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COVID 18 : dans le nord de Paris sous confinement [FILM + ITV]

Chronique sur la vie dans la rue durant le début du confinement, dans le nord de Paris, autour du quartier de La Chapelle dans le 18eme arrondissement, Covid 18 est un reportage qui redonne beauté et dignité aux quartiers populaires filmés pendant le confinement. Nous avons interviewé les réalisateurs qui sont aussi des habitants du quartier et mettons en lien leur film qui est paru sur Street Politics (durée : 41 min).

Le 18ème arrondissement est entré avec perte et fracas dans l’actualité du confinement. Au marché de Château Rouge une commissaire méprise et engueule les habitants, des policiers mettent violemment à terre une jeune femme, les contrôles sont hyper autoritaires, parfois violents et les amendes pleuvent. Comment avez-vous vécu ces images qu'on a pu voir sur les réseaux sociaux et à la télé ?

Au moment où sont tournées les images dont vous parlez, je me trouve moi-même à Château Rouge empêtré dans un interminable contrôle de police où l'on me postillonne dessus en me menaçant à moins de 30 cm du visage et en m'expliquant que le masque FPP3 que je porte (retrouvé intact dans mes affaires du samedi) ne sert à rien. Je suis dans mon quartier et on m’empêchera non seulement de filmer mais aussi de circuler. Ces images et l'usage qui en a été fait ont fait beaucoup de mal aux commerçants, à la majorité des habitants et aux habitués du quartier. Nous sommes actuellement en train de réaliser un petit reportage avec des commerçants et des habitués du marché Dejean. Ils nous racontent comment « le décret unique en France » qui a suivi cette séquence médiatique, imposant la fermeture des commerces alimentaires, s'inscrit dans une problématique plus large et dans une temporalité plus longue.

En ce qui nous concerne, la couverture des médias ne nous a pas trop intéressés, nous étions indifférents à leur traitement car nous en avons pris l´habitude. Ils disent toujours du mal de notre quartier, ils s'en servent même souvent comme symbole. A Château Rouge ce jour la, les flics ont principalement « fait le show », ici tout le monde sait ça. Ailleurs ils ont fait du sale. A Jaurès par exemple ils ont rabattu tous les sdf et les toxicomanes vers la Rotonde de Stalingrad en les contrôlant partout ailleurs dans Paris pour mieux les taper et les gazer lors de leurs interventions sur la place. Il y a un monsieur qui en parle très bien dans CoVid 18.

Quel était le dispositif pour faire le film ?

Le dispositif de confinement qui s'est imposé dans nos vies était brutal mais notre caméra était déjà bien habituée à la présence des CRS. En « temps normal » c'est elle qui nous sert à alimenter le site streetpolitics.eu en vidéos sur l’actualité des luttes. En fait nous n´avions pas vraiment de dispositif. La réalisation de ce reportage était quotidienne, « confinée », nous sortions peu et filmions encore moins… Le résultat lui-même ne représente qu'une infime vision de la réalité que nous avons traversée et qu'a traversé le quartier de la Chapelle durant le confinement. C'est une vidéo qui traite un peu de tout à la fois, dans des temps courts, dans un périmètre donné, à l'échelle de notre propre quartier où nous étions confinés. Il est vite devenu évident que toutes ces brèves sorties conjuguées ne formeraient au montage qu'une seule journée, la longue journée des premiers temps du confinement, où l'on voit le spectre du virus partout mais avec toujours en premier plan des gens à la rue, des flics et des ambulances.

Dans notre quotidien, il y a tous ces petits moments hallucinants comme lorsque tu es le seul client dans ton magasin alimentaire habituel et que les keufs entrent et mettent un coup de pression faussement amical au responsable derrière sa caisse. Et le lendemain, le magasin est fermé par décret du préfet Lallement. Il y a aussi ce témoignage d'un type à la rue qui sort du tribunal pour avoir squatté pendant une nuit un bar fermé à cause du confinement et qui te raconte que les tribunaux sont blindés de comparutions immédiates pour des faits de rébellion lors des contrôles d'attestations corona. Il y a aussi tous ces nombreux témoignages qui parlent des différences entre les « patrouilles corona », plus cordiales, et les flics du quartier qui en profitent pour régler leurs comptes et viennent chercher les gens directement lorsqu’ils les croisent. Ce que j´ai vécu de plus glaçant lors du « tournage » c'est peut-être ce moment où une infirmière du Samu explique à une voisine que sa mère allait être emmenée à Lariboisière mais qu'il n'y avait pas de place en réanimation pour les personnes comme elle. Elle venait déjà de rentrer d'un long séjour à l'hôpital une semaine auparavant. Elle s’appelait Catherine Amba Ngono, elle avait 84 ans et elle est décédée quelques jours plus tard. Bref... il y avait aussi beaucoup d'autres témoignages que nous n'avons pas filmés, comme celui de cet exilé Sénégalais qui s'est retrouvé à la rue, après avoir été sorti du CRA. Il assurait lui-même qu´il aurait préféré être expulsé du pays plutôt que de devoir vivre ça. Enfin il y a surtout cet incessant ballet d’ambulances sur les boulevards qui te montre comment les quartiers populaires sont particulièrement touchés par le virus. Il me semble que le reportage résume cela plutôt bien.

Au tout début, rappelez-vous, l'annonce du confinement a pris beaucoup de monde de court : c'est ce que l'on a appelé « la stratégie du choc ». A ce moment beaucoup de Parisiens quittaient précipitamment la capitale tandis que d'autres se ruaient sur les magasins pour y faire des courses (parfois pour quitter la ville après, ou pour rentrer se confiner en banlieue). Beaucoup de gens prenaient des photos. A ce moment-là c´était encore quelque chose d´étrange...

Nous étions deux, confinés dans le 18e où nous vivons depuis toujours, et nous étions en train de travailler sur le montage d'un film sur des gilets jaunes de l'Oise. Et c’est devenu vite évident que nous devions en même temps prendre le temps d´essayer de saisir ces moments qui étaient en train de marquer les vies et de transformer la ville.

Tout votre film est traversé par une guerre aux pauvres menée par la police. Et pourtant on y voit aussi des moments de grâce, des moments très beaux. Quel était l'enjeu pour vous de faire ce film ?

La guerre aux pauvres ne date évidemment pas du confinement, elle est devenue visible de manière spectaculaire à ce moment-là, et la police s'en est effectivement emparé à bras le corps. Cela fait longtemps que les habitants historiques du quartier déménagent dans le 93 ou y sont relogés au nom de la lutte contre l'habitat insalubre. Le quartier poursuit une mutation forcée par les pouvoirs publics qui le dénaturent tout en renforçant un climat délétère entre les gens. Dans les années 2000, si tu voulais un paquet de clopes du bled, tu allais à la seule épicerie de nuit ouverte rue Marx Dormoy et aucun riverain ne se plaignait « du trafic de rue ». Les usagers de crack pouvaient compter sur un tissu associatif plus dense et moins précaire qu'aujourd'hui et l'ambiance du quartier était plus apaisée et regorgeait d'initiatives discrètes. Peu à peu, au nom de la lutte contre l'habitat insalubre et au nom de la « mixité sociale », la mairie a entreprit un plan de reconstruction similaire à celui de la Goutte d’Or au début des années 90, cette fois ci en préemptant la destruction et la reconstruction des immeubles et en fournissant la part de logements sociaux obligatoire à des catégories sélectionnées comme les étudiants via le CROUS par exemple. Souvent, au rez de chaussée de certain de ces nouveaux immeubles, on trouve des boutiques ou des restaurants modernes et vides. En 2019, la mairie de Paris a annoncé publiquement être prête à déclencher les « feux de l'enfer » sur « les commerces de mauvaise foi » « qui vendraient tous la même chose » à en croire les publicités ‘Lycamobile’ présentes sur nombre de magasins du secteur. Les besoins réels des habitants qui fréquentent ces commerces au quotidien et des habitués du quartier qui les font vivre en y venant faire leur courses ou retrouver leur proches, sont niés volontairement tandis que sont créés des espaces pour répondre aux besoins d’une autre catégorie de population, celle que l’on cherche à faire venir. Certains habitants, presque exclusivement des propriétaires, soutiennent très activement cette politique urbaine dans l'espoir de pouvoir tirer un immense profit de la vente de leur appartement, une fois le quartier transformé. Pour ce faire, ils tweetent et abreuvent la fachosphère d'images prises depuis leur balcons ou l'on voit des vendeurs à la sauvette et des rafles, accompagnées de pouces bleus en l'air. Cette situation est identique mais avec des implications différentes à la Chapelle comme à Château rouge. La présence policière et la fermeture des espaces publics qui a suivi le mouvement de solidarité avec les campements d'exilés, principalement de l’Afrique de l'est sur la Halle Pajol et dans tout le quartier entre 2015 et 2018, a focalisé l'attention sur l'implication de la police dans la gentrification du quartier via les opérations de démantèlement. Les campements ont été aujourd’hui repoussés, dans le quartier de la Plaine à Saint-Denis. En Novembre 2019, la colline du Crack de la Porte de La Chapelle a été évacuée, d’où l’errance de plus de 300 usagers de Crack dans le quartier pendant le confinement.

Qu’est-ce qu’a changé le confinement dans la guerre aux pauvres menée par la police ?

La police était naturellement très fortement présente au début du confinement autour de La Chapelle car le quartier est classé « zone de reconquête républicaine » après avoir fait partie des premières Zone de Sécurité Prioritaire de France. Des renforts liés au corona se sont vite déployés, et les flics ont pu régler certaines de leurs besognes habituelles avec une liberté d'action accrue par l’état d'urgence sanitaire. Ensuite c´était plus en mode présence continue sur des points fixes, contrôles sélectifs mobiles, harcèlement des commerçants et pêche aux amendes. Il y avait des gendarmes, des Crs, la Bac, des agents de la ville, on avait l´impression de vivre dans un grand terrain d´entrainement de contrôle social totalitaire au nom de l´application de règles sanitaires qu´ils ne respectaient eux même pas du tout. Puis à notre grande surprise, le préfet ordonna la fermeture de trois commerces alimentaires essentiels au quartier : résultat, la queue au monoprix était interminable. Ça a frappé le quartier de manière violente, il n'y avait plus d'endroits bon marché pour faire ses courses et tout le monde s'en est plaint. A la différence de Château Rouge où ce sont les clients vivant hors du quartier et les commerçants qui ont souffert du harcèlement policier dirigé contre eux, à Marx Dormoy, c'est une grande partie de la population résidente qui a été privée de ses commerces essentiels de proximité. C’est le seul quartier de France dans ce cas il me semble, alors que la précarité de beaucoup conduit aujourd’hui à une immense queue pour la distribution alimentaire devant la mosquée détruite de Barbès par exemple. Les gens dans la queue prennent même des photos de la file, tellement elle est longue.

Toutes ces logiques à l’œuvre depuis longtemps ont été exacerbées avec le confinement, comme partout, je pense. Vous l'aurez compris, nôtre quartier n’est pas seulement un quartier exclusivement populaire, c’est un quartier où l'extrême pauvreté des mal-logés et des sans-abris côtoie des lofts huppés avec des nouveaux résidents, qui se rendent au monoprix sans masques et avec beaucoup d'énervement parfois. Nous ne sommes pas en banlieue, nous ne sommes pas dans le centre de Paris, on est dans le 18eme et il s'en dégage toujours et encore un climat unique dans Paname. L'âme d un petit Paris qui résiste, avant tout en étant insaisissable pour les flics et les pouvoir publics et que nous avons cherché à présenter, en lui rendant hommage.

Dans le reportage, les moments de beauté dont tu parles ont été vécus comme tels par la quasi omniprésence de la musique dans les rues. La musique était un élément très important au début du confinement. Les nombreuses scènes musicales qui servent avant tout à rythmer le récit ont été enregistrées dans la rue le plus souvent depuis les fenêtres des appartements et se sont toutes imposées au montage de cette manière là. Au-delà de la musique, il ne s'agissait pas de proposer une vision romantique du confinement mais de rendre compte de l’installation émouvante d'un nouveau cadre, inédit et brutal, qui s'emparait de nos vie et semblait nous relier tous en nous affectant de manière radicalement différentes en fonction de notre classe, des discriminations subies... le confinement a agi comme un révélateur de la violence sociale et politique. La police n'avait au final que relativement peu d’emprise réelle sur la lutte contre la pandémie, au-delà de leurs objectifs répressifs précis et ils s´en sont donnés à cœur joie, dès le début du confinement. Aussi il y a de l’amour dans ce reportage, c'est celui qui relie nombre d'entre nous à ce quartier et que nous n´avons pas su contenir au montage :)

Comment avez-vous organisé les tournages et les rencontres en plein confinement et sans carte de presse ?

Pour ce qui est du tournage, nous avons fait de manière complètement aléatoire, sans plans précis. Nous aussi étions affectés par la situation, nous sortions en alternance une heure maxi par jour, nous promener dans le quartier pour faire des courses, prendre l'air et quelques clichés du moment, comme la plupart d’entre nous l'avons fait avec un téléphone portable. En sortant notre caméra dans nos rues, nous avons eu spontanément beaucoup de gens qui se sont manifestés derrière leur masques, ou en nous faisant des signes à distance, des gens se rapprochaient de nous, et nous n’avons cherché à aborder personne en particulier. Comme cela marchait bien et que le rythme et la manière nous semblaient naturels, nous nous sommes prêtés au jeu, sans même penser à appeler nos connaissances militantes ou autres voisins qui auraient pourtant eu beaucoup de choses intéressantes à nous raconter. Nous nous sommes laissés entrainer dans ces dérives urbaines quotidiennes, stupéfaits par l'ampleur de ce que révélait le confinement, en terme de logique classiste ou raciste de la société. Le fait de ne pas avoir de carte de presse nous a empêché de trop nous rapprocher de la police lors des interpellations et opérations de contrôle, on a donc dû se passer de leur parole (qui, vu la situation, se serait de toute façon retournée contre eux). Nous avons mis l’accent sur tous les gens qui n'ont pas d'autre choix que de faire face à la police au quotidien parce qu’ils vivent dans la rue. Il y a aussi les voisins derrières les masques qui ont besoin d’y être pour souffler deux minutes ou pour aller travailler, mais subissent en permanence les contrôles. Dans le reportage, on voit par exemple un mec qui se fait verbaliser alors qu'il rentre du boulot.

Nous adressons à tous les intervenants du reportage toute notre reconnaissance pour avoir affronté avec dignité et solidarité cette période difficile.


Violence et autodéfense : Interview d'Elsa Dorlin

Il n'aura peut-être jamais été autant question de la violence dans nos vies. Paradoxalement, notre société est aujourd'hui l'une des plus "pacifiée" que l'histoire n'ait jamais connu, sauf du côté de la violence d'état. C'est pourtant cette violence qui est la plus minimisée et niée, tandis que les autres "violences" sont totalement exagérées et stigmatisées. Pour tenter de prendre un peu de recul, nous avons interrogé la philosophe Elsa Dorlin, autrice de l'ouvrage "Se défendre".

 

https://youtu.be/kY_C1d6sVus

 

Interview intégrale disponible ici :
https://youtu.be/nb5lh2F_SLw


l'heure de nous memes a sonné

L'HEURE DE NOUS-MÊMES A SONNÉ

Un an après, on n’a pas oublié la violence d’Etat que se sont pris 151 jeunes mis à genoux, les mains sur la tête, dans une ambiance dictatoriale à Mantes la Jolie. Dimanche 8 aura lieu une manifestation d’autodéfense populaire à 14H à Barbès. Plus qu’un hommage, une réponse et un après !

Si pour la cheffe de l’IGPN il n’y a pas eu de comportement anormal de la police, pour nous c’est un scandale d’Etat de plus dans un régime qui s’effondre et ne tient plus que par sa police.

Alors qu’un autre mouvement lycéen et étudiant est en train de prendre et qu’on arrive en pleine grève, on est allé interviewer Yessa, une des mamans du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois qui organise cette manifestation.

« L’heure de nous-mêmes a sonné ». Interview avec Yessa, une maman du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois.


Raconte-nous cet appel pour le 8 décembre 14h à Barbès, comment vous l’avez organisé ?

On a longtemps hésité. On s’est dit : souvent quand il y a une grosse mobilisation autour des violences policières c’est quand il y a eu un mort. Nous ce qu’on dit c’est qu’on ne va pas attendre qu’il y ait un mort. On ne veut plus entrer en lutte uniquement quand il y a un drame. Il faut prévenir et se mobiliser contre toutes les injustices et contre toutes les violences, qu’elles soient systémique, qu’elles soient policières, les violences sociales aussi. Prenons ça tous ensemble à bras le corps. On n’attendra plus le prochain drame. Aujourd’hui les femmes dans le Collectif de Défense des Jeunes du Mantois, si elles ont la force de porter le combat c’est parce que leur enfant est toujours en vie et qu’elles savent les violences policières qu’ils subissent, elles avaient pour certaines déjà porté plainte contre des violences policières parce que leur gamin avait été tabassé dans le commissariat de Mantes la Jolie. Quand il y a un drame, quand les mères perdent la chair de leur chair souvent elles n’ont plus la force et c’est les frères ou les soeurs qui mènent le combat.

Ces mères elles ont encore la force parce que leur enfant est encore là. Elles ont encore l’instinct de protection et l’utilisent à ce moment là pour lutter. Qu’on nous fasse de la place !

Je le dis parce que c’est compliqué face à la machine étatique, le rapport de force il est dur. On le voit avec les gilets jaunes qui bataillent depuis plus d’un an. Avant ça il y a eu toutes les mobilisations, ça part de 1983, la marche pour l’égalité. Ensuite il y a eu toutes les marches à chaque fois qu’il y a eu un mort entre les mains de la police.
Les mouvements sociaux, les manifs loi travail, les luttes portées par l’antiracisme politique et le mouvement décolonial tout ça cumulé, on arrive à un moment ou là - je vais citer Césaire :

« l’heure de nous-mêmes a sonné » à tous. Le 5 c’est important d’être dans la rue. Parce que cette question des retraites nous touchent tous, habitants des quartiers, pas des quartiers, arabes, noirs, musulmans… Les retraites ce n’est que la partie visible de l’iceberg, mais ça va avec cette montée du tout sécuritaire.

Quelque chose doit se jouer au cœur de cet hiver. Il y a des rendez-vous à ne pas louper : celui du 5, mais aussi les mobilisations contre la précarité des étudiants, les mobilisations de sans papier, et lorsque nos migrants sont chassés aux frontières. Mais aussi lorsqu’une partie de la société civile fait corps avec le gouvernement pour asseoir une légitimité de classe contre les plus fragiles, il faut se mobiliser. Et là on ne pourra pas parler de lutte sociale en occultant l’antiracisme politique, parce que la précarité elle touche un bon nombre de français aujourd’hui, mais lorsqu’on cumule, qu’on est un jeune homme noir ou arabe et qu’on vit dans un quartier comme celui du Val Fourré, qu’on se mange les violences sociales et racistes… On parle même pas du racisme ordinaire, mais bien du racisme d’Etat qui permet ensuite à des chroniqueurs de tenir des propos violents à l’antenne. Comme se fut le cas de Zineb El Rhazoui qui a dit qu’il faudrait que la police tire à balle réelle sur les jeunes. Comment cela est permis ? Si on en arrive là, la responsabilité elle vient de là haut.
Notre ennemi à tous c’est l’Etat. On nous a reproché que notre appel était trop politique, et même que c’était bizarre que ça soit des mamans qui l’aient écrit. Donc le mépris il vient même d’ici, de certains milieux militants, sous prétexte qu’on est des mamans, on ne serait pas capable d’avoir un discours politique. Donc nous avons introduit volontairement notre appel par « nous sommes en guerre » et cette guerre que les différents prédécesseurs de Macron ont initiée, lui il la perpétue.

C'est une guerre intérieure, une guerre qui cache son nom derrière des lois liberticides, derrière des réformes assassinent…etc

On n’a pas vécu de guerre civile, mais on a vu des choses, on a lu et on voit ce qui se joue sur la scène internationale : au Chili, en Algérie, à Hong Kong. Tout ça est lié. Le fil rouge c’est l’impérialisme et le capitalisme. C'est ce rapport de domination du Nord sur le Sud. Cette volonté des puissants, des gouvernements et des institutions d’assoir leur pouvoir par la violence ne présage rien de bon pour nous tous. Donc nous ce qu’on dira le 8 décembre c’est que nous sommes en guerre contre tout cela. Mais nous disons surtout que nous voulons la paix ! Tout a été fait pour qu’on en soit là aujourd’hui. Cette conscience politique, nous la vivons au quotidien à différents moment : Premièrement, dans notre rapport aux institutions. Deuxièmement, quand nous retournons dans nos pays d’origine et que nous voyons les dégâts de l’impérialisme. Et troisièmement, au repas en famille quand il y a les grands pères qui nous parlent de ce qu’ils ont vécu pendant la guerre d’Algérie avec les pratiques policières. Aujourd’hui, qu’est ce qui a changé ? Il y a juste une transposition géographique. Mais les arabes et les noirs aujourd’hui sont traités de la même manière que leur aïeux. Rien a changé. Donc les différents champs qui composent la lutte aujourd’hui doivent prendre conscience qu’on ne peut pas lutter uniquement contre le capitalisme sans se soucier du racisme, c’est pareil pour les luttes contre l’impérialisme ou les luttes féministes. Prenons conscience de ça ensemble, on invite celles et ceux qui vont manifester le 5 à nous rejoindre le 8 décembre. L’année dernière quand il y avait les gilets jaunes et que les lycéens ont commencé à faire blocus ça a fait flipper l’Etat.

Les prochaines étapes c’est le 5, le 7 avec les gilets jaunes qui seront massivement présents dans les rues, et nous on a choisi le 8 pour permettre aux gilets jaunes de nous rejoindre.

Depuis un an, on s’est rapproché de différents collectifs en lutte. Ces convergences qui n’étaient pas d’actualité il y a un an, elles le sont plus que jamais aujourd’hui. Donc l’heure de nous-mêmes a sonné. A toutes et tous.


Est-ce que d’une certaine manière il ne faut pas « institutionnaliser » la défense populaire ?

Je dirais plutôt qu'il faut l'organiser, mais avec beaucoup de souplesse, car tout est muable et surtout les spécificités des uns et des autres sont multiples. Quand j’entends parlé de « méthode » de lutte à suivre dans le milieu militant ça me fait marrer. Dire cela c'est vouloir imposer une manière de faire et nous on est contre ça. On s'inspire des luttes passées certes mais on improvise surtout avec nos réalités.
Enfin on se dit qu’entrer dans la lutte politique c'est aussi faire de belles rencontres.

Au départ on pensait être isolées, et on s’est rendues compte que partout en France il y a des femmes qui sont entrées dans la lutte des mères de familles.

Il y a les femmes en luttes du 93, il y a le comité de vigilance des violences policières à Pantin, il y a les femmes de Villeneuve Saint Georges, les very bad mothers du coté de Nantes. Pour préparer le 8/12 nous avons pu compter sur la solidarité et le soutien actif du Collectif des mères solidaires co-fondé par Geneviève Bernanos. A l'internationale également des collectifs de mères et de femmes nous soutiennent, les Omas gegen Rechts qui nous rejoignent (les grands mères autrichiennes et allemandes opposées à l’extrême droite et la droitisation de la société), des mères italiennes qui vont venir de Turin, les Madres Contra la Represion, des femmes belges qui ont l’intention de venir. Il y a eu une manifestation de solidarité dès le départ lorsqu’on a lancé la marche au mois de septembre. Toutes ces alliances qu’on a faites depuis le 6 décembre dernier compte beaucoup.
Il y aura un après 8 décembre. Ça ne sera pas qu’un one shot. Là on a préparé des choses concrètes qu’on dira le 8 décembre parce qu’on a réfléchi à l’après.

Comment avez-vous réagi en apprenant ce qu’il s’était passé à Massy où des policiers ont tiré aux flashball sur des lycéens suite à un blocus ?

Quand on a vu la vidéo à Massy c’était fou. Ça s’est passé aussi à Toulouse et à Creil.

A partir du moment où on est capable de tirer à bout portant sur un gamin, il faut se dire que plus personne ne sera épargné.

C’est grave. Le 8 décembre ça sera ça aussi.
Quand on a un étudiant qui s'immole, épuisé par la précarité, quand un autre étudiant s’étouffe avec un sac plastique dans sa chambre de Crous et qu’il y a zéro réaction de la part du gouvernement. Ou quasi rien. Ils ne sont plus capable de regarder la population en face. Et ça c’est grave. Donc on va marcher le 8 décembre contre ça aussi. Mais aussi contre la répression qui s'abat contre les militants antifas, comme on a pu le voir dans le cas d'Antonin Bernanos, cet acharnement judiciaire dont il est victime est à dénoncer avec autant de ferveur que lorsqu’on lutte contre les violences étatiques plus visibles, la répression par l'enfermement est une violence. On pense aussi à Dan, cet étudiant italien, qui aujourd'hui est enfermé dans un CRA pour délit d'opinion, menacé d'expulsion. Aujourd'hui en France on en là. Que la France arrête de donner des leçons de droit de l'hommisme !

Raconte-nous ce 6 décembre à Mantes le Jolie et le contexte de mouvement lycéen dans lequel cette journée s’inscrivait.

Le blocus avait commencé dès le début de la semaine. Dès le départ ce qu’on a répondu à cette mobilisation lycéenne naissante ça a été une réponse répressive. Dès le départ les forces de l’ordre étaient présentes aux abords des établissements. C’est allé crescendo jusqu’au 6 décembre. Les lycéens ne comprenaient pas l’usage de la force ; les policiers ont très vite lancé des grenades lacrymogènes, ils ont très vite utilisé leurs LBD et évidemment la violence répond à la violence. C’est à dire que ces gamins là qui s’étaient préparés à faire blocus, à l’instar des différentes mobilisations lycéennes partout en France, ils se sont retrouvés face à la violence étatique.
Je fais partie de ces parents, de ces adultes, qui trouvent légitime que la colère, que le sentiment de révolte ne trouve parfois pas d’autres choix que de s’exprimer par la violence à un instant T. Et notamment dans le cas de Mantes la Jolie, la violence de nos gamins, lorsqu’ils répondent par des jets de pierres, ils répondent à une violence qui leur fait face. C’est une manière de dire nous existons. Ils nous l’ont expliqué de cette manière. « On en est venu à la violence parce que c’était tout à fait légitime, on était en droit de manifester, on a voulu nous priver de ce droit, donc on a répondu de la même manière. »

Est-ce que les lycéens avaient en tête le contexte gilets jaunes et sa violence répressive à ce moment là ?

 

C’était clairement dans la tête des lycéens. J’ai encore ce fameux screenshot qui était touchant d’une adolescente, c’était sur Insta, elle avait lancé le truc en disant : « venez on fait comme les gilets Jaunes ». insta qui pour faire les jaunes devant rostand ?

Ça se poursuit sur Snapchat dans les appels à blocus et ça c’est un truc sur lequel les médias mainstream sont complètement passés à coté. Ils ont repris la version de la préfecture qui a légitimé les interpellations du 6 par un climat de violences urbaines, de climat émeutier… Mais personne avant le 6 n’est allé trouver les lycéens pour leur demander pourquoi ils étaient dans la rue.

La presse classique n’a pas pris la peine de rencontrer les lycéens qui non seulement emboitaient le pas aux gilets jaunes, mais avaient aussi des revendications claires. En tant que jeunes des quartiers, noirs, arabes, ils avaient conscience que Parcoursup allait impacter leur avenir scolaire et professionnel.

Ils n’auront plus accès de manière démocratique aux études universitaires parce que quand on regarde les établissements qu’on a ici, sur un CV ça ne le fait déjà pas, mais pour entrer maintenant avec la sélection dans les universités, clairement ça devient encore plus dur. Ils ont conscience de ça.
En tant qu’adulte, ça me chiffonne de voir qu’on occulte trop souvent leur conscience politique, l’acuité qu’ils ont à comprendre les choses même s’ils ne le verbalisent pas de la même manière qu’un adulte. Et c’est tant mieux, parce que les discours très carrés des gens qui maitrisent tout, ça enlève de l’authenticité parfois à certains combats. D’ailleurs c’est pour ça que le mouvement des gilets jaunes est beau, parce qu’il est à l’image de la société. Le peuple à des choses à dire, ceux dont on n’entend pas les voix parce que ces discours là sont loin des codes de l'oralité dite « académique », c’est pareil pour les gamins de Mantes, ou les lycéens en général. On leur enlève de fait la possibilité de s’exprimer sur la scène politique, ou là dans la rue parce qu’on estime souvent que les revendications ne sont pas claires, voire même qu’il n’en existe pas.

Comment les jeunes ont vécu ça ? Comment ils en parlent ? Y a-t-il des traumatismes ?

La chose sur laquelle ils reviennent souvent, c’est le sentiment d’humiliation. Cette vidéo elle va rester; ils sont à un âge où ils se construisent, aussi à travers le regard de l’autre. Ce qui les a marqués c’est l’humiliation collective. Surtout les jeunes hommes noirs, arabes, turcs qui habitent le quartier du Val Fourré, à quelques centaines de mètres de ces 2 lycées, (Jean Rostand et St Exupéry), qui ont l’habitude d’être confrontés de manière individuelle à la police dans leur quotidien (du contrôle au faciès à la palpation), mais là ils étaient 151, donc cette volonté de les humilier, elle les a marqués d’autant plus qu’après, ils sont retournés en cours, et pour ceux qui vont poursuivre leurs études, dans les programmes scolaires, ils vont être confrontés à des images d’archives, par exemple celles de la guerre d’Algérie, ou par exemple du Chili sous Pinochet, la guerre du Viêtnam, d’Indochine.

Ils vont être confrontés à une iconographie qui va leur rappeler que, eux aussi, en France, en décembre 2018, à Mantes-La-Jolie, sous Macron, sous Castaner, ils ont été mis à genoux…

C’est fou, hein, mais c’est ce qu’ils nous disent, quand on les rencontre avec le collectif: « Madame, on a étudié un texte, qui était accompagné d’une photo, et ben on a été mis dans la même position… »

Quel est le bilan de cette journée en terme de blessés, d’arrestations et de signification ?

151 interpellations, des blessés. Il y a eu beaucoup de tirs de flashball. Des lycéens ont été touchés mais sans blessures graves, à la joue, à la cuisse, suite aux tirs de LBD. Les témoignages qui ont été recueillis à chaud, quand les lycéens sont sortis de garde à vue sont glaçants. Ceux qui avaient plus de 16 ans, ont fait automatiquement 48 heures.
Puis il y a la vidéo filmée par un policier qui circule, elle ne dure que quelques secondes, mais c’est déjà un condensé de violence, symbolique parce qu’il n’y a pas de geste violent à ce moment là, mais la posture, le maintien tête baissée, l’humiliation c’est une pratique violente.
Les plus « chanceux » sont embarqués au bout d’une quart d’heure, ils n’ont pas eu à subir cette position non seulement humiliante, mais aussi douloureuse: on est au mois de décembre, il fait froid, il pleut, ils sont agenouillés dans la boue, les cailloux, ils n’ont pas le droit de se mouvoir, de se regarder, de parler.
Les violences individuelles n’ont pas pu être toutes recensées, mais on a 151 gamins qui ont subi, pour paraphraser un peu Fanon, un langage de pure violence, physique et verbale, de la part des autorités. Parce qu’à ce moment là les forces de l’ordre obéissent à des ordres, qui viennent du ministère,

donc les responsables de l’affaire de Mantes-la-Jolie ce ne sont pas uniquement les policiers, ce serait trop facile! C’est tout un gouvernement qui, en décembre 2018, a permis ça. C’est tout un gouvernement qui, depuis l’automne dernier, massacre sa population.

C’est tout un gouvernement qui, aujourd’hui, tient sa population par le taser, les lacrymos, la matraque et le LBD. Il y a vraiment un langage de pure violence, un usage de plus en plus accru de ce qu'on appelle la violence légitime celle dont l'Etat a le monopole.

Ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie, c’est pas tellement une montée de la violence policière, ça résulte de décennies d’histoires de violences policières dans les quartiers d’immigration, c’est plutôt une extension.

A l’automne dernier, cette violence franchit le périph et touche une autre frange de la population, celle des gilets jaunes. Il y a évidemment des gilets jaunes qui viennent des quartiers populaires, il y a des gilets jaunes noirs, arabes, musulmans, qui eux connaissent déjà ou ont connu les violences policières.
Le 6 décembre dernier, la volonté de l’Etat était qu’il ne fallait surtout pas que vienne s’ajouter au mouvement des gilets jaunes, un mouvement lycéen. Et ça a fonctionné. On parle beaucoup de Mantes-la-Jolie, mais ailleurs aussi il y a des lycéens qui ont été violentés, voire blessés. Mais l’affaire de Mantes est vraiment venue couper l’herbe sous le pied à ce mouvement naissant, qui était celui de la jeunesse; en tous cas, nous, c’est comme ça qu’on l’analyse.

Ça en est où du côté de la justice ?

Il faut voir la réponse de Brigitte Julien, cheffe de l’IGPN. Elle est interpellée à l’assemblée nationale dans le cadre d’une enquête parlementaire en mai sur les violences policières. A propos de Mantes la Jolie elle dit que l’enquête de l’IGPN est bouclée et sa phrase c’est « il n’y a pas eu de comportement déviant de la part des policiers ce jour là à Mantes la Jolie. » Bien qu’on sache que l’IGPN n’est en aucun cas un corps indépendant de la machine policière et judiciaire, on reste stupéfaites. Il y a quand même une vidéo. Rien qu’en se focalisant sur le droit, ce policier qui filme 151 gamins entravés (même si lui dit qu’il a mis cette vidéo sur un groupe whatsapp et qu’ensuite c’est quelqu’un d’autre qui l’a mise sur les réseaux sociaux) ça ne va pas, il y a quand même des histoires de droit à l’image et là c’est des mineurs en plus.

Brigitte Julien qui a certainement quelques notions de droit doit savoir qu’on ne peut pas filmer et diffuser les images d'une personne dans le cadre d’une procédure ou d’une interpellation et qu’on ne peut pas filmer et diffuser les images de personnes entravées parce qu’il y a cette fameuse présomption d’innocence, et il s’agit d’autant plus de personnes mineures.

Elle ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de comportements déviants. Cette vidéo elle contient à elle seule toutes les déviances dont sont capables les forces de l’ordre qui œuvrent en toute impunité.
Ensuite, la procureur de Nanterre classe sans suite 4 plaintes durant l’Eté. Comment peut-on classer sans suite une affaire comme celle-ci après avoir auditionné 4 lycéens sachant que dans cette affaire il y a autant de victimes que de témoins, ils sont 151! Elle ne se base que sur 4 plaintes.
Alors, on avait été préparées, on savait que des violences plus graves ont déjà été commises, des violences policières qui ont entrainé la mort on les comptent par centaines depuis des décennie, des éborgnés et des mutilés, notamment dans le cadre des gilets jaunes. Alors nous, on se dit qu’on va pas lâcher l’affaire. Elle classe sans suite, mais nous on ne classe rien du tout.
Au mois de septembre, les familles se portent partie civile et l’UNL suit également. Il y a eu les premiers dépôts de consignation il y a quelques semaines. On poursuit de cette manière.

Note : L’UNL a porté plainte pour « violences sur mineurs de 15 ans et plus par personne dépositaire de l'autorité publique », « actes de torture et de barbarie sur mineurs par personne dépositaire de l'autorité publique et en réunion », « violations de libertés individuelles » et « diffusion illégale d'images de personnes identifiables mises en cause dans une procédure pénale ».

Comment ça s’est passé au niveau des soutiens ?

Au moment où la vidéo est diffusée, évidemment l’indignation est générale sur les réseaux, et même avec des grosses organisations comme Amnesty international ou la LDH, donc les images suscitent l’indignation. Point. Mais après c’est le propre des réseaux sociaux et de l’instantanéité de l’info. Tout vas trop vite parfois. Mais il y a l’après. Il y a une solidarité qui est là et qui était presque naturelle, d’abord de la part le milieu de l'antiracisme politique et la plupart des collectifs de lutte contre les violences policières, notamment Urgence Notre Police Assassine, les antifas aussi, et bien évidemment, les Gilets Jaunes. Jusqu’à présent il faut savoir que la page du collectif reçoit énormément de messages de soutien de la part des gilets jaunes. Nous, on a nos gilets jaunes locaux, les gilets jaunes de Buchelay, mais il y a des gilets jaunes de par la France qui nous envoient des messages de soutien. Souvent on reçoit des photos de cette posture qui avait été imposée aux gamins de Mantes la Jolie et par laquelle les forces de l'ordre ont essayer d’humilier, de porter atteinte à la dignité de nos enfants.

Dès le lendemain c’est une posture qui est devenue un acte militant. C’est devenu un symbole contre les violences policières.

hommages aux lycéens de mantes la jolie
Voilà pour les solidarités fortes qu’on a depuis le départ. Le collectif a essayé tant bien que mal de tenir l’opinion publique en alerte, mais c’est hyper compliqué parce qu’une actualité en chasse une autre. Mais jusqu’à présent on tente de le faire malgré tout. Même si certaines membres du collectif sont essoufflées. Ce ne sont pas des militantes. Forcément l’investissement s’est un peu amoindri au fil du temps, même si on reste un bon petit groupe actif localement. Parfois on est sollicitées ailleurs et on le fait parce qu’on se dit que pour tenir la distance sur le marathon juridique et judiciaire il faut aussi asseoir une place dans l’espace militant, dans les espaces de lutte contre les violences d'état.
Ce qu’on dit aujourd’hui et c’est une des raisons pour lesquelles on a décidé d’organiser une marche pour la date anniversaire, c’est que les mamans sont souvent fantasmées comme des sujets politiques passifs et dociles. Et il y a aussi un côté hyper infantilisant de la société en général. Les institutions, l’école. On nous a assignées à un rôle auquel il faudrait se cantonner. Sortir de ce rôle c’est être considérées comme des mères inconscientes « occupez-vous d’abord de l’éducation de vos enfants et nous on s’occupera du reste ». Mais l’éducation de nos enfants elle se fait à la maison et à l’extérieur. Quand on envoie nos enfants à l’école on ne laisse pas notre rôle qui est d’éduquer et d’accompagner à la porte de l’établissement. Ce qu’on demande surtout aux enseignants c’est de transmettre des apprentissages, mais on ne leur demande pas d’éduquer nos enfants. On ne veut plus répondre à ces injonctions sur l’éducation. Les mères dont les gamins ont subi des violences physiques et verbales, souvent on leur dit « mais enfin c’est un peu de votre faute ». Ça c’est d’une violence…!
Là on a touché à la chair de leur chair, il y a des gamins qui se sont pris des coups en garde à vue, qui ont été insultés de sales arabes, de sales noirs, il y a des jeunes filles qui ont reçu des insultes sexistes de la part de policiers hommes, envers des mineurs. Et on voudrait que ces mères restent dans leur cuisine ? Parce que c’est de cette manière qu’on voudrait nous assigner. On est des femmes d’origines maghrébines, africaines, musulmanes, ou ne nous imagine pas ailleurs que dans nos cuisines.

Cette interview a été réalisée avant le 1 décembre et il semblait important de rappeler des dates de mobilisation contre les violences policières. Certaines sont passées depuis et d'autres sont à venir, mais nous les énumérons toutes ici quand même :

- Le 1er décembre avait lieu un hommage à Zineb Redouane, morte par un tir tendu de lacrymogène d’un CRS à Marseille alors qu’elle fermait ses volets.
- Le 3 décembre a eu lieu à Paris une campagne de soutien à Assa Traoré dont le frère Adama est mort sous le poids de trois gendarmes en aout 2016. Assa Traoré comme le reste de sa famille subit depuis un acharnement judiciaire.
- Le 7 décembre à 14H à Rennes aura lieu la marche pour Babacar Gueye tué en 2015 par un agent de la BAC de 5 balles.
- Le 8 décembre à 14H à Barbès (Paris) aura lieu la marche des mamans pour la justice et la dignité.

Marche des mamans


Rojava andré hébert

Comprendre le Rojava, interview avec André Hébert

Le Rojava, expérience à ciel ouvert de démocratie directe et de pluralité des identités, vit aujourd’hui un chapitre sombre dans son histoire mouvementé. A la faveur d’un départ des troupes américaines, Erdogan en a profité depuis le 9 octobre pour bombarder la région et ses habitants, anéantir celles et ceux qui au prix de milliers de morts avaient pourtant vaincu Daech. Son but : tuer un maximum de personnes et remplacer une population par une autre. Jamais dans l’histoire un génocide n’avait été annoncé si tranquillement à l’avance sous l’œil lâche des pays membres de l’ONU. Nous avons rencontré André Hébert, militant internationaliste qui était allé combattre au Rojava contre l’Etat islamique et pour un idéal révolutionnaire. Nous avons pu lui demandé de nous faire un topo sur la situation au Rojava. 

Bonjour André, est-ce que tu peux te présenter ?

Je m’appelle André Hébert j’ai 28 ans aujourd’hui, j’en avais 24 la première fois que je suis parti au Rojava et je me définis comme militant communiste et ancien membre du YPG et aujourd’hui, aussi comme membre du CCFR (Collectif des combattant.es francophones du Rojava)

Qu’est ce qui t’avait poussé à aller au Rojava ? 

C’est quand j’ai vu la bataille de Kobané qui avait été pas mal médiatisée en France. J’ai d’abord été impressionné par le courage des défenseurs de Kobané qui résistaient face à l’invasion de l’Etat islamique qui à l’époque avait bien plus de combattants et des équipements à la pointe de la technologie, avec des tanks notamment, ce qui n’était pas le cas des kurdes, qui eux résistaient avec des armes légères à cette déferlante djihadiste. Ensuite je me suis intéressé à l’organisation qu’est le YPG et j’ai découvert qu’ils ne se battaient pas seulement pour leur terre ou contre l’Etat islamique mais qu’ils se battaient pour un véritable projet révolutionnaire. Ce projet correspondait dans les grandes lignes à la façon dont je voulais voir la société changer en tant que militant français.

Est-ce que tu peux nous faire un topo des forces qui luttent en ce moment au Rojava ?

C’est une coalition qui s’appelle les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dont la colonne vertébrale est le YPG (les unités de protection du peuple) qui est l’armée des kurdes syriens. A quoi viennent s’ajouter un certain nombre d’unités arabes, turkmènes, syriaques, assyriennes, donc ces forces démocratiques syriennes sont réellement le reflet de la mosaïque ethnique et confessionnelle qu’est le Rojava. Il faut aussi rappeler qu’il y a le YBS qui sont les unités de résistance du Sinjar et qui sont les forces armées des Yézidis dont on a pas mal reparlé ces derniers temps. Donc c’est l’ensemble de ces forces qui aujourd’hui se bat contre l’invasion turque.

Comment s’est constitué le Rojava et sur quelles bases ? Est-ce que c’est par les guerres ou il y’avait-il un projet commun avant ? 

Le Rojava ne s’est pas constitué récemment, c’est une des parties éternelles du Kurdistan. Y’a cette zone d’ailleurs, le canton d’Afrin qui a été envahie par les turcs en 2018 et la zone qui est attaquée actuellement, c’est la zone historique des peuplements kurdes, une des quatre parties du Kurdistan qui est éclaté entre quatre pays : la Turquie, l’Iran l’Irak et la Syrie. Donc voilà ce qu’est le Rojava. Ensuite il y a le parti des travailleurs du Kurdistan en Turquie qui lui lutte depuis très longtemps et en 2011, à la faveur de soulèvement contre Bachar Al Assad il y a eu la création du YPG et les kurdes ont eu, au début du soulèvement, l’opportunité de prendre leur destin en main et surtout ils ont eu la nécessité de créer une force d’auto-défense face aux attaques du régime et de celles des islamistes de l’armée libre syrienne qui déjà à l’époque les attaquait. Donc c’est comme ça que s’est constitué le YPG.

As-tu des nouvelles récentes de la situation au Rojava cette semaine depuis le déclenchement de la guerre par Erdogan mercredi dernier ? 

Oui, même depuis quelques jours avant. Les camarades qui sont sur le terrain nous relayaient leur inquiétude, tous les signaux d’alerte étaient au rouge, la population évacuée, les unités militaires qui se mettaient en ordre de bataille. Là ces derniers jours il y a effectivement des échos de plus en plus inquiétants. Il y a deux choses, sur le plan des prisonniers djihadistes, on a bien eu confirmation qu’il y a 800 membres des familles de Daech qui se sont évadés du camp d’Aïn Issa dimanche après midi, ça vient après les membres de Daech qui se sont évadés de la prison de Qamishlo à la faveur d’une frappe aérienne turque qui avait pour but de les libérer. Il y a eu aussi des émeutes dans un autre camp de prisonniers. Donc il y a cette situation là qui est extrêmement inquiétante et surtout le plus important c’est la situation militaire, là nos camarades résistent dans la ville de Ras al-Aïn (en kurde : Serê Kaniyê) que les turcs essayent d’envahir en ce moment et donc il y a des combats urbains très durs où nos camarades résistent avec beaucoup de courage face à l’invasion turque en ce moment. Parmi ces camarades il y a une dizaine de combattants internationalistes.

Qu’en est-il en Turquie ? Est-ce que cette guerre est populaire ou au contraire connaît-elle une opposition ?

Il y a deux choses. Du point de vue de la résistance kurde la frontière est complètement artificielle, donc elle n’existe pas et toutes les forces kurdes y compris celles du nord du Kurdistan, donc en Turquie, sont mobilisées dans la lutte contre l’armée turque comme elles l’ont toujours été. Les forces politiques et politico-militaire de la gauche turque qui sont présentes au Rojava mais qui luttent aussi en Turquie, elles c’est pareil, elles continuent leur lutte de longue date contre l’armée turque.
Maintenant du point de vue des supporters d’Erdogan, il y a malheureusement dans la population turque une grosse base sociale islamo-nationaliste qui le soutient. Eux n’ont pas changé et supportent cette guerre.

Le caractère libertaire et automne du Rojava fait-il que l’occident se mobilise moins pour le défendre ? Pourquoi les Etats Unis ont quitté la zone ? 

Sur les raisons qui ont fait que les américains ont quitté le Rojava, je pense qu’ils l’ont fait pour des raisons géo stratégiques que pour l’instant on comprend mal et qu’on comprendra peut-être à l’avenir. Ensuite, de ce que j’ai vu et de ce qui transparait des rapports de ce qu'était la coalition internationale contre Daech, et des rapports des puissances impérialistes occidentales envers les kurdes, ils ont toujours méprisé le système kurde, ils ne l’ont jamais pris en compte dans l’équation. Je ne pense pas que les raisons de leur départ soient liées à la nature du modèle sur place mais plutôt lié à des rapports de force géo stratégiques qui dépassent tout ça.
Mais après, pour le point de vue des soutiens au Rojava c’est quelque chose de très important à mettre en avant. Ce modèle qui est là bas, qui est basé sur la démocratie directe, sur le partage des richesses, sur l’écologie, le féminisme, c’est un modèle qui est précieux pour tous les gens à travers le monde qui essayent de changer de société, de changer de système, de construire un futur alternatif au capitalisme et ce modèle-là est enfin au 21e siècle un modèle qui fonctionne, qui porte ses fruits. On a enfin une expérience révolutionnaire à défendre, c’est pour ça qu’il faut que les gens comprennent y compris en France que ce qu’est en train de massacrer Erdogan c’est aussi nos valeurs et l’espoir d’un avenir meilleur, quelque chose qui nous concerne en tant que français.

Sur notre page Facebook on a vu apparaitre des commentaires pro turcs qui traitaient le PKK de terroristes. Comment arrive-t'on à ce que ceux qui ont combattu Daech soient traités de la sorte ? 

Oui évidemment, il y a effectivement un problème qui est lié à la posture de l’Union Européenne et des Etats unis vis à vis du PKK. Ça fait extrêmement longtemps que le PKK ne cible plus les civils. Ils ciblent uniquement les forces armées turques. Quand on reprend la définition précise de ce qu’est le terrorisme, on voit bien que ça fait 20 ans que le PKK ne s’inscrit plus dans ces modes d’actions, dans les modes d’actions terroristes.
Cette étiquette qu’on a posé sur le PKK depuis très longtemps sert la propagande turque. Les Etats unis et l’Union Européenne auraient dû prendre leurs responsabilités et retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. Une chose qui est certaine c’est que quand on parle des YPG, les forces démocratiques syriennes qui sont en train de se battre, on peut discuter de la distinction entre ces dernières et le PKK, moi je crois que c’est bien plus complexe. Les forces démocratiques syriennes ne sont pas une simple émanation du PKK. Ça c’est un raccourci qui est fait par beaucoup d’observateurs qui ne connaissent pas le terrain et qui sert la propagande turque. La réalité est bien plus complexe que celle là et quand on prend les forces démocratiques syriennes et les YPG dans leur histoire, je défie quiconque de trouver une seule action répréhensible et ils trouveront encore moins une seule action qui correspond à la définition du terme terrorisme. Donc tout ça est quelque chose qu’il faut rendre extrêmement clair car ce n'est ni plus ni moins que de la propagande turque qui s’appuie sur les contradictions de la politique étrangère des Etats impérialistes.

Une manifestation kurde en soutien au Rojava a été gazée par la police jeudi soir pas loin de Châtelet où une occupation d’Extinction Rebellion avait lieu. Alors que la France fait mine de condamner la guerre lancée par Erdogan pourquoi une telle hostilité envers les kurdes à Paris ? 

Bon ça c’est le réflexe de l’Etat français qui s’apparente de plus en plus à un Etat policier qui, dès qu’il voit un mouvement social qui peut gêner sa politique intérieure ou étrangère, envoie tout de suite ses chiens de garde jouer de la matraque ou du gaz lacrymogène. Ça c’est un réflexe. Ensuite, ils sont devenus plus prudents pour les manifestations parce qu’ils savent très bien que ça serait extrêmement gênant que des images de ce genre se répètent. Il faut reconnaître qu’à la manifestation de Samedi qui allait de République à Châtelet, les forces de l’ordre étaient quasi invisibles à dessein parce qu’elles ont reçu des consignes pour ça. Parce que donner des images de la police française en train de taper des manifestants kurdes comme celles qui ont déjà été diffusées ça aggraverait la position de la France vis à vis de ce sujet.
Pour en venir à la question qui semble la plus importante c’est la responsabilité de la France. La France a une claire responsabilité. On ne peut pas se cacher derrière des soi-disant coups de folie de Trump et derrière la décision américaine. La France ne s’est jamais donné les moyens d’avoir une politique étrangère indépendante vis à vis des Etats Unis et ça de très longue date. Et aujourd’hui on en voit les conséquences. On parle des signaux de faiblesse que Trump a envoyés vis à vis d’Erdogan depuis des mois qui ont conduit à cette intervention militaire unilatérale de la Turquie, mais la France aussi a envoyé des signaux de faiblesse ces derniers temps et est co-responsable. Jean Yves Le Drian a déclaré qu’il ne pouvait même pas faire circuler ses troupes au Rojava ou les retirer du territoire sans l’appui logistique des américains. Comment est-ce qu’on veut être crédible face à la Turquie ensuite quand on dit une chose comme ça ? La France convoque des conseils extraordinaires du conseil de sécurité de l’ONU et fait des gesticulations diplomatiques comme convoquer l’ambassadeur de Turquie, mais tout ça c’est de la poudre aux yeux pour faire oublier que l’Etat français est coresponsable du lâchage des kurdes et de leur trahison. Et ça c’est quelque chose qui restera comme une tache indélébile dans la politique étrangère du gouvernement d’Emmanuel Macron et je pense qu’il est important de le répéter. Si la France aujourd’hui, vu ses capacités militaires, voulait arrêter cette guerre, elle pourrait le faire. Elle pourrait envoyer des troupes pour s’interposer entre l’armée turque et les combattants des forces démocratiques syriennes et cette guerre s’arrêterait immédiatement.

[CND] Mais ce qui demanderait à la France de s’allier par exemple avec les forces du YPG, ce qui la mettrait en porte à faux vis à vis de ses intérêts capitalistes de vente d’armes…

Evidemment et c’est là toute l’hypocrisie de la France et des Etats impérialistes. On voit bien que le gouvernement se répand en gesticulations, exprime son inquiétude avec des formules diplomatiques complètement creuses. Ils auraient pu empêcher le génocide qui s’annonce et ils ont choisi de ne pas le faire.

Pour toi c’est quoi le projet d’Erdogan ? 

Son projet il est très clair. Il en parle depuis des semaines maintenant y compris jusqu’à l’ONU. Il a brandi à l’ONU une carte de la soi-disant zone de sécurité qu’il veut établir, en fait de la zone qui est le Kurdistan historique qu’il veut complètement envahir par les drones, par les bombes, par les tanks. Son objectif là ça va être de tuer le plus de civils possible, d’envahir ces régions pour ensuite y replacer, et ça il le dit depuis très longtemps, les 3,5 millions de réfugiés arabes syriens qu’il a sur son sol. Et ça, ça s’appelle un génocide et une politique de nettoyage ethnique… qui sont annoncés. Rarement dans l’histoire on a vu un génocide qui était annoncé aussi clairement que celui là. Et pourtant, on ne fait rien.

Samedi à la manifestation de soutien au Rojava, des GJ se sont organisés pour exprimer publiquement leur soutien. Qu’est-ce qui lie ces luttes pourtant éloignées les unes des autres ? 

Je pense que si on pouvait le résumer en un mot, ce qui les lie c’est la Commune. Ce qui a traversé toute l’histoire du mouvement ouvrier, qu’on retrouve au Rojava aujourd’hui, qui a inspiré beaucoup de Gilets Jaunes dans leurs revendications ou leurs façons de s’organiser. Le pilier de tout ça, c’est la Commune. Ensuite on peut développer un peu. Le modèle du Rojava est construit autour des coopératives, du socialisme et de la Commune avec cette démocratie directe et cette façon de s’organiser à l’échelle la plus locale possible pour que les gens aient leur destin en main. Il y avait les Gilets Jaunes de Commercy d’ailleurs qui avaient parlé du fédéralisme démocratique, qui avaient transmis un message par rapport au Rojava et on leur avait répondu de là-bas donc il y a des liens de nature politique qui sont apparus très clairement, qui sont évidents, c’est pour ça qu’il est important que les Gilets Jaunes se mobilisent pour ce modèle. C’est un espoir pour eux aussi, pas que pour les kurdes.

N'est-ce pas un peu triste de devoir brandir comme argument pour combattre la guerre que mène Erdogan qu'elle pourrait renforcer daech ? Les milliers de kurdes victimes de cette offensive ne suffisent pas ?

Alors si, effectivement, c’est vrai. Maintenant, quand on regarde les éléments de communication sur place, les kurdes ont bien compris que malheureusement leur sort propre ne pouvait pas suffire à convaincre à travers le monde qu’il fallait les aider et donc pragmatiquement ils voient bien que pour mobiliser autour de cette question, c’est triste, mais il faut parler aussi de l’intérêt immédiat qu’il y a en terme de sécurité à travers le monde. Et ça c’est un élément de communication qui était très présent chez les forces démocratiques syriennes et à raison. Evidemment que le sort des kurdes et de toutes les populations qui composent le territoire du Rojava devrait suffire pour mobiliser, mais il ne faut pas être naïf et prendre en compte ce qui marche en terme de communication et il faut rappeler qu’il en va aussi de notre intérêt sécuritaire, notamment vu les récents événements comme les 800 proches de Daech qui se sont évadés du camp d’Aïn Issa et qui sont des gens extrêmement dangereux.

On a entendu parler d’un bâtiment appartenant à la France qui aurait explosé, tu en sais plus ? 

Ça c’est une rumeur qui a circulé sur les réseaux sociaux. Ce qu’il s’est passé c’est qu’il y a une base américaine à coté de Kobané qui a été touchée par des tirs turques sans faire de blessé. L’Amérique a à peine répondu à ça alors qu’il s’agit quand même d’un membre de l’Otan qui en bombarde un autre… Et on apprend que dimanche après-midi le Pentagone annonce le retrait de jusqu’à 1000 soldats américains du nord de la Syrie pour ne pas se retrouver en étau entre les Kurdes et les Turques.

A-t-on un bilan de ces derniers jours ?

De ce que j’en sais, c’est difficile pour les docteurs de communiquer sur place. J’ai vu que les forces démocratiques syriennes avaient dévoilé les photos de sept de leurs combattants qui étaient tombés pendant l’offensive. A ce moment précis avec une source fiable je ne peux pas vous en dire plus.

Que penses tu de la nouvelle selon laquelle les YPG et l’armée de Bachar Al Assad s’allient pour combattre l’offensive turque ? On a l’impression d’atteindre des sommets d’enjeu geo-politique…

En terme géo-politique, en effet ça suppose pas mal de choses, mais sur l'accord en lui même puisqu'il semble être confirmé, ce que je dirais c'est qu'il y a le commandant en chef des forces démocratiques syriennes qui a dit "je préfère le compromis au génocide de mon peuple", donc ça c'est forcément quelque chose que je comprends. Après sur le plan politique, cet accord peut remettre en cause un grand nombre de choses, notamment sur ce pour quoi on s'est battu, mais il y a une chose de mon point de vue d'internationaliste qui ne changera pas, c'est que dans tous les cas, en allant là bas on a montré qu'il était encore possible au 21e siècle de se battre pour la révolution et d'avoir une démarche internationaliste. Et rien que pour ça, ça valait le coup.

Qu’est ce qu’on peut faire d’ici ? Quelle initiative serait pertinente ?

Il y a plusieurs moyens. Continuer à participer aux manifestations. Rejoindre celles organisées par les kurdes mais aussi que les forces militantes s’organisent par elles-mêmes et s’emparent de cette question parce qu’elle les concerne aussi. Organiser des réunions publiques, il y a un effort de pédagogie à faire encore. Même si c’est invraisemblable qu’on ait encore à le faire à cette époque là alors que ça fait des années qu’on informe à ce sujet. Il faut parler du Rojava et dire pourquoi c’est important de le soutenir. Il faudra aussi participer à des collectes de fonds. Par le groupe qu’on a créé, le collectif de volontaires, on va relayer un certain nombre de collectes de fonds, probablement cette semaine. Donner aux instances officielles kurdes qu’on va relayer sur notre page (https://www.facebook.com/2CFRojava) sera un moyen d’être utile.

Entretient réalisé par Cerveaux non Disponibles

Epilogue

S’il y a bien une chose précieuse au Rojava, ce sont les millions de vies portées par l’ambition de vivre dans une société qui accepte les différences, l’autonomie des peuples, le rôle égal des femmes par rapport aux hommes, une vision écologique anticapitaliste et une démocratie directe. Aujourd’hui cette révolution est lourdement attaquée et trahie par des Etats qui se sont payés une bonne figure tant que les forces démocratiques syriennes et les YPG se battaient contre Daech. On apprenait juste après l'interview que le commandant des forces du YPG avait conclu un accord avec Bachar Al Assad. Nous avons donc rajouté la question après coup. Un basculement dans le giron impérialiste russe n'augure pas mieux que l'abandon américain et européen pour ce qui est de l'expérience révolutionnaire. Et les temps à venir seront durs pour le Rojava.

A l’heure où tous les pays impérialistes jouent simplement leur partition de traitre, de vénal ou de boucher, et à l’heure où beaucoup d’endroits du globe s’embrasent contre leur logique, il est plus que temps de construire une géographie de territoires rebelles à travers le monde, de se rencontrer et d'imaginer un futur désirable vers lequel converger, un futur depuis lequel on se dise que nous aurons notre destin en main.


NUCLÉAIRE : UNE BOMBE A RETARDEMENT ET UN ARGUMENT ÉCOLO MACRONISTE…

Les mensonges sont grands autour du nucléaire. Fausse indépendance énergétique française basée sur les pillages d'uranium en Afrique, institution construite sous tutelle des brevets américains de la firme Westinghouse, faisant de la France le pigeon des américains, voire l'éboueur expérimental de l’énergie atomique prêt à irradier sa population. C'est le parfait exemple d'une écologie macroniste ! Désastreuse, dépendante d’intérêts véreux et pourtant très orgueilleuse. Un chauvinisme très très mal placé le nucléaire...

Aujourd'hui en France, ce lobby puissant tente d'imposer sa poubelle nucléaire à Bure dans la Meuse. Une poubelle qui signifierait la validation et la prolifération d'une véritable bombe à retardement et que l'ingénierie ne sait même pas démanteler, mais dont on sait qu’un jour comme à Fukushima ou Tchernobyl elle nous pétera à la gueule.

La poubelle nucléaire de Bure cela fait depuis les année 90 que son projet existe. Pour s’imposer, l’Andra (L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) a tout simplement sorti le chéquier pour acheter les consciences. Rénovation des trottoirs, nouveaux lampadaires, promotion des filières nucléaires dans les écoles environnantes. Autant de cadeaux qui ont séduit les maires peu scrupuleux, à la vision à court terme et plus avides de relations de notables que de préservation de l’environnement.

C’est le bois Lejuc qui a été désigné comme cible pour les forages à 500 mètres de profondeur afin d’enfouir les déchets. Depuis des années les militants anti-nucléaire et les simples personnes de bon sens défendent cette forêt. En 2016 la forêt est occupée, création de cabanes et installation d’un réseaux de lieux de vie viennent renforcer et donner sens à la maison de la Résistance, située à coté dans le village de Bure. Achetée quelques années auparavant par le réseau Sortir du nucléaire pour l’usage de la lutte, c’est un véritable lieu de passage et d’accueil. La lutte s’y est fortement organisée à partir de là avant de subir un harcèlement policier particulièrement intense. Là-bas la Gendarmerie travaille main dans la main avec le lobby du nucléaire afin de polluer et d’irradier une population sous prétexte de l’ordre public.

Pour autant la lutte est loin d’être finie, le nucléaire personne n’en veut chez lui et ailleurs c'est toujours chez quelqu'un d'autre ! Alors comme à Plogoff (mobilisation populaire qui a fait échouer un projet de centrale) il est encore temps de mobiliser les habitants et tous les soutiens pour faire tomber ce projet. L’année passée a été une année blanche, une phase dite administrative destinée à endormir la résistance. Mais maintenant que le Déclaration d’Utilité Publique pourrait être déposée avant fin 2019 il est temps de revenir à la charge !

Le week end du 27, 28, 29 septembre, se tiendra à Nancy « Vent de Bure », une grande mobilisation contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires, au programme : Bal, Ateliers, Manif. Une occasion pour aller à la rencontre de ce qu’il se passe là bas si vous n’y avez jamais mis les pieds ou si vous voulez y retourner. Concert vendredi soir et Manif le lendemain à Nancy (cour Leopold) la plus grande ville à coté de Bure. La matinée commencera dès 10H avec un grande assemblée des luttes Grand Est.

Événement Facebook

Page de la résistance : Bure à cuire

Site : https://ventdebure.com/

C’est l’occasion aussi de présenter cette longue interview fouillée de Lundi matin consacrée au nucléaire pour en apprendre beaucoup plus sur sa triste histoire et les luttes qui s’y sont opposées.


Interview : Yvan Le Bolloc'h

On a rencontré l'un des artistes qui s'est le plus rapidement impliqué et solidarisé du mouvement des GJ. L'occasion de faire un bilan des 6 mois de mobilisation et de découvrir à quel point ce mouvement reste plein de promesses et d'espoir.