un outil de propagande des pouvoirs. Mais nous défendrons notre média jusqu'au bout, partout, au dedans et au dehors du système.

 

Conseils pour nous suivre

En attendant, pour nous soutenir nous vous proposons ces quelques conseils.

– Aller régulièrement voir notre site : www.cerveauxnondisponibles.net

On vous encourage vivement à adopter Mastodon, un réseau décentralisé où on ne sera jamais censuré (et où vos données personnelles vous appartiennent vraiment !) :

- @cerveauxnondisponibles@mamot.fr si vous êtes déjà inscrit

- et sinon suivez ce lien : https://mamot.fr/invite/pwKsq3Yt

- applications mobiles pour mastodon : https://joinmastodon.org/apps

– Choisir l’option “voir en premier” sur notre page facebook (cliquez sur “déjà abonné(e)” puis choisissez l’option)

– Aller régulièrement voir les dernières actus sur notre page

– Mais aussi en vous abonnant à nos autres réseaux : Twitter / Youtube / Instagram

- Chan Telegram : https://t.me/cerveauxnondisponibles

* Facebook a fait marche arrière depuis en déclarant que c'était une faille du système...

** Traduction de l'article de Dinamo Press


insurrection chili

Chili : le plus grand soulèvement depuis des décennies

Ce dimanche 20 octobre est le troisième jour des pires émeutes qu’ait connu le pays depuis très longtemps. L’explosion populaire s’inscrit dans un contexte global d'injustices sociales, les inégalités face à l’accès aux soins, à l’éducation, font le lit de la contestation d’un peuple en extrême souffrance et acculé.

C’est alors qu’une nouvelle taxe intervenant dans une société déjà fragile, fait émerger la rage de toute une population. En effet, l’augmentation du prix du ticket de métro à Santiago, déclencheur de l’arrivée en masse des chiliens dans la rue, n’est qu’en partie à l'origine du sursaut du Peuple qui connaît il semblerait, son grand réveil.

La remise en cause de tout un système économique est exprimée avec détermination.

Santiago s’est embrasée, incendies, émeutes, barricades, appels à monter dans les trains sans billets, confrontations avec la police, puis maintenant l’armée. En face, usage de canons à eau, gaz lacrymogène, ces scènes de lutte de rue n’ont pas été vues dans la capitale depuis longtemps.

Situation :

🔸 Violents affrontements entre manifestants et les forces de l’ordre. Les 164 stations de métro de la capitale sont bouclées, le réseau est le plus étendu (140 km), et le plus moderne d’Amérique du sud, environ 3 millions de passagers y transitent chaque jour.

🔸 Le président chilien Sebastian Pinera a décrété vendredi soir l'état d'urgence à Santiago, étendu dimanche soir à plusieurs grandes villes du Nord et du sud du pays.

"J'ai décrété l'état d'urgence et, à cette fin, j'ai nommé le général de division Javier Iturriaga del Campo à la tête de la défense nationale, conformément aux dispositions de notre législation concernant l'état d'urgence", a déclaré Sebastian Pinera.

🔸 Des autobus sont incendiés, des dizaines de stations de métro sont détruites, des concerts de casserole en soutien aux manifestants s'organisent, rappelant la contestation apparue après le coup d’Etat mené par Pinochet fin 1973.

Coup d’état qui ne fut pas seulement militaire, il fut aussi un tournant radical vers le néolibéralisme et le capitalisme. La répression est massive, la stratégie de choc est efficace, permettant insidieusement l’émergence d’une nouvelle droite monétariste, conservatrice. Les premières mesures radicales et violentes tombent très vite, entreprises d’Etat privatisées, budgets sociaux coupés, retraite par capitalisation… Tout tend vers la concurrence généralisée, l’individu-entreprise émerge et le peuple chilien en sera la souris de laboratoire. Tout tend vers la destruction organisée du collectif et la naissance d’un citoyen « carte de crédit ».

Témoignage d’un contact à Santiago : « Ça se voyait venir, il y a un ras le bol général car les classes populaires vivent à crédit. C’est un modèle à l’américaine qui incite à la surconsommation de tout. Là où mes parents habitent c est calme, mais lundi tout sera fermé, écoles, facs, etc. Il y a trop de supermarché, de pharmacies, c’est consommer, consommer, consommer… Et payer à crédit, et tout est cher, tout est payant, tout est privatisé. »

Le massif mouvement social que vit le Chili s’oppose avec vigueur aux conséquences désastreuses du néolibéralisme, notamment autour de la question de la marchandisation des services publics éducation, santé, système de pensions, eau…

Des premiers décès sont malheureusement à déplorer.

Samedi le couvre feu est décrété dans la capitale ainsi que dans cinq autres régions à ce jour.

La répression est féroce, les militaires patrouillent, ainsi que des carabineros en pick up banalisés qui procèdent à des enlèvements nocturnes dans les rues, rappelant aux Chiliens, la sombre époque de la dictature.

Ces exactions font écho à la dernière sortie du Président, sa déclaration ce dimanche : "Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant, qui est prêt à faire usage de la violence sans aucune limite".

Cette allocution à la télévision depuis le siège de l'armée n'éteindra certainement pas la rébellion populaire.

La révolte de tout un peuple n'étouffe pas. L’indignation est grandissante au rythme de « Piñera cagón, me paso por la raja tu estado de excepción », « Piñera enfoiré, je me fous de ton état d’urgence ».

La réaction des travailleurs ne se fait pas attendre, l’appel à une grève générale est le mot d’ordre. Dockers, étudiants, agents du métro, camionneurs remplissent les assemblées générales et appellent dans un premier temps à faire tomber l’état d’urgence, chasser les militaires de la rue, avancer ainsi vers une grève totale amenant à la démission de tout le gouvernement.

716 personnes ont été arrêtées, au moins 7 décès, de nombreux blessés, dont plusieurs par balle.

Le ministre de la Défense a précisé que 10500 policiers et militaires étaient déployés.

Quelques rares bus circulent encore, de nombreux vols sont annulés, les employés ne pouvant rejoindre leur lieu de travail, des ports sont bloqués.

De nombreuses écoles seront fermées ce lundi.

Dimanche, M. Pinera a réuni ministres et autres hauts responsables.

Un dialogue est annoncé "large et transversal", espérant calmer les revendications sociales.

Les émeutes ne faiblissent pas.

"Marre des abus" est le leitmotiv au coeur de ce soulèvement historique.

Le Chili s’est réveillé.

Photo : Martin Bernetti


insurrections monde entier

LE MONDE ENTIER VEUT LA CHUTE DU RÉGIME

Les insurrections se multiplient partout dans le monde d'une manière qui nous parait inédite. Souvent en cause ; les mesures d'austérités de la politique néo-libérale et l'autoritarisme. Voici un petit topo des résistances pour chaque pays qui s'est soulevé récemment ou qui continue de le faire. 

🔸 Chili : L'état d'urgence a été décrété au Chili et Pinera a instauré le couvre feu. La révolte se généralise à tout le pays, les dernières images qui nous viennent comme celle d'un péage en feu sont impressionnantes et nous rappellent les GJ. La révolte a commencé à cause de l'augmentation du prix du ticket du métro.
Les manifestants/occupants des gares ont commencé par détruire symboliquement les tourniquets et portes d'entrée des métros il y a quelques jours. Le mouvement qui s'appelle "Evade", ce qui veut dire "fraude", appelle tout le monde à frauder et à ne pas payer. "Evadir! No Pagar!". Les flics (dit los pacos) ont occupé les gares par la suite pour réprimer les manifestants.
Un ras-le-bol général a été déclenché car ce qui est en question n'est pas uniquement le prix du ticket de métro, mais le coup de la vie en général.

🔸 Catalogne : Depuis la condamnation des dirigeants indépendantistes c'est toute une constellation de mouvements, allant des anarchistes aux citoyennistes de l'ANC et d'OMNIUM en passant par la CUP et son idée de république municipaliste, qui veut l'indépendance de la Catalogne. Vendredi soir ils et elles étaient un million dans Barcelone à manifester et à tenir tête aux Mossos, la police catalane qui est main dans la main avec la police nationale. La Catalogne est une région traversée par un tissu social de comité de défenses, de centres sociaux, d'organisations auto-gérée et féministes, de villes qui pratiquent le municipalisme au delà du blabla de Podemos. Il y a un vrai terrain plus amical qu'ailleurs pour des pratiques qui sortent du carcan capitaliste même si d'un autre coté il y a une forte présence des partis politiques indépendantistes libéraux et pro-européens.

🔸 Équateur : Sur fond d'accords du gouvernement avec le FMI, les prix du carburants ont flambé avec des hausses de plus de 120%. Suites aux nombreuses émeutes le gouvernement avait déclaré l'état d'urgence. A quoi la Conaie, la Confédération des Nationalités Indigènes fortement investie dans le soulèvement, a répliqué en déclarant aussi son propre état d'exception, annonçant que les militaires et les policiers qui s'approcheraient des territoires indigènes seraient capturés. Face à la force de l'insurrection le gouvernement n'a eu d'autres choix que de quitter Quito la capitale pour aller se réfugier et  par la suite abroger l'augmentation du prix de l'essence. Comme quoi des victoires sont possibles !

🔸 Hong Kong : Les hongkongais se sont soulevés contre la loi d'extradition de la Chine qui impliquait que Pékin puisse obtenir le transfert de n'importe qu'elle personne considérée comme opposante au régime, "fugitive" selon leur terme. Des manifestations colossales se sont déroulées. De 1 million, puis 2 millions de personnes. Le 1er juillet les manifestants envahissent le parlement. Le mouvement très populaire a formulé 5 demandes : 1) L’annulation totale de la loi d’extradition (qui a été suspendue depuis), 2) la libération sans inculpation des manifestants arrêtés, 3) le retrait de la qualification d’émeute des manifestations, 4) une enquête indépendante sur les violences policières et les abus de pouvoir, 5) l’instauration pleine et entière du suffrage universel. Une sixième demande commence aussi à naitre chez certains : la condamnation, voire la dissolution de la police. Un frontliner nous a dit que beaucoup partent aujourd'hui manifester avec un testament dans la poche. La Chine est l'ennemie viscérale.

🔸 France : Le mouvement gilets jaunes a commencé par surgir contre l'augmentation de la taxe carburant. Quasiment tout de suite après, plusieurs exigences sociales, écologiques et fiscales ont fait irruption. Dans toute la France on a vu pousser des cabanes sur les ronds points. Devenant à la fois des lieux conviviaux, de débats, d'informations, d'organisation d'actions et de blocages, cette tactique d'occupation a été le cœur du mouvement avec les grosses manifestations du Samedi qui ont toujours lieu à l'heure actuelle et les assemblées plus portées sur le municipalisme. Les Gilets jaunes veulent la démocratie directe et la fin de la démocratie représentative.

🔸 Liban : Une nouvelle taxe déguisée aura valu au régime libanais un soulèvement du peuple sans pareil. La mesure visait à taxer les communications de l’application Whatsapp, malgré l’annonce du ministre des télécommunications de son abandon jeudi soir, les libanais sont restés dans la rue. La taxe sur l'application Whatsapp est arrivée sur une colère déjà grandissante des libanais envers le pouvoir, notamment après la très mauvaise gestion des incendies ayant ravagé habitations, villes, forêts, dont des cèdres millénaires, ces derniers jours. Des centaines de milliers de personnes manifestent, de Beyrouth à Tripoli, de Saïda à Nabatleh, sans oublier la région de Baalbeck. Vendredi 18 octobre, de nombreuses routes étaient coupées, la capitale était inaccessible et la place des Martyrs à Beyrouth a été occupée toute la nuit essentiellement par des jeunes.

🔸 Algérie : Le 22 février 2019 signe la naissance du soulèvement du peuple en Algérie, appelé Révolution du Sourire. Les manifestants protestent dans un premier temps contre la candidature d’Abdelaliz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Finalement c’est un départ de tous les dignitaires du régime qui est demandé. Malgré la démission du Président le 2 avril 2019, remplacé par intérim par Abdelkader Bensalah, les rues algériennes ne désemplissent pas. Des millions de personnes réclamant la chute du régime marchent essentiellement le mardi et le vendredi. Huit mois après le début des contestations, la situation est inquiétante, la répression s’intensifie, notamment après ceux qui brandissent le drapeau berbère dans les marches. De nombreuses arrestations pour ce simple fait sont à dénoncer. Sont à noter de nombreuses arrestations d’opposants politiques, de journalistes, d’activistes. L’armée, elle tente d’empêcher les accès à Alger, empêchant les manifestants de région d’accéder à la manifestation. Cette tentative de paralysie du mouvement semble vaine.

🔸 Haïti : La colère a éclaté il y a près de deux mois suite à des scandales de corruptions en lien avec le président Jovenel Moïse. Des entreprises qu'il dirigeait avant son entrée en politique ont été épinglées par la Cour Supérieure des comptes comme étant "au cœur d'un stratagème de détournement de fonds". La colère populaire s'est accentuée fin août à la suite d'une pénurie de carburants généralisée à travers le pays. Depuis plus de deux mois, la population descend dans la rue malgré la répression du pouvoir qui a fait au moins 17 morts et 200 blessés, dans l'indifférence du reste du monde.

🔸 Égypte : Depuis 2013 où le général Sissi a pris le pouvoir par un coup d'Etat en Egypte. Il n'y avait pas eu de manifestations. Elles étaient même interdites. Ces manifestations de septembre font écho à des appels lancés sur les réseaux sociaux, émanant notamment d’un homme d’affaires égyptien en exil, Mohamed Ali qui accuse Sissi de corruption. Toutes les manifestations ont été durement réprimées. Plusieurs arrestations et blessés.

🔸 Guinée : Le président Alpha Condé est soupçonné de vouloir changer la constitution pour briguer un 3e mandats, alors que celle ci n'en prévoit que deux. Le mouvement de protestation a été mortellement réprimé. On compte des dizaines de morts. Et les manifestations ont été interdites.

🔸 Irak : Un mouvement de révolte a commencé début octobre. Les manifestants demandent du travail et de meilleurs services publics. Très vite la répression a été sanglante. On parle de 100 morts et de plus de 4000 blessés. Même l'armée a admis un usage excessif de la force...

🔸 Soudan : Commencé fin décembre 2018, les protestations dénonçaient le cout de la vie trop chère. Peu de politiques et de médias ont évoqué "le fait que pour la première fois, il s'agissait d'un mouvement civil qui refuse la charia et qui rejette en bloc les idéologies islamistes qui ont fait tant de mal à la région" (Hind Meddeb). En mai nous faisions une vidéo qui liait les révoltes entamées en Algérie, Soudan et Hong Kong, un manifestant soudanais interviewé disait. "On veut des changements, et on veut que ces changements viennent de la base". Aussi nous avions constaté qu'une femme charismatique était devenue un symbole de la lutte et enflammait son auditoire par des chants révolutionnaires. Alors que la population poussait pour établir une constitution démocratique, la révolution soudanaise a été volée par les militaires qui ont exercé des attaques barbares au courant du mois de juin. Depuis un mouvement de transition est en place et s'assoie complétement sur les revendications. Des massacres sont même revendiqués par des militaires.

🔸 Papouasie : La Papouasie connait ses plus violentes émeutes depuis des décennies. Les papous considères les indonésiens comme des colons sur leur sol et les accusent de contrôler l'économie locale. Les émeutes ont repris de plus belle, mi aout suite à des remarques racistes à l'égard d'étudiants papous. La Papouasie, cette province d'Indonésie s'est déclarée indépendante en 1961, mais ne l'entendant pas de cette oreille, le pouvoir indonésien  en a repris le contrôle dès 1963.

🔸 Rojava : Situation inverse au Rojava situé au nord est de la Syrie. Là c'est un territoire qui subi une guerre. Mais comment ne pas en parler alors que les promesses démocratiques et progressistes de cette région autonome sont grandes. Depuis le 9 octobre la Turquie bombarde tous les peuples situés au sud de sa frontière. On parle même de génocide, de nettoyage ethnique. Alors que le Rojava expérimente une démocratie directe et que ses habitant.es ont donné des milliers de vies pour vaincre Daech, les Etats occidentaux ont préféré lui tourner le dos. La situation est si désespérée pour les kurdes, qu'ils ont accepté par le biais du YPG (unité de défense armée) un marché avec le boucher Bachar Al Assad pour se défendre contre l'invasion turque, préférant le "compromis plutôt que le génocide."

 

Ce travail de compilation des situations des résistances n'est pas exhaustif. Si vous avez des éléments à nous fournir pour mieux comprendre ce qu'il se passe ailleurs, n'hésitez pas à nous contactez à cerveauxnondisponibles@riseup.net


Rojava andré hébert

Comprendre le Rojava, interview avec André Hébert

Le Rojava, expérience à ciel ouvert de démocratie directe et de pluralité des identités, vit aujourd’hui un chapitre sombre dans son histoire mouvementé. A la faveur d’un départ des troupes américaines, Erdogan en a profité depuis le 9 octobre pour bombarder la région et ses habitants, anéantir celles et ceux qui au prix de milliers de morts avaient pourtant vaincu Daech. Son but : tuer un maximum de personnes et remplacer une population par une autre. Jamais dans l’histoire un génocide n’avait été annoncé si tranquillement à l’avance sous l’œil lâche des pays membres de l’ONU. Nous avons rencontré André Hébert, militant internationaliste qui était allé combattre au Rojava contre l’Etat islamique et pour un idéal révolutionnaire. Nous avons pu lui demandé de nous faire un topo sur la situation au Rojava. 

Bonjour André, est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle André Hébert j’ai 28 ans aujourd’hui, j’en avais 24 la première fois que je suis parti au Rojava et je me définis comme militant communiste et ancien membre du YPG et aujourd’hui, aussi comme membre du CCFR (Collectif des combattant.es francophones du Rojava)

Qu’est ce qui t’avait poussé à aller au Rojava ? 

C’est quand j’ai vu la bataille de Kobané qui avait été pas mal médiatisée en France. J’ai d’abord été impressionné par le courage des défenseurs de Kobané qui résistaient face à l’invasion de l’Etat islamique qui à l’époque avait bien plus de combattants et des équipements à la pointe de la technologie, avec des tanks notamment, ce qui n’était pas le cas des kurdes, qui eux résistaient avec des armes légères à cette déferlante djihadiste. Ensuite je me suis intéressé à l’organisation qu’est le YPG et j’ai découvert qu’ils ne se battaient pas seulement pour leur terre ou contre l’Etat islamique mais qu’ils se battaient pour un véritable projet révolutionnaire. Ce projet correspondait dans les grandes lignes à la façon dont je voulais voir la société changer en tant que militant français.

Est-ce que tu peux nous faire un topo des forces qui luttent en ce moment au Rojava ?

C’est une coalition qui s’appelle les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dont la colonne vertébrale est le YPG (les unités de protection du peuple) qui est l’armée des kurdes syriens. A quoi viennent s’ajouter un certain nombre d’unités arabes, turkmènes, syriaques, assyriennes, donc ces forces démocratiques syriennes sont réellement le reflet de la mosaïque ethnique et confessionnelle qu’est le Rojava. Il faut aussi rappeler qu’il y a le YBS qui sont les unités de résistance du Sinjar et qui sont les forces armées des Yézidis dont on a pas mal reparlé ces derniers temps. Donc c’est l’ensemble de ces forces qui aujourd’hui se bat contre l’invasion turque.

Comment s’est constitué le Rojava et sur quelles bases ? Est-ce que c’est par les guerres ou il y’avait-il un projet commun avant ? 

Le Rojava ne s’est pas constitué récemment, c’est une des parties éternelles du Kurdistan. Y’a cette zone d’ailleurs, le canton d’Afrin qui a été envahie par les turcs en 2018 et la zone qui est attaquée actuellement, c’est la zone historique des peuplements kurdes, une des quatre parties du Kurdistan qui est éclaté entre quatre pays : la Turquie, l’Iran l’Irak et la Syrie. Donc voilà ce qu’est le Rojava. Ensuite il y a le parti des travailleurs du Kurdistan en Turquie qui lui lutte depuis très longtemps et en 2011, à la faveur de soulèvement contre Bachar Al Assad il y a eu la création du YPG et les kurdes ont eu, au début du soulèvement, l’opportunité de prendre leur destin en main et surtout ils ont eu la nécessité de créer une force d’auto-défense face aux attaques du régime et de celles des islamistes de l’armée libre syrienne qui déjà à l’époque les attaquait. Donc c’est comme ça que s’est constitué le YPG.

As-tu des nouvelles récentes de la situation au Rojava cette semaine depuis le déclenchement de la guerre par Erdogan mercredi dernier ? 

Oui, même depuis quelques jours avant. Les camarades qui sont sur le terrain nous relayaient leur inquiétude, tous les signaux d’alerte étaient au rouge, la population évacuée, les unités militaires qui se mettaient en ordre de bataille. Là ces derniers jours il y a effectivement des échos de plus en plus inquiétants. Il y a deux choses, sur le plan des prisonniers djihadistes, on a bien eu confirmation qu’il y a 800 membres des familles de Daech qui se sont évadés du camp d’Aïn Issa dimanche après midi, ça vient après les membres de Daech qui se sont évadés de la prison de Qamishlo à la faveur d’une frappe aérienne turque qui avait pour but de les libérer. Il y a eu aussi des émeutes dans un autre camp de prisonniers. Donc il y a cette situation là qui est extrêmement inquiétante et surtout le plus important c’est la situation militaire, là nos camarades résistent dans la ville de Ras al-Aïn (en kurde : Serê Kaniyê) que les turcs essayent d’envahir en ce moment et donc il y a des combats urbains très durs où nos camarades résistent avec beaucoup de courage face à l’invasion turque en ce moment. Parmi ces camarades il y a une dizaine de combattants internationalistes.

Qu’en est-il en Turquie ? Est-ce que cette guerre est populaire ou au contraire connaît-elle une opposition ?

Il y a deux choses. Du point de vue de la résistance kurde la frontière est complètement artificielle, donc elle n’existe pas et toutes les forces kurdes y compris celles du nord du Kurdistan, donc en Turquie, sont mobilisées dans la lutte contre l’armée turque comme elles l’ont toujours été. Les forces politiques et politico-militaire de la gauche turque qui sont présentes au Rojava mais qui luttent aussi en Turquie, elles c’est pareil, elles continuent leur lutte de longue date contre l’armée turque.
Maintenant du point de vue des supporters d’Erdogan, il y a malheureusement dans la population turque une grosse base sociale islamo-nationaliste qui le soutient. Eux n’ont pas changé et supportent cette guerre.

Le caractère libertaire et automne du Rojava fait-il que l’occident se mobilise moins pour le défendre ? Pourquoi les Etats Unis ont quitté la zone ? 

Sur les raisons qui ont fait que les américains ont quitté le Rojava, je pense qu’ils l’ont fait pour des raisons géo stratégiques que pour l’instant on comprend mal et qu’on comprendra peut-être à l’avenir. Ensuite, de ce que j’ai vu et de ce qui transparait des rapports de ce qu'était la coalition internationale contre Daech, et des rapports des puissances impérialistes occidentales envers les kurdes, ils ont toujours méprisé le système kurde, ils ne l’ont jamais pris en compte dans l’équation. Je ne pense pas que les raisons de leur départ soient liées à la nature du modèle sur place mais plutôt lié à des rapports de force géo stratégiques qui dépassent tout ça.
Mais après, pour le point de vue des soutiens au Rojava c’est quelque chose de très important à mettre en avant. Ce modèle qui est là bas, qui est basé sur la démocratie directe, sur le partage des richesses, sur l’écologie, le féminisme, c’est un modèle qui est précieux pour tous les gens à travers le monde qui essayent de changer de société, de changer de système, de construire un futur alternatif au capitalisme et ce modèle-là est enfin au 21e siècle un modèle qui fonctionne, qui porte ses fruits. On a enfin une expérience révolutionnaire à défendre, c’est pour ça qu’il faut que les gens comprennent y compris en France que ce qu’est en train de massacrer Erdogan c’est aussi nos valeurs et l’espoir d’un avenir meilleur, quelque chose qui nous concerne en tant que français.

Sur notre page Facebook on a vu apparaitre des commentaires pro turcs qui traitaient le PKK de terroristes. Comment arrive-t'on à ce que ceux qui ont combattu Daech soient traités de la sorte ? 

Oui évidemment, il y a effectivement un problème qui est lié à la posture de l’Union Européenne et des Etats unis vis à vis du PKK. Ça fait extrêmement longtemps que le PKK ne cible plus les civils. Ils ciblent uniquement les forces armées turques. Quand on reprend la définition précise de ce qu’est le terrorisme, on voit bien que ça fait 20 ans que le PKK ne s’inscrit plus dans ces modes d’actions, dans les modes d’actions terroristes.
Cette étiquette qu’on a posé sur le PKK depuis très longtemps sert la propagande turque. Les Etats unis et l’Union Européenne auraient dû prendre leurs responsabilités et retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. Une chose qui est certaine c’est que quand on parle des YPG, les forces démocratiques syriennes qui sont en train de se battre, on peut discuter de la distinction entre ces dernières et le PKK, moi je crois que c’est bien plus complexe. Les forces démocratiques syriennes ne sont pas une simple émanation du PKK. Ça c’est un raccourci qui est fait par beaucoup d’observateurs qui ne connaissent pas le terrain et qui sert la propagande turque. La réalité est bien plus complexe que celle là et quand on prend les forces démocratiques syriennes et les YPG dans leur histoire, je défie quiconque de trouver une seule action répréhensible et ils trouveront encore moins une seule action qui correspond à la définition du terme terrorisme. Donc tout ça est quelque chose qu’il faut rendre extrêmement clair car ce n'est ni plus ni moins que de la propagande turque qui s’appuie sur les contradictions de la politique étrangère des Etats impérialistes.

Une manifestation kurde en soutien au Rojava a été gazée par la police jeudi soir pas loin de Châtelet où une occupation d’Extinction Rebellion avait lieu. Alors que la France fait mine de condamner la guerre lancée par Erdogan pourquoi une telle hostilité envers les kurdes à Paris ? 

Bon ça c’est le réflexe de l’Etat français qui s’apparente de plus en plus à un Etat policier qui, dès qu’il voit un mouvement social qui peut gêner sa politique intérieure ou étrangère, envoie tout de suite ses chiens de garde jouer de la matraque ou du gaz lacrymogène. Ça c’est un réflexe. Ensuite, ils sont devenus plus prudents pour les manifestations parce qu’ils savent très bien que ça serait extrêmement gênant que des images de ce genre se répètent. Il faut reconnaître qu’à la manifestation de Samedi qui allait de République à Châtelet, les forces de l’ordre étaient quasi invisibles à dessein parce qu’elles ont reçu des consignes pour ça. Parce que donner des images de la police française en train de taper des manifestants kurdes comme celles qui ont déjà été diffusées ça aggraverait la position de la France vis à vis de ce sujet.
Pour en venir à la question qui semble la plus importante c’est la responsabilité de la France. La France a une claire responsabilité. On ne peut pas se cacher derrière des soi-disant coups de folie de Trump et derrière la décision américaine. La France ne s’est jamais donné les moyens d’avoir une politique étrangère indépendante vis à vis des Etats Unis et ça de très longue date. Et aujourd’hui on en voit les conséquences. On parle des signaux de faiblesse que Trump a envoyés vis à vis d’Erdogan depuis des mois qui ont conduit à cette intervention militaire unilatérale de la Turquie, mais la France aussi a envoyé des signaux de faiblesse ces derniers temps et est co-responsable. Jean Yves Le Drian a déclaré qu’il ne pouvait même pas faire circuler ses troupes au Rojava ou les retirer du territoire sans l’appui logistique des américains. Comment est-ce qu’on veut être crédible face à la Turquie ensuite quand on dit une chose comme ça ? La France convoque des conseils extraordinaires du conseil de sécurité de l’ONU et fait des gesticulations diplomatiques comme convoquer l’ambassadeur de Turquie, mais tout ça c’est de la poudre aux yeux pour faire oublier que l’Etat français est coresponsable du lâchage des kurdes et de leur trahison. Et ça c’est quelque chose qui restera comme une tache indélébile dans la politique étrangère du gouvernement d’Emmanuel Macron et je pense qu’il est important de le répéter. Si la France aujourd’hui, vu ses capacités militaires, voulait arrêter cette guerre, elle pourrait le faire. Elle pourrait envoyer des troupes pour s’interposer entre l’armée turque et les combattants des forces démocratiques syriennes et cette guerre s’arrêterait immédiatement.

[CND] Mais ce qui demanderait à la France de s’allier par exemple avec les forces du YPG, ce qui la mettrait en porte à faux vis à vis de ses intérêts capitalistes de vente d’armes…

Evidemment et c’est là toute l’hypocrisie de la France et des Etats impérialistes. On voit bien que le gouvernement se répand en gesticulations, exprime son inquiétude avec des formules diplomatiques complètement creuses. Ils auraient pu empêcher le génocide qui s’annonce et ils ont choisi de ne pas le faire.

Pour toi c’est quoi le projet d’Erdogan ? 

Son projet il est très clair. Il en parle depuis des semaines maintenant y compris jusqu’à l’ONU. Il a brandi à l’ONU une carte de la soi-disant zone de sécurité qu’il veut établir, en fait de la zone qui est le Kurdistan historique qu’il veut complètement envahir par les drones, par les bombes, par les tanks. Son objectif là ça va être de tuer le plus de civils possible, d’envahir ces régions pour ensuite y replacer, et ça il le dit depuis très longtemps, les 3,5 millions de réfugiés arabes syriens qu’il a sur son sol. Et ça, ça s’appelle un génocide et une politique de nettoyage ethnique… qui sont annoncés. Rarement dans l’histoire on a vu un génocide qui était annoncé aussi clairement que celui là. Et pourtant, on ne fait rien.

Samedi à la manifestation de soutien au Rojava, des GJ se sont organisés pour exprimer publiquement leur soutien. Qu’est-ce qui lie ces luttes pourtant éloignées les unes des autres ? 

Je pense que si on pouvait le résumer en un mot, ce qui les lie c’est la Commune. Ce qui a traversé toute l’histoire du mouvement ouvrier, qu’on retrouve au Rojava aujourd’hui, qui a inspiré beaucoup de Gilets Jaunes dans leurs revendications ou leurs façons de s’organiser. Le pilier de tout ça, c’est la Commune. Ensuite on peut développer un peu. Le modèle du Rojava est construit autour des coopératives, du socialisme et de la Commune avec cette démocratie directe et cette façon de s’organiser à l’échelle la plus locale possible pour que les gens aient leur destin en main. Il y avait les Gilets Jaunes de Commercy d’ailleurs qui avaient parlé du fédéralisme démocratique, qui avaient transmis un message par rapport au Rojava et on leur avait répondu de là-bas donc il y a des liens de nature politique qui sont apparus très clairement, qui sont évidents, c’est pour ça qu’il est important que les Gilets Jaunes se mobilisent pour ce modèle. C’est un espoir pour eux aussi, pas que pour les kurdes.

N'est-ce pas un peu triste de devoir brandir comme argument pour combattre la guerre que mène Erdogan qu'elle pourrait renforcer daech ? Les milliers de kurdes victimes de cette offensive ne suffisent pas ?

Alors si, effectivement, c’est vrai. Maintenant, quand on regarde les éléments de communication sur place, les kurdes ont bien compris que malheureusement leur sort propre ne pouvait pas suffire à convaincre à travers le monde qu’il fallait les aider et donc pragmatiquement ils voient bien que pour mobiliser autour de cette question, c’est triste, mais il faut parler aussi de l’intérêt immédiat qu’il y a en terme de sécurité à travers le monde. Et ça c’est un élément de communication qui était très présent chez les forces démocratiques syriennes et à raison. Evidemment que le sort des kurdes et de toutes les populations qui composent le territoire du Rojava devrait suffire pour mobiliser, mais il ne faut pas être naïf et prendre en compte ce qui marche en terme de communication et il faut rappeler qu’il en va aussi de notre intérêt sécuritaire, notamment vu les récents événements comme les 800 proches de Daech qui se sont évadés du camp d’Aïn Issa et qui sont des gens extrêmement dangereux.

On a entendu parler d’un bâtiment appartenant à la France qui aurait explosé, tu en sais plus ? 

Ça c’est une rumeur qui a circulé sur les réseaux sociaux. Ce qu’il s’est passé c’est qu’il y a une base américaine à coté de Kobané qui a été touchée par des tirs turques sans faire de blessé. L’Amérique a à peine répondu à ça alors qu’il s’agit quand même d’un membre de l’Otan qui en bombarde un autre… Et on apprend que dimanche après-midi le Pentagone annonce le retrait de jusqu’à 1000 soldats américains du nord de la Syrie pour ne pas se retrouver en étau entre les Kurdes et les Turques.

A-t-on un bilan de ces derniers jours ?

De ce que j’en sais, c’est difficile pour les docteurs de communiquer sur place. J’ai vu que les forces démocratiques syriennes avaient dévoilé les photos de sept de leurs combattants qui étaient tombés pendant l’offensive. A ce moment précis avec une source fiable je ne peux pas vous en dire plus.

Que penses tu de la nouvelle selon laquelle les YPG et l’armée de Bachar Al Assad s’allient pour combattre l’offensive turque ? On a l’impression d’atteindre des sommets d’enjeu geo-politique…

En terme géo-politique, en effet ça suppose pas mal de choses, mais sur l'accord en lui même puisqu'il semble être confirmé, ce que je dirais c'est qu'il y a le commandant en chef des forces démocratiques syriennes qui a dit "je préfère le compromis au génocide de mon peuple", donc ça c'est forcément quelque chose que je comprends. Après sur le plan politique, cet accord peut remettre en cause un grand nombre de choses, notamment sur ce pour quoi on s'est battu, mais il y a une chose de mon point de vue d'internationaliste qui ne changera pas, c'est que dans tous les cas, en allant là bas on a montré qu'il était encore possible au 21e siècle de se battre pour la révolution et d'avoir une démarche internationaliste. Et rien que pour ça, ça valait le coup.

Qu’est ce qu’on peut faire d’ici ? Quelle initiative serait pertinente ?

Il y a plusieurs moyens. Continuer à participer aux manifestations. Rejoindre celles organisées par les kurdes mais aussi que les forces militantes s’organisent par elles-mêmes et s’emparent de cette question parce qu’elle les concerne aussi. Organiser des réunions publiques, il y a un effort de pédagogie à faire encore. Même si c’est invraisemblable qu’on ait encore à le faire à cette époque là alors que ça fait des années qu’on informe à ce sujet. Il faut parler du Rojava et dire pourquoi c’est important de le soutenir. Il faudra aussi participer à des collectes de fonds. Par le groupe qu’on a créé, le collectif de volontaires, on va relayer un certain nombre de collectes de fonds, probablement cette semaine. Donner aux instances officielles kurdes qu’on va relayer sur notre page (https://www.facebook.com/2CFRojava) sera un moyen d’être utile.

Entretient réalisé par Cerveaux non Disponibles

Epilogue

S’il y a bien une chose précieuse au Rojava, ce sont les millions de vies portées par l’ambition de vivre dans une société qui accepte les différences, l’autonomie des peuples, le rôle égal des femmes par rapport aux hommes, une vision écologique anticapitaliste et une démocratie directe. Aujourd’hui cette révolution est lourdement attaquée et trahie par des Etats qui se sont payés une bonne figure tant que les forces démocratiques syriennes et les YPG se battaient contre Daech. On apprenait juste après l'interview que le commandant des forces du YPG avait conclu un accord avec Bachar Al Assad. Nous avons donc rajouté la question après coup. Un basculement dans le giron impérialiste russe n'augure pas mieux que l'abandon américain et européen pour ce qui est de l'expérience révolutionnaire. Et les temps à venir seront durs pour le Rojava.

A l’heure où tous les pays impérialistes jouent simplement leur partition de traitre, de vénal ou de boucher, et à l’heure où beaucoup d’endroits du globe s’embrasent contre leur logique, il est plus que temps de construire une géographie de territoires rebelles à travers le monde, de se rencontrer et d'imaginer un futur désirable vers lequel converger, un futur depuis lequel on se dise que nous aurons notre destin en main.


LETTRE A EXTINCTION REBELLION

Nous co-signons cette lettre ouverte rédigée par Désobéissance Ecolo Paris qui adresse à Extinction Rebellion les critiques sans concession et néanmoins porteuses d'alliances futures que les deux occupations, celle d'Italie 2 et celle de Place du Châtelet, n'auront pas manqué de soulever.

LETTRE A EXTINCTION REBELLION

Ami-e-s, camarades,

Lorsqu’une branche indépendante de XR s’est formée en France, nous avions quelques doutes vis-à-vis de votre mouvement.

Bien évidemment, nous avons été impressionné-e-s par l’ampleur des actions de désobéissance civile au Royaume-Uni, notamment les blocages spectaculaires et joyeux de monts à Londres. Nous avons observé l’enthousiasme naissant parmi les jeunes et les moins jeunes, ayant pris la décision de reprendre leur avenir, et celui de toutes les espèces vivantes, en main, afin de recréer du lien social là où il n’y avait auparavant que l’aliénation du monde marchand.

Toutefois, l’appel à se faire arrêter en masse—alors que la détention n’implique pas les mêmes risques pour tou-te-s—et la hiérarchie rigide du mouvement au Royaume-Uni nous interpellaient à juste titre et mettaient à mal nos convictions, ainsi que notre croyance en une horizontalité, inclusivité et intransigeance nécessaires pour un mouvement de révolte.

Cela n’empêche qu’au cours des derniers mois, vous ayant vu-e-s garder votre calme même lorsque vous avez été aspergé-e-s de gaz lacrymogène au visage, en étant assis-e-s tranquillement sur le Pont de Sully ; vous ayant côtoyé-e-s sur les lieux de nombreuses actions (et au camp d’été de XR*) ; et ayant lutté à vos côtés lors de la « Dernière occupation avant la fin du monde »: nous étions heureux-ses de devenir vos camarades.

Ce n’est donc pas en tant qu’adversaires, ou critiques acerbes tirant un plaisir particulier du fait de dénigrer tout ce qui ne leur paraît pas être assez radical, que nous nous adressons à vous aujourd’hui.

C’est plutôt en tant que celles et ceux, qui ayant noué des liens avec vous, sommes préoccupé-e-s par la tournure que pourrait prendre votre mouvement et qui, nous le craignons fort, enterrerait toute convergence réelle entre les divers mouvements sociaux se battant pour un monde plus juste et le mouvement écolo en France. Pourquoi des paroles si alarmantes, demanderez-vous ?

Malgré l’atmosphère festive des premiers jours de la Rébellion Internationale d’Octobre, certaines des attitudes militantes et de leursmodes de fonctionnement nous interpellent, voire nous indignent. Nous considérons essentiel que ces questions précises puissent être réglées sincèrement et de bonne foi, pour nous permettre de continuer à nous allier de plein gré et sans sacrifier nos principes contre la morbidité omniprésente.

Les voici :

Banalisation des violences policières
Commençons par ce qui nous semble être le plus grave.

Le week-end dernier, Ibrahima, un jeune de Villiers-le-Bel a trouvé la mort en percutant un poteau près du site d’une interpellation policière. Tous les faits entourant cette tragédie ne sont pas encore connus, mais des témoins parlent d’un camion de police lui barrant la route, ce qui l’aurait mené à perdre le contrôle de son véhicule.

Les jeunes des quartiers populaires et des banlieues ont profondément intégré la peur des forces de l’ordre. En effet, l’État (capable d’humilier en forçant à s’agenouiller 200 collégiens de Mantes-la-Jolie ; effectuant régulièrement des contrôles au faciès ; brutalisant des personnes racisé-e-s ;menant des rafles contre les sans-papiers) voit dans les populations non-blanches une catégorie dispensable contre laquelle toute violence est légitime, car elles sont considérées a priori coupables. Si les témoignages des jeunes de banlieue et des quartiers populaires ne suffisent pas, l’enquête anthropologique de Didier Fassin (« La Force de l’ordre ») montre que la violence des forces de l’ordre contre les habitant-e-s des banlieues s’exerce quotidiennement.

La police est donc une institution intrinsèquement violente. On ne peut même pas imaginer un début de convergence avec nos camarades racisé-e-s (Gilets Noirs, Comité Adama, ou autres collectifs ripostant à la violence raciste et xénophobe de l’État français) sans mettre en avant cette problématique.

A la suite des quartiers populaires, depuis 2016, c’est tout le mouvement social qui subit systématiquement cette répression armée. Rappelez-vous la loi Travail ; rappelez-vous les Gilets Jaunes ; rappelez-vous la dernière marche Climat. Les images d’une police déchainée, lançant grenades et flashballs au hasard dans la foule, ont fait et continuent de faire le tour du monde.

Pourtant, quelques jours après le puissant discours d’Assa Traoré devant l’Italie 2 occupé samedi dernier, après avoir vécu 17 heures avec des GiletsJaunes dans le centre commercial, nous étions profondément choqué-e-s, mardi matin, en découvrant l’image d’une banderole « uni-e-s contre toutes les violences » ; un soi-disant compromis entre la condamnation des violences policières et le deuil des policiers tués à la Préfecture la semaine dernière.

Dès qu’un policier décède, toute la France est en deuil. Dès qu’un-e jeune meurt sous les coups de la police, dès qu’un-e manifestant-e perd un œil, l’État sort des communiqués expliquant qu’il n’est jamais responsable. Et de la part d’un mouvement écologiste qui a trop vite oublié Rémi Fraisse tué sur la ZAD de Sivens par la gendarmerie en 2014 (dont le procès se tient à Toulouse ce 10 octobre 2019, avec la présence d’une cinquantaine de militant-e-s), un mouvement se voulant socialement inclusif mais qui refuse de reconnaître la souffrance et la rage des quartiers populaires, ou de se souvenir que certain-e-s ont été mutilé-e-s et incarcéré-e-s pour s’être rebellé-e-s pendant les Gilets Jaunes : pas même un mot, pas une pancarte commémorant Ibrahima et les autres victimes des violences policières ?

Plus généralement, se revendiquer « uni-e-s contre toutes les violences » est indécent et profondément violent.

Parce que, en mettant toutes les violences sur le même plan, vous affirmez (sans même forcément le vouloir) un principe d’équivalence entre toutes les utilisations de la violence. Ainsi, la « violence » que vous imputez aux autres méthodes d’action militante peut être comparée, en droit, selon vos dires, à celle d’une personne par quatre fois meurtrière.

Vitrines brisées et couteaux tirés sont donc mis en fin de compte dans le même panier. Ce qui est fort dommageable, en plus d’être fallacieux, vous en conviendrez. D’autre part, vous refusez d’observer des différences entre les utilisateurs de la violence. Violences conjugales et une femme accablée qui tue son compagnon abusif ? Même chose selon cette logique. La BAC qui matraque ; les CRS qui gazent ; la police qui embarque ; les gendarmes qui contrôlent au faciès ; qui frappent au faciès ; qui tuent au faciès ; et les habitant-e-s des quartiers dits « populaires » ou les manifestant-e-s qui se défendent ; qui ripostent ; qui s’énervent ; qui frappent : toutes ces formes de violence sont à évaluer strictement de la même manière ?

Violence invisible de la non-violence dogmatique
Il y a, dans le dogmatisme non-violent, une violence insidieuse – parce qu’inaperçue – qui se loge. Il s’agit de la même violence que celle qu’on oppose quotidiennement à tou-te-s les opprimé-e-s, celle qui se pense légitime. S’il semble aller de soi maintenant que l’État et ses structures de contrôle ont le « monopole de la violence légitime », il faudrait compléter ainsi ce lieu commun : les privilégiés et les dominants étendent sans cesse ce monopole en désignant – c’est-à-dire en dénonçant – ce qu’est la violence, à leurs yeux. Elle est le propre des « casseurs », des « agitateurs professionnels », de toutes ces personnes qui font tout sauf ce qu’on exige d’elles. Fondamentalement, est jugé « violent » tout ce qui échappe aux structures de contrôle.

C’est pourquoi la non-violence jusqu’au-boutiste et intolérante peut être dangereuse. Comme ce qu’elle prétend combattre, elle est excluante, méprisante, produite dans un environnement privilégié qui n’a pas affaire directement à la menace policière et à la machine infernale du monde social ; bref : elle en devient violente. Elle ne se renverse pas dans son contraire ; elle est son contraire, par nature, et ce sans le vouloir ni s’en rendre compte.

Et n’oublions pas que derrière chaque affirmation générale de ce genre,diluant les revendications de celles et ceux qui subissent des oppressions quotidiennes, se cache une invisibilisation des luttes : un faux compromis bâti sur la nécessité des opprimé-e-s de se taire à propos de leurs expériences vécues. Un « All Lives Matter » qui sert à taire « Black Lives Matter »; qui oublie que pour nos institutions sociales certaines vies comptent déjà plus que d’autres.

Et comment expliquer l’effacement du tag « Castaner m’a éborgné », sinon comme un crachat à la figure des classes populaires sortant dans la rue, depuis des mois, en gilet jaune ?

Le manque d’inclusivité du cadre d’action envers les classes populaires
Bien que l’on sache que les militant-e-s XR sont nombreux-ses et divers-es, certaines pratiques militantes paradoxales desservent radicalement la lutte. D’une part, il y a l’interdiction d’apporter de l’alcool sur les lieux des occupations prévues pendant la RIO. De l’autre, comme on a pu l’observer à celle du Châtelet, certain-e-s membres de XR boivent des coups, pendant la journée ou la soirée, aux terrasses des bars entourant la place. Loin de nous la volonté de chercher la petite bête, de décrédibiliser l’occupation ou de crier au loup.

On entend la difficulté de la tâche consistant à apaiser et à prévenir les tensions pouvant naître de l’ébriété. Cependant, honnêtement, comment voir dans cette dissonance autre chose que du mépris de classe ? Le consensus incluait-il aussi la mention « faites ce qu’on dit, mais pas ce qu’on fait » ? Ce sont ces petits détails, pouvant paraître insignifiants, qui creusent les écarts entre les êtres vivants et discriminent. Il ne s’agit pas là, il est important de le redire, de condamner, mais d’alerter. Les gilets oranges (c’est-à-dire les « peacekeepers ») de l’occupation, assurément, s’occupent plus souvent des propriétaires de canettes de bière que des autres consommateur-rice-s. À nouveau, c’est sourdement que la violence s’immisce.

De plus, un mouvement opposé à la marchandisation du vivant semble exercer dans ce cas précis une forme de privatisation symbolique d’une place auparavant publique : on nous interdit désormais d’amener ne serait-ce qu’une canette de bière sur la place du Châtelet, de la même manière qu’on nous y interdit de faire des tags.

Massification ou apolitisme ?
La question des tags (des inscriptions à caractère politique sur des murs, vitrines, ponts ou toute autre surface susceptible de devenir un espace d’expression libre lors de toute manifestation, même aux revendications modestes) en cache une autre : celle des écolos qui deviennent volontiers des policier-e-s au sein de leur propre lutte.

Sinon comment expliquer qu’on amène de l’acétone dès que quelqu’un ose marquer au feutre un message anti-police ? Comment expliquer que toute banderole faisant mention d’une écologie radicale ou de l’anticapitalisme se fasse censurer sous prétexte qu’il faille inclure tout le monde ?

Cher-e-s ami-e-s, on ne vous demandera jamais de remettre en question vos principes, d’abandonner des luttes non-violentes ou de remplacer vos mots d’ordre par les nôtres. Nous sommes aussi conscient-e-s de votre volonté explicite de convaincre le maximum de passant-e-s pouvant s’intéresser à votre mouvement et de parler à chacun-e se préoccupant de l’extinction en cours du monde vivant.

Cependant, ne pas accepter que lors de toute occupation joviale une diversité de paroles puisse foisonner, c’est refuser une liberté d’expérimentation politique en lui préférant une image policée, médiatiquement acceptable, au service d’une stratégie de com’.

Chacun des tags, chacune des banderoles qui ne comporte pas de logo, s’exprime en son nom propre. La place du Châtelet revit enfin et, même si vous êtes personnellement en désaccord avec les messages exprimés par certain-e-s, il est peu souhaitable de réduire la portée et l’ampleur de certains des slogans en les jugeant trop radicaux pour un-e citoyen-ne »lambda ». Aucune des paroles existantes ne peut être totalement inclusive. L’idée même de croire que nos revendications puissent être satisfaites par unÉtat exclut tout un pan de mouvements politiques. Ce n’est pas pour autant que nous allons remettre en question votre droit d’exposer publiquement vos revendications.

Car faire de la politique sans devenir politicien, c’est aussi accepter que, dès que l’on reprend collectivement le pouvoir en mains, certaines choses puissent déranger et certaines autres évoluer.

Une écologie du non-dérangement ?
Quelle révolte n’a pas dérangé les puissants ? Et quelle rébellion a déjà pu s’excuser auprès des grands pour avoir revendiqué certains droits ?

Loin d’encourager au « débordement » aveugle voire automatique, nous aimerions vous inviter à l’ouverture. En effet, quel est le sens d’une action de désobéissance civile, si – précisément – désobéissance il n’y a pas ? Concernant l’occupation de Châtelet, mis à part les travailleur-euse-s qui doivent contourner le pont, et peut-être quelques camions de livraison ou réapprovisionnement, il ne nous semble pas que les représentants de la puissance capitaliste auront aucun mal à dormir sur leurs deux oreilles cette nuit – et les nuits qui suivront.

Encore une fois, cette remarque n’appelle pas de ses vœux une utilisation aveugle et impensée des débordements énergiques, mais invite à remettre en question la façon dont le « consensus » non-violent veille à son propre respect – parfois de manière autoritaire. Cette autorité imposée, il est vraisemblable qu’elle protège les institutions du pouvoir capitaliste davantage qu’elle ne les inquiète. Plus encore, elle contrôle, règle et supervise ce qui est au départ pensé comme un acte de rébellion. Or, la rébellion – dans son sens le plus originaire – nécessite une belle dose de spontanéité, de créativité, de liberté. Des bals populaires, mais aussi des barricades. Des assemblées générales et des tags. Des rassemblements fixes et des manifestations spontanées.

Malheureusement, les cadres d’action consensuels entravent et répriment bien souvent la spontanéité de la révolte dans son élan sincère. (Chose amusante : le dictionnaire en ligne des synonymes indique, comme synonyme de « spontané », le terme « violent ».) Essentiellement, un « consensus » est consensuel, mou, couru d’avance. Passons déjà le fait que parler de « consensus non violent », ce n’est pas parler d’un consensus réel des gens sur place (sinon nous n’écririons pas ce texte), mais d’un « consensus » décidé en petit comité par les organisateurs.

La rue appartient à celles et ceux qui, dans toute leur diversité, la prennent. Il y a un risque qu’on doit prendre ensemble, celui d’une lutte vraiment anti-autoritaire où la vie collective n’est pas garantie par des « peacekeepers » (« gardiens de la paix » en français), mais s’élabore à tâtons, par expérimentations, par constructions de communs. Cela sera d’autant plus beau et intense pour celles et ceux qui se laisseront embarquer dans l’aventure. Plus qu’un mot ou un spectacle médiatique, la rébellion commence peut-être par changer les façons de vivre ensemble, ici et maintenant, sur la place du Châtelet.

Cabane gilet jaune place du Châtelet.
Quelques propositions pour fuir les lignes toutes tracées
Nous sommes loin d’être pessimistes. C’est précisément parce qu’on s’est nourri-e-s, ces derniers mois, des échanges qu’on a pu avoir avec vous, que nous nous adressons à vous aujourd’hui. Parce que nous croyons en la fluidité de votre mouvement, qui n’a pas acquis (et, nous osons l’espérer, n’acquerra jamais) les réflexes bureaucratiques permettant aux grosses organisations d’asseoir leur domination sur les luttes sociales et écologistes.

En plus, la place du Châtelet semble se populariser de plus en plus ces derniers jours, et la cabane nouvellement créée par des Gilets Jaunes en témoigne. C’est aussi pour cette raison que nous avons vu comme une urgence le fait de rendre ce texte public : nous croyons que ce n’est pas uniquement aux mouvements sociaux de faire un pas vers les écolos.

Sans compromettre vos actions menées jusque là, sans briser votre vœu de ne jamais devenir violent, nous voyons une convergence de luttes possible. Nous vous proposons qu’elle passe par : – Des occupations plus durables et plus spontanées ; ensemble, nous aurons peut-être les forces nécessaires pour prolonger nos actions au-delà de la temporalité stricte de la RIO et du périmètre un peu trop fixe auquel les forces de l’ordre ont l’air de s’être habituées : à nous tou-te-s d’essayer ! L’occupation d’Italie 2 le 5 octobre était un excellent début.

– Des actions de dénonciation des violences policières et carcérales ; le retrait de la banderole plus que maladroite « uni-e-s contre toutes les violences » ; et un appel au rassemblement en solidarité avec Ibrahima de Villiers-le-Bel et avec d’autres jeunes terrorisé-e-s par la violence étatique.

– Des invitations à d’autres mouvements sociaux pour qu’ils viennent vous rejoindre de manière plus durable sur place ; des réflexions concernant une ouverture des logements (squats) pendant la RIO, par exemple pour les personnes précarisées, les sans-abri ou les migrant-e-s.

– Regagner en bienveillance envers les personnes pouvant se sentir exclu-e-s par les règles d’action très strictes ; être plus flexible envers celles et ceux pouvant consommer de l’alcool sans poser de problèmes à soi ou à autrui.

– L’acceptation des militant-e-s souhaitant apporter leur pierre à l’édifice de la rébellion, à travers des modes d’action qui pourraient vous être étrangers, mais qui n’en sont pas moins légitimes : les barricades et les tags sont-ils réellement « violents », ou les concevoir ainsi ne serait-il pas une internalisation d’un discours d’État, qui souhaite incriminer notre contestation ? Encore une fois, vous n’avez pas à partager ces choix, mais uniquement à tolérer leur présence.

Bien amicalement,

Désobéissance Ecolo Paris

Co-signataires :

ACTA
Cerveaux non disponibles
La vérité pour Adama
Comité de Libération et d’Autonomie Queer