Minneapolis annonce la dissolution de la police

MINNEAPOLIS ANNONCE LA DISSOLUTION DE LA POLICE MUNICIPALE

Des jours d’émeutes et des manifestations dans tous les Etats Unis suite au meurtre de George Floyd commencent à montrer leurs conséquences politiques. La police de Minneapolis gangrénée par le racisme est maintenant en voie de démantèlement.

Une majorité de membres du conseil municipal annoncent vouloir transférer les fonds alloués à la police à un futur organisme public qui sera chargé de la sécurité. Ils ont aussi annoncé vouloir travailler avec les représentants des communautés. Une possible opposition du maire, récemment hué lors d’un rassemblement pour avoir exprimé son hostilité à une dissolution de la police, ne serait pas suffisante pour empêcher ce processus.

Si ce n’est pas encore l’heure de sabrer le champagne, c’est un tournant majeur pour les partisans de l’abolition de la police, il faut clairement y voir le fruit d'un rapport de force et d'alternatives autonomes qui sont depuis longtemps travaillées. C’est peut-être aussi un premier pas pour mettre hors jeu une police et son héritage raciste responsables de la mort de nombreuses personnes, surtout non blanches. Petit à petit un constat apparait au grand jour : la fonction de la police tient plus dans la répression que dans la protection et tout le monde peut enfin penser à comment s'en passer.

La police n’a d’ailleurs pas toujours existé et la résolution de nombreux types de conflits est quelque chose d’expérimenté dans plusieurs endroits du monde à une échelle plus communautaire ou communale qu’institutionnelle. Gérer la violence, ses conséquences et ses réparations est quelque chose que des groupes au sein d’une communauté peuvent assumer collectivement.

A Chicago des collectifs de mères et des cercles de paroles font ça.
Au Chiapas des conseils communaux font ça.
A la Zad de Notre Dame des Landes un collectif en constante évolution selon les conflits fait ça.
Dans toutes les zones du monde qui tentent de se rendre autonome face au capitalisme cela existe à plus ou moins grande échelle et dans bien des situations, il est possible de se passer de la police lorsqu’on s’organise.

Mais dans chacun des cas, il s’agit d’individus partageant immeubles, villages ou quartiers qui se sont emparés collectivement des questions sur lesquelles l’Etat les mettait d’habitude sur la touche et sous tutelle, parce qu’il y avait urgence aussi. Abolir la police n’est pas quelque chose qui tombe du ciel. Aux Etats Unis, il existe un vrai mouvement abolitionniste qui s’organise en conséquence depuis des décennies.

Derrière, c’est aussi une question plus vaste qui se pose. Comment changer la vie, comment participer à la construction de sa propre vie et de son environnement au lieu de déléguer... Si pour l’instant nous sommes des millions à devoir nous subordonner à un monde qui crée des inégalités et à devoir aller bosser pour que ses inégalités puissent se reproduire dans un système qu’on appelle le capitalisme, il se pourrait qu’en poussant encore un peu plus, qu’en nous organisant dans les révoltes et qu'en remettant la pression dans la rue, il en soit autrement.

Démantèlement partout !

 


lettre à mes élèves déconfinement rentrée des classes 11 mai

Lettre à mes élèves de maternelle

A quelques jours d'une rentrée des classes controversée, une institutrice écrit cette lettre à destination de ses élèves.

Mes chers petits élèves,

Cela fait maintenant 50 jours que l’on s’est brutalement quittés… Du jour au lendemain, sans prévenir, nous avons du fermer toutes les écoles. Et les mêmes adultes sans cœur veulent maintenant nous forcer à les ouvrir. Pourquoi est-ce que je ne suis pas d’accord ?

Parce que dans notre classe, chaque jour, je vous aide à apprendre à vivre ensemble, à partager vos jeux, à communiquer avec les autres. A chercher des solutions toutes et tous ensemble quand on a un problème. A aider un copain à fermer son manteau ou à finir sa construction. Je vous observe, je vous écoute inventer des jeux, des histoires entre vous… je vous vois grandir et devenir de plus en plus capables de vivre et de créer des choses en groupe.
Dans notre classe, vous pouvez circuler librement, parfois vous rouler par terre, vous coucher sur le banc, ramper sous une table ou vous asseoir sur une chaise... et changer de position quand vous le voulez. Parce que je sais qu’à votre âge bouger est un besoin vital. Tout comme toucher les autres et échanger.
Dans notre classe, quand vous avez du chagrin, ce qui arrive souvent à votre âge, je vous prends la main, vous montez sur mes genoux, je vous caresse la tête… Parce que je veux que notre classe soit un endroit qui vous sécurise autant qu’il vous inspire.
Et c’est là tout ce qui fait que cette classe est un endroit vivant, bouillonnant, joyeux, chaleureux. Humain.

Je mesure combien vos copains et copines vous manquent, ou peut-être le toboggan, ou le grand tableau de peinture, les jeux de construction, les histoires, le parcours de sport, nos projets… Et j’ai moi aussi beaucoup de tristesse à ne plus vivre tout ça avec vous. Peut-être aussi que vous en avez marre de rester à la maison, que vos parents sont très fatigués par tout ça, qu’ils aimeraient retrouver leur vie « normale ».

Mais l’école qui sera ouverte la semaine prochaine, ce n’est pas cette école : certains adultes imaginent que nous pourrons faire classe sans rien toucher, sans bouger, en restant éloignés les uns des autres. Ils ont dû oublier que l’école ça ne pouvait pas être ça. Ils ont pourtant été petits comme vous.

Et c’est parce que je souhaite le meilleur pour vous que je refuse que vous reveniez dans notre classe dans ces conditions. De vous voir en petits robots inactifs, passifs.
Parce que je ne peux pas imaginer passer la journée à vous empêcher de vous approcher les uns des autres, à vous interdire de vous prêter du matériel.
A détruire tous vos repères affectifs et votre confiance qui ont mis tant de temps à se construire. Certains d’entre vous commençaient à peine à oser m’adresser la parole.
Vous forcer à rester assis à la même table toute la journée.
Vous forcer à circuler dans les couloirs en respectant un sens de circulation.
Désinfecter chaque chose que vous aurez touchée.
De faire de ma classe un endroit où vous aurez peur de tomber malade, voire de mourir.
Que votre famille ait peur de mourir à cause de l’école.
Parce que je ne veux pas vous imposer l’absurdité du monde de certains adultes.

Évidemment, si vos parents n’ont pas le choix, qu’ils sont forcés d’aller travailler, je serai là pour vous, comme je l’ai été pour les enfants des médecins, des infirmières… Et j’essaierai tout pour que ce ne soit pas traumatisant pour vous, mais j’ai très peur que ça ne marche pas.
Tant que nous n’avons pas de traitement contre ce vilain virus, il faudrait que les patrons de vos parents ne les forcent pas à aller travailler. Et que ceux qui doivent y aller soient bien protégés.
Il faudrait que l’on puisse toutes et tous s’organiser pour garder les enfants les uns des autres, par petits groupes, hors de l’école.
Que l’on continue de s’organiser pour aider les familles des copains et copines qui n’ont pas assez à manger, pas d’attestation pour sortir, pas de matériel informatique, qui ont de graves problèmes à la maison.
Il faudrait que les parcs et jardins soient ouverts pour que vous puissiez vous y défouler, et pourquoi pas, y organiser des moments d’école !

Quand vous serez adultes, j’espère que tout ça ne sera qu’un mauvais souvenir. En attendant, on va continuer à se téléphoner, à s’écrire, à s’envoyer des photos, des vidéos, à se donner des nouvelles… Et c’est aussi de ça qu’il faudra se souvenir plus tard !

A bientôt je l’espère, dans les meilleurs conditions possibles.

Votre maîtresse

illustration : classe de maternelle dans laquelle ont été appliquées les 63 pages du protocole sanitaire des écoles (Jura, Conliège)lettre à mes élèves déconfinement rentrée des classes 11 mai


Olivier frappé à coups de muselière à Toulouse : la version policière mise à mal

Olivier, frappé à coups de muselière à Toulouse : la version policière mise à mal

"Loin d’être le fou dangereux décrit aux fins de couvrir une énième violence injustifiable, Olivier est avant tout un père de famille avec deux filles qui ce jour là fumait tranquillement sa clope devant chez lui avant de connaitre tout ce qui allait lui arriver." 

Les images ont fait le tour des réseaux sociaux et des médias : Olivier, la cinquantaine, s'est fait frapper à coup de muselière par une brigade de police la nuit du vendredi 24 au samedi 25 avril à Toulouse. L'auteur de la vidéo nous a envoyé ses images prises de son balcon.

Très rapidement, France 3, La Depêche et France Bleu traite l’affaire avec pour seul axe la communication du syndicat policier d’extrême droite Alliance qui fait alors un portrait à charge pour justifier l’injustifiable violence de l’arrestation. L’homme lynché à coup de muselière alors qu’il est à terre et sans arme est dépeint comme un fou dangereux au passé judiciaire. Il viendrait de « s’évader de l’hôpital psychiatrique » et il serait «  potentiellement porteur d’une grenade et d’un pistolet ».
Pour la police à ce moment, une seule chose compte : faire croire qu’il fallait à tout prix arrêter une menace ambulante pour la société.

Sauf que la réalité est assez différente. Nous nous sommes entretenus avec son avocat Maitre David Lanes ainsi qu'avec ses proches. Qu’avons nous appris ?

- Olivier n’a jamais eu d’antécédents psychiatriques
- Son passé judiciaire remonte aux années 90
- Il avait le droit de partir de l’hôpital
- Ce jour là il a eu une altercation avec un voisin violent qui était venu devant chez lui
- Olivier a utilisé une relique de fusil pas chargé et une hachette à couper son bois de barbecue afin d’éloigner le voisin
- Les armes ont été remises à la gendarmerie
- Avant l’arrivée des gendarmes, Olivier a pris beaucoup de médicaments pour se calmer
- A cause des coups des policiers qu’on voit sur la vidéo, Olivier a perdu des dents et a de nombreuses marques sur le corps
- Olivier dément certaines charges retenues contre lui, notamment la violence envers dépositaires de l’ordre public
- Il va porter plainte

Il y a donc eu deux temps dans cette affaire. En premier une altercation entre voisins à Longages et dans un deuxième temps les violences policières à Toulouse. Son avocat nous raconte qu’après l’altercation avec le voisin « Olivier a été accompagné à l’hôpital par les pompiers sur décision de la gendarmerie à cause de la surdose de médicaments. Il les avait pris pour "redescendre". »

Mais au bout d’un moment, il veut rentrer chez lui et quitter l’hôpital contre l’avis des médecins. La sécurité appelle alors la police et transmet qu’il serait « potentiellement porteur d’une grenade et d’un pistolet ». Olivier dément avoir évoqué ces termes ou proféré des menaces. Quoi qu’il en soit il n’est pas arrivé à l’hôpital avec des armes et la sécurité le savait bien. Alors pourquoi ces termes si incriminants alors qu’à ce moment tout le monde sait qu’il n’a pas d’armes ? Ça reste une zone d’ombre…

« Partir de l’hôpital comme il l’a fait, il en avait tout à fait le droit. Il voulait rentrer pour se reposer chez lui. » (Maitre David Lanes)

La police le retrouve un peu plus tard dans les rues de Toulouse et décide de l’interpeller. Les agents lancent le chien sur Olivier qui se fait mordre plusieurs fois. Alors qu’il saigne à cause des morsures, Olivier informe la police qu’il a l’hépatite C.
Dans la version policière cela se transformera en volonté de « transmission d’une substance dangereuse sur dépositaire de l’ordre public ». Olivier et son avocat démentent cette menace ou la tentative de contamination.

La suite, nous la voyons sur les images filmées par un témoin. Olivier se fait plaquer au sol par derrière et tombe violemment face contre terre. Un autre policier frappe plusieurs fois Olivier sur la tête avec la muselière du chien alors qu’il est plaqué par terre et tente tant bien que mal de se protéger des coups. Olivier a vu la vidéo et dit que c’est à ce moment là qu’il a perdu des dents.

Après ça, les pompiers l’ont amené à l’hôpital suite à ses blessures. Il a été mis en garde à vue dans la foulée et mis en examen le dimanche.

La certitude de son avocat, c’est que la police a très vite pu constater qu’il n’avait aucune arme et que l’argument qui avait été invoqué pour justifier l’ultra violence ne peut pas entrer en ligne de compte. D’ailleurs, a-t-on déjà vu une police choisir comme dispositif un plaquage hasardeux et une muselière pour arrêter un homme potentiellement armé d'une grenade et d'un pistolet ?

Loin d’être le fou dangereux décrit aux fins de couvrir une énième violence injustifiable, Olivier est avant tout un père de famille avec deux filles qui ce jour là fumait tranquillement sa clope devant chez lui avant de connaître tout ce qui allait lui arriver.

Dans cette affaire, la police est allée chercher des faits de justice remontant à 20 ans et a brandi la menace psychiatrique (qui s’avère être fausse) pour s’en servir comme d’arguments aggravants et justifiant l'injustifiable. La criminalisation des victimes est une recette systématiquement employée pour tenter de faire admettre les violences policières dans l'opinion publique. Il faut aussi noter que les journaux ont montré une grande disponibilité à relater une telle version.

Comment se fait-il qu’un homme parti d’un hôpital pour rentrer se reposer chez lui après un épisode éprouvant, se retrouve quelques minutes plus tard tabassé par la police et un jour après traîné dans la boue par un de ses syndicats d’extrême droite repris en fanfare par les médias ?

Maintenant Olivier est confronté à une autre institution aussi connue pour sa disponibilité à entériner les versions policières : la justice. Mercredi, Olivier a été placé en détention provisoire. Motifs : Son casier judiciaire de plus de 20 ans justifie aux yeux du juge une crainte de récidive. Autre argument invoqué : l’altercation avec le voisin pourrait se réitérer. Bien que son avocat ait proposé qu’Olivier réside loin de ce voisin, dans sa famille, cette option n’a pas été entendue. Ce choix plus que contestable a fait l’objet d’un recours par l’avocat qui va porter plainte avec Olivier contre les violences injustifiables qu’il a subies.


DANS L’ENFER DES EHPAD

Un article de Lille Insurgée :

Nous avons reçu un témoignage accablant d’une personne ayant travaillé dans un EHPAD du Nord au mois d’avril. Alors que depuis des semaines, le gouvernement décompte dans les « points presse » de Jérôme Salomon le nombre de morts dans les hôpitaux et les EHPAD, comme si les décès n’étaient qu’une série de chiffres lointains, les témoignages montrant la réalité inavouable du terrain ne sont que trop peu nombreux dans les médias de masse.

Il y a celles et ceux qui comptent les morts et celles et ceux qui pleurent les drames.

Le témoignage raconte la situation vécue dans un établissement abritant environ 80 résident·e·s. Un lieu décrit comme chaleureux, aux espaces de vies communs animés et aux visites fréquentes des familles. Un lieu qui tient aujourd'hui grace à la force et au courage d'une poignée de femmes, majoritaire à 95% dans l'établissement. Un EHPAD privé et familial qui était loin de penser devoir gérer une telle situation.

🔸 L’ORGANISATION DE L’ÉTABLISSEMENT FACE AU CONFINEMENT

Le confinement a considérablement transformé le visage de l'établissement. Dès les premiers jours, et du fait de soupçons de cas dans la structure, la décision a été prise de confiner tout le monde en chambre pour éviter toute transmission. Une tache compliquée à mettre en place, tout d’abord parce qu’il faut expliquer, plusieurs fois, à chaque résident·e, les raisons pour lesquelles il faut rester en chambre. « Il y a un moment où on essayait qu’ils ne sortent pas du tout de leurs chambres car on avait très peur que le virus se promène dans tout l’établissement. » Sans grand succès. Le bilan est très lourd. 40 résident·e·s ont eu des symptômes et 16 décès ont été jugés liés au coronavirus, dont la moitié ont été confirmés.

🔸LA GUERRE DES TESTS

Le directeur de l’établissement a rapidement mis en place des mesures pour faire matériellement face à la situation. Si le matériel de protection n’a pas été le problème majeur de l’établissement, les tests, eux, nécessaires à un déconfinement chambre par chambre ont manqué et manquent toujours.

« Le directeur avait réussi en bataillant avec l’ARS à obtenir 50 tests naseaux pour les résident·e·s uniquement […] malgré la volonté du directeur et le fait qu’il essaye de tout faire pour, on a refusé que les tests soient faits pour les soignant·e·s. Son but était de faire tester tout l’établissement pour pouvoir déconfiner progressivement des chambres et pour l’instant, ce n’est pas possible. Ce que l’on sait c’est qu’il y a au moins la moitié du personnel qui l'a eu, il y a eu énormément d’arrêts maladie, beaucoup de symptômes très différents. »

🔸FAIRE FACE À L’ISOLEMENT

Le confinement par chambre met les résident·e·s dans une situation d’isolement total. Un isolement encore plus strict pour les personnes suspectées d’avoir contracté le Covid. À savoir que si un·e patient·e avait l’un des symptômes suivants : la fièvre, une extrême fatigue ou une diarrhée, le résident·e était considéré·e comme un cas de Covid.

L’isolement des personnes en chambre a engendré d’importantes problématiques, surtout pour les personnes psychologiquement fragiles qui ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent pas sortir, pourquoi elles ne peuvent pas voir leurs familles, rendant le confinement difficile à faire respecter. Les soignant·e·s, équipé·e·s de blouses, de masques, de charlottes, de sur-blouses, de tabliers, ne sont pas toujours reconnu·e·s des résident·e·s, créant déséquilibre et désorientation. Certain·e·s résident·e·s ne savent plus où iels sont, cela crée des dépressions.

« Ça a créé ce qu’on appelle le syndrome de glissement : les personnes se laissent mourir ou dépérir. Donc il y a des personnes qui pleurent toute la journée, on a beau essayer de les sortir deux minutes, une par une au jardin en prenant toutes les précautions, c’est compliqué à mettre en place et pas toujours utile car ce dont elles ont besoin, c’est de voir leurs proches. Donc on a des personnes qui se sont laissées mourir de chagrin. Réellement. Et on ne sait pas si le Covid était là en plus ou pas car il n’y a pas de test post-mortem. »

🔸LA GESTION DES CAS DE CORONAVIRUS ET DES DÉCÈS

« Quand on isole encore plus strictement, on change de masque, de gants, après être rentré·e dans les chambres, et tous les vêtements des résident·e·s qui sont suspecté·e·s de Covid ou qui sont Covid sont dans des sacs hydrosolubles et on met tout à 60° pour détruire le virus au maximum. »

La gestion des cas de coronavirus est stricte et les personnels de l’EHPAD doivent gérer la quasi-totalité de la période d’incubation. Les hospitalisations sont rares, uniquement en cas de syndrome respiratoire aigu. « Et encore, quand c’est maintenable en EHPAD, ils nous les laissent ».

« On a deux résident·e·s qui sont parti·e·s en hôpital et qui sont revenu·e·s. La dame est décédée quelques jours plus tard à l’EHPAD alors que l’hôpital nous avait dit « y’a plus de soucis, y’a plus de danger, tout ira bien » mais en fait les syndromes respiratoires s’étaient calmés et finalement elle est décédée de fatigue parce que c’est épuisant ».

La gestion des cas de coronavirus est extrêmement difficile, mais plus dur encore, c’est la gestion des décès. Les soignant·e·s, après chaque décès, ne peuvent pas toucher au corps qui est placé dans une housse, en l’état, sans soins. C’est à dire que si une personne porte une couche, une perfusion, sonde urinaire ou autre, rien n’est retiré. Les pompes funèbres viennent chercher le corps dans l’EHPAD. Les pompes funèbres passent le corps au spray javel, le placent dans un cercueil et l’emmènent à l’incinérateur. « C’est inhumain comme traitement et c’est une des choses pour lesquelles les soignant·e·s sont de plus en plus mal », de laisser partir les corps dans ces conditions.

Alors que les directives nationales demandent qu’il n’y ait aucune visite des familles des personnes en fin de vie, la direction de l’établissement a tout de même autorisé des visites si les familles le souhaitaient, pour dire au revoir à leurs proches, considérant les directives nationales comme inhumaines. Cette décision implique de prendre sur les réserves de masques pour permettre que ces visites aient lieu sans risques. Depuis la ré-autorisation des visites, un parloir avec plexiglas a été mis en place et les visites sont limitées à une par semaine.

On observe aussi une régression des résident·e·s, qui parfois ne savent plus marcher du fait d’être resté·e·s confiné·e·s dans leurs chambres. Les soignant·e·s surmené·e·s passent parfois à côté d’autres pathologies, le coronavirus étant devenu une priorité du jour au lendemain.

🔸LA DETRESSE DES SOIGNANT·E·S

Qu'adviendra t-il des soignant·e·s quand tout cela sera terminé ?

Surmené·e·s, les personnel·le·s de l'EHPAD font preuve d'un courage exemplaire mais risque rapidement de se prendre un retour de bâton une fois l'intense période passée.

Si aujourd'hui, le travail est tellement nécessaire et important que les soignant·e·s ne peuvent penser à autre chose et mettent toute leur énergie pour que les conditions de vie des résident·e·s ne soit pas inhumaines, une fois la pression redescendue, les risques de dépression sont important pour des personnes qui ont été confrontées à la mort tous les jours pendant des semaines. « Le plus compliqué franchement à gérer, c’est déjà les personnes qu’on voit partir doucement. C’est difficile pour les personnes qui travaillent à l’année, parce que c’est leurs résident·e·s, elles les connaissent par cœur, elles font beaucoup de choses avec eux et elles les voient partir sans pouvoir les accompagner au mieux. »

Ces situations sont émotionnellement intenables, et font craindre une vague de dépressions après cette dramatique période. De plus, le fait d'être confronté-e à la mort n’est pas la seule charge émotionnelle à gérer. Les soignant·e·s doivent gérer le sentiment d'être pestiféré·e·s, de ne pas être reconnu·e·s.

La traduction la plus symbolique de ce manque de reconnaissance est sans doute la prime de 1500€ annoncée par Macron, que les soignant·e·s ne pourront pas toucher, l'établissement n'étant pas un centre hospitalier.

La traduction la plus violente de ce manque de reconnaissance est sans doute le sentiment d’être des pestiféré·e·s. « Dans les villages de campagne, tout le monde sait où les gens travaillent. »

Les soignant-e-s se sentent montré·e·s du doigt, jusque dans leurs foyers. Le sentiment de ne pas être reconnu·e dans la société grandit à mesure que la méfiance s’amplifie dans la population locale et que les distances sociales se ressentent comme du rejet. Aucune mesure ne permet d’arranger ça.

Il faut ajouter à cela le manque d'entraide dans les campagnes. Alors qu’en ville, des réseaux d’entraides solides se sont créés et que les dons aux centres hospitaliers sont nombreux, la situation en campagne est beaucoup plus complexe. S'il y a bien des dons, ils sont minimes et loin d’être de la même ampleur qu’en métropole. Cette situation pèse sur les soignant·e·s, se sentant d'autant plus isolé·e·s et seul·e·s face au virus, accentuant leur détresse.
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Retranscrire les réalités du terrain, malgré les difficultés, doit être, à l'heure où l'ensemble des médias télévisés ne parlent que de chiffres représentés sur des graphiques de façon managériale, une priorité pour ne jamais oublier, ne jamais pardonner ce à quoi les corps et les esprits ont été confrontés durant cette crise sanitaire. Et dont les responsables sont les technocrates qui ont pensé en chiffres, en euros.


Gilets noirs seule la lutte donnera les papiers

AUTODÉFENSE IMMIGRÉE : SEULE LA LUTTE DONNERA LES PAPIERS

Nous, les Gilets Noirs, sommes des immigrés qui travaillons au noir ou avec le papier de quelqu'un d'autre. D'ordinaire, l’État français raciste, main dans la main avec les patrons, nous fait trimer sur les chantiers, dans les cantines, à nettoyer tout le pays. Sans papiers, on est à la merci de la sur- exploitation. Au confinement, on s’est retrouvés sans rien. Pas de chômage, alors pas d'argent pour le loyer, pour la famille ou pour la nourriture.

Depuis novembre 2018, nous les Gilets Noirs, immigrés avec ou sans papiers, fils et filles d’immigrés et personnes solidaires, habitants des foyers et locataires de la rue, nous organisons contre l’État et ses complices. Nous exigeons des papiers pour tous et toutes, sans conditions. Qu’on soit là depuis un jour ou dix ans, qu’on travaille ou qu’on ne travaille pas. Ce papier qu’on nous refuse c’est celui de la dignité et nous attaquerons l’État français et tous ses complices pour l’arracher. Nous ne voulons pas seulement des papiers, mais casser le système qui crée des sans-papiers. Chaque jour nous discutons de comment améliorer notre vie, se défendre de la police, du CRA, des patrons, de résister à la préfecture. Mais les papiers viendront par la lutte ! Et la lutte c’est pas que pour les papiers : la chose que tu n’as pas vu, c’est dans la lutte que tu vas la voir.

Nous avons manifesté devant le musée de l’immigration, devant le CRA du Mesnil-Amelot, nous avons occupé la Comédie Française, bloqué la préfecture de Paris, occupé l’aéroport de Roissy où Air France déporte les immigrés. Nous avons attaqué le siège de l’entreprise Elior qui fait son argent sur le dos des sans-papiers, et nous nous sommes invités à 600 au Panthéon. Pour exiger des papiers et un rendez-vous avec le premier Ministre, pour interpeller les « grands hommes », et pour honorer nos morts en Méditerranée et dans le désert qui n’ont pas de tombe.

Contre le Covid-19 et ses complices, autodéfense sanitaire !

Depuis que le covid-19 est en France, on lutte contre le virus, mais ce sont l’État et les gestionnaires qui nous pourrissent la vie. On vit dans les foyers comme dans des prisons. Les foyers, gérés par des associations « gestionnaires » (comme Adoma, Coallia, ADEF) ont été construits pour loger les travailleurs immigrés. Depuis plusieurs années les gestionnaires veulent détruire l’organisation de nos vies collectives d’immigrés exploités. Ils construisent des résidences « sociales » qui nous enferment dans des chambres-cellules, sans espaces collectifs. C’est nos solidarités et nos luttes qu’ils étouffent. On doit rester seul, sans famille, en espérant ne pas mourir avant le titre de séjour qui nous permettra peut-être d’aller enterrer nos morts au pays ou de voir naître nos enfants. Dans ces foyers, nous vivons avec nos frères qui ont des papiers. Mais les foyers sont nos lieux de vie politique. Au début du confinement, les gestionnaires ont fui leurs responsabilités : pas de consignes, pas de nettoyage, pas de soutien. Ils collent sur les murs du foyer des affiches en français et ferment les salles de prières et de réunion. Ils ne nettoient pas car « la javel c’est trop cher ». La seule présence des gérants c’est pour venir prendre les loyers. L’État français main dans la main avec les patrons nous fait trimer sur les chantiers, dans les cantines, à nettoyer tout le pays. Sans papiers, on est à la merci des marchands de sommeil, de la surexploitation. On doit travailler au noir. Au confinement, on s’est retrouvés sans rien. Pas de chômage, alors pas d’argent pour le loyer, pour la famille ou pour la nourriture. Les gérants veulent notre argent mais on doit manger et se soigner !

Autodéfense immigrée : seule la lutte donnera les papiers

Après quelques semaines, sous la pression des préfectures et de ceux qui ne devraient pas crier avec les loups que les foyers sont des « bombes sanitaires », les gestionnaires sont revenus dans quelques foyers. Mais on sait qui est qui. Soi-disant pour vérifier les règles de confinement alors qu’ils connaissent la situation dans laquelle on vit, ils tentent de séparer les pères des fils. Ils mentent, menacent de couper l’eau et l’électricité, font des simulacres de dépistages. Devant certains foyers, ce sont les flics qui rackettent et rôdent. L’État ne veut pas éviter la maladie, les gérants ne le veulent pas non plus. Ils veulent qu’on meurt et ils veulent notre argent.

On n’a pas attendu la répression sanitaire pour s’organiser et se défendre. Nous avons mis en place une cagnotte et organisé un réseau de ravitaillement des foyers pour se protéger de la maladie. À l’aide de nos camarades des Brigades de Solidarité Populaire qui soutiennent cette auto-organisation, nous sillonnons les foyers pour distribuer du matériel. Ils se fichent de nous : c’est nous-mêmes qui nous protégeons ! Dans les foyers, on a une culture de la solidarité. On gère nous-même la propreté et la désinfection. Les petits frères, on s’organise pour que les grands frères âgés ne fassent plus les courses. On doit faire cette mission pour nos camarades, nos frères, nos sœurs, nos enfants et nos vieux, car personne ne va le faire sinon.

Lutter pour notre dignité, pour la vie collective, pour arracher les papiers

On se défend pour ne pas se cacher. Nous voulons des papiers. Mais nous ne voulons pas d’une régularisation comme au Portugal, pour quelques mois, seulement pour certains qui ont leur dossier en préfecture ou pour ceux qui n’ont pas de casier judiciaire ou ne sont pas menacés de déportation. On ne veut pas d’une régularisation comme en Italie, en offrant nos corps pour que les pays européens subsistent sur notre dos. Travail contre papiers, c’est un chantage d’esclavagiste. Nous ne voulons pas des papiers pour raison « de santé publique » ou pour plus « d’efficacité économique ». Pour ce papier, nos âmes sont sacrifiées. On est des humains, nos droits devraient être entendus. On devrait échanger son âme contre l’industrie ou l’économie des autres ? C’est un manque de respect envers les immigrés. C’est une injure.

On veut que tous les immigrés, avec ou sans papiers, nous rejoignent. Car ce que nous subissons, les immigrés avec papiers en ont été victimes et le seront aussi. Les immigrés, et tous les exploités du monde, doivent se joindre à nous les immigrés sans-papiers. Nous ne sommes pas des ennemis entre nous. La France veut diviser entre ceux qui sont régularisés et ceux qui ne le sont pas. Ici on vit ensemble : le foyer c’est la famille, c’est ton parent. Ils appellent les sans-papiers les « sur-occupants » et nos frères avec des papiers, des « résidents ». C’est maintenant qu’il faut défendre notre vie collective, c’est notre lutte. Les résidents avec des papiers ne seront jamais libres tant que leurs fils n’auront pas les papiers.

Les papiers, jusqu’à nouvel ordre, c’est la clef de toute vie sociale digne : vivre en famille, circuler librement, travailler, étudier, se soigner, se loger. Nous avons trop demandé aux députés, aux gestionnaires, aux patrons, aux syndicats, aux associations de nous aider à nous « régulariser ». Il y a eu trop de pétitions, de tribunes qui disent l’État de « protéger les sans-papiers », trop de députés qui veulent « régulariser » pour mieux nous envoyer faire le sale travail que personne ne veut faire. Nous ne voulons pas de papiers parce que nous faisons le boulot que « les français ne veulent pas faire », mais pour pouvoir vivre dignement.

Nous irons chercher les papiers nous-mêmes, car on ne veut pas de tri : nous ne voulons pas avoir besoin de mériter les papiers ou de les mendier. Nous avons besoin de combat. Dans la lutte déjà, on trouve notre liberté, car on n’a plus peur. Après le confinement, nous appelons tous les immigrés sans-papiers et les gens qui partagent nos idées et nos manières d’agir, à soutenir notre lutte, à nous contacter, à rentrer dans le combat.

Avec ACTA, les Brigades de Solidarité populaire, Act-Up, le Collectif Place des Fêtes, Genepi, le NPSP (Nagkakaisang Pilipino Sa Pransya), la CREA (Campagne de Réquisition d’Entraide et d’Autogestion), l’Action Antifasciste Paris-Banlieue, l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire, la Coordination Militante Dijon, Ipeh Antifaxista, LaMeute, le Collectif des Olieux – Lille, qui appuient ce texte, nous partageons déjà ce combat. Notre force c’est les soutiens, mais la force des soutiens, c’est nous aussi. Il faut organiser des actions, des occupations, des manifestations, des grèves, des blocages. On peut construire des actions ensemble dans les semaines qui viennent. Nous ne gagnerons les papiers que par la force.

Pour exiger des papiers pour toutes et tous maintenant et pour toutes celles et ceux qui vont arriver, la destruction des centres de rétention, la fin des foyers-prisons, et des logements dignes pour tous. Contre le racisme et l’exploitation. Pour notre dignité et notre liberté.

Ni rue ni prison, papiers et liberté ! La peur a changé de camp, les Gilets noirs sont là !

Les Gilets Noirs en lutte

Mail – gilets-noirs-en-lutte@riseup.net
FB – Gilets Noirs en lutte
Twitter – @gilets_noirs


Appel à témoignage : quand l'état réprime les banderoles !

Plusieurs témoignages font part de menaces policières à cause de banderoles accrochées aux balcons et fenêtres, notamment à Marseille et Paris.Il n'est pas question de se laisser faire. Envoyez vos témoignages ici : banderoleaubalcon@gmail.com

Deux premiers témoignages :

MARSEILLE 11 AVRIL
Ce samedi 11 avril 2020, vers 12.00h, deux policiers forcent l’entrée de notre appartement dans le quartier de Saint Charles en invoquant l’Etat d’urgence sanitaire. Ils viennent pour nous mettre un coup de pression afin de faire enlever une banderole sur laquelle est écrite "Tu veux savoir si tu as le Corona ? Crache sur un bourgeois et attends ses résultats. Solidarité avec les travailleuses !". Le prétexte invoqué est que notre banderole incite les gens à se cracher dessus.

Dans un premier temps, gazeuse à la main tout en nous filmant, ils essaient de contrôler nos identités. Nous refusons. Ils utilisent le fait que nous sommes dans une situation d’habitation précaire, le squat, pour justifier leurs actes. On réussit à les faire sortir de l’appartement. Ils appellent du renfort qui arrive sous les bruits de sirène ; au final il y aura une voiture de la police nationale et trois voitures banalisées, dont la BAC. Nous décomptons plus de dix policiers devant notre appartement qui restent là.
On entend qu’ils décrivent la situation au talkie walkie et essaient d’obtenir l’autorisation pour rentrer de nouveau. On finit par enlever la banderole pour qu’ils partent.

Les moyens déployés pour le retrait d’une banderole sont absurdes. A l’heure du coronavirus, l’Etat investit dans le tout répressif et veut nous bâillonner jusqu’à nos fenêtres.

Solidarité avec toutes celles et ceux qui subissent les conséquences de la crise du coronavirus et qui résistent au quotidien.

PARIS 13 AVRIL
Ce matin la police est venue frapper à notre porte à propos de la banderole affichée sur notre balcon depuis maintenant 15 jours.
Ils nous ont clairement "conseillé" de la retirer.
La formulation "Macron on t'attend à la sortie" pouvant être considérée comme menaçante.
Nous avions choisi cette formulation pour dire que nous l'attendons lui et le gouvernement pour qu'ils rendent des comptes sur la question des masques, des tests et de la gestion de cette crise...
La police a pris la carte d'identité de T. ainsi que son numéro de téléphone.. Ils nous ont également dit qu'une main courante serait déposée (nous ne savons pas par qui...)

Nous avons retiré la banderole.
Qu'en pensez vous ?


attestation de sortie QR code

ATTESTATION SMARTPHONE AVEC QR CODE

Le gouvernement vient de sortir un générateur d’attestations avec l’introduction d’un QR code. Rappelons qu’au départ l’idée qui intéressait les gens était simplement de pouvoir remplir un PDF sur son smartphone. Mais l’Etat a subrepticement imposé le QR code dans ce qui pour l’instant reste une option car nous pouvons toujours utiliser la version papier.

Si le gouvernement se veut rassurant pour le moment en indiquant qu’aucune donnée personnelle ne sera stockée, il est plus que conseillé de douter de la mise en place d’une telle technologie de surveillance. Car potentiellement tout est en place pour le permettre.

Cette introduction du QR code est censée simplifier les contrôles effectués par les policiers, mais elle ne simplifie en rien notre quotidien de confiné et pire elle n’améliore en rien la propagation du virus et les capacités de soin pour le personnel hospitalier. 

L’argument qui pouvait être le plus recevable était celui de ne pas échanger un papier qui potentiellement pouvait véhiculer le covid 19 par le toucher. Mais le simple fait de montrer le papier à distance est un geste barrière suffisant si en plus les policiers portaient des masques. 

La seule logique du QR code est donc de fluidifier les capacités de contrôles policiers et technologiques en investissant dans un couteux système de logiciel et de matériel pour scanner.

Le gouvernement se défend de tout système de surveillance généralisée par ce biais mais alors pourquoi mettre en place toute la technologie qui le permet ?

A Wuhan, un système de QR code existe déjà. Chaque citoyen a le sien par le biais de son smartphone dont l’usage est quasiment obligatoire. Quand tout va bien pour les autorités, votre QR code est vert. L’angoisse c’est que le QR code change de couleur et indique ainsi des restrictions de circulation en plus d’être déjà le mouchard qui stocke vos données de géolocalisation. Si vous avait croisé une personne atteinte du covid, les données sont croisées et votre QR code change, indiquant que vous même êtes peut-être contaminé. Vous êtes alors signalé aux autorités.

Pour le moment nous n’en sommes pas là en France bien que Castaner a déjà commencé à parler de tracking et que l’Association Professionnelle Nationale Militaire Gendarmes et Citoyens a déjà émis des critiques pour que l'application permette d'aider à la répression. Ce choix unilatéralement introduit par le pouvoir exécutif n’est pas anodin et dit à quel point il ne peut s'empêcher de tout ramener au contrôle et de réduire nos alternatives face à la pandémie : soit la mort, soit la privation de liberté et la surveillance. Voici un bout d’argumentation développé par La Quadrature du Net qui pose les bonnes questions :

"Les mesures de surveillance, via nos usages des technologies, que suggèrent nos gouvernants relèvent en réalité d’une stratégie pour détourner notre attention de la cause réelle du problème que constitue l’abandon de l’hôpital public. [...] Plutôt que d’assumer les conséquences désastreuses d’une politique de santé défaillante, leur diversion consiste à inverser les rôles, à nous faire passer, nous, pour ceux qui refuseront d’aider les autres. Comme si nous devions être coupable de vouloir protéger notre vie privée, d’exprimer notre colère, ou simplement de suggérer des alternatives."

 

attestation QR code


journal de guerre coronavirus cléone lettre 4

JOURNAL DE GUERRE, Cléone lettre 4

On n'oubliera jamais qu'ils ont commencé par nous inviter à faire de « bonnes affaires en bourse » au moment où le COVID-19 devenait endémique, à nous adresser des sourires condescendants, sûrs de leurs informations « scientifiquement prouvées » sur une simple grippe hivernale, sur leurs stocks fantômes de millions de gels hydroalcooliques et de masques fpp2 à jour, à parler « unité nationale » sur l'air de mais oui, mais oui l'école est finie !, pour en venir à leur saloperie de « guerre contre le virus » qui s'est immédiatement traduite par matraquer une mère de famille avec son caddy sur le marché de Château rouge.

Les épistolaires de la bourgeoisie contaient leur confortable et bucolique retraite en écoutant le chant des oiseaux en sursis. Confiné.es dans leur résidence secondaire de Normandie, du Lubéron ou d'ailleurs, leur correspondance a cessé quelques semaines après le déclenchement de ce nouvel État d'urgence.

Ont-elles été décimées, ces familles privilégiées ? Auront-elles pu rejoindre Paris à temps pour être prises en charge à l'arrivée des premiers symptômes sérieux ? Les hôpitaux étaient saturés d'agonisants, personnes âgées bien sûr, mais aussi plus jeunes en « bonne santé » qui, faute d'être allé.es bronzer aux Buttes Chaumont en ce dimanche fatidique, s'étaient surtout docilement déplacé.es pour remplir leur devoir civique. Comme les nuages de Tchernobyl à Lubrizol, on nous avait laissé entendre que le Covid-19 s'évaporait à la seule vue de l'urne et de la feuille d'émargement.

Le virus se moque des frontières. En revanche, le checkpoint néolibéral est depuis longtemps une sale affaire de genre, de race et de classe.

Les rappels à l'ordre au télétravail n'ont jamais été destinés aux élites en évasion sanitaire : une aubaine pour la « flexibilité », manière polie de parler de capitalisation de l'humain, de la vie, de nos épuisements et d'exploitation de la force de travail jusque dans les recoins du foyer. Le confinement n'est autre qu'une belle occasion d'auto-formation continue, contrainte, pour ingurgiter de nouvelles compétences (les « soft skills – soft kills ») – évangile du management. Mais pour les confiné.es, on entrevoyait juste un peu mieux à quoi ressemblait la vie de celles et ceux qui sont déjà assigné.es à résidence, en prison, en fauteuil, en phase terminale, en camp, en colonie, en hlm délabré, en fin de droits... Quant à celles qui se tapent depuis bien longtemps une triple journée de travail, elles ont juste morflé un peu plus 24h sur 24h, 7j sur 7j.

Évidemment, les rappels à l'ordre au travail « tout court » ont d'emblée opéré une franche sélection face à la valeur de la vie. Un jour, on reparlera pénibilité du travail. Pour assurer la survie d'une minorité, il fallait continuer à l'alimenter, à la servir, à construire ses maisons et ses immeubles, ses voitures et ses routes, à conduire ses trains, à distribuer son courrier ou sa commande Amazon et à ramasser ses ordures.

Enfin, devant nos coquillettes au thon à compter nos jours de chômage partiel ou nos congés payés imposés, nous avons au moins pu échapper aux litanies romantiques comme aux pornos culinaire, culturel, animalier dans lesquels une caste s'était vautrée. Les odes à la décélération à l'ennui dans son canapé d'angle à relire Camus, les plaintes sur l'avenir des héritiers et la continuité pédagogique, les séances de yoga avec les enfants qui devenaient à moitié dingues malgré le luxe de pouvoir déprimer dans leur chambre à bouffer en loucedé leurs chips bios aux légumes, (eux, au moins, avaient une chambre à soi) ... ont finalement été étouffées par les quintes de toux, l'asphyxie, la panique, le deuil : obscénité des vies épargnées et démocratisation brutale de l'exposition au risque de mort.

Les hôpitaux des grandes métropoles françaises étaient dévastés – une médecine de guerre n'offre que des scènes de guerre en effet : lits entassés dans les couloirs, corps déshumanisés appelant à l'aide. Le matériel d'intubation usagé qui jonchait le sol et la danse des chariots de réanimation en nombre bien trop insuffisant qui passaient d'un.e patient.e à un.e autre comme seule musique d'ambiance.

Le personnel soignant n'avait que faire des scènes de communion nationale qui ont remplacé le journal de 20h dans les premières semaines. En première ligne, il est Cassandre à visage découvert ; la rage épuisée, chevillée au corps, devenant le collabo de la grande faucheuse ou le bourreau qui assène le coup fatal à décider qui de celui ou de celle-là devait être débranché.e pour tenter de sauver la caissière, le livreur ou l'éboueur, le père de famille ouvrier dans le bâtiment, l'assistante maternelle... ou même le nième de leurs collègues dont les poumons étaient troués par le virus – infirmière, interne, ambulancier, femme de ménage... Qui s'occupait de sauver le mineur isolé en situation « illégale », le sdf ou la grand-mère en EPHAD contre le Ministre de la Culture, Martine Vassal ou autre vie réputée digne d'être soignée ?

Parmi les 250 000 personnes à la rue en France, on jouait à Am, stram, gram...

En France, il n'y avait plus que 7000 lits en soins intensifs avec assistance respiratoire (5000 en Italie avec les conséquences dont on avait été témoin) : conséquence mathématique de plus de trente ans d'algorithmes comptables qui spéculent sur le nombre de morts « acceptables ».

Bienvenue dans le nécrolibéralisme.

525 millions d'augmentation du budget pour la police et l'armée avait été votée à l'automne 2019 soit 13, 8 milliards d'euros de crédits ; le tout, puisé partout ailleurs : 3 milliards pris depuis 2017 au budget de la santé et en particulier à l'hôpital public- suppression de 22 000 postes, plus de 5000 lits et injonction à 100% d'occupation pour rentabiliser les établissements quand tous les signaux sont au rouge pour prévenir de l'effondrement et les conséquences sanitaires que cela implique).

En pleine crise, la côte de popularité remontait pourtant pour un chef autoproclamé s'octroyant les pleins pouvoirs, celui-là même qui a ouvert les hostilités. Est-ce le virus qui rend amnésique ou la peur qui fait éclore l'amour de l'autoritarisme viriliste quand on se découvre menacé jusque dans ses rangs, son clan, sa famille, son corps ?

19 mars 2020 : la BCE débloque 750 milliards d'euros pour sauver les banques européennes, éponger une dette publique qu'elle a elle-même créée de toute pièce et... relancer l'emprunt des ménages ; du moins, ceux qui n'auront pas fait les frais de la médecine de guerre en temps de guerre sociale, ceux qui seront encore vivants, donc. 1

Solidarité, entraide, heures supplémentaires, travail gratuit des collectifs, des associations... c'est ce qui nous permet de tenir depuis longtemps déjà contre un Etat qui nous fait la guerre, défait tout ce dont nous avons besoin.

La vie tient avec des bouts de ficelle.

Les journaux de confinement se sont vite transformés, pour nous, en chronique de survie : perdre l'usage d'un, de deux poumons, après les yeux, les mains, ... Le souffle déjà coupé par la conscience que les siens ou soi-même ne nous en sortions pas, on n'a pas mis longtemps à comprendre que là, dans cette situation « exceptionnelle », prendre soin signifie aussi, toujours, autodéfense. Et, en la matière, on avait un coup d'avance après s'être tapé depuis si longtemps les gaz lacrymogènes et les balles de la République.

Nos masques, nos lunettes, nos kits de premiers secours avaient été sacrément mis à contribution durant ces années de saccage social, mais on savait les fabriquer et on a continué à le faire. On s'est équipé et on ne s'est pas arrêté là : on a commencé à s'organiser de proche en proche – quand d'autres continuaient à tergiverser sur la réforme du capitalisme, la transition et le revenu universel dans leur salon en écoutant les postcast de La Guerre de Troie n'aura pas lieu sur France Culture. On a renforcé les maraudes et l'entre-aide entre crevard.es pour se ravitailler, se mettre à l'abri, pour squatter vos logements vides, pour nous soigner, pour faire et refaire communautés et les relais qui les lient entre elles. On a été de plus en plus à mettre, en guise de drapeaux noirs, nos gilets jaunes aux fenêtres et on a recommencé le samedi à faire du tapage nous aussi : oui merci les hospitaliers, mais bande de « connards », non... meurtriers, on est là, on est toujours là, on le sera toujours.

Sound system, casseroles, cris, hurlements, huées, sifflets : comme on vous avait empêché de tenir vos mascarades de vœux de fin d'année, vos cérémonies de bouffons, vos réunions de campagne, de vous rendre au théâtre ou au restaurant, on vous empêchera de nous faire crever. Qu'importe comment : enceintes, mégaphones, vidéoprojecteurs, pour diffuser dans les rues désertées, mais avec du monde au balcon, vos discours, vos mensonges, les images de vos exactions. Nous avions déjà nos slogans, nos chants de lutte, nos réflexions, nos archives et nos imaginaires, nous en avons inventés d'autres. On a pris au sérieux la toile, on en tissera partout.

Ici et là, on sera ensemble, attentive et attentif les un.es aux autres, on aura nos radios clandestines. Harnaché.es de baudriers, de cordes, de poulies, on construira, des passerelles, des ponts : là-haut, d'autres villes apparaîtront entre les immeubles, entre les tours, sur les toits, dans les greniers et les mansardes. On plantera des jardins et des potagers sur les terrasses, dans nos cours, sur nos fenêtres, dans les halls, entre les fissures du bitume, au milieu des friches et des ruines... Partout, nous prendrons de nouvelles zones pour en faire des quartiers, des terres, des continents à défendre. Tout un réseau d'informations se trame, des avions de papiers qui iront plus vite que vos mouchards dans nos fils et messageries ; un système de distribution solidaire aussi, du panier de victuailles en tout genre aux armes contre vos milices : les plans des catapultes de Hong Kong en copyleft entre les mains, des lance-pierres et des arcs contre vos drones, le savoir-faire de Notre-Dame-des-Landes et de Bure en tête. Et alors qui protégera vos supermarchés, vos entrepôts, vos silos ?

Jamais le « rester chez soi » n'aura été un tel appel à l'insurrection. Nos grèves consistent désormais à ne plus avoir besoin de vous : on a arrêté de vous regarder, de vous écouter... ce sera notre 49.3, on s'auto-atteste en guerre contre la mort, celle que vous quantifiez à base de prime chichement accordée pour les plus précaires contraint.es de continuer à faire tourner la machine ; mais la mort, c'est vous. On ne reprendra pas le travail cette fois, ni dedans, ni dehors. On ne reviendra pas pour se faire tanner cet été, « non, moi je ne rentrerai pas, je rentrerai pas la dedans ; ça, je ne mettrai plus les pieds dans cette taule... » 2

On n'y retournera pas au travail : si comme une traînée de poudre, on arrête tout, de produire, de consommer, de payer les loyers, les emprunts, les factures, ... leur dette, leurs dividendes, qui pourra venir nous arrêter ? Le confinement est une mesure pour discipliner, prendre un peu plus le contrôle de nos survies : là où on se repose, où on se reconstitue, le territoire privilégié de la division sexuelle et raciale du travail (reproduire, nourrir, soigner, éduquer, nettoyer, consommer), du patriarcat, puisque le foyer a été créé pour ça ; il est donc cet espace-temps à reprendre, à prendre pour tout.es, et à défendre. Le territoire depuis lequel on peut tout saboter. L'abrisme révolutionnaire – non pas un « chez soi » mais un « chez nous » – porté par les mouvements de grève de loyer à Barcelone, à Paris,... est porté au sein des syndicats de locataires à Los Angeles, à San Francisco, à Melbourne, à Londres...

Ce qui est inédit, ce n'est pas la pandémie ; c'est le refus radical.

Dépose totale a casa. Se tenir à distance, c'est être à l'abri du brouillard mortifère dans lequel vous nous asphyxiez. Loin de vous, c'est nous rapprocher les un.es, les autres. Vous êtes à l'agonie, nous sommes vivants. Pour qui chantent les oiseaux qui reviennent au printemps ? Pour nous.

Notes :

1. [Visite présidentielle le 4 avril 2018 au CHU de Rouen : "Il n'y a pas d'argent magique."]

2. [Reprise du travail aux usines Wonder, mai 68
« non, moi je ne rentrerai pas, je rentrerai pas la dedans ; ça, je ne mettrai plus les pieds dans cette taule... »]


Faire culpabiliser les citoyens

Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué.

Texte de Marco Bersani (Attac Italie)

Cette stratégie a été largement mise en œuvre dans la dernière décennie avec le choc de la dette publique, présenté comme la conséquence de modes de vie déraisonnables, où l’on vivait au-dessus de ses moyens sans faire preuve de responsabilité envers les générations futures.

L’objectif était d’éviter que la frustration due à la dégradation des conditions de vie de larges couches de la population ne se transforme en rage contre un modèle qui avait donné la priorité aux intérêts des lobbies financiers et des banques sur les droits des individus.

C’est bien cette stratégie qu’on est est en train de déployer dans la phase la plus critique de l’épidémie de coronavirus.

L’épidémie a mis le roi à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine libérale.
Un système sanitaire comme celui de l’Italie, qui jusqu’il y a dix ans était l’un des meilleurs du monde, a été sacrifié sur l’autel du pacte de stabilité : des coupes budgétaires d’un montant global de 37 milliards et une réduction drastique du personnel (moins 46.500 personnes, entre médecins et infirmièr.e.s), avec pour brillant résultat la disparition de plus de 70.000 lits d’hôpital – ce qui veut dire, s’agissant de la thérapie intensive de dramatique actualité, qu’on est passé de 922 lits pour 100.000 habitants en 1980 à 275 en 2015.

Tout cela dans le cadre d’un système sanitaire progressivement privatisé, et soumis, lorsqu’il est encore public, à une torsion entrepreneuriale obsédée par l’équilibre financier.

Que la mise à nu du roi soit partie de la Lombardie est on ne peut plus illustratif : cette région considérée comme le lieu de l’excellence sanitaire italienne est aujourd’hui renvoyée dans les cordes par une épidémie qui, au cours du drame de ces dernières semaines, a prouvé la fragilité intrinsèque d’un modèle économico-social entièrement fondé sur la priorité aux profits d’entreprise et sur la prééminence de l’initiative privée.

Peut-on remettre en question ce modèle, et courir ainsi le risque que ce soit tout le château de cartes de la doctrine libérale qui s’écroule en cascade ? Du point de vue des pouvoirs forts, c’est inacceptable.

Et ainsi démarre la phase de culpabilisation des citoyens.
Ce n’est pas le système sanitaire, dé-financé et privatisé qui ne fonctionne pas ; ce ne sont pas les décrets insensés qui d’un côté laissent les usines ouvertes (et encouragent même la présence au travail par des primes) et de l’autre réduisent les transports, transformant les unes et les autres en lieux de propagation du virus ; ce sont les citoyens irresponsables qui se comportent mal, en sortant se promener ou courir au parc, qui mettent en péril la résistance d’un système efficace par lui-même.

Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible ; voilà pourquoi désigner un coupable (« les irresponsables »), en construisant autour une campagne médiatique qui ne répond à aucune réalité évidente, permet de détourner une colère destinée à grandir avec le prolongement des mesures de restriction, en évitant qu’elle ne se transforme en révolte politique contre un modèle qui nous a contraints à la compétition jusqu’à épuisement sans garantir de protection à aucun de nous.

Continuons à nous comporter de façon responsable et faisons-le avec la détermination de qui a toujours à l’esprit et dans le cœur une société meilleure.

Mais commençons à écrire sur tous les balcons : « Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème. »


Etat d'urgence sanitaire et gestion coloniale

ETAT D’URGENCE SANITAIRE: UN NOM ET DES MESURES PUNITIVES QUI CONVOQUENT L’HISTOIRE COLONIALE

A l’heure ou j'écris, l'Assemblée nationale française est appelée à débattre sur un projet de loi permettant au gouvernement de déclarer “l’état d’urgence sanitaire” pour répondre à la pandémie globale du COVID 19 qui met en danger les plus vulnérables d’entre nous. Ce texte permettrait trois choses: le report légal des élections municipales, les dispositions concernant les entreprises mises à mal par la situation de confinement d’une partie de la population, ainsi que les différentes mesures permises par l’état d’urgence sanitaire lui-même. Je n’ai aucune autorité pour discuter ces deux premiers points, mais peut peut-être partager quelques réflexions tatonantes et incertaines à propos du troisième, étant engagé depuis quatre ans dans un travail (toujours en cours) de recherches et rédaction d’une histoire spatiale de l'état d’urgence français.

(un texte de Léopold Lambert)

Bien entendu, l'état d’urgence et l'état d’urgence sanitaire sont des lois sensiblement différentes. La première a été créée en avril 1955 afin d'écraser la Révolution algérienne ou, pour être plus précis, afin de légaliser la violence contre-révolutionnaire française déployée immédiatement après l’offensive du Front de libération nationale algérien le 1er novembre 1954. Celle-ci fut déclarée trois fois durant la Révolution algérienne (1954-1962) en Algérie et en France en complément des six épisodes des “pouvoirs spéciaux” et des deux applications de l’article 16 de la Constitution de la Vème République qui permit à De Gaulle de s’accaparer les pleins pouvoirs. Elle fut ensuite utilisée trois fois dans le Pacifique; à Wallis-et-Futuna en 1986 et à Tahiti-Nui en 1987, mais plus particulièrement en Kanaky durant l'insurrection autochtone kanak de 1984-1988 qui aurait sans doute permis l’accession du pays à la pleine souveraineté si la team Chirac-Pasqua-Pons-Flosse n'était pas arrivée au pouvoir en 1986 — le massacre des 19 d'Ouvéa en 1988 n'est que la tragique conclusion de leurs mesures contre-révolutionnaires. Enfin, elle fut appliquée dans les quartiers populaires de France et des colonies départementalisées d’abord à l’encontre du soulèvement de 2005, puis en 2015-2017 lors de milliers de perquisitions et d’assignation à résidence sur la base hasardeuse de note blanches dans un déchaînement de violence policière, administrative et judiciaire islamophobe.

L'état d’urgence sanitaire, quant-à-lui, naît d’une situation au sein de laquelle l’action de l’état est non seulement nécessaire, elle requiert en effet également des capacités exceptionnelles. C’est d’ailleurs ce que propose l’une des mesures du projet de loi qui permettra de “procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire”. On se prend à rêver à un grand virage du macronisme! Réquisitions des logements de la spéculation immobilière infâme pour les personnes qui connaissent tout du confinement en temps soi-disant “normal”: celui de la rue ou bien celui des prisons ou centres de rétention. Réquisitions d’usines pour fabriquer masques et autres objets de protection pour cellleux que ce même gouvernement oblige à prendre le risque d'être celleux qui permettent aux autres d'être confiné.e.s.: caissier.e.s, ouvrier.e.s, éboueurs.es, livreur.ses, etc. Réquisitions des hôtels de luxe pour alléger la charge des hôpitaux en les transformant en centres de convalescence pour les personnes se remettant peu à peu des effets du virus… Difficile de croire cependant que ce sont là les réquisitions pensées par le gouvernement.

Pourquoi ce nom alors qui évoque la violence des grande contre-révolutions coloniales — au delà du manque d’imagination des technocrates énarques qui n’est plus à prouver? Il y a bien-sur les tentatives grotesques de Macron à se rêver en De Gaulle avec son histoire de “nous sommes en guerre”. De Gaulle, la contre-révolution, il connaît! Mais regardons le texte lui-même. L'état d’urgence sanitaire emprunte d’abord à son aîné colonial son mode de fonctionnement institutionnel: Le gouvernement peut le déclarer unilatéralement pendant 12 jours, au terme desquels il doit devenir une loi, c’est-à-dire être votée au parlement, afin de pouvoir continuer à être opérant. Il reprend ensuite la seule mesure majeure à ne pas avoir été transférée de l'état d’urgence à la loi du 30 octobre 2017 “renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme” (SILT) que le gouvernement Macron-Philippe avait passé comme une lettre à la poste — big up aux postier.e.s! — afin de terminer deux ans d'état d’urgence en inscrivant la grande majorité de ces mesures dans le droit commun. Cette mesure majeure est la possibilité d’instaurer des couvres-feux qui avait été utilisée de manière extrêmement ciblée à l’encontre des quartiers populaires lors du soulèvement de 2005. Nous avons pourtant vu durant les premiers jours de révoltes des Gilets jaunes réunionnais en novembre 2018 qu’un préfet n’avait aucun mal à déclarer un tel couvre-feu en utilisant le code général des collectivités territoriales, chose d’autant plus aisée qu’elle se produisait dans une colonie départementalisée comme la Réunion — mais le préfet en question est désormais préfet du Val-d’Oise et de ses nombreux quartiers populaires. C’est ainsi que l'état d’urgence permettra des “mesures générales limitant la liberté d’aller et venir [la définition légale du couvre-feu], la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion”.

On pourrait se dire “Après tout, pourquoi pas?”; le confinement semble être la stratégie la plus efficace pour affronter cette pandémie et il semble normal que le gouvernement puisse demander à chaque personne qui le puisse de rester chez elle. Néanmoins, il ne vous a peut-être pas échappé que c’est d’ores et déjà ce qui a été fait dimanche dernier durant l’allocation télévisuelle de Macron transformée en un décret (décret du 16 mars 2020). La différence se trouve principalement dans les moyens pouvant être pris afin de punir les personnes ne respectant pas les limitations de déplacement et augmentant le risque de contagion. Néanmoins, la dimension punitive d’une action gouvernementale implique toujours la même chose: l’augmentation du degré discrétionnaire de la police et de ses dirigeant.e.s. Ce degré discrétionnaire est mû à la fois par le positionnement politique et autres biais de chaque policier.e.s, ainsi que par les structures racistes et classistes de l’état français. Cette semaine nous l’a rappelé: d’un côté nous avons pu observer à quel point l’une des caractéristiques de la bourgeoisie (classe de laquelle je suis moi-même issu par ailleurs) correspond à l'idée profondément ancrée que les lois, ou du moins la pleine étendue des lois, ne la concerne pas. C’est ce qu’on a vu lorsque Paris s’est vidée de sa bourgeoisie (comme en mars 1871!) ce weekend et lundi alors qu’une telle fuite comportait nécessairement un risque de propagation du virus à plus grande échelle encore. Il est vrai que le décret n'était alors pas encore entré en action, mais chaque personne ayant fuit la ville l’a fait en sachant pertinemment qu’elle mettait potentiellement en danger de nombreuses autres qu’elle-même. A l'opposé, nous avons pu voir des scènes dignes d’une reconstitution de l’histoire coloniale (mais bien-sûr, c’est le cas de la majorité des interactions policières avec les habitant.e.s racisé.e.s des quartiers populaires) dans le quartier de la Goutte d’or à Paris: mépris verbal, cris, humiliations et arrestations d’une très grande violence. Nul doute que ces scènes ont eu lieu dans de nombreuses autres villes de France ces derniers jours.

En définitive, il faut reconnaître que le projet de loi pour la création d’un état d’urgence sanitaire ne permet pas encore de se rendre compte de sa violence potentielle puisque celui-ci permet surtout au Premier ministre de prendre des décrets dont le contenu sera celui qui nécessitera toute notre vigilance — à cet égard, l’état d’urgence sanitaire fonctionne davantage comme les pouvoirs spéciaux durant la contre-révolution en Algérie que comme l'état d’urgence lui-même. Néanmoins, il ne fait nul doute que celleux qui seront visé.e.s par les mesures punitives de cette loi en dehors des mesures relatives aux réquisitions sont toujours les mêmes: celleux dont les parents ou grands parents ont subit la contre-révolution coloniale française qu'iels soient de la Caraïbe (Déc 59 en Martinique, Mé 67 en Guadeloupe, répression du mouvement autochtone et créole en Guyane), du Maghreb (contre-révolutions des années 1950), de l'Afrique subsaharienne (FrançAfrique, guerre économique contre la Guinée, contre-révolution au Cameroun...) de l'Océan Indien (occupation de Mayotte, répression du mouvement réunionnais), du Pacifique (états d'urgence en Kanaky, à Wallis-et-Futuna et à Tahiti) ou de l'Asie du Sud-Est (guerre coloniale en Indochine).

Les abolitionnistes du système pénal et carcéral nous l’ont appris: punir ne résout rien et, plus grave encore, les personnes qui en font le plus les frais sont presque toujours celles que les structures sociales, raciales et coloniales place d’ores et déjà dans un état de vulnérabilité quotidien. A défaut que les gouvernements inventent des mesures d’information (saluons l’initiative de Santé publique France d’avoir traduit les mesures sanitaires en 22 langues par exemple), de prévention, de responsabilisation et de solidarité afin de faire en sorte que la stratégie engagée soit efficace, c’est à nous de les inventer à un niveau communautaire que ca soit a l’échelle d’un immeuble, d’un quartier ou bien d’une ville entière. Le monde qu’iels veulent à nouveau imposer est le leur, toujours plus décomplexé dans sa violence. Tâchons d’en inventer d’autres au sein desquels créativité, solidarité et bienveillance sont la source de toute interaction.

Léopold Lambert est architecte de formation, chercheur indépendant et le rédacteur-en-chef du magazine anglophone The Funambulist qui tente de formuler des perspectives spatiales autour des luttes.

Source du projet de loi: https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/document-etat-d-urgence-sanitaire-libertes-individuelles-municipales-ce-que