Nouvelle intervention massive de l'Arabie saoudite au Yémen

Des années de guerre civile, un silence innommable et une complicité française

A la tête d'une coalition militaire, l'Arabie Saoudite annonce une nouvelle intervention de taille au Yémen.

Empêtrée dans un conflit qui a fait plus de 377 000 victimes, où plus de 85% de la population dépend de l'aide internationale pour manger, l'amplification de l'option militaire laisse envisager le pire pour la population civile. Les blocus portuaires mis en place par la coalition menée par l'armée saoudienne ont entraîné des famines touchant jusqu'à 8 millions de personnes et un pic de propagation du choléra qui aurait contaminé environ un million d'individus (source ONU). A ça s'ajoute un pays partitionné et en ruines, à l'image de la ville de Sanaa, joyau architectural en partie rasé par les bombardements, les combats meurtriers et les attentats à répétition.

En 2019, Disclose démontre que la France intervient directement dans ce blocus imposé par l'Arabie Saoudite. Elle fournit des bateaux qui bloquent les ports, et vend des armes utilisées durant ce conflit. Ces révélations n'ont pas plu pas à tout le monde : une plainte sera déposée par le ministère des armées pour « compromission du secret de la défense nationale ». Deux journalistes de Disclose et un journaliste de la cellule investigation de Radio France seront interrogés par les services de renseignement (DGSI) dans le cadre d’une enquête préliminaire. La Ligue des droits de l'homme dénonce ces menaces, perçues comme de l'intimidation.

Pour autant, les faits parlent d'eux mêmes : le blocus aurait directement touché plus de 11 millions de Yéménites dont au moins 300 000 enfants (source Middle East Eye et rapport de la Commission européenne). "Plus de 20,7 millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire, 16,2 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave. Plus de 4 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, 20,1 millions de personnes ayant besoin de soins de santé, 15,4 millions de personnes sans accès à l’eau potable et à l'assainissement. " (source : Plan de réponse humanitaire au Yémen)

Afin de résumer les bases de ce conflit extrêmement complexe, revenons brièvement sur son histoire. Géographiquement, le pays se situe entre la mer Rouge, le golf d'Aden et l'océan Indien. Il constitue un pont entre le Moyen-Orient et l'Afrique de l'Est et dispose d'importantes réserves de gaz et de pétrole. Le Yémen naît sous forme de nation unie après la fusion des Nord et Sud Yémen en 1990.

Le Nord est indépendant depuis la chute de l'Empire Ottoman en 1918. Après une guerre civile téléguidée par l'Arabie Saoudite d'un côté et l'Egypte de l'autre, son régime évolue de monarchie à république sous le modèle du nationalisme arabe. Le Sud est une ancienne colonie anglaise devenue indépendante au régime d'inspiration marxiste. C'est une république dictatoriale qui naîtra de l'unification de ces deux pays ayant de base des relations diplomatiques assez bonnes en 1990. Personnage clé, Ali Abdallah Saleh règnera de 1978 à 1990 sur le Yémen du nord et de 1990 à 2012 sur le Yémen.

Il est important de rappeler que le mode de vie du pays est très largement tribal.

La base du conflit le plus récent que nous évoquons prend sa genèse en 2004, durant la guerre du Sa'dah. La minorité chiite zaydite, issue d'un courant religieux minoritaire dans le chiisme (ils ne sont ni Duodécimains ni Ismaéliens), subit des discriminations et des persécutions. Celles-ci sont notamment amplifiées par l'essor des courants salafistes, notamment Al Qaïda, et du wahhabisme que développe l'Arabie Saoudite dans la péninsule arabique.

Menés par Hussein Badreddine al-Houthi et ses frères, les Houtihs, groupe islamiste d'autodéfense armée de cette minorité, accusent l'ancien président Saleh de favoriser l'émergence de ces groupes et de nier la situation, d'autant que le lien entre le régime du dictateur yéménite avec les pays du Golfe est fort (ces régimes détestent les chiites). Une campagne militaire est menée pour écraser cette rébellion, 7 000 yéménites mourront durant cette guerre civile.

D'autres éléments sont à prendre en compte, parmi eux le cas du Sud-Yémen. Estimant que la réunification a été défavorable, de nombreux litiges opposent différentes factions, par exemple au sujet de la capitale (Sanaa pour le nord et Aden pour le sud) ou encore de la gestion des ressources, dont le pétrole. Une autre guerre civile a fait plus de 10 000 morts en 1994.

La situation interne est donc explosive et d'autres facteurs viennent s'ajouter à ce bref résumé (inégalités, liberté d'expression, autoritarisme, qualité de vie...). Cette poudrière aboutit à une révolution durant le printemps arabe en 2011-2012. Réclamant plus de démocratie, le peuple se soulève en se référant notamment à la Tunisie ou à l'Egypte, alors qu'un vent insurrectionnel souffle sur l'ensemble du monde arabe (Bahreïn, Maghreb, Syrie...)

Grièvement blessé par un tir d'obus visant la mosquée présidentielle, le président Saleh s'enfuit en Arabie Saoudite pendant plusieurs mois. Les pays du Golf profitent de cette opportunité pour imposer un plan de "sortie de crise". C'est un ancien homme issu de ce régime qui le remplace en 2012 : Abdrabbo Mansour Hadi. Saleh reste toutefois président du parti politique "Congrès du peuple".

Remis sur pied après la création d'un musée à son effigie et d'un média, Saleh compte reprendre le pouvoir et passe des accords avec les Houthis à partir de 2014-2015. Ses anciens ennemis auraient bénéficié de l'appui de militaires de l'ancien régime jusqu'à la prise de Sanaa, l'ancienne capitale. Les Houthis progressent et s'emparent de nombreux points stratégiques finissant par contrôler tout le Nord-Est, où vivent la majorité des Zaydites.

Le président Hadi demande alors sa démission, mais celle-ci est refusée par le parlement. Il s'enfuit sous escorte saoudienne à Aden, dans le sud, qui devient de fait la nouvelle capitale du pays.

Cette alliance très fragile ne dure pas, des conflits internes explosent entre les partisans de Saleh et les Houthis. Saleh se retourne alors vers ses anciens amis saoudiens au grand dam des Houthis. L'ancien dictateur sera tué 4 jours après avoir rompu cette alliance en 2017.

En parallèle, l'expansion d'Ansar al-Charia (anciennement Al Qaïda au Yémen), et de sa scission au sein de Daesh est combattue par toutes les fractions rivales mais amène le pays encore plus près du précipice. Certains témoignages sous-entendraient une certaine passivité de la coalition arabe vis-à-vis de ces groupes.

Enfin, dans le Sud du pays, après le limogeage par le président du gouverneur séparatiste d'Aden et de plusieurs provinces, une partie du Sud fait sécession. Le Conseil de transition du Sud propose de participer à la coalition mais le groupe de Coopération du Golf s'y oppose et se dit préoccupé, à l'exception des Emirats qui les soutiennent par stratégie à l'encontre des Frères musulmans.

Les alliés saoudiens et émiratis se livrent une guerre au sein même du Yémen : ensemble contre les Houthis, mais parfois l'un contre l'autre. En témoigne une année de troubles entre Août 2019 et 2020 qui a vu s'affronter les séparatistes du sud et les loyalistes du président Hadi soutenus par l'Arabie Saoudite.

En cette veille de 2022, le Yémen se retrouve segmenté en plusieurs parties :

Environ deux tiers de l'Ouest du pays est aux mains des loyalistes, liés au régime du président Hadi soutenu et armé par l'Arabie Saoudite et la coalition arabe ainsi que la France et les renseignements américains.

Un tiers Nord-Est est contrôlé par les Houthis, l'Iran qui leur affirme un soutien politique prétend cependant ne pas fournir d'armes ni de mercenaires.

Une petite partie du Sud-Ouest dont la capitale portuaire Aden mais aussi une petite poche du Sud-centre ainsi que sur l'île de Sodoba est contrôlée par un mouvement séparatiste. Cette alliance fourre-tout comprendrait des marxistes, des socialistes, des islamistes, des libéraux soutenus par les Emirats Arabes Unis. Cette zone serait la plus "sûre", la vie y serait légèrement plus "acceptable" et les fondamentalistes moins influents.

Enfin, en plein centre du pays, des petites zones sont tenues par Ansar Al Charia et par Daesh.

On peut également évoquer la présence de Al-Islah, le parti des Frères musulmans qui dispose de 42 sièges dans la partie loyaliste.

 

Dans ces conditions, il paraît évident que la surenchère belliqueuse de l'Arabie Saoudite et ses alliés ne peut qu'aggraver cette situation chaotique, la résolution de conflit paraît totalement impossible à ce jour et c'est à un véritable carnage que participe la France.

Rappelons au passage que le président Macron aurait été le premier homme d'état occidental à rencontrer le Roi Mohamed Ben Salmane après l'affaire de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi retrouvé démembré dans laquelle le régime saoudien est fortement soupçonné.

Si cette affaire a ému à juste titre, il semblerait que ce n'est pas le cas du sort des millions de Yéménites qui est en actuellement en jeu.


Chili : après deux ans de lutte une victoire plus que symbolique

Le combat continue

Après deux ans de situation insurrectionnelle, une page semble progressivement se tourner au Chili. Aussi il nous paraît important de tenter un décryptage à chaud, au-delà de l'aspect symbolique de cette victoire électorale, par les perspectives qui s’ouvrent dans ce pays du Sud Global, le plus riche d’Amérique latine. Rappelons que le Chili a été l’un des pays sur lesquels s’est expérimenté le néolibéralisme et l’impérialisme américain sous sa forme la plus brutale par la doctrine des Chicago Boys. Cette élection est probablement la date politique la plus importante depuis la fin de la dictature en 1990 et sûrement l’une des plus marquantes depuis l’assassinat de Salvador Allende et le putsh soutenu par la CIA de Septembre 1973.

Ancienne figure du mouvement étudiant, Gabriel Boric, 35 ans seulement, remporte l'élection présidentielle soutenu par une large coalition de gauche avec 56% des voix, contre le candidat d'extrême droite José Antonio Kast. La participation de 55% peut paraître faible, c'est pourtant la plus forte mobilisation aux urnes depuis la fin du vote obligatoire en 2012.

 

 

Portant un discours hostile au néolibéralisme et un programme au contenu social engagé dans la lutte contre les inégalités, Boric met en échec un homme d’affaires multimillionnaire, fils de SS, se réclamant ouvertement de l'ancienne dictature de Pinochet, dont la campagne a été faite uniquement sur le "rétablissement de l'ordre", le maintien du régime, et évidemment la peur et la haine envers le communisme, les minorités ou les communautés LGBTQI+.

Mais cette victoire est aussi celle de l'esprit de la révolte qui porte des millions de Chiliens depuis plus de deux ans.

Retour en 2019 : de base, c'est la hausse du prix du ticket de métro à Santiago, capitale du pays qui aura été le détonateur d’un mouvement social explosif et hors du commun dans lequel se retrouvent mêlés un rejet massif des inégalités sociales amplifiées par la pandémie, la dénonciation de l'état calamiteux des services publics, de la corruption endémique, du sort des minorités ethniques du pays, de la lutte contre le patriarcat ou pour l’écologie. Impossible également de faire l’impasse sur la répression à l’encontre de ce mouvement et un présent perçu comme la continuité d’un passé mal digéré alors que Pinochet n’a jamais été jugé et que sa constitution restait en place dans un pays alors dirigé par un milliardaire de droite : Sebastian Piñera.

Le bilan de ce soulèvement est lourd : des milliers de blessés, une trentaine de morts ? (chiffre très difficile à évaluer). On ne sait pas réellement combien de manifestants ont été arrêtés arbitrairement, on évoque des cas de tortures, et de femmes qui auraient été violées par les policiers ou les militaires.

Le dialogue rompu par l'ancien président Piñera, incapable de rétablir l'ordre qu'il promettait à sa base électorale s'est finalement retourné contre lui, même si il aura enfanté un candidat encore plus dangereux qui lui ressemble beaucoup. Sa base électorale a montré son vrai visage en affirmant son identité à travers le vote pour Antonio Kast, dernier cri des forces réactionnaires mises à mal par la fin du mandat de l’ancien président.

Après un revers aux élections municipales en mai dernier, alors que le pays reste en ébullition, le régime de Piñera complètement acculé s'est finalement résolu à faire une concession de taille, espérant une sortie de crise : un référendum sur un changement de constitution est proposé.

Le 4 Juillet 2021, le pays mettait un terme à la constitution mise en place par l'ancien dictateur Augusto Pinochet, inchangée jusqu'à présent.

Représentée par 155 personnes, cette constituante paritaire garantissait aussi une place réservée et permanente aux minorités indigènes pour la première fois dans l'histoire du Chili. Très majoritairement composée de personnalités indépendantes aux idées de gauche avec des profils divers (professeurs, avocats, femmes au foyer, militants écologistes...). Aucun parti politique n'a obtenu le tiers nécessaire pour y siéger en tant que groupe parlementaire pour y opposer un véto. L'abstention y est assez importante, y compris dans le camp révolutionnaire. Cependant toute la base électorale des appareils politiques de droite comme de gauche s’étaient mobilisés et n’ont pas réussi à former un groupe.

La droite alliée à l’extrême droite n’a pas pu maintenir l’ancienne constitution libérale et les partis de gauche se retrouvent en minorité, face à une gauche indépendante globalement plus radicale et issue de la société civile.

Cinq mois plus tard, c'est finalement un ancien porte-parole des mouvements étudiants qui remporte la présidentielle à seulement 35 ans. Alors oui, ce n’est pas encore le municipalisme libertaire appliquée à l’échelle nationale, mais cela reste deux victoires consécutives de taille après deux ans de luttes.

Ce soulèvement a permis de mettre fin à la constitution en place depuis la dictature, de redonner une conscience politique massive y compris sur sa propre histoire liée à l’indigénisme, en particulier chez les jeunes. Il aura réussi à renverser le bipartisme incarné par la droite pinochiste faussement plus acceptable et le centre-gauche représentée notamment par Michelle Bachelet qui estimait en 2006 que le processus démocratique était terminé.

Néanmoins, sans relativiser la tournure historique du résultat de cette élection, il nous paraît très important de souligner que globalement, le camp révolutionnaire semble rester plutôt sceptique et ne se résigne probablement pas à se contenter de cette victoire par les urnes.

Si le sentiment de satisfaction est logiquement fort dans l'immédiat, c'est maintenant que tout commence. La gauche va être confrontée à ses propres limites en tant que réformiste et on se doute qu’elle devra faire des concessions dans le rapport de force qui l'oppose de fait au poids de la bourgeoisie et de l’impérialisme américain qui doit être inquiet de la situation.

De plus, la radicalisation de la droite qui a choisi un gouvernement ouvertement fasciste qui rappelle Bolsonaro et dont le score dépasse les 45% demeure inquiétante.

Dans tous les cas, la lutte paye. Espérons que ce processus révolutionnaire s'affirme sur la durée par tous les moyens possibles sur le sol chilien et continue d'inspirer le reste du monde.

Le Chili a été berceau du néolibéralisme, nous lui souhaitons d'en devenir le tombeau.


Boycott du referendum en Nouvelle Calédonie

Boycott général des indépendantistes en Kanaky : l’Élysée jubile, la participation au plus bas, tentative de décryptage à chaud

"Ce soir la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester » (Emmanuel Macron)

Beaucoup de médias français titrent sur une prétendue "écrasante victoire du non".
Il aurait été plus honnête de commencer par dire directement que ce référendum a été marqué par le boycott de l'ensemble du camp indépendantiste et que plus de la moitié du pays a refusé de prendre part au vote.

La Province Sud, où se concentre l'immense majorité des populations blanches (métropolitaines et caldoches) et qui détient l'ensemble des richesses a le plus fort taux de participation qui est de seulement 61%.
La participation dans la province Nord est de 16,6% et inférieure à 5% dans la province dite "des Îles".
Le taux de participation finale est de 43,9% contre plus de 85% lors du précédent référendum (2018) et 81% lors du premier scrutin de 2014. Le "Oui" à l'indépendance a progressé chaque année, et les moins de 25 ans représentent une part démographiquement très importante de la population Kanak, le report aurait mathématiquement été plus favorable au camp indépendantiste, y compris d'un point de vue démographique. Le "Non" l'avait emporté d'abord par 56% puis 53% avec quatre années d'écart entre ces deux dates.
.
Dans ces conditions, il paraît invraisemblable de jubiler même pour le camp loyaliste, d'autant que les conséquences sont au contraire plutôt inquiétantes, comme en témoigne Roch Wamytan, président indépendantiste du Congrès kanak, membre du FLNKS « On est revenu à la case départ. (...) Pour nous, ce n’est pas le troisième référendum. Nous considérons qu’en termes de légitimité juridique et politique, il n’y a que deux référendums, 2018 et 2020. Celui-là, c’est le référendum de l’État français et de ses soutiens en Nouvelle-Calédonie, pas le nôtre." (source France info). Qui se vanterait d’avoir gagné une partie par forfait ou sans équipe adverse ?

Pour autant, à l'exception de la France Insoumise, l'ensemble des forces politiques métropolitaines semblent se satisfaire de ce résultat du PS à l'extrême-droite en passant par Les Républicains.
Fidèle à sa ligne politique coloniale, Macron jubile et se félicite : « Ce soir, en tant que chef de l’Etat garant de nos institutions, je prends donc acte solennellement du résultat de ces trois scrutins » (...) " « La France est fière d’être votre patrie. Elle renouvelle ce soir pour vous son engagement à vous protéger, à vous accompagner, quelles que soient les circonstances. ».  Actuellement sur place, le ministre colonial Sébastien Le Cornu, surenchérit " Les Calédoniens ont fait le choix de la France par 3 fois. Librement et clairement. C’est une grande fierté. Cette décision nous oblige. »

"Nous aurons à construire une place pour la Nouvelle-Calédonie dans cette région de l’Indo-Pacifique en pleine recomposition et soumise à de fortes tensions ».

Emmanuel Macron rappelle ici que la Nouvelle Calédonie se situe stratégiquement dans le projet impérialiste français, elle fait partie d'un axe militaro-industriel océanique qui permet à la France de garder une place forte sur les océans indiens et pacifiques à travers l'Afrique de l'Est (Mayotte, Réunion, base militaire de Djibouti par exemple), le Moyen-Orient, l'Asie du Sud (partenariat avec l'ASEAN) jusqu'à l'Océanie. On dénombre plus de 7000 filiales d'entreprises françaises et 2 millions de ressortissants sur cet axe comprenant 7 collectivités territoriales dont la Kanaky. L'indopacifique est le nouveau centre de gravité de l'économie mondiale, 6 pays du G20 en font partie dont la France, l'Australie, l'Inde, Japon, la Chine et l'Indonésie.

Dans un de nos posts, nous revenions plus spécifiquement sur les inégalités en Kanaky et les conditions inacceptables dans lesquelles s'est déroulé le référendum (situation de crise sanitaire, couvre feux, confinements : lire "En Kanaky, les indépendantistes du FLNKS demandent le report du référendum" )
Dans un autre post, nous avions sélectionné une vidéo qui illustre la manière d'anticiper les suites de ce vote par la force : envoi de 2 hélicoptères, de 30 véhicules blindés et de nombreux militaires et policiers en renfort : 1400 gendarmes ainsi que des compagnies d'intervention spécialisées.

L'état français n'a jamais eu de considération à l'égard du peuple kanak, son autodétermination est freinée par les inégalités sociales mais aussi le rapport démographique voulu par l'état français lorsqu'elle y importe une main d'oeuvre issue de la métropole qu'elle favorise au détriment du développement universitaire et de l'emploi local, en particulier dans la fonction publique.

La tutelle économique vis à vis de l'exportation des produits par l'ancien colonisateur est un vrai scandale, comme partout dans les collectivités dites d'Outre mer. Les prix sont extrêmement élevés alors que les salaires ne suivent pas, le chômage y est très important en particulier pour les Kanaks et populations océaniennes, en plus du pillage économique des ressources comme le Nickel au détriment de l’écologie et de conditions de travail décentes sans avoir d’impact économique qui ruisselle autrement que par des boues toxiques qui contaminent les rivières et les sols.
Par ailleurs, devons aussi évoquer le Franc Pacifique, équivalent du Franc CFA (avec qui il partage sa date de création), utilisé en Polynésie, à Wallis et Futuna et en Kanaky. Arrimé à l'Euro, il n'est pas convertible en dehors de ses frontières, ce qui limite fortement ses échanges avec les pays voisins. L’Institut d'Émission d’Outre-Mer (IEOM) définit la politique monétaire de la Kanaky directement avec la banque de France, elle est composée de fonctionnaires d'État.

Cerveaux non disponibles a été interpellé sur ses positions favorables à l’indépendance, le plus souvent par des loyalistes, des "neutres" et des faux comptes liés à la fachosphère. Leur seul argument serait que l'Australie et la Chine profiteraient de l'indépendance au détriment de l'économie française, et que les kanaks ne seraient pas assez matures pour se gérer eux mêmes, donc que le néo-colonilaisme est un bien pour un mal.
Nous répondons à l'inverse que la tutelle a assez duré et que c'est aux Kanaks de décider de leur avenir et de le prendre en main, pas à la France et ses soutiens.


Fou le camp l'armée française

Revers pour l’impérialisme français au Burkina Faso

Depuis jeudi 18 Novembre, un convoi militaire de l'opération militaire Barkhane qui devait relier Niamey (Niger) à Gao (Mali) effectuant des liaisons régulières avec Abidjan (Côte d'Ivoire) est bloqué par des manifestants dans un camp militaire à une trentaine de kilomètre de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou.

Plusieurs fois dans le pays, des manifestations importantes ont eu lieu : des véhicules de l'armée essuient des jets de cailloux et les insultes fusent à l'encontre des militaires français, accusés d'aggraver la crise que subit le pays en proie à des troubles liés à la présence de groupes proches de Daesh et Al Qaïda depuis l'intervention française au Sahel.
Il faut rajouter à ça une situation sociale difficile, écrasée par le poids du rapport de domination Nord/Sud défavorable, imposé notamment par la présence française. Les militaires représentent le bras armée de l'ancien colonisateur aux yeux d'une partie de la population. Le convoi dont nous parlons est actuellement suspendu.

Sorti de 27 ans de dictature en 2014, après un soulèvement contre Blaise Compaoré soutenu par l'Elysée, qui avait fait assassiné le président panafricaniste Thomas Sankara (nous y reviendrons), le pays subit successivement un coup d'état et une période de troubles internes.
Pour essayer de comprendre comment le pays a pu basculer et se retrouver dans une telle situation de déstabilisation devenue hors de contrôle, nous devons interroger le rôle de la présence française.
La genèse de cette situation prend racine après la mort de Kadhafi et la destruction de la Libye.
L'un des arsenals parmi les plus puissants d'Afrique se retrouve dispatché dans les mains de plusieurs milices.
Parmi elles, se trouvent des groupes takfiristes : Daesh, Al Qaïda, Mujao, Ansar Dine (devenus Al-Mourabitoune puis GSIM), opérant progressivement un peu partout à travers le Sahel.

D'un épiphénomène cantonné surtout aux frontières de l'Algérie et du Niger, ces groupes gagneront du terrain d'abord depuis le Nord Mali où ils assiègent temporairement Gao et Toumboutkou (on se rappelle avec tristesse des destructions et de pillages des mausolées).
En représailles, la France décrète alors une intervention militaire de taille, d'abord au Mali (opération Serval) puis dans plusieurs pays, menant une coalition avec des alliés occidentaux ainsi que le G5-Sahel comprenant le Tchad, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso.
Cette opération nommée Barkhane, a pour vocation de freiner la progression des groupes liés à Al Qaïda et Daesh, mais le but est aussi et probablement surtout de protéger les intérêts français. Notamment les ressources pillées, à l'instar de l'uranium qu'exploite Aréva au Niger.

Depuis quelques années, l'effet tâche d'huile contamine le territoire burkinabé, pays jusque là épargné par ces groupes obscurs. L'opération militaire est pour le moment un échec total qui n'est pas sans rappeler la déblacle américaine en Afghanistan. Les groupes prétendus "islamistes" ont gagné du terrain au fil des années et perpétuent des massacres de civils : on évoque plus de 2000 morts et 1 million et demi de déplacés pour le seul Burkina Faso. Impossible aussi de faire l'impasse sur de nombreux crimes de guerre liés à l'occupation.
Au Mali voisin, l'intervention française a tué plus de civils que ces groupes liés à Al Qaida ou Daesh.

A cela, s'accumule une histoire douloureuse reproduite inlassablement par les gouvernements successifs à travers la Françafrique et ses mutations. Comme en témoigne l'attitude arrogante et d'un mépris incommensurable d'Emmanuel Macron lors de son intervention à l'université de Ouagadougou y compris lorsqu'il s'adresse au président du Burkina Faso : "il est parti changer la clim"'. Des étudiants qui manifestaient dans la capitale contre le président Macron avaient alors rebaptisé le boulevard du général De Gaulle "Avenue Sankara".

Le Burkina Faso est classé 151e pays le plus pauvre sur 190. L'or représente 11% du PIB et le coton représente 95 % des exports du pays. Le secteur tertiaire représente lui 50% du PIB bénéficiant du "boom" des services de communications et financiers. Le Burkina Faso est le 8ème client subsaharien de la France. Au 1er semestre 2020, les exportations françaises vers le Burkina Faso ont progressé de 17,3% à 158,9 M d'euros.

"Selon la Banque mondiale, près de 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté, l’espérance de vie à la naissance se situe autour de 60 ans et plus de 65% des personnes âgées de plus de quinze ans ne sont pas alphabétisées. Les inégalités de revenus sont aussi prégnantes, selon le PNUD, les 20% de la population les plus riches ont un revenu moyen 7 fois supérieur aux 20% les plus pauvres. Le Burkina Faso qui connait une situation sécuritaire dégradée depuis 2014 est également marqué par d’importants déplacements de populations, estimés à plus de 2,2 millions de personnes.  (...)
Dans l’ensemble, la présence française est estimée à une cinquantaine de filiales d’entreprises françaises (stricto sensu) et à une centaine d’entreprises burkinabè à intérêts capitalistiques et/ou management par des ressortissants français, présentes dans la plupart des secteurs de l’économie : l’agriculture (notamment le coton avec Geocoton ou encore Advens), le secteur agroalimentaire (brasserie Castel dans Brakina, huilerie SN-CITEC de Geocoton), l’industrie de la transformation, le BTP (Vinci/Sogea-Satom), la logistique et les transports (Air France, Groupe Bolloré), le commerce, la distribution (Total) et les services bancaires (Société Générale) et assurances (Sunu ex-Allianz).
La dernière implantation significative est celle du groupe Orange en 2017, suite au rachat des actifs d’Airtel Burkina, qui représente un investissement de l’ordre de 100 Mds FCFA (150 M EUR). Par ailleurs, une cinquantaine d’entrepreneurs français seraient établis dans les secteurs de l’hôtellerie-tourisme sur l’ensemble du territoire. (source ministère de l'économie et des finances)

Pour conclure et lier le rejet de la population burkinabaise à l'histoire du néo-colonialisme français, il paraît impensable de ne pas évoquer le destin brisé d'un pays qui aurait du servir d'exemple pour l'ensemble du sud Global à travers le parcours de Thomas Sankara, celui qui disait « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous ». La haute volta devient  "Pays des hommes intègres" en 1984, après la prise du pouvoir par le Capitaine Thomas Sankara. A cette époque le pays est l'un des plus pauvres du monde.
Thomas Sankara est considéré par les révolutionnaires du monde entier comme un symbole de la résistance envers l'impérialisme aussi important que le Che. Entre 1984 et 1987, Il mettra en application des réformes politico-sociales d'envergure (démocratie participative, vaccination, réformes agraires, alphabétisation, interdiction des mariages forcées, économie localiste...) et aussi écologique.
La malnutrition disparaît temporairement et des progrès spectaculaires sont réalisés dans tous les domaines. En plus de refuser l'occidentalisation, le concept de développement au sens libéral, il affirme une identité panafricaine et marxisante avec humilité et fermeté. Son discours sur la dette face au conseil des Nations Unies, et le refus de la mendicité des ONG auprès de la charité impérialiste raisonnent encore et trouvent écho auprès de toute une génération qui affirme son héritage.

Aujourd'hui, celle-ci semble prête à vouloir devenir actrice de son futur, prendre son destin en mains, et ne semble pas prête à courber l'échine, nous la soutenons.

L'impérialisme à bas :  nous vaincrons !


Témoignage : l'État réprime des familles à la rue

Étudiant en sciences humaines, je suis bénévole chez Utopia 56 Paris depuis un an maintenant. L’association vient en aide de manière inconditionnelle aux personnes à la rue, majoritairement exilées, et gère surtout des situations d’urgence. Fin 2020, je consacrais mes deux premiers billets pour raconter 31h et 32h dans ma vie militante, à propos de la violence institutionnalisée de l’État et par extension de la police à l’égard des personnes sans domicile fixe et exilées notamment. En région parisienne, elles sont des milliers chaque année à subir les conséquences de ces politiques anti-immigration agressives, exclusives et férocement décomplexées.

Il y a un peu plus de deux semaines, le jeudi 28 octobre 2021 s’est tenue sur la place de l’Hôtel de Ville à Paris une action revendicative réclamant aux pouvoirs publics des hébergements pour des familles et mineurs à la rue. Environ 250 personnes exilées étaient présentes sur place pour demander à l’État de respecter la loi, car l’accès à un hébergement pour tou·tes est une obligation légale. Cette action a été violemment réprimée par la police.

J’ai été témoin direct de scènes plus qu’alarmantes. Rien n’a changé depuis l’année dernière. Ou alors cela s’est empiré. Triste et révoltante nécessité, je ne me vois pas ne pas à nouveau témoigner des faits profondément choquants dont j’ai été témoin, et parfois victime.

VOICI MON TÉMOIGNAGE.

◼️10h.

L’action est prévue aux alentours de midi. Je retrouve une partie des familles et des bénévoles à un des différents points de rendez-vous qui ont été donnés. Au moment où j’arrive, une mère épuisée par la nuit passée part prendre un café pour se réchauffer et se préparer pour la journée qui nécessitera beaucoup d’énergie. Elle nous confie son bébé assis sagement dans sa poussette. Paniqué au bout de trente secondes par l’absence de sa mère, l’enfant se met à pleurer. Même après être passé dans les bras de plusieurs mères et bénévoles, inconsolable, ses larmes ne s’arrêteront pas de couler avant que sa mère ne revienne, une dizaine de minutes plus tard.

Le soleil du matin éclaire faiblement les silhouettes, il fait froid. Une femme m’explique en pointant du doigt son mari, assis sur un banc et emmitouflé dans sa doudoune, qu’il est très malade et qu’il ne dort pas de la nuit. Elle s’inquiète beaucoup pour lui. En France, l’accès aux soins pour les personnes exilées est rendu très compliqué. Avant tout, elles ne sont pas toutes au courant qu’elles y ont droit, ou n’y vont pas par peur d’être arrêtées par la police. Surtout, les suivis médicaux de qualité sont très difficiles (voire impossibles) à mettre en place tant les moyens alloués à cet effet sont insuffisants.

◼️11h.

Nous partons du point de rendez-vous pour prendre le bus. Nous expliquons avec une amie à un père de famille qu’il est très risqué pour lui de prendre part à l’action en vue de son statut administratif (procédure Dublin). Il risquerait d’être intercepté par la police et d’être expulsé hors de France. Il fait donc le choix de ne pas participer, quittant ainsi sa femme et ses enfants. Elle/eux peuvent espérer obtenir une mise à l’abri si l’action réussit.

Une fois arrivé.e.s devant l’abribus, le père s’en va brusquement en tournant le dos au groupe et part à gauche au coin de rue. Nous le perdons de vue rapidement. Cinq minutes plus tard, le bus arrive. Le groupe composé d’enfants, de pères, de mères dont certaines enceintes, monte à l’intérieur.

◼️11h45.

Nous descendons du bus et nous rendons sur le lieu en question. Dans la minute, nous apprenons que le lieu originel de l’action est impossible d’accès. L’information a fuité : alors que le lieu était tenu secret, la police a appris où l'action devait se tenir. De nombreux groupes sont suivis par des policier.e.s infiltré.e.s (des renseignements généraux). Des familles sont bloquées par la police à Stalingrad. Des camions de CRS circulent dans le nord-est parisien pour l’occasion.

Tout semble déjà savamment mis en place pour empêcher à tout prix des familles et mineurs vivant à la rue d’obtenir un toit pour l’hiver. Après avoir discuté de la situation avec les familles, nous nous répartissons en petits groupes autour d’un carrefour dans le 11e arrondissement. Nous proposons aux familles de patienter et d’attendre un peu de temps dans la rue avant de nous diriger vers un nouveau lieu. L’attente et le harcèlement policier sont des situations discriminantes qui se reproduisent quotidiennement pour les personnes exilées.

◼️12h30.

Je discute avec François*, parent avec sa femme Isabelle d’une famille de quatre enfants, le plus petit encore bébé. Il m’explique à quel point leur vie est difficile. Il y a quelques années de cela, il fuyait la Côte d’Ivoire en espérant pouvoir reconstruire sa vie en France. Aujourd’hui, après avoir trimé pour obtenir un titre de séjour, il subit encore et toujours le mépris des autorités françaises. Ce mépris se répercute sur sa famille : ces derniers mois, ils/elles ont enchaîné galères sur galères, jusqu’à ce qu’ils/elles se fassent expulser de leur logement. Maintenant, ils/elles sont SDF. Pourtant, François a obtenu un CDD dans une boîte d’intérim récemment, mais il ne peut pas laisser sa femme seule s’occuper des quatre enfants, encore très jeunes. Il n’a d’autre choix que de mettre de côté son travail pour l’instant. Il ressent une tristesse et une désillusion profondes. Pourtant, il/elle font preuve d’une féroce détermination, plus qu’inspirante, à l’image de l’association qu’il/elle ont créé il y a peu de temps. Elle a pour objectif d’envoyer des jouets aux enfants précaires en Côte d’Ivoire.

Cette discussion réveille en moi une fervente colère envers ces politiques étatiques qui rendent la vie des personnes exilées impossible, même pour celles qui parviennent à obtenir un statut administratif « stable » ; et elles sont rares.

◼️13h.

Nous apprenons le nouveau lieu où doit se tenir l’action : ce sera sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris.

Une fois des bouteilles d’eau distribuées au groupe, nous empruntons le métro en direction du lieu dit. Les poussettes sont nombreuses à rouler sur le bitume des tunnels piétons du métro. Les changements de lignes sont éprouvants pour les familles. Chaque escalier est un calvaire en plus, il faut porter ensemble les poussettes une à une. Nous attendons à plusieurs reprises une mère enceinte qui reprend sous souffle, épuisée.

◼️13h30.

Nous sortons enfin des méandres métropolitains. Je discute avec une mère, ses deux enfants lui tiennent la main. Comme elle est encore assurée d’avoir un hébergement d’urgence pour encore trois jours, si elle est contrôlée par les services administratifs sur le lieu de l’action, elle pourrait se voir retirer la garde de ses enfants. Elle serait en effet considérée comme une mère maltraitante pour avoir remis à la rue ses enfants alors qu’ils/elle ont accès à un logement. Depuis ce matin, nous essayons de lui faire prendre conscience du risque qu’elle encourt. Elle a beaucoup de mal à comprendre, moi aussi d’ailleurs. Comment peut-on infliger cela à une mère en détresse, qui sait pertinemment la difficulté que représente l’obtention d’un logement et le temps que cela peut prendre ? Elle souhaite simplement offrir une vie décente à ses enfants, mais l’administration française ne veut pas l’accepter. Livide, elle est contrainte à cause de ce fonctionnement de reprendre le métro avec ses enfants. Elle retourne donc dans leur hébergement temporaire du 115 (Samu social) à 1h30 de l’école où ses enfants sont scolarisés. François l’aide à descendre la poussette.

◼️13h35.

Nous ne sommes pas encore arrivé.e.s sur le lieu de l’action lorsqu’elle commence. En présence de quelques journalistes, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, soutiens, familles à la rue et mineurs isolés déplient des tentes en nombre. Un campement spontané se dresse pour exiger des logements pour l’hiver aux familles et mineurs participants à l’action. Nous pressons le pas, je prends la poussette d’une mère enceinte pour faciliter son avancée. Il faut arriver avant que la police ne bloque tout accès à la place.

◼️13h40.

Lorsque nous arrivons, deux rangées d’une dizaine de camions de CRS chacune sont garées en face de la place. Des CRS encerclent le campement. Par chance, nous parvenons à entrer à l’intérieur. L’ambiance est très tendue, les forces de l’ordre ont réagi violemment très rapidement. Dès la première tente dépliée, elles sont intervenues. Elles raflent les tentes du campement, puis les entassent sur un côté du parvis, solidement gardées par des policier.e.s. Peu importe que des personnes se trouvent à l’intérieur des habitats de toile : une policière en tire et en soulève un froidement, sans se soucier de la femme qui l’occupe, contrainte d’en sortir brutalement. D’autres de ses collègues l’imitent. Une amie est sauvagement jetée à terre par un agent de police alors qu’elle tentait de l’empêcher de saisir une tente. Nous apprenons qu’un soutien s’est fait embarquer sèchement par les CRS après s’être interposé devant une scène semblable, cinq minutes seulement après que l’action ait débuté. Des personnes crient sous la pression virulente de nos prétendu.e.s gardien.ne.s de la paix. La police est là pour intimider, pour apeurer, pour traumatiser.

Je me trouve auprès des familles que j’ai accompagné au lieu de l’action et nous assistons à ces scènes. François se tient à côté de sa famille et m’interpelle. Il est scandalisé et se sent impuissant. Sans savoir où vraiment poser son regard, essuyant vivement les larmes naissantes dans ses yeux, il me dit ce qu’il ressent : un dégoût profond envers ces policier.e.s, un désir sincère d’être accepté tel qu’il est et de pouvoir enfin, avec sa femme, offrir une vie tranquille à sa famille. Sa détermination et sa rage de vivre me bouleversent, je ne sais quoi faire d’autre que de l’écouter avec la plus grande attention. Ce moment est d’une puissance sans nom. Par respect, je ne me laisse pas submerger par les émotions, et dépose ma main contre son dos en guise de soutien. Soutien forcément insuffisant compte tenu des souffrances qu’il a accumulées depuis de nombreuses années. Je me sens totalement impuissant.

La honte. Jamais nous n’aurions pu imaginer que la Préfecture de Police puisse se comporter ouvertement ainsi à l’égard de familles et de mineurs vulnérables. La honte. Ce mot tourne en boucle dans ma tête. La honte. La police, impunie, agit en roue libre totale. L’État français brise des vies.

◼️14h15.

La police se replie légèrement et marque un temps de pause, fière du succès de sa première opération : une grande partie des tentes ont déjà été saisies, entassées et désormais bien gardées. Nous sommes maintenant nassé.e.s, encerclé.e.s par les forces de l’ordre : plus personne ne peut entrer, mais n’importe qui peut sortir. Pour les personnes exilées, sortir signifie abandonner la possibilité de pouvoir dormir au chaud ce soir, et pendant l’hiver. Pour les bénévoles et militant.e.s, sortir signifie se soumettre une nouvelle fois à la politique de non-accueil de l’État et laisser tomber les personnes qu’elles/ils se sont engagé.e.s à soutenir. Aucun individu ne souhaite sortir, donc.

Sur la place, des gens s’agglutinent autour du rassemblement et observent la scène. Ils/elles se mélangent aux personnes exilées qui n’ont pas pu arriver à temps sur le lieu de l’action, ou qui ont décidé sous la pression de sortir de la nasse. En effet, un certain nombre de personnes, notamment des mineurs isolés, ont préféré abandonner l’idée d’obtenir un logement, angoissées et apeurées par la violence de l’organe répressif de l’État.

L’atmosphère est très tendue, personne ne s’attendait à ce que les agents en bleu soient aussi violent.e.s. Le silence criant qui se répand sur le parvis est significatif de l’état de choc et de stupéfaction dans lequel nous sommes. A cet instant, une seule personne a la force et la rage suffisantes pour exhaler son ahurissement et sa colère. Debout et au bord des larmes, François invective les femmes et hommes en bleu qui nous encerclent. Forte et tremblante, sa voix résonne et brise le silence. Ses trois enfants sont assis juste derrière lui, à l’intérieur d’une des tentes encore restantes. Leurs six yeux écarquillés suivent intensément leur père du regard. Ses mots sont lourds et sensés, puissants et assumés. Il exprime tout le mépris et la colère qu’il ressent à l’égard de l’État français et de sa police qui rejettent violemment sa communauté, comme il dit, elles, personnes exilées et ultra-vulnérables.

Entouré de dizaines de ses subalternes qui nous encerclent, un gradé empoigne un microphone. Première, deuxième et troisième sommations. Ils/elles vont faire usage de la force si nous ne daignons pas partir et rentrer chez nous, car notre manifestation est illégale. Chez nous ? La majorité des personnes présentes dorment à la rue et sont justement là pour réclamer un chez soi. Ses propos sont absurdes, d’une indécence sans nom. En fin de journée, une amie me racontera qu’à ce moment, sous la pression, un père de famille s’est taillé les veines. Sa femme était en panique. Ils/elles ont été sorti.e.s du rassemblement.

Suite à ces annonces, François se retourne, dos aux forces de l’ordre. Il encourage ardemment les quelques 180 personnes encore présentes à tenir tête, jusqu’à ce que nos revendications soient entendues. Son intervention est saisissante ; elle me remotive.

◼️14h30.

Les CRS commencent à intervenir et s’immiscent au milieu du camp en file indienne et le scindent en deux. Nous sommes sur le qui-vive, la tension est à son comble. Les soutiens tentent de constituer une chaîne humaine, fragile, entre le camp et la police. Un bénévole se fait prendre par le bras par deux policiers qui le sortent hargneusement de la nasse. Il semble que les forces de l’ordre aient pour objectif d’expulser un à un les soutiens avant les personnes exilées. Nous avons le réflexe de nous asseoir afin de rendre plus difficile à la police de nous éjecter.

Assis juste devant des familles et quelques tentes avec un bénévole, Alexis, nous nous serrons les coudes. Une petite dizaine de CRS se dirige vers nous. Ils nous demandent de nous lever. Nous refusons. Ils réitèrent leur demande. Nous la rejetons à nouveau. Très vite, ils s’avancent vers nous et empoignent énergiquement avec leurs gants coqués nos bras et nos jambes.

Nous sommes rapidement séparés. Trois CRS me soulèvent et me portent. Mon sac traine au sol. Mon téléphone tombe par terre. Celui qui me tient les bras avance que je suis trop lourd et me lâche les poignets la seconde suivante. Je me retrouve soudainement vulgairement traîné au sol en toute illégalité par ses deux collègues, indifférents, qui me tirent par les chevilles en direction de l’entrée de métro la plus proche. Cela me vaudra plusieurs écorchures au dos et aux bras. Cinq mètres plus loin, le même policier me reprend les poignets pour me soulever à nouveau. Arrivé devant l’entrée de métro, ils me menacent de me jeter dans les escaliers si je ne daigne pas me lever. Même si j’accepte de me lever, cela n’empêche pas l’un d’eux de me pousser droit vers les escaliers. Je manque de tomber. Alexis a lui aussi été emmené de force au même endroit. Trois policiers restent devant les escaliers pour nous empêcher de revenir sur le lieu de l’action. Nous refusons de partir malgré leur insistance.

A peine levé et un peu sonné, j’entends à quelques dizaines de mètres plusieurs cris venant du rassemblement. Alors que nous en avons été évincés, les policie.re.s entrent en confrontation : ils/elles font des percées dans le campement pour secouer, récupérer des tentes, pour attraper de manière arbitraire de nombreuses personnes et les extraire de la nasse. Ces interventions produisent systématiquement une montée en pression et frappent les esprits. Plusieurs personnes sont blessées. Lors d’une percée, des policiers attrapent vigoureusement une femme exilée atteinte d’un handicap moteur. Une amie me racontera que, dès que la mère a vu les hommes en bleu s’avancer vers elle, elle a poussé par réflexe sa fille pour la protéger et l’écarter du danger. Sa fille a vu sa mère se faire agresser à deux mètres d’elle. D’après beaucoup de soutiens, ses pleurs et ses cris furent terrifiants. Les policiers finirent par relâcher la femme et poursuivirent mécaniquement leur intervention. Dans la cohue, une autre amie me rapportera qu’un policier s’était emparé du portefeuille d’un homme exilé. Cet agent finit finalement par rendre le portefeuille à son propriétaire lorsqu’il se rendit compte qu’il avait été pris en flagrant délit par la caméra de mon amie.

Les cas de violences physiques et psychologiques ne font que s’accumuler par dizaines depuis ce matin. Que nous en soyons victimes ou spectateur.rice.s, nous sommes injustement impuissant.e.s face à ces scènes abjectes. Nous ne pouvons que compter sur les nombreuses caméras de bénévoles et celles de quelques journalistes qui saisissent sur le vif ces images. C’est tout ce qui semble nous rester.

◼️15h.

Peu de temps après, d’autres agents de police ramènent un mineur isolé à la bouche de métro où nous sommes toujours bloqués avec Alexis. Ils lui ont enlevé sont haut pour faciliter le fait de le porter. Celui-ci se retrouve torse nu, humilié pour avoir tenté calmement d’entrer au sein de la nasse et espérer une mise à l’abri. Arrivés devant l’entrée du métro, les CRS nous le jettent sèchement dessus, acte qui manque de nous faire tomber tous les trois dans les escaliers. Furieux, nous les invectivons. Le jeune, anglophone, est particulièrement remonté contre les policiers : il les insulte vigoureusement, laissant sa colère s’exprimer. Les policiers tentent de le faire taire, l’un d’eux déclare : « On est en France ici ! On parle Français ! Ok ? ». Ils finissent par nous demander éhontément de le faire taire.

Alors que l’on nous retient dans les escaliers de l’entrée de la bouche de métro, ma tête se trouve à la même hauteur que le sol du parvis. J’observe à travers les grilles de l’escalier les jambes des passant.e.s empruntant chacun.e des trajet différents. Certaines jambes passent leur chemin, d’autres s’arrêtent devant la scène, puis repartent. D’autres interrompent leur trajet ; les jambes s’immobilisent. Je lève la tête. Accompagnée de deux jeunes enfants, une femme nous dépose un regard bienveillant puis tourne la tête vers les policiers et se met à les interpeller. Cernés par les critiques exprimées par de nombreuses bouches qui les entourent, les trois agents de police peinent à rester de marbre. Ils sont déstabilisés mais font mine de ne pas l’être. Accoudée à la barrière juste au-dessus de moi, la femme me propose avec un sourire complice une cigarette que j’accepte volontiers. Son attitude confère un soutien rassurant et éloquent.

Un député de Seine Saint Denis, Eric Coquerel, vient à peine d’arriver. Il nous adresse un mot de soutien, appuyé sur la rambarde de la barrière de la bouche de métro. Il se dirige par la suite vers le rassemblement rejoindre le peu d’élu.e.s présent.e.s sur place pour tenter de raisonner le commissaire chargé de l’opération de répression. Cela ne changera malheureusement pas grand-chose. D’autres soutiens sont amené.e.s dans l’escalier métropolitain, une femme et un homme exilé.e.s y sont aussi dirigé.e.s sous les ordres des policiers. Alors que nous sommes maintenant nombreux.ses à y être entassé.e.s, l’un d’eux nous ordonne de faire attention car elle est enceinte. Quel cynisme.

Depuis le début de l’action, beaucoup de femmes enceintes ont été violentées par ses collègues. Plusieurs d’entre elles ont fait des crises de panique du fait de l’atmosphère ultra anxiogène créée de toute pièce par les forces de l’ordre. Deux ont fait un malaise et ont dû être évacuées, prises en charge par les secours. En tant que témoin de plusieurs scènes affligeantes, une amie me rapportera d’ailleurs que les propos déplacés tenus par ce policier devant l’escalier n’étaient pas un cas à part. Lors de leurs interventions, un CRS a demandé à ses collègues de ne pas toucher aux femmes enceintes ; en guise de réponse, un autre lui a ri au nez en levant les yeux au ciel. Un autre a scandé en riant à un de ses collègues en regardant les femmes exilées : « Qu’est-ce qu’elles pondent celles-là ! ».

◼️15h30.

Sachant que la station de métro Hôtel de Ville comporte plusieurs accès, nous décidons d’emprunter un.e à un.e ou en petits groupes le tunnel souterrain pour prendre un autre escalier et nous libérer enfin du blocage policier pour rejoindre à l’extérieur le rassemblement. Lorsque je descends à mon tour dans le tunnel, vide, j’entends derrière moi le cris puissant d’une bénévole en pleure ; il résonne dans tout le souterrain. Elle arbore un énorme bleu sur la pommette. Elle court se réfugier dans la rame de métro. Elle reviendra quelques minutes plus tard à l’extérieur, le visage fermé.

Dehors, pratiquement l’entièreté des soutiens a été évincée du rassemblement. En face de l’Hôtel de Ville, nous sommes une quarantaine réuni.e.s en bloc devant les forces de l’ordre qui encerclent le rassemblement, composé d’une grosse centaine de personnes exilées et d’une dizaine de bénévoles affichant une détermination certaine. On peut apercevoir encore quelques tentes qui ont échappées aux mains des CRS, sous lesquelles des enfants s’abritent. A l’extérieur de la nasse, nous discutons entre bénévoles : nous sommes sidéré.e.s, outré.e.s par ce qu’il se passe.

Sur notre droite, nous apercevons des policer.e.s suréquipé.e.s se diriger de manière flegmatique vers le rassemblement. Cagoulé.e.s et revêtant des casques intégrales, les BRAV-M (Brigades de Répression de l’Action Violente Motocycliste) ont été mobilisées par la Préfecture de Police. Les BRAV-M sont les brigades créées en mars 2019 par Didier Lallement, alors fraîchement nommé préfet de Paris, afin de réprimer le mouvement des Gilets Jaunes (et les années suivantes contre les mobilisations opposées à la réforme des retraites, la loi de Sécurité globale et à la réforme du chômage). Ces brigades motorisées sont très largement critiquées : elles sont là pour surprendre, pour faire peur, pour réprimer la contestation. Qualifiées par beaucoup d’ultra-violentes, elles rappellent pour maintes personnes les pelotons de « voltigeurs » des années 1980 à l’origine de la mort de Malik Oussekine en 1986 (qui furent dissous suite à cette affaire).

Pour la majorité des membres de la brigade, leur RIO (Référentiel d’Identité et de l'Organisation) est illisible ou absent de leur équipement, ce qui est illégal. Ce matricule permet de les identifier individuellement : le fait de ne pas le porter ou de le rendre illisible leur permet d’être beaucoup plus difficilement reconnaissable, et donc d’éviter d’être identifié.e si une enquête pour violences policières est ouverte. L’un d’entre eux/elles a même osé rayer vulgairement au feutre noir les deux tiers de son matricule. Le sentiment d’impunité est total.

Nous sommes indigné.e.s, apeuré.e.s et révolté.e.s de les voir poser pied à terre et se diriger vers les personnes nassées. La préfecture de Paris a fait le choix de les faire intervenir sur place pour réprimer une action pacifique, composé d’individus ultra-vulnérables et non violents. Certain.e.s d’entre eux/elles remplacent une partie des CRS près du rassemblement. D’autres s’arrêtent près de nous.

◼️15h40.

Un gros camion de CRS avance vers la place et s’arrête juste devant le tas de tentes précieusement gardé par les BRAV-M. Des CRS ouvrent les portes du véhicule, vide. D’autres commencent à s’activer en empoignant les tentes une à une puis en les chargeant dans le camion. Le matériel de survie est stocké au fur et à mesure dans le camion, de manière assez désordonnée. Les tentes ‘’3 secondes’’ sont en effet difficiles à plier… Cette scène nous rappelle exactement celle qui s’était déroulée le 24 novembre 2020 où l’installation d’un camp d’hommes exilés sur la place de la République à Paris avait été lourdement réprimée. La police avait là aussi saisie les tentes, appartenant pourtant aux SDF. Une plainte collective encore en cours avait été déposée notamment pour "vol en bande organisée" contre les préfets de police de Paris, de Seine-Saint-Denis et d’Île-de-France (1).

L’État est plus rapide à mobiliser un véhicule pour transporter des tentes plutôt que pour transporter des familles et mineurs à la rue vers un lieu de mise à l’abri. Non seulement il les violente mais il leur confisque en plus leur matériel de survie. Comment peut-on ne pas avoir honte d’effectuer ce genre de mission ? Avec d’autres soutiens, c’est la question que nous posons aux agents sur place. Aucun d’entre eux/elles ne semble prêter attention à ce que nous leur disons.

Les CRS nous ordonnent de reculer et de passer de l’autre côté de la rue afin de toujours plus nous écarter des personnes encerclées, qui peuvent encore espérer une mise à l’abri. Ils interviennent en même temps à l’intérieur de la nasse pour récupérer des tentes et expulser certains individus. Une femme exilée est évincée du rassemblement et ramenée vers nous. Elle explique paniquée aux CRS qu’elle veut retrouver sa fille qui est toute seule à l’intérieur de la nasse. Ils refusent. Témoins de cette nouvelle scène abjecte, nous appuyons sa demande avec d’autres soutiens. Malgré un léger instant de flottement, les policier.e.s refusent à nouveau froidement. Ils sont en train de provoquer en direct de lourds traumatismes, en pleine état de conscience.

Suite à cela, un CRS me fixe d’un regard noir. Il défend le fait que c’est ainsi que cela doit se passer. Je lui tiens tête. Il n’aime pas ça, et me répond sèchement mots pour mots qu’il a « hâte de me fumer ». Bien qu’ils/elles se trouvent à côté de lui, ses collègues ne bougent pas d’un iota, se rendant de fait complices de sa menace outrancière.

Nous nous retrouvons maintenant à une soixantaine de mètres du rassemblement. De loin, nous distinguons difficilement les dizaines de silhouettes cachées pour la plupart par les corps alignés des policier.e.s. D’un seul coup, malgré la violence de ces dernières heures, les personnes exilées nassées scandent haut et fort des messages de soutien et d’encouragement dans note direction. Elles chantent aussi ensemble leur souhait d’obtenir des maisons. Cela redonne de la force, et nous leur renvoyons les encouragements en prononçant fièrement notre solidarité avec les personnes exilées.

◼️16h.

Les forces de l’ordre finissent de boucler le secteur autour du parvis de l’Hôtel de Ville. Tous les soutiens sont éloignés du rassemblement, tout comme les quelques journalistes présent.e.s sur place. Indépendant.e.s ou pas, les CRS les mettent à l’écart : c’est par exemple le cas de Rémy Buisine, journaliste chez Brut, ou encore de NnoMan, photoreporter.

Cela fait désormais plusieurs heures que l’action dure, aucune personne encerclée n’a pu sortir de la nasse. Interdites de sortir de la nasse, des personnes sont contraintes d’uriner dans des bouteilles en plastiques vide. Des enfants se font réprimander par un CRS car ils jouent au football. A nouveau, une femme enceinte fait un malaise. L’attente, toujours l’attente. Et le harcèlement policier qui n’en finit pas, humiliant et traumatisant.

Il ne reste plus qu’un îlot composé d’une grosse centaine de personnes au milieu de la place vide, défendue par des rangées de policier.e.s qui y bloquent l’accès. D’autres CRS persistent à nasser le groupe au milieu de la place. Technique de maintien de l’ordre très largement utilisée depuis le mouvement des Gilets Jaunes, la nasse a pourtant été interdite en juin dernier par le Conseil d’Etat. D’après le communiqué de cet organe étatique, elle porte notamment « atteinte à la liberté d’aller et venir » et « rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances » (2). Seulement, Didier Lallement laisse faire volontairement, et nos gouvernant.e.s ferment consciemment les yeux. Cela amène donc à des situations comme celle qui se déroule depuis ce début d’après-midi : des nourrissons, bébés, enfants, hommes et femmes vulnérables victimes de violences psychologiques et physiques par l’Etat via la police.

Familles, mineurs isolés et soutiens, nous sommes une centaine posté.e.s sur le trottoir rue de Rivoli à quelques dizaines de mètres du rassemblement, retenu.e.s par la police. Les familles et les mineurs avec nous ne peuvent pas espérer une mise à l’abris par l’Etat ce soir, seules celles nassées ont ce droit. A côté de moi, quatre enfants âgés de 5 à 8 ans jouent à la balle devant un policier tout en observant le rassemblement. L’un d’entre eux reconnaît au loin deux camarades de jeux dans la nasse, qu’il avait l’habitude de voir aux maraudes d’Utopia 56. Il lance un regard envieux à ses camarades et dit aux trois autres enfants à côté de lui : « Ils ont trop de la chance ! J’aimerais trop pouvoir avoir une maison moi aussi ! ». Ses copains acquiescent ses propos avec enthousiasme, puis ils se remettent à jouer, sous les yeux du jeune CRS.

◼️16h30.

Comme beaucoup de personnes encerclées n’ont pas pu manger ni s’hydrater aujourd’hui, nous décidons avec des ami.e.s d’aller acheter des biscuits et des bouteilles d’eau afin de les leur distribuer. Quelques minutes plus tard, nous revenons avec un caddie de supérette rempli et nous nous arrêtons devant la rangée de CRS. Ils refusent de nous laisser passer. Leur gradé, intrigué par la scène, intervient. Il finit par accepter qu’une seule personne ramène le cadi au centre de la place. Je suis désigné pour y aller. Jamais nous n’aurions pensé que nous devrions négocier pour distribuer de l’eau et des gâteaux. Je traverse le no man’s land en poussant le caddie jusqu’au rassemblement. En m’apercevant arriver, les personnes exilées se lèvent, crient de joie et entonnent des slogans. Je lève le point en l’air, mais je me sens profondément mal à l’aise. Comment est-il possible que l’on acclame la venue de ce caddie alors que j’amène simplement des bouteilles d’eau et des biscuits ? Cette scène en dit long sur les innombrables privations matérielles dont les personnes exilées sont victimes. Préméditée, violente et systémique, la politique de non-accueil les empêche d’accéder à une existence digne.

Les vivres leur sont distribuées. Les enfants s’agglutinent autour du caddie pour demander une madeleine et une bouteille d’eau. Une fois le caddie vidé, je ramène le caddie et retrouve mes ami.e.s qui observaient la scène depuis la rue de Rivoli.

◼️17h.

Les cars doivent bientôt arriver et prendre en charge l'ensemble des personnes exilées retenues par les CRS au centre de la place depuis des heures. Les familles et les mineurs se lèvent pour constituer une file d’attente. Elle s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Familles et mineurs devront attendre deux heures dans cette position avant de pouvoir monter dans les cars.

◼️19h30.

Après des heures d’attentes, les 126 personnes rassemblées jusqu’au bout s’installent enfin dans des cars. Elles seront emmenées dans la soirée dans un gymnase réquisitionné à l’occasion par la mairie de Paris pour les loger en attendant une solution pérenne d’hébergement. Pendant ce temps, la maraude du soir de mise à l’abri des familles et des mineurs isolés d’Utopia 56 s’organise de l’autre côté de la place, gérée par des bénévoles qui viennent d’arriver. Sur le trottoir, une grosse centaine de personnes à la rue est présente et réclame de l’aide. En effet, seulement la moitié des personnes ayant participé à l’action bénéficie ce soir d’une mise à l’abri.

La fracture entre les personnes exilées assises dans les cars et celles réunies dehors dans le froid sous la lumière blafarde des lampadaires est profondément déstabilisante et déroutante. Ce soir, ces personnes à la rue dormiront soit sous tentes, soit dans un des hébergements du réseaux solidaires d’Utopia 56.

◼️19h30.

Lorsque les cars partent, les policier.e.s lèvent leur dispositif. De nouveau accessible, la place redevient soudainement un lieu de passage emprunté par des dizaines de personnes à la minute. Nous retrouvons des ami.e.s qui ont passé toute l’après-midi nassé.e.s. Nous prenons le temps d’échanger au sujet de ce qu’il s’est passé aujourd’hui avant dans rentrer chacun.e chez nous, choqué.e.s et épuisé.e.s.

Je ne me voyais pas ne pas témoigner tant ce dont j’ai été témoin me semble alarmant. Alors que nous subissions le climat politico-médiatique plus qu’inquiétant, donnons-nous la possibilité de revendiquer et de défendre la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

Pour beaucoup de soutiens, beaucoup de scènes lors de cette action étaient similaires à la très dure répression policière qui s’était tenue en fin novembre 2020 contre l’installation d’un campement spontanée, sur la place de la République à Paris. C’était il y a un an. Politiquement, rien ne semble changer, si cela ne s’est pas empiré. Cette journée et la façon dont les pouvoirs publics ont géré la situation est représentative et symptomatique de la période dans laquelle nous vivons actuellement.

Ces actes de violence déshumanisants ne sont pas des cas isolés. Ils répondent à une stratégie politique de harcèlement en France et jusqu’aux frontières de l’Europe qui vise à briser la vie des personnes exilées, à les dissuader de se penser comme des êtres égaux/égales en droit avec le reste de la population. Ces stratégies politiques rejettent en bloc de manière décomplexée les droits fondamentaux des personnes exilées et les accords internationaux que la France a pourtant signé en ce sens (Droits de l’Homme, de l’Enfant et Droit d’Asile).

Depuis jeudi 28 octobre et la mise à l’abri des 126 personnes, l’association Utopia 56 accueille quotidiennement une cinquantaine de famille à la rue. Chaque soir, une dizaine de familles et plusieurs dizaines de mineurs isolés accompagné.e.s par Utopia 56 sont contraint.e.s de dormir dehors, dans nos rues. Le réseau d’hébergement citoyen de l’association ne permet pas de loger à la nuitée toutes les personnes vulnérables. Le 115 ne répond pas aux demandes constantes des familles car les Centres d’Hébergement d’Urgence sont saturés.

A l’heure où l’on peut se demander librement sur une chaîne d’information en continu sans trop se faire de soucis si il faudrait « tirer sur les migrants » (3) ou bien « les laisser crever dans le froid » (4) ; à l’heure où notre Président ignore la grève de la faim de militant.e.s à Calais (5), affirmant de manière éhontée qu’à chaque expulsion les personnes exilées sont mises à l’abri (6) ; à l’heure où un maire peut ordonner l’expulsion d’un refuge d’accueil d’exilé.e.s dans les montagnes au début de l’hiver (7) ; à l’heure où des milliers de personnes survivent dans les rues en bas de chez nous alors que l’on recense plus de 3 millions de logements vacants en France (😎 ; il y a urgence.

Pour les personnes qui sont en mesure de le faire, mobilisons-nous ! Ne nous laissons pas dépasser par les élections présidentielles et une grande partie de la classe politique qui ne nous écoute pas. Faisons valoir nos choix de sociétés de manière collective contre la montée des idées d’extrêmes droite. Luttons contre la dystopie autoritaire et institutionnalisée.

Je vous remercie très sincèrement de m’avoir lu.

Je remercie également Pauline Tournier d’avoir accepté que je diffuse ses photographies, particulièrement parlantes, à retrouver sur https://blogs.mediapart.fr/emile-rabreau/blog/151121/un-jour-dans-ma-vie-militante-l-etat-reprime-impunement-des-familles-la-rue

~ Emile R.

* : L’identité des personnes a été volontairement modifiée afin de respecter leur anonymat.


Emeute à Rotterdam contre le pass sanitaire

Réflexions et rapport sur les émeutes du 19 novembre à Rotterdam - article paru dans itsgoingdown.org

Traduction d'un article du site itsgoingdown.org

Un camarade des Pays-Bas a envoyé un rapport de première main sur les extraordinaires émeutes anti-police de la nuit dernière à Rotterdam, aux Pays-Bas, au cours desquelles la police néerlandaise a tiré dans la foule.

Certains "gauchistes" déconnectés de la réalité ont essayé de rejeter ces émeutes parce qu'elles coïncidaient avec une manifestation organisée par la droite contre de nouvelles restrictions gouvernementales. Cependant, un événement tel que le soulèvement des jeunes contre la police la nuit dernière ne peut être aussi simplement réduit - comme le montre clairement notre auteur.

Je ne sais pas par où commencer pour écrire sur ce sujet. D'une part, je suis submergé par l'émotion, je suis encore en train de traiter les choses dont j'ai été témoin la nuit dernière. D'autre part, j'essaie de donner un sens à ce qui s'est passé du point de vue de quelqu'un qui croit en la révolution sociale. Je ne pense pas pouvoir faire entrer ce dernier point dans ce texte court et chargé d'émotion, mais certaines choses doivent être dites à ce sujet maintenant. Ce qui s'est passé hier soir est bien plus que la supposée "émeute fasciste" que beaucoup considèrent comme telle.

La nuit dernière, une manifestation contre les mesures (renouvelées) contre le coronavirus a été organisée. Cette manifestation a été clairement initiée par des personnes qui devraient, pour la plupart, être qualifiées de fascistes. Ces manifestations attirent cependant une foule beaucoup plus diverse que les seuls fascistes, et le mécontentement s'élargit, surtout maintenant que l'État impose une répression de plus en plus stricte pour contrôler la propagation du virus.

Pendant tout ce temps, je n'avais pas vu un seul signe lié à la manifestation, pas entendu un seul slogan, pas vu une seule bannière. Il s'agissait d'une haine collective et généralisée de la police. On pouvait la goûter, la sentir et la ressentir à chaque coin de rue cette nuit-là.

Le potentiel de ce mouvement est en grande partie alimenté par l'approche totalement aléatoire et irresponsable du gouvernement néerlandais face à la crise de la pandémie. La frustration à l'égard des mesures contre la pandémie est croissante et diverse. Elle comprend des personnes qui pensent que la pandémie est sérieuse et qu'il faut y faire face, ainsi que des personnes qui croient aux mensonges du mouvement anti-vax et se laissent prendre à leurs réponses faciles. Il serait difficile de trouver des personnes qui soutiennent l'approche du gouvernement face à la pandémie : une politique qui consiste à laisser le virus se propager tant que les hôpitaux peuvent gérer l'arrivée de personnes dans les services de soins intensifs, au lieu de prévenir sa propagation et de se concentrer sur la vaccination et la mise à disposition d'installations de dépistage suffisantes.

Les cas d'infection atteignent un niveau record depuis que le gouvernement a décidé d'abandonner de manière aléatoire toutes les mesures de lutte contre la pandémie en septembre dernier. Même le strict minimum, comme le port d'un masque et le maintien d'une distance sociale, a été abandonné d'un jour à l'autre.

Des protestations contre la réponse du gouvernement ont eu lieu depuis le début de la pandémie et ont été dominées par les fascistes, ne nous y trompons pas. Mais ce serait une erreur de discréditer la tendance sociale plus large et croissante de la frustration envers le gouvernement néolibéral comme étant la même chose. Quiconque n'est pas furieux de ce qui se passe n'est pas suffisamment attentif. Les fascistes abusent de ces frustrations, et cela ne devrait surprendre personne, mais discréditer tous les participants en les qualifiant de "fascistes" est une approche facile qui empêche toute analyse sérieuse. Les événements d'hier étaient bien plus qu'une manifestation pandémique. Il s'agissait d'une révolte généralisée contre la police à laquelle se sont joints des masses de jeunes, des jeunes qui n'avaient pas grand-chose à voir avec les manifestations mais qui avaient toutes les raisons de saisir l'occasion et de riposter. Prétendre que les événements de la nuit dernière étaient "une émeute fasciste" est tout simplement un mensonge.

"Les révoltes ne peuvent être comprises que par ceux qui ont les mêmes besoins que les rebelles, c'est-à-dire par ceux qui ont le sentiment de faire partie de la révolte." - Filippo Argenti

Au début de cette année, lorsque de nouvelles mesures gouvernementales ont été introduites, des émeutes ont éclaté dans le sud de la ville. Parallèlement aux manifestations anti-vaccins, les jeunes ont commencé à se révolter en réponse à ces mesures.

La nuit dernière, j'ai entendu dire qu'il y avait à nouveau des émeutes et j'ai décidé d'y jeter un coup d'œil, mais je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'ai pas vu de policiers. Une camionnette de police se trouvait au milieu de la route, abandonnée et détruite. En continuant à marcher, j'ai vu une voiture de police en flammes au coin de la rue. Des masses de personnes s'étaient rassemblées et se trouvaient dans les rues. La plupart d'entre eux semblent n'avoir rien à voir avec la manifestation initiale ; la foule est principalement composée de jeunes qui traînent dans le centre-ville. Ici et là, de petits groupes de hooligans étaient actifs, manifestement plus organisés que la plupart des gens présents. Ce que je ne savais pas, c'est que la police avait déjà tiré des coups de feu.

J'étais déconcerté par cette situation apparemment calme ; il s'avère que la police s'était retirée juste avant mon arrivée. J'ai décidé de me promener un peu pour voir ce qui se passait en bas de la rue.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'ai pas vu de policiers. Une camionnette de police se trouvait au milieu de la route, abandonnée et détruite. En continuant à marcher, j'ai vu une voiture de police en flammes au coin de la rue. Des masses de personnes s'étaient rassemblées et se trouvaient dans les rues. La plupart d'entre eux semblent n'avoir rien à voir avec la manifestation initiale ; la foule est principalement composée de jeunes qui traînent dans le centre-ville. Ici et là, de petits groupes de hooligans étaient actifs, manifestement plus organisés que la plupart des gens présents. Ce que je ne savais pas, c'est que la police avait déjà tiré des coups de feu.

J'étais déconcerté par cette situation apparemment calme ; il s'avère que la police s'était retirée juste avant mon arrivée. J'ai décidé de me promener un peu pour voir ce qui se passait en bas de la rue. Je ne pouvais pas dire si la plupart des gens étaient là en train de regarder ou de participer à quoi que ce soit, mais environ un millier de personnes étaient dans les rues de cette zone. Plus loin dans la rue, des barricades en feu avaient été érigées, principalement à l'aide des scooters électriques de location, superflus et nombreux.

Un groupe de flics anti-émeute est apparu depuis une rue latérale et a commencé à former une ligne devant la voiture de police en feu. Alors qu'ils tentaient de fermer la ligne, ils ont été attaqués par une grande partie de la foule avec des pierres, des feux d'artifice, des panneaux de signalisation, etc. Les policiers ont instantanément sorti leurs armes et ont commencé à tirer sur la foule. Malgré les fortes attaques provenant d'une direction, la police a tiré dans une autre direction sur une personne qui, d'après ce que j'ai pu voir, ne les attaquait pas du tout. Cette personne est tombée au sol après avoir été touchée par une balle et a finalement été traînée par les policiers anti-émeute une fois que de nombreuses personnes ont reculé, réalisant ce qui venait de se passer. Quelques minutes après mon arrivée, des dizaines de coups de feu ont été tirés, certains en l'air, d'autres dans la foule.

Après cela, les policiers, toujours en infériorité numérique, ont commencé à utiliser leurs fourgons anti-émeutes comme armes, roulant à grande vitesse, pourchassant tous ceux qui se trouvaient devant leur fourgon. Cela a donné lieu à une heure de poursuites au cours desquelles les policiers ont foncé dans la foule avec leurs fourgons. Les gens se sont battus contre eux avec ce qu'ils ont pu trouver. Les groupes se sont disséminés, mais la foule globale a semblé grandir elle aussi.

Les escarmouches avec les flics avaient lieu non seulement sur le long boulevard où tout a commencé, mais aussi dans les rues secondaires. Partout où je suis allé, des jeunes se tenaient debout, semblant ne rien faire, mais lorsque les policiers passaient, les jeunes les attaquaient encore et encore. Pendant tout ce temps, je n'avais pas vu un seul signe lié à la manifestation, pas entendu un seul slogan, pas vu une seule bannière. Il s'agissait d'une haine collective et généralisée envers la police. Quelque chose que l'on pouvait goûter, sentir et ressentir à chaque coin de rue cette nuit-là.

Rien n'a changé pendant une heure environ, alors que la police tentait de se regrouper et de rassembler des renforts. Une fois qu'ils se sont enfin rassemblés, ils ont attaqué avec des canons à eau et des centaines de flics anti-émeute, et les choses se sont transformées en une course-poursuite qui a duré toute la nuit et s'est étendue au centre ville. J'ai décidé d'en rester là, n'ayant pas encore tout à fait enregistré ce qui venait de se dérouler devant moi.

J'ai vu des manifestations, des émeutes et des combats de rue plus intenses que ce qui s'est passé hier soir. J'ai déjà vu des flics utiliser leur voiture comme arme. Mais tout cela se passait dans d'autres pays où les policiers réagissaient d'abord avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des balles en caoutchouc, etc.

J'ai toujours pensé que si de telles émeutes se produisaient aux Pays-Bas, la police commencerait à tirer rapidement. Cependant, je n'aurais jamais prédit un tel niveau d'empressement à utiliser la violence mortelle. Je n'aurais jamais prédit l'ampleur avec laquelle elle a été utilisée hier soir, souvent sans discernement. Plus tard dans la nuit, le maire a déclaré sans ironie que "la permission d'utiliser des gaz lacrymogènes a été demandée. Elle a été accordée, mais pas nécessaire". Et autant je suis bouleversé par ce qui s'est passé, autant je me sens naïf d'en être surpris.

De plus, je n'ai jamais été témoin d'une révolte aussi généralisée contre la police ici. La police de Rotterdam a construit un héritage de comportements violents et racistes et est ouvertement et publiquement soutenue par notre maire et une grande partie du conseil local. Comme nous avons dû endurer un gouvernement de plus en plus corrompu et éhonté, de plus en plus de gens se rendent compte que l'État ne se soucie pas d'eux. Ils réalisent que la police et toutes les autres institutions de l'État ne se battent que pour les plus privilégiés. Ils ne sont pas là pour nous, ils ne l'ont jamais été et ne le seront jamais.

Pour analyser plus avant ce qui s'est passé, nous devrions examiner les émeutes de Londres de 2011, les émeutes de Paris de 2005 et tous les autres soulèvements anti-police qui ont eu lieu dans cette partie du monde au cours de la dernière décennie.
Ces émeutes sont spontanées, chaotiques et destructrices et incarnent souvent certaines des tendances les plus toxiques que la vie moderne a créées. Les anarchistes ont tendance à romantiser "l'émeute" et à oublier sa laideur. Elle est laide, toujours, mais elle porte en elle quelque chose que nous devons embrasser, et si nous n'y travaillons pas activement en tant qu'anarchistes, nous ne pouvons pas prétendre nous battre aux côtés des moins privilégiés.

Je me souviens que nous nous sommes posés des questions sur nos positions concernant ces précédentes émeutes. Il est difficile de répondre à ces questions. Elles n'ont pas de réponse unique pour commencer. Mais, le plus important, c'est que ces questions nous obligent à réfléchir à notre propre position en tant qu'anarchistes, au lieu d'inventer des excuses pour expliquer que la situation ne nous concerne pas... parce qu'elle nous concerne.

Il manque encore un million de choses dans ce rapport mais je sens que le sujet a une urgence qui ne permet pas une longue période de réflexion avant de publier ce petit texte. Il est destiné à contrer le faux récit selon lequel il s'agirait d'une "émeute fasciste" et à nous faire réfléchir sur notre rapport aux révoltes en général. Le nombre de gauchistes autoproclamés qui ont applaudi les violences policières de la nuit dernière est répugnant et totalement hypocrite. Pendant qu'ils encourageaient la violence policière sur Internet, j'ai vu des jeunes, principalement des jeunes migrants qui sont harcelés par la police raciste tous les jours, se faire battre et tirer dessus. Ici, il ne devrait pas y avoir de discussion pour savoir de quel côté nous sommes.


Le procès du CRS Dominique Caffin : la fabrique de l'impunité

Le CRS Dominique Caffin était jeudi 18 novembre en procès pour avoir matraqué Mélanie à la nuque pendant une manif Gilets Jaunes (acte 23, avril 2019). Provoquant évanouissement et longues séquelles. Son acte barbare est un archétype des violences policières dont la bourgeoisie a besoin et que la justice ne condamne jamais.


En 2019, il est même décoré par Castaner. Sa réputation d’ultra violent ne fait pourtant pas de doute. Et il trimballe quelques casseroles : en 2003, plusieurs faits graves sont identifiés dans l'unité qu'il dirige : agressions sexuelles, violences contre des migrants, chants nazis. (Libération). Mais trois fois rien dans la police…

Dominique Caffin est aussi le CRS qui mène la charge lors du tabassage général du 1er décembre au Burger King (Libération), où les images de quasi tortures infligés par les flics aux Gilets jaunes à terre ont fait le tour des médias.

Hier à son procès, Caffin qui était venu avec sa tenue d'apparat « explique calmement qu'il est choqué d'être visé par une plainte et que le terme violences policières le crispe" (Action Antifasciste Paris banlieue/Twitter/lien du thread)

Bien que dans le dossier IGPN de Mélanie figure expressément qu’elle venait d’un cortège calme, le qualificatif « de situation insurrectionnelle » employé par Caffin fait figure de chèque en blanc pour justifier son arbitraire si lourd de conséquence. Le qualificatif "insurrectionnel" est une boite de pandore dans la bouche de la police et offre un angle mort monumental pour faire du sale tout en sachant que la justice n'aura rien à y redire. C'est une manière aussi de décider à postériori si la police était débordée ou non, pour justifier après coup de l'emploi complétement disproportionné de la force.

« - Je ne sais pas si elle est personnellement violente. Mais elle est dans le groupe. Je ne l'ai pas vu jeter de projectile. Mais elle était là pour entraver notre manœuvre. Et elle a un sac à dos. 
- Et ? Demande à son tour, l’avocat de Caffin.
- Les projectiles ne sortent pas de nulle part. L'individu présentait un danger potentiel.» (live tweet de David Dufresne)

Des termes et accusations totalement subjectives faits par dessus la jambe qui ne seront pas examinés pour en démontrer le caractère d’auto persuasion mensongère, tellement propre au métier de policier.

« L’audience a duré cinq heures. Un cas d'école de la fabrication de l'impunité et du déni, sous l'œil complaisant du Parquet, et d'au moins un des trois juges (sachant qu'un dormait à moitié, ça nous en laisse un, une en l'espèce, à peu près bien). » (David Dufresne)

Ce procès était donc un simulacre de justice. Mais qu’attendre de plus ? Au moins on pourra se dire que ce Caffin aura du trainer sa carcasse pour s’expliquer devant des juges grâce à la persévérance de Mélanie. Au lieu de rester tranquillement chez lui ou même d’aller tabasser des gens comme c’est l’usage qu’il fait de son métier, il a du venir s'expliquer, son costume d'apparat de policier ne trompant que le regard d'une justice partiale et bourgeoise reconnaissant dans la barbarie de Caffin l'expression de la violence qui est nécessaire pour maintenir un ordre inégalitaire.

Le verdict sera donné le 7 décembre.

PS : Pour un portrait plus complet de cet officier des forces de répressions françaises :
https://desarmons.net/2019/10/02/le-zele-agressif-de-dominique-c-alias-go-crs/


Excuses aux gilets jaunes

EXCUSES AUX GJ - Lettre anonyme

Voici une lettre d'un GJ que nous avons reçue hier en messagerie et que nous avons décidé de vous relayer à l'occasion des 3 ans du mouvement

Trois ans.. Si loin, si proche.
Quand je repense aux premiers actes GJ, des frissons me prennent. Ce fut l'un des moments les plus forts de ma vie. Des souvenirs dingues. Des rencontres. Et l'espoir ! Pendant plusieurs semaines, tout nous semblait possible. Changer la société, changer nos vies.

Mais j'ai aussi d'énormes regrets et un vrai sentiment de gâchis : je m'en veux de ne pas avoir été assez loin, de ne pas avoir pris plus de "risques" lors des actes où cela aurait pu basculer.

Quand je pense aux milliers de GJ qui ont été blessés ou qui ont fait de la prison, je me dis que je n'ai pas été à la hauteur. Que j'aurais du engager mon corps et ma vie encore plus.

J'étais présent dès le premier acte. J'ai participé à plus de 100 rassemblements GJ en trois ans. J'ai monté des barricades, j'en ai enflammé. J'ai été en première ligne. J'ai participé à des manif sauvages extrêmement déterminées, à des envahissements de lieux (publics et privés), à des occupations. A plusieurs moments, j'aurais pu être interpellé, condamné et/ou blessé. On pourrait donc considéré que "j'ai fait ma part".

Mais non, à y réfléchir, je n'ai pas fait tout ce que j'aurais pu. Et je le regrette. Et je m'en excuse auprès des milliers de GJ qui eux, sont allés au bout de leur rêve, et l'ont payé au prix fort.

Car aujourd'hui, quand je vois l'état de notre société, comment Macron et sa police ont réussi à écraser l'espoir d'une révolution populaire, et que seules les pulsions réactionnaires semblent encore audibles, je me dit une chose : s'il avait fallu que je fasse quelques mois de prison ou que je sois blessé pour que l'issue du mouvement débouche sur un renversement du système, je l'aurais fait. Sans hésiter.

Évidemment, je n'ai pas la prétention de penser que mes actes auraient changé le cours de l'histoire. Sauf qu'on sait que plus de 4 000 Gilets Jaunes ont été blessés et plus de 3 200 condamnés. On peut donc estimer que près de 10 000 citoyens ont payé, d'une façon ou d'une autre, le prix de cette révolte. 10 000. C'est énorme. Mais on sait aussi qu'on était au moins cinq à dix fois plus à être prêts à presque tout pour voir le mouvement aboutir à la chute du régime et du système. Or, si dans ces 30 000 à 50 000 Gilets Jaunes déters, qui ont eu la chance de ne pas subir les conséquences de la répression, nous avions été 10 000 de plus à pousser d'un cran notre engagement, et ce dans les actes les plus insurrectionnels, alors oui je pense que l’issue aurait pu être différente.

On ne vit pas avec des regrets.
Mais je tenais à profiter de ce troisième anniversaire du plus beau mouvement populaire que j'ai connu de ma vie pour remercier ceux qui y ont participé, qui s'y sont engagés, corps et âme. Les remercier, et m'excuser de ne pas avoir été aussi loin que ce que j'aurais finalement voulu, et pu faire.


Guerre hybride Pologne/Biélorussie : Exilés pris en tenaille, L'innommable déni européen 

Actuellement, entre 3000 et 4000 réfugiés politiques originaires principalement d’Irak et d’Afghanistan  se retrouvent bloqués à la frontière entre la Pologne et Biélorussie et survivent dans des conditions épouvantables. 

Pour le régime polonais et l'Union Européenne, il s'agirait d'une tentative de déstabilisation par la Biélorussie.
Les régimes lituaniens et polonais (globalement hostiles à la Russie et tout aussi anti-immigration) évoquent logiquement une manoeuvre qui viendrait de la Russie, alliée de Minsk.

De son côté, le président Biélorusse, Loukachenko dément et renvoie ces responsabilités à l'Union Européenne, il appelle "à mettre en garde à l'avance la partie polonaise contre l'utilisation de toute provocation", contre elle "pour justifier d'éventuelles actions belliqueuses illégales" contre les migrants (source France info).
Les sanctions économiques, évoquées comme principal facteur de cette "guerre hybride" interviennent suite à la répression violente d'un mouvement social important à la suite de la réélection contestée de l'actuel président. Comme en Ukraine en 2014, ce mouvement a été soutenu par l'OTAN, des manifestants ont évoqué une récupération émanant d'acteurs libéraux et parfois nationalistes.

Toujours est-il que le long de cette zone frontalière de 418 kilomètres, on évoque une situation absolument désastreuse. D'après le site infomigrants, des exilés évitent des tirs croisés émanant des deux côtés de la frontière, celles et ceux qui souhaitent revenir en arrière et rentrer dans leurs pays d'origine seraient piégés et ne peuvent retourner sur le sol biélorusse ou franchir la frontière polonaise.
Entre 400 et 800 personnes tentent de franchir la frontière chaque jour avec les moyens du bord. Des milliers de personnes sont actuellement condamnés à dormir dans la forêt par le froid, le plus souvent privés d'eau et de nourriture.
La Pologne aurait envoyé des dizaines de milliers de SMS depuis sa frontière, afin de dissuader les exilés et les encourager à rebrousser chemin. La Biélorussie, elle, est même accusée d'accorder des visas provisoires, de laisser son aéroport et son sol comme  zone de transit pour y conduire les exilés vers les pays Baltes, la Pologne et plus rarement l'Ukraine.

Les deux camps se renvoient la balle, dur de savoir qui dit la vérité, sachant que les deux pays mènent une politique migratoire dure : la Pologne, gouvernée par l'extrême-droite vient d'ailleurs de débloquer plus de 350 millions d'euros en urgence dans le but de construire un mur équipé de détecteurs de mouvements. Les deux pays ont légiféré sur le refoulement à leurs frontières.
Ursula von der Leyen, présidente de la commission européenne, a annoncé il y a une semaine que l'Europe ferait tout pour que les exilés soient renvoyés dans leurs pays d'origines dans les "meilleures conditions" et prévoit de nouvelles sanctions contre Minsk. Bagdad promet de rapatrier les citoyens qui le veulent et la Turquie demande à la compagnie aérienne Belavia de ne plus prendre d'irakiens, yémenites et syriens.
Ces exilés se retrouvent donc coincés dans l'agenda géopolitique des règlements de compte entre Minsk et Bruxelles.

Cette situation n'est pas sans rappeler celle de la frontière grecquo-turque en février 2020, où le régime d'Ankara avait effectué des manoeuvres similaires menaçant d'ouvrir ses frontières à l'Europe (la Turquie accueille près de trois millions de réfugiés).

L'Union Européenne est particulièrement mal placée pour donner des leçons d'humanité, en particulier sur ce sujet. Elle laisse des familles entières mourir dans la mer Méditerranée, c'est sur son sol qu'on érige des barbelés. C'est elle qui finance Frontex, une agence de garde côtes et gardes frontaliers dont le budget dépasse aujourd'hui les 322 millions d'euros ayant pour but de persécuter et d'interpeller des exilés qui seront par la suite enfermés dans des camps. Pour balayer devant notre porte, c'est en France que l'on a évoqué la possibilité d'un délit de solidarité et que les conditions du droit d'asile sont désormais très restreintes et qu'on harcèle des migrants en proie aux violences systémiques de la police.
De plus, l'UE porte une responsabilité de poids quant à ces crises sur le plan économique, dans le rapport de domination et des déséquilibres entre des pays du Nord du Sud global, mais aussi et surtout à travers ses interventions participant à des guerres impérialistes (Moyen Orient, Afghanistan, Sahel etc.).

On pourrait dire que démographiquement, quelques dizaines de milliers de personnes ne représentent absolument rien, que les pseudos effets d'appel d'air n'existent pas ou pire encore, les arguments type "l'immigration rapporte plus que la lutte contre la clandestinité"... Même si tout ceci est vrai, ces arguments contribuent à la déshumanisation et sont de considération purement libérale pour l'être humain, amené à n'être qu'un objet de plus dans une logique de rentabilité.

S'il est évident que dans l'idéal, personne ne devrait fuir son pays et le quitter à moins de le souhaiter par lui même, cette situation intenable n'est malheureusement pas prête de s'arrêter. Bien sûr que le problème doit être combattu à sa racine. En attendant, il faut agir, aussi saluons toutes les belles âmes, à Calais, à Briançon, de la frontière américano-mexicaine à Lesbos et partout dans le monde qui essayent tant bien que mal de trouver encore un minimum de dignité.


En France, 1,1 milion de logements vides

Un million de logements vides... On squatte qui ?

EN FRANCE, 1,1 MILLION DE LOGEMENTS SONT VIDES DEPUIS AU MOINS DEUX ANS

Il y a quelques jours, les chiffres des logements privés vides des communes françaises ont été mis en ligne en accès libre par le gouvernement.

On y apprend qu'au 1er Janvier 2019 à Toulouse, 29195 habitations n'étaient pas occupées, soit 11.4% du parc privé, dont 3951 d'entre elles depuis plus de deux ans.
24 183 à Lyon (9.4%), 13290 à Nantes (8.9%), 108532 à Paris (9.89%), 46382 à Marseille (12.11%), 13814 à Strasbourg (11.6%), 21571 à Nice (9.9%), 18 440 à Montpellier (12.8%), 17348 à Lilles (15.3%)...

Mais qui peut se permettre de garder ces 1.1 millions de logements vides ?
Dont 300 000 dans les zones tendues, ces zones où l'offre ne peut pas répondre à la demande et où l'on connaît les pires galères de logement.

Des petits propriétaires qui proposent un bien à la vente sans trouver d'acheteur ?
Des héritiers en attente du règlement d'une succession ?
De gros propriétaires suffisamment friqués pour oublier qu'ils pourraient louer ?
Ou de gros bailleurs qui jouent la spéculation immobilière ?

Belle hypocrisie en tout cas du gouvernement, qui pointe du doigt le privé en ne communiquant que les données de leurs parcs.
Pas très joli de la part du premier acteur et réalisateur de la crise du logement...
Car même si l'Etat se fait discret sur le sujet, on se souvient qu'en 2015 les journalistes Denis Boulard et Fabien Piliu avaient dévoilé que l'Etat détenait 11.1 millions de mètres carrés de logements et bureaux vacants.

Bailleurs sociaux, église, état... tous jouent ce petit jeu de la propriété privée inoccupée.
Un jeu sordide et inhumain quand on sait que 4 millions de personnes sont mal logées ou non logées en France.

Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre
300 mille personnes vivent dans la rue, un chiffre qui a triplé en 20 ans...
En 2020, 587 SDF sont officiellement morts dans la rue ou dans des abris de fortune selon le Collectif les Morts de la rue. Qui admet que ce nombre est loin d'être exhaustif.
Un jeu criminel donc.

Alors, on squatte qui ?