Démasquons la liberté

Nous avions déjà publié en août dernier une tribune pour expliquer notre position concernant le masque.

La situation actuelle nous parait nécessiter une nouvelle mise au point.

Depuis plusieurs semaines, nous constatons sous nos publications que la plupart des commentaires se concentrent sur le port (ou non) du masque. Que ce soit des posts sur le Covid mais aussi et surtout sur tout autre sujet, notamment les luttes sociales.

Certains se scandalisent de manifestants sans masque. Mais, d'autres, encore plus nombreux, dénoncent les manifestants qui acceptent "docilement, en soumis", de porter le masque.

Ce nouveau point Godwin nous questionne et nous inquiète.

De notre côté, nous estimons qu'il n'y a pas à asséner une vérité absolue sur l'intérêt sanitaire du masque : FFP1, en tissu, en intérieur, en extérieur...

La question est très complexe et les études varient parfois dans leurs conclusions. Mais, globalement, nous pensons que le masque permet de limiter la propagation du virus, notamment dans des lieux clos.

Le gouvernement a soufflé sur les braises de la défiance, en affirmant il y a un an que le masque était totalement inutile pour le grand public. Tout simplement parce qu'il n'avait pas les stocks nécessaires (ils finiront par l'avouer dans quelques années). Aujourd'hui, il a opté pour un revirement à 180 degrés et impose le masque obligatoire, partout, tout le temps. Et surtout, verbalise à la moindre escapade non masquée.

On comprend donc que certains puissent se révolter de cette attitude répressive du pouvoir.

Mais, ce que nous ne comprenons pas, c'est cette focalisation extrême sur cette question. Le masque serait devenu le symbole de la nouvelle dictature mondiale. Tous ceux qui le portent seraient des "soumis" au "nouvel ordre mondial".

Cela serait drôle si ce n'était pas si grave.

Imaginons une personne ayant passé 5 ans dans le coma et qui se réveille aujourd'hui. Elle réalise que la culture, les concerts, le cinéma, la danse ou le théâtre n'ont plus leur place. Que les discothèques, les restaurants, les cafés sont fermés. Qu'il est désormais mal vu de se réunir entre amis. Que les fêtes sont pointées du doigt. Elle constate que les citoyens sont sous couvre feu, que leurs déplacements sont limités et contrôlés, qu'ils ne peuvent s'éloigner de chez eux que pour aller travailler.

Elle apprend qu'il est désormais interdit de filmer la police, que celle-ci a des pouvoirs accrus et quasi sans limites. Que la surveillance a été généralisée et, qu'il s'agisse d'actes ou d'opinions, que tous les citoyens sont désormais espionnés par l'Etat et la police. Et elle découvre que le combat principal pour retrouver ses libertés... serait de pouvoir enlever son masque ?

Et si la situation nous inquiète autant, c'est qu'elle n'est pas le fruit du hasard. Partout dans le monde, des manifs ont lieu contre la "dictature sanitaire". Des citoyens de différents horizons et profils sociaux y participent. Mais souvent, en sous main, l'extrême droite se place, voire initie les manifestations.

Pourquoi ? Parce que dans cette période où les libertés ont été dramatiquement diminuées, pour s'approcher objectivement d'une société autoritaire, voire dictatoriale, l'extrême droite n'a aucun intérêt à ce que la situation change. Au contraire. Elle n'a plus qu'à attendre pour cueillir les fruits de la crise économique. Et prendre le pouvoir avec tous les outils dont elle a toujours rêvé pour contrôler la population. Face à cela, il lui paraît plus que vital de faire en sorte que la population ne se focalise pas sur la perte de ses libertés fondamentales.

Mettre le paquet sur la question du masque est donc la stratégie idéale pour l’extrême droite. Une stratégie qui, in fine, n'est pas pour déplaire au pouvoir. Pendant que ces personnes dépensent leur énergie pour réclamer le droit de sortir sans masque, elles ne descendent pas dans la rue pour réclamer le retour de toutes leurs libertés, voire pire, exiger la chute du régime.

Alors oui, on aimerait pouvoir imaginer à moyen terme retrouver une vie où on sort dans un parc sans avoir à mettre le masque. On aimerait une société où chacun décide s'il est utile /pertinent de mettre un masque selon la situation. Mais, alors que nous perdons de jour en jour le peu de libertés qu'il nous reste, nous ne comprenons pas comment des personnes peuvent critiquer et dénigrer ceux qui continuent de lutter, dans la rue, face au pouvoir et à la police, au motif qu'ils portent un masque.

A ce jeu là, on finira peut-être par ne plus avoir de masque. Mais nous serons chacun dans notre cellule. Enfin libres de ne pas porter le masque.... A quel prix ?


Sacrifice de jeunesse

Il y a eu la rave de Lieuron. Certains y ont vu un épiphénomène. Ou l'espéraient. Mais ces derniers jours, avec l'arrivée des beaux jours, il y a eu des rassemblements de jeunes à Lille, à Lyon, à Paris. Et, jeudi soir, l'énorme fête en plein air à Bruxelles. Plusieurs milliers de personnes, venues pour boire un verre, discuter, danser. La police a violemment réprimé. Comme prévu. Mais la jeunesse a aussi riposté, de façon assez massive et inattendue.

Il se passe quelque chose un peu partout en Europe.

Ne pas prendre en compte la situation, et se contenter de blâmer les "jeunes" qui seraient totalement inconscients et égoïstes, voilà la vraie posture dangereuse et inconsciente.

De notre côté, nous n'avons pas de bons points à distribuer. Encore moins de mauvais. Et surtout pas à cette jeunesse.

Sérieusement, qui peut croire que ces jeunes qui se rassemblent pendant une ou deux heures en fin d'après midi, en extérieur, vont propager le virus de façon plus importante que lorsque ces mêmes jeunes sont obligés de s'entasser tous les jours dans le métro, en salle de classe ou au boulot ?

Ces mêmes personnes ont totalement "joué le jeu" du confinement l'an dernier. Parce qu'il y avait l'espoir que cela s'arrête et que la vie "reprenne". Mais aussi parce que ces "efforts" étaient consentis partout : presque personne au travail, pas d'école, pas de transport...

Sauf que depuis 6 mois, nous vivons dans un couvre-feu permanent. Nos vies ne se résument plus qu'à travailler/étudier/consommer. Et cela, sans que le virus ne recule.

La situation est dramatique pour des millions de personnes. Dramatique socialement, moralement, économiquement. Et s'il est bien difficile de dresser un classement des populations les plus exposées, la jeunesse est sans aucun doute sur le podium.

Les lycéens, les étudiants, les jeunes précaires ont besoin d'air. Par leur âge, ils semblent moins conditionnés que beaucoup de leurs aînés à accepter de façon indéfinie ces restrictions sanitaires, qui ressemblent de plus en plus à un contrôle social, dont le danger est le glissement palpable désormais, vers une société totalitaire où seuls le travail et la consommation seront autorisés.

Alors oui, ces jeunes ont peut être permis au virus de se propager à quelques dizaines, voire centaines de personnes. Ce n'est pas une bonne chose. Sans être scientifiques, est-il raisonnable de rendre ces rassemblements responsables de la propagation de l'épidémie ? Alors que partout ailleurs, le virus continue à contaminer, pourquoi le gouvernement et leurs médias s'offusquent-ils d'un évènement ponctuel en extérieur ? La question est "vite répondue", cela s'appelle détourner l'attention du public, sur les manquements graves de la gestion sanitaire par l'Etat.

Pour rappel, la rave du réveillon à Lieuron n'a finalement donné lieu à aucun cluster. Quelle malhonnêteté de faire peser la responsabilité de la pandémie sur ces personnes alors que des centaines de milliers de contaminations se font ces dernières semaines au travail, dans les transports ou à l'école. Quand le manque de moyens pour l’hôpital, le manque de lits, provoque véritablement des morts. Quand la "ligne rouge" de Macron est le tri des malades, mais qu'en "même temps" il reconnait avoir attendu le plus longtemps possible avant de prendre des mesures plus drastiques ?

Si les morts s'accumulent, ce n'est pas à cause de quelques centaines de jeunes qui ont bu quelques bières en dansant sur un soundsystem. La responsabilité de ces morts revient aux pouvoirs publics, à l'Etat, au gouvernement, aux politiques qui ont fait des choix pour leurs amis milliardaires et actionnaires et certainement pas pour la population. Et que ce président se permet même de demander des efforts supplémentaires au corps soignant, déjà éprouvé par une politique de santé basée sur la diminution de moyens depuis des décennies, sans amélioration depuis le début du mandat macroniste.

Il ne s'agit pas de chercher d'excuse à ces jeunes. Ils font bien ce qu'ils veulent. Et c'est le propre de la jeunesse. On peut estimer que ce n'est pas opportun. En revanche, ceux qui vont au delà de cette simple "réprobation" et font de ces rendez-vous de véritables scandales, ces gens sont coupables et dangereux.

La jeunesse de 2021 est, à l'heure actuelle, une jeunesse sacrifiée. Et pas qu'en raison des restrictions sanitaires. Elle n'a aucun horizon. La planète se meurt, la précarité se généralise, les espaces de vie et l'insouciance disparaissent jour après jour.

Entendons ce cri de détresse. Encourageons cette jeunesse à reprendre en main sa vie, son avenir, et celui des générations futures. Il est bon et bien qu'elle refuse le vieux monde.

Cela se fera inévitablement. Reste à savoir quand, et comment. Mais nous sommes sûrs que cela ne sera pas au goût des gens de bon goût. Tant mieux.


Les mots me manquent - RIP Guillaume

Hier soir un étudiant mettait fin à ses jours dans sa chambre étudiante à Nanterre. 20 ans.

Je ne le connaissais pas, son nom ne m'était pas inconnu mais ce n'est pas le sujet, il avait 20 ans et n'en aura jamais plus.

Pourtant aujourd'hui ce n'est pas ce qui semble poser problème. Ce n'est pas son nom que l'on retrouve en "tendances" Twitter mais celui d'un politicien. Les débats ne portent pas sur les raisons qui peuvent pousser un jeune de 20 ans à mettre fin à ses jours mais portent sur la présomption d'innocence. N'avez-vous donc aucun respect pour la mort ? Un garçon de 20 ans s'est ôté la vie et vous trouvez que c'est le moment adéquat pour vous lamenter des accusations qu'il a eu le courage de formuler quelques semaines plus tôt. N'avez-vous donc pas la moindre décence ?

L'heure n'est pas aux règlements de comptes mais au deuil. Un jeune de 20 ans n'est plus, une vie de plus broyée par notre impitoyable société. Ayez la délicatesse de laisser ses proches le pleurer. Justice sera rendue, cela ne fait aucun doute, car nous n'oublierons pas. D'ici là il n'appartient à personne d'autre qu'au juge de remettre sa parole en question.

A tous les médias qui ne voient dans cette tragédie qu'une opportunité pour faire du clic : Je vous méprise. Vous publiez des articles sans la moindre pudeur, violez et exposez à tous la vie privée d'un homme dont le corps est encore chaud. Quelle belle société qu'est celle dans laquelle nous vivons, là où la mort fait vendre et là où elle est instrumentalisée à des fins politiques !

Un étudiant est mort, il avait 20 ans. Je ne le connaissais pas et je ne le connaîtrai jamais. Je sais néanmoins qu'il était bien plus que "X, l'étudiant qui avait accusé un élu parisien de viol" (L'Obs, 10/02/21), chose à quoi tous les médias et justiciers du net veulent le réduire.

J'ai honte, honte de cette société qui ne respecte pas la mort, honte de cette société qui n'hésite pas à salir la mémoire d'un étudiant à peine décédé, honte de cette société qui ne prend plus le temps de pleurer ses morts et qui laisse les précaires mourir dans l'indifférence la plus totale à moins qu'ils aient proféré des accusations graves à l'encontre d'une figure de la haute société (car oui, un élu du PCF reste un homme politique aux nombreux privilèges). Notre passivité et notre silence nous rendent coupables. Honte à nous qui acceptons d'évoluer dans une telle société.

Un étudiant est mort, il avait 20 ans. Mes pensées lui vont à lui et à ses proches ainsi qu'à tout ceux qui ont vu leur vie broyée par cette société dans laquelle nous évoluons.

Un étudiant dans un monde à la dérive.


Inde : rdv demain pour une page de l'histoire

Près de 300 000 paysans entourent la capitale indienne pour manifester demain, 26 janvier, jour anniversaire de la création de la fête nationale. Personne ne sait comment cela va évoluer. Face à l'afflux hallucinant de manifestants, le pouvoir a finalement autorisé la manifestation. Explication très détaillée de la situation par Jacques Chastaing :

Depuis le 26 novembre 2020 et ses 250 millions de grévistes et millions de paysans en lutte, l'Inde toute entière est en ébullition incessante à la suite d'un soulèvement paysan à caractère révolutionnaire en lutte contre des lois détruisant la toute petite propriété paysanne (80% des 600 millions de paysans) qui a donné une suite ininterrompue de mobilisations au 26 novembre entraînant peu à peu toutes les classes populaires de tout le pays dans un maelstrom de luttes de plus en plus importantes et déterminées contre le pouvoir du gouvernement d'extrême droite, qui pour sa part, en même temps qu'il voulait détruire le monde paysan au profit de l'industrie agro-alimentaire, détruisait absolument toutes les lois ouvrières en même temps qu'il privatisait toute la fonction publique, de la Défense à l’Éducation.

Or le soulèvement paysan contrairement à tous les mouvements économiques jusque là, a donné un but politique avec comme cible centrale la capitale Delhi et ses lieux de pouvoir, ministères et siège du gouvernement.

Toute la trajectoire et la construction du soulèvement se sont faits dans un premier temps autour de cette marche vers Delhi pour encercler ses ministères, puis, bloqué par des forces policières importantes aux portes de la capitale, le mouvement est passé à une seconde étape où il a fait le siège de la capitale avec environ 300 000 paysans campant aux portes de la ville, puis enfin une 3e étape en appelant les paysans du pays entier mais aussi toutes les classes populaires à les aider à forcer l'entrée dans la ville interdite le 26 janvier 2021.

Toute la situation se focalisait ainsi sur le 26 janvier : les paysans pourraient-ils forcer l'entrée de la ville tenues par des forces policières et paramilitaires importantes et comment cela se passerait-il, un bain de sang, une insurrection ?

Or, ces derniers jours, le gouvernement paniqué parce qu'il n'arrivait pas à arrêter cette vague montante, a fini par céder et a accordé aux paysans le droit de rentrer dans Delhi et manifester dans la capitale le 26 janvier.

Ainsi la question de l'entrée dans Delhi a été apaisée mais du coup a changé de dimension.

Ainsi, au lieu d'assister le plus probablement soit à un bain de sang soit à une insurrection incertaine et surtout pas préparée au pouvoir, on s'oriente le 26, jour de la fête nationale, vers deux défilés concurrents à Delhi, celui traditionnel de la fête nationale par et pour les puissants organisé par le gouvernement et celui du peuple par et pour le peuple organisé par les paysans et ses soutiens.

Ce qui ouvre une toute nouvelle situation.

 

Que se passera-t-il demain 26 janvier et après ?

C'est bien sûr difficile à savoir d'une part parce qu'il s'agit de millions de personnes en mouvement mais aussi d'autre part parce que le pouvoir autorisant sous la pression du soulèvement, la manifestation des paysans dans Delhi, ce qu'il refusait jusque là depuis le 26 novembre, fait tout à la fois une énorme concession mais en même temps évite peut-être le pire puisqu'il a obtenu de cantonner la manifestation des paysans sur le périphérique intérieur de 50 km, en pleine ville, mais dans les quartiers populaires et pas sur le quartier des ministères et du siège gouvernemental que visaient à l'origine le soulèvement paysan.

Le geste du gouvernement de lever les barrages policiers et paramilitaires tenus par 100 000 hommes à l'entrée de Delhi a été perçu à l'échelle nationale comme un important recul du pouvoir.

Et sa reculade en suit deux autres en peu de temps.

La Cour Suprême a en effet suspendu il y a quelques jours les lois anti-paysans. Cela a été perçu comme un aveu de faiblesse du pouvoir. Mais ça a aussi beaucoup fait rire. En effet, comme c'était dans l'intention de discuter ces lois avec des partisans des lois, cette ruse grossière – pourtant soutenue par les grands média durant plusieurs jours - a fait rire toute l'Inde populaire et discrédité la Cour Suprême et les institutions.

Par ailleurs dans un second moment, juste après cela, le gouvernement a proposé de suspendre ces lois durant 18 mois là aussi avec un gros soutien de la presse mainstream. Or cela a été rejeté par les paysans qui ne veulent pas la suspension des lois anti-paysans mais leur abrogation pure et simple.

Face au nombre très important de paysans mobilisés et à leur détermination, insensibles aux tentatives de corruption et division, il ne restait au pouvoir plus que de se lancer dans un bain de sang ou céder.

En effet, 300 000 paysans et soutiens assiègent Delhi et leur nombre croît sans cesse avec, en plus, pour le 26 janvier une véritable marée populaire qui marche actuellement de toutes les régions du pays sur la capitale et encombre les routes du pays avec des files interminables de tracteurs sur des dizaines et des dizaines de km indiquant que ce seraient peut-être des millions de personnes qui entreraient dans Delhi le 26 janvier.

Or ces marcheurs ne sont pas que des paysans mais les membres de toutes les classes populaires, ouvriers, étudiants, enseignants, soignants, femmes, jeunes, Intouchables, aborigènes, tribus, habitants des bidonvilles, précaires en tous genres... tout un peuple que le soulèvement paysan entraîne avec lui sur son passage partout où il passe, certains posant un congé, demandant une autorisation d'absence, quittant le travail, la famille, se mettant en grève, repoussant un mariage... pour être présent le 26, en fait probablement les 26, 27 et 28 puisque la manifestation paysanne à Delhi devrait durer 72 H.

Le gouvernement a renoncé au bain de sang pas par grandeur d'âme, mais probablement parce qu'il n'était pas sûr de gagner.

Aussi le défilé paysan du 26 pourrait bien marquer politiquement largement cette défaite. Il y a bien sûr toujours un risque que ce défilé sans toucher aux ministères soit une concession de trop, une erreur, mais les faits semblent pencher dans l'autre sens. Et l'intelligence politique des paysans semble pouvoir l'emporter et entraîner tout le soulèvement et le pays, voire le monde dans une dimension infiniment plus politique et révolutionnaire que jusque là.

 

Pour la première fois depuis longtemps, les paysans entraînent les autres classes populaires

Le nombre et la diversité du soulèvement font peur au pouvoir, car il s'agit de quelque chose de nouveau.

En effet, si jusqu'ici, il y a eu de nombreux soulèvements paysans, ils n'ont jamais, en tous cas depuis longtemps, réussi à entraîner les autres classes populaires car ils étaient souvent sous la direction des paysans les plus riches (comme en France par exemple avec la FNSEA).

Or, si dans le soulèvement actuel, il y a des paysans moyens voire aisés, ce sont cette fois les paysans pauvres et les plus radicaux, qui dirigent.

En effet, la politique du gouvernement ne fait que relayer les appétits de l'industrie agro-alimentaire indienne, mais aussi et surtout la pression des grands industriels de l'agro-alimentaire dans le monde, qui comme les "Big Four" dans les Céréales ( dont le franco-suisse Dreyfus) mais aussi les groupes mondiaux de la transformation ou de la distribution alimentaire comme pour la France Danone ou Carrefour, cherchent à détruire toutes les protections étatiques autour de la paysannerie – comme ils cherchent à privatiser tout le secteur public - pour mettre la main sur les marchés agricoles du monde.

Cette tendance générale s'est par exemple illustrée aux Philippines, ce qui y a conduit à une destruction de la toute petite propriété paysanne mais aussi de la moyenne voire plus aisée.

En Inde, le monde paysan est surtout composé d'un immense prolétariat agricole ou d'une paysannerie misérable plus ou moins prolétarisée. Or cette fois, c'est cette partie du monde paysan, qui entraîne les plus riches en le faisant dans un combat commun contre l'industrie agro-alimentaire capitaliste, ce qui évidemment ne plaît pas vraiment idéologiquement aux plus riches des paysans mais qui suivent quand même car ils se savent aussi menacés.

Ainsi, les paysans pauvres dans leur soulèvement ont tendance bien plus qu'avant à se rapprocher des couches les plus prolétaires de la ville ou de la campagne et réciproquement.

Ainsi voit-on des slogans anti-capitalistes chez les paysans ce qui n'est pas si fréquent, qui les rapprochent des revendications ouvrières et citoyennes et les amène à chercher cette alliance avec les autres classes populaires et d'une certaine manière les met sous leur pression idéologique tout en les entraînant par leur exemple.

Cela renforce également l'énorme détermination des paysans et donne naissance à des directions paysannes de combat très différentes de ce qu'on a pu connaître jusque là, dont personne ne sait vraiment jusqu'où elles peuvent aller, et probablement pas elles-mêmes, évoluant avec les logiques des classe en lutte.

La détermination des paysans s'affiche ainsi clairement en disant qu'ils allaient enfoncer les barrages policiers à Delhi même s'il y avait des morts – détermination qu'ils avaient prouvé à différents endroits en enfonçant les barrages policiers partout où ils sont passés ces dernières semaines – faisant de "vaincre ou mourir" leur devise principale. Mais aussi une détermination encore plus importante qu'ils affichent en appelant les habitants des bidonvilles à les rejoindre leur expliquant en quoi ils auraient à souffrir d'une défaite des paysans et cherchant par ailleurs en permanence l'alliance avec les forces ouvrières... c'est-à-die, de fait, dépassant les revendications paysannes.

Cette détermination du mouvement est aussi celle de ses dirigeants.

Il y a à l'heure actuelle plus de 400 organisations paysannes coordonnées dans l'AIKSCC (All India Kisan Sangarsh Coordination Committe [Comité de coordination des paysans en lutte de toute l'Inde]), associées au soulèvement actuel et qui l'animent. C'est énorme.

De plus et surtout, cette coordination a été créée en 2017 dans le cours de luttes paysannes. C'était déjà un pas important en avant dans la voie de la radicalisation, puisqu'il s'agissait d'un comité de lutte, pas d'une organisation conçue dans les habitudes syndicales des négociations habituelles institutionnelles.

Or, depuis le 26 novembre 2020 date du soulèvement paysan, une nouvelle étape a été franchie dans l'organisation et dans le radicalisme paysan.

En effet, à cette date, s'est créée une nouvelle coordination plus restreinte mais plus radicale qui chapeaute la première dans le but de faire aboutir le soulèvement. C'est le SKM (Sanyukt Kisan Morcha, Front Paysan Uni) qui regroupe une quarantaine d'organisation paysannes parmi les plus radicales des 400 avec lui-même un comité exécutif de 7 membres. Le SKM qui est aujourd'hui la principale autorité sur le soulèvement paysan s'est fait connaître à partir du 26 novembre dans le cadre de la marche sur Delhi et avec l'objectif de sa réussite, c'est-à-dire à l'origine avec l'objectif de faire le siège des bâtiments gouvernementaux à Delhi pour faire céder le pouvoir.

Il y a donc une radicalisation progressive des organisations qui apparaissent et sont propulsées à la tête du soulèvement paysan.

Ces organismes ne sont pas directement élus par les paysans en lutte mais ils sont en quelque sorte révocables à tout moment s'ils n'épousent pas la volonté générale. En effet, s'ils sont à la tête du soulèvement, ils ne le dirigent pas vraiment, étant plus portés par la vague ascendante du mouvement que ne la dirigeant.

Il s'agit encore une fois de comités de lutte récents avec une souplesse de fonctionnement qui laisse la parole à qui veut la prendre – il n'y a pas une voix du chef, mais une multitude de voix - c'est-à-dire pour le moins les porte-paroles des 400 organisations paysannes associées et bien d'autres – ce qui fait du monde avec de multiples initiatives diverses - et qui fonctionne donc au consensus de ce qui marche, de ce qui est approuvé par le soulèvement dans son entier plus que décidé par quelques chefs par dessus la volonté de la base.

Ainsi, il y a 6 campements paysans de masse aux portes de Delhi mais chacun de ces campements a une couleur politique différente prenant les initiatives qu'il veut, comme il veut, quand il veut en accord avec sa sensibilité politique particulière (de l'extrême gauche à la gauche ou sans attachements politiques particuliers), mais avec le souci permanent de l'intérêt général. Si l'un prend une initiative qui ne marche pas, on oublie, si elle marche, on la reprend et le mouvement avance ainsi.

Ainsi ces derniers jours, avec les hésitations du pouvoir, qui menaçait avec la plus grande fermeté de la pire des répressions puis qui additionnait reculs sur reculs, du côté paysan, il y a eu toute une évolution qui est passée par différentes voix et voies.

Face à la fermeté du gouvernement, ça a d'abord été l'affirmation par certains leaders paysans de la plus grande des fermetés, sans aucune concession, en affirmant qu'ils passeraient en force en brisant les barrages policiers, en rendant coup pour coup, et en étant prêts à mourir pour cela ; une attittude qui a été plébiscitée par la majorité.

Puis, au fur et à mesure que le pouvoir reculait face à cette détermination et acceptait l'entrée dans Delhi, d'autres voix se sont élevées pour transformer la marche guerrière en marche pacifique mais victorieuse, unificatrice et pleine de défi d'un défilé concurrent à celui du pouvoir le jour de la fête nationale pour ravir la fête nationale au gouvernement, défier son pouvoir et même le ridiculiser aux yeux de tous, et préparer à partir de là les étapes suivantes.

Cette attitude fut à son tour plébiscitée par le soulèvement paysan - plus peut-être par les nouveaux arrivant que par ceux qui sont là depuis le début – mais enthousiaste dans l'ensemble pour cette nouvelle tactique et implicitement pour la nouvelle étape que cela annonce.

Bien sûr, tout peut arriver le 26, des provocations policières – les paysans ont arrêté un provocateur qui a avoué être chargé d'assassiner 4 personnalités pour semer le chaos et en accuser les paysans. Des jeunes paysans ou d'autres disent qu'il tenteront d'aller jusqu'aux ministères, etc, etc...

Mais globalement, on a une situation où face au pouvoir dictatorial du gouvernement qui s'affaiblit, grandit peu à peu une force qui par son nombre, sa détermination, son intelligence paraît le concurrencer au point de la paralyser y compris en le rendant incapable d'utiliser la force au risque de sombrer.

En effet, il n'était pas du tout sûr que le bain de sang ait été possible pour le pouvoir sans risquer de transformer le soulèvement en insurrection qui aurait alors tout à fait pu retourner les forces de répression et renverser le gouvernement.

 

Un pouvoir qui n'est plus sûr de ses forces de répression

Les paysans ont toujours affirmé que la police n'oserait pas tirer sur eux, étant des fils de paysans. Et des soldats témoignaient ici ou là, malgré la répression, qu'ils soutenaient les paysans.

Mais ces derniers jours, on est passés à une autre étape, témoignage de la fièvre qui gagne probablement la police et l'armée, non seulement on a vu de plus en plus de vétérans de l'armée manifester en uniforme et médailles avec les paysans, mais des responsables de l'armée en retraite, un amiral, deux généraux de division et de très nombreux officiers supérieurs ont appelé à rejoindre le soulèvement paysan. Cela traduisait certainement l'agitation qui gagne les forces militaires et policières car ces retraités parlaient probablement au nom, au moins en partie, de ceux qui en "active" ne peuvent pas le faire.

Témoignant de ce climat, le pouvoir témoignant de sa panique a alors interdit aux policiers et soldats de manifester avec les paysans, même en civil, en particulier les sikhs et les soldats du Pendjab (où l'agitation paysanne est la plus forte et où les traditions de sécession militaire sont nombreuses) sous peine de sanctions graves en même temps qu'il "demandait" (le terme est important) aux vétérans de ne pas manifester en uniforme, pour qu'il n'y ait pas de confusion possible entre le défilé traditionnel de l'armée le jour de la fête nationale et le défilé des militaires avec les paysans.

Bref, pour qu'on ne voit pas que l'armée était du côté des paysans ou tout au moins qu'elle était très partagée et que le pouvoir avait perdu ses forces de répression, était nu et bien fragile.

 

Portée du 26 janvier

Dans la situation, y compris dans les choix des paysans pour le défilé pacifique du 26, il faut bien comprendre que le pouvoir s'était fait jusque là une réputation d'inflexibilité dans sa destruction des acquis sociaux face aux révoltes populaires.

Or là, il recule.

Le défilé paysan du 26 est la traduction de ce recul du pouvoir et du succès du soulèvement.

Il ne peut qu'encourager non seulement l'amplification du mouvement paysan lui-même, mais surtout lui donner une portée nationale infiniment plus importante et surtout plus politique.

En effet, dans cette dimension du 26 où deux forces égales vont montrer respectivement leurs muscles, c'est la question de qui, de quelle classe sociale, doit diriger le pays qui est posée.

Ce ne sont plus des revendications paysannes voire élargies à d'autres ouvrières ou sociétales, qui se posent mais qui a le pouvoir. Ce n'est plus le hasard d'un coup de force qui est en jeu, mais la construction d'une révolution et à partir de là de ses organes de pouvoir . C'est cela que dit le 26.

Ce n'est pas encore la question du double pouvoir qui s'affiche, mais deux pouvoirs qui se montrent, l'un en place, l'autre embryonnaire dans deux défilés concurrents le même jour dans la capitale.

Cela annonce pour la période à venir une marche vers une situation qui posera de plus en plus cette question de quel pouvoir choisir, quel pouvoir défendre ou quel pouvoir construire, avec toutes les questions de l'auto-organisation qui s'ensuivent et donc une inflexion de soulèvement vers cette auto-organisation, considérée comme un embryon de pouvoir naissant et plus seulement de contestation du pouvoir en place. Le mouvement et sa direction iront-ils vers cela, tout semble indiquer que oui pour le moment, ? Quoi qu'il en soit, les événements du 26 et des jours qui vont suivre le montreront..

Par ailleurs et en même temps, le 26 sera probablement aussi un signal au niveau international encourageant non seulement aux luttes dans le monde entier en montrant que la détermination paye vu l'importance du pays (notamment au Pakistan où la lutte semble suivre un chemin parallèle) mais aussi à les poser dans une toute autre dimension et avec des perspectives politiques plus avancées, en ciblant encore un peu plus la construction du renversement du pouvoir – voire du capitalisme - comme dynamique et condition du succès de tout mouvement populaire dans la période actuelle.

En retour de cet écho international, on peut s'attendre aussi à l'amplification à nouveau des luttes ouvrières ou citoyennes en Inde elles-mêmes en leur montrant toutes leurs dimensions internationales voire internationalistes, etc... et en montrant aussi à chaque lutte nationale dans chaque pays, qu'elle appartient à un mouvement mondial dont la logique est le renversement du capitalisme et dont les objectifs dans chaque étape sont la construction de cette révolution

Jacques Chastaing le 24.01.2021


« C'est dur d'avoir 20 ans en 2020 » - Tribune

Ce n'est pas dur d'avoir 20 ans en 2020. C'est humiliant. C'est violent. C'est affamant. C'est froid, glacial.

En 2021, c'est mortel.

Inutile de rappeler les mort·e·s. Celles et ceux qui ont sauté, pris des cachets, tranché leurs veines. Inutile de compter le nombre de ceux qui y ont pensé. Vous n'y arriverez pas.

On parle beaucoup de cette jeunesse en ce moment. Celle qui déprime de manière industrielle. Celle qui décroche, qui arrête les études, qui démissionne. Celle qui va en rave party un 31 décembre. Cette jeunesse qui ne vote pas. Cette jeunesse isolée, individualisée, cachée derrière son écran pour suivre les cours, le code de la route, le travail, pour voir ses camarades, ses collègues ses amis, et même pour prendre l'apéro.

Cette jeunesse désignée comme responsable de la propagation du virus, responsable des couvre-feux.

On en parle pas mal de cette jeunesse qui doute du vaccin. De son efficacité, et même de ce qu'il y a dedans.

On en parle vraiment beaucoup de cette jeunesse. Les vieux en parlent beaucoup.

La jeunesse ici décrite ne correspond pas à une tranche d'âge mais à un mode de vie, à des envies et des besoins. La jeunesse ici décrite désigne l'ensemble des personnes qui aspire à quelque chose de plus sensible, de plus désirable et vivant qu'un mortifère mode de vie "métro, boulot, dodo". Qui n'a pas comme première préoccupation un crédit sur 20 ans ou des responsabilités. Ainsi, les vieux, ce ne sont pas ceux qui ont un certain âge, qui ont passé la crise de la quarantaine où qui sont à la retraite. Ce n'est pas ça un vieux. Un vieux c'est quelqu'un qui appartient à un autre temps. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, 31 ans est un vieux quand il annonce le couvre-feu à 18h. Quand il dit aux "vieux" d'attendre avant de pouvoir prendre rendez-vous pour le vaccin. Il appartient à ce vieux monde, plein de mépris, d'arrogance, de conservatisme puant, que chaque enfant qui sommeille en nous veut voir pourrir.

Et puis y'a l'autre vieux, 43 ans, qui nous a regardé droit dans les yeux, avec son air de chien battu. Sa voix tremblante, ses mains l'une dans l'autre, comme en prière, et la répétition des premiers mots de sa phrase pour appuyer le drama. « C'est dur d'avoir 20 ans en 2020... c'est dur. »

Avoir 20 ans c'est humiliant, car l'ensemble de notre vie est à l'arrêt. Elle se résume à un appart exigu, une visioconférence, et un allez retour chez Lidl. Parfois derrière le Lidl pour récupérer les denrées périmées. C'est humiliant car il y a de ces vieux qui nous humilient. Tous les jours à la télé, dans les discours, dans les repas de famille, sur les réseaux sociaux. Nous sommes inconscients, irresponsables, nous manquons de jugeote. Après un an, on a rien pigé. On est tenus pour responsables de tous les maux.

Avoir 20 ans c'est violent car nous n'avons quasiment plus rien à quoi nous raccrocher. Plus rien de désirable. Alors on arrête ce qu'il nous reste car ce qui nous reste n'a plus de sens. Le travail n'a pas de sens, les études n'ont pas de sens. Rien n'a de sens. On perd le goût et l'odorat. On perd l'envie. On perd nos partenaires, on oublie des amis qu'on n'a pas sélectionné dans le cercle de personnes qu'on a le droit de continuer de voir, on arrête nos études, on démissionne.

Avoir 20 ans c'est affamant. Littéralement. On n'a pas de thunes, pas de quoi manger. Des gens quittent leur appart et retournent chez leurs parents. D'autres squattent des colocations où il y a de la place pour une personne en plus. D'autres ouvrent des squats, d'autres encore ne paient plus leur loyer et attendent la procédure d'expulsion.

On récupère les légumes de fin de marché ou les périmés des supermarchés. On attend dans les interminables files des restos du cœur.

Avoir 20 ans, c'est glacial. On est congelé dans une bulle sociale si étroite qu'elle nous étouffe. Toute chaleur humaine a disparu. Une froide tension envahit nos corps et nos esprits. On est irrité en permanence. Rester dans son appart devient insupportable aux bout de quelques heures. Ce lieu, on l'associe désormais à une extrême solitude.

Dans cet espace exigu, on ronge notre frein. On regarde le velux, ou le tas de médocs dans l'armoire. On voit notre vieux compas du lycée. On réfléchit, on y pense. On va dormir car il n'y a que ça à faire pour passer l'idée noire.

« C'est dur d'avoir 20 ans en 2020 ». Par cette phrase, le vieux qui nous gouverne balaie d'un revers de main toutes responsabilités, les faisant reposer sur une année et un virus.

L'état catastrophique de la jeunesse ne date pourtant pas du Covid qui ne sert que de révélateur au mépris dont ces vieux font chaque jour la démonstration. La pandémie n'est qu'un amplificateur d'un mal-être connu et chiffré depuis des années.

Un mal-être voulu, organisé.

Il n'y a qu'à voir le nombre de psychologues par étudiant.e.s. 1 pour 30 000 étudiant.e.s. Le chiffre va doubler paraît-il. 1 pour 15 000. Remercions le roi. Un psychologue pour quelques dizaines d'étudiant.e.s ne suffirait pas à endiguer la catastrophe. Un numéro vert encore moins.

Il n'y a qu'à observer les nombreuses réformes de l'enseignement et les impacts qu'elles ont eu sur les concerné·e·s.

Il n'y a qu'à voir le Service National Universel qui a pour unique but de mettre la jeunesse au garde à vous, où encore la mise en place des Pôles universitaires avec les nombreuses fusions, qui déshumanisent les lieux d'études.

Il y aurait tant d'exemples à donner.

Ils organisent la mise au pas et la léthargie d'une jeunesse déjà sous Xanax, et cela semble magistralement fonctionner.

Nos conditions d'études et de vies, nos états psychiques, nos mort.e.s auraient dû faire déborder le vase il y a bien longtemps. Mais le vase ne déborde jamais. Il ne fait qu'augmenter sa capacité à mesure que nous acceptons tel ou tel coup de massue. Pendant ce temps, nous nous avérons de plus en plus incapables d'organiser une nuit de fête, de retrouvailles, de révolte alors que ce serait sans doute la chose la plus réconfortante, la plus intéressante, la plus vivante et la plus utile que nous aurions faite ces 12 derniers mois.

Il y a à coté de chez moi un grand bâtiment, une ancienne école je crois.

Je rêve d'y faire venir mes anciens profs et mes anciens camarades que j'ai - comme des milliers d'autres - arrêté de côtoyer par webcam interposée.

Je rêve de nous y retrouver, d'investir le lieu, de nous l'approprier. D'échanger, de faire cours, de faire une assemblée générale, d'en faire un lieu d'apprentissage physique, libre et accessible à tous et toutes. Je rêve de la pause café, d'une balle au prisonnier dans la cour, d'un banquet prix libre pour le midi. Je rêve de discuter du cours précédent avec une personne qui en fut passionnée.

Je rêve de tout ça, mais ça n'arrivera pas, car la jeunesse, sa force de création, sa capacité à se révolter, sa joie de vivre est à l'état végétatif.

C'est dommage, on aurait pu faire un truc mortel de toute cette grisaille!


Le pouvoir de la censure

La puissance des GAFAM au service du pouvoir.

 

Depuis la prise du Capitole par des millitant·e·s pro-Trump à l'appel du futur ancien président des États-Unis lui-même, le débat public se cristallise autour de la censure dont Trump est victime sur les différents réseaux sociaux.

Facebook, Twitter, Instagram ont tous les trois mis un terme à la frénésie numérique de Donald Trump, amenant une question clivante. Faut-il le censurer ?

Pour lever toute ambiguïté sur notre position - il suffit de nous lire pour la connaître - Trump nous répugne. Sa ligne sexiste, raciste, identitaire, conservatrice, et son libéralisme autoritaire sont tout ce que nous combattons, chaque jour. Et, au plus profond de nous, nous nous réjouissons de voir un tel ennemi réduit au silence médiatique.

Pour autant, la censure nous interroge.

À qui profite-t-elle ? Que nous dit elle sur la puissance des Mark Zuckerberg & Co ? Faut-il laisser à des entreprises privées, au fonctionnement capitaliste et vertical la possibilité de brider l'expression ? Faut-il nous réjouir d'une telle décision ou nous en inquiéter ?

 

Qui est victime de la censure des réseaux sociaux ?

La censure sur les réseaux sociaux ne date pas d'aujourd'hui, et si elle est inédite dans son ampleur par le fait que le futur ex-président de la première puissance mondiale en soit victime, il y a des précédents inquiétants.

Rappelons-nous des censures et des baisses d'audience que les pages militantes proche du mouvement des gilets jaunes et du mouvement autonome - a l'instar de cerveaux non disponibles - ont connues au cours de l'été et de l'autonome 2019.

Des pages Facebook relayant les mobilisations et relatant des évènements du contre-sommet du G7 avaient été réduites au silence plusieurs semaines pour des raisons restant plus d'un an plus tard sans réponse.

Sur Twitter, plus récemment, divers compte de journalistes ou de militant.e.s ont été bloqués suite à des tweets. Le journaliste de "Là bas si j'y suis", Taha bouhafs en est l'une des plus fréquentes victimes. Révélateur de l'affaire Benalla, tweetos chevronné n'hésitant pas à révéler la présence de Macron dans une salle de théâtre, régulièrement contrôlé, fouillé, intimidé, parfois placé en garde-à-vue pendant l'exercice de sa profession, son compte Twitter est très certainement assidûment surveillé par les autorités politiques et du réseau social. Ses tweets examinés et parfois supprimés lorsque qu'il "ne respecte pas la charte".

Autre exemple de censure Twitter ayant fait grand bruit : la suppression du compte de Marcel Aiphan, relayeur de toutes les infos des luttes sociales de plusieurs milliers d'abonnés. La raison ? Une photo parodique de couverture représentant Marianne en gilet jaune, frappée par la police.

La censure avait fait monter #RendezNousMarcel en top tweet, et avait provoqué une migration de nombreux comptes Twitter vers le réseau social indépendant, libre et décentralisé Mastodon.

Si la censure des comptes de Trump peut réchauffer le cœur de celles et ceux qui luttent contre ses idées, n'oublions pas que celle-ci ne touche pas que lui, que nous, opposants au pouvoir en place, en sommes également victimes.

 

Les réseaux sociaux du côté du pouvoir

Pourquoi Trump n'est-il censuré que maintenant ? Malgré ses innombrables fake news, ses propos racistes, sexistes, incitant parfois même au viol, Trump n'a jamais ou que très peu souvent été victime de censure par les réseaux sociaux lorsqu'il était président, bien que les raisons ne manquaient pas.

La réponse est peut être ici : Trump incarnait le pouvoir, il avait en ce sens une "immunité" que lui accordaient les réseaux sociaux. Le président élu remplacera le président déchu. Donald Trump est indéniablement relégué au rang de twittos, tout au plus un opposant politique à la nouvelle présidence qui se met en place.

Les réseaux sociaux s'écraseront désormais devant le pouvoir élu qu'ils considèrent comme étant légitime, et dans quatre ans, un autre... qu'importe sa couleur politique. À la manière de la police, ils seront aux ordres d'un pouvoir puis d'un autre.

Le pouvoir de censure que les décideurs de ces plateformes ont réussi à acquérir grâce à l'hégémonie de leurs réseaux sociaux ont de quoi nous inquiéter. Comme le souligne le New York Times :

« En retirant son mégaphone à Trump, Twitter montre où se tient maintenant le pouvoir - la capacité d’une poignée de gens à contrôler nos discours publics n’a jamais été aussi évidente. Pour finir, deux milliardaires californiens ont fait ce que des légions de politiciens, de procureurs et de critiques du pouvoir ont essayé en vain de faire pendant des années : ils ont débranché le Président Trump. »

Une extinction collégialement effectuée avec les autorités. Pour reprendre le cas de la France et des liens étroits entre le pouvoir et les dirigeants des réseaux sociaux, rappelons que, en mai 2019, Emmanuel Macron recevait Mark Zuckerberg à l'Elysée pour discuter de la régulation d’Internet, alors que le parlement français se préparait à examiner une proposition de loi pour modérer les plateformes de manière plus efficace. Le PDG de Facebook était même en « tour d'Europe » des dirigeants. Quelques mois plus tard, le Patron de Facebook rencontrait de manière tout à fait cordiale Trump, qui tweeta après leurs échanges : "Bonne rencontre avec Mark Zuckerberg de Facebook dans le Bureau ovale aujourd’hui"

Si l'on peut légitimement penser que les dirigeants des réseaux sociaux ont pris un pouvoir débridé, n'oublions pas qu'il l'ont eu, en coordination avec les autorités des pays. Les réseaux sociaux servent les pouvoirs en place et les pouvoirs en place servent les réseaux sociaux.

 

Les réseaux sociaux responsables de la perte de démocratie ?

La démocratie n'était pas en meilleure santé avant Twitter et Facebook. Or, des analyses ont voulu voir dans les GAFAM le bouc émissaire idéal pour expliquer la piteuse situation dans laquelle se trouvent les plus grandes démocraties du monde.

Même s'il n'est pas bon signe qu'une plateforme privée gérant plusieurs millions, voire milliards de comptes puisse décider unilatéralement et arbitrairement la censure de tel ou tel contenu politique, n'oublions pas que la perte de démocratie et la montée des périls fascistes sont avant tout les résultats d'un système économique inégalitaire et de choix politiques pour le maintenir coûte que coûte.

Si Trump se sert habilement de Twitter, son réel pouvoir est possible parce qu'il y a un désastre capitaliste qui déclassent des millions de gens et que lui leur promet de garder leur privilège à condition d'exclure les autres.

 

Effet Streisand

Voilà un des effets pervers qu'a eu la censure de Trump, une forme de "l'effet Streisand" : le fait de vouloir empêcher la divulgation d'informations aboutit à l'effet inverse, c'est-à-dire que tout le monde en parle.

Ici, Trump se fait censurer et le débat public international est monopolisé par la question de savoir si oui ou non il fallait le censurer (nous n'y échappons d'ailleurs pas).

La question fait débat sur l'ensemble de l'échiquier politique et de la presse française. Elle pose une question que ni la justice, ni les dirigeants ne s'étaient posé auparavant bien que la censure des réseaux sociaux existe depuis longtemps.

Quelques dirigeants du secteur privées peuvent-ils se permettent de telles censures sans cadre légal ?

Chacun aura sa réponse. Et doutons-nous bien que si beaucoup se réjouiront de cette mise à néant des tweets toujours plus abjects du futur ex-président, les pro-Trump se renforceront dans l'idée d'un complot contre leur leader, et opéreront une radicalisation. Car pour eux, c'est une guerre qui se joue.

Si nous pouvons nous réjouir de la mise à silence médiatique d'un Trump dangereux, inquiétons nous d'une censure contre tout ceux qui ne font pas où plus parti du pouvoir.

 

La nécessité de s'organiser en dehors des GAFAM

Nous devons sortir des géants numériques pour privilégier d'autres réseaux sociaux, navigateur, système d'exploitation, adresse mail. Privilégions l'internet libre, décentralisé, indépendant et sécurisé.

Utilisons Ubuntu (voire Tails) plutôt que Windows ou MacOS

Mozilla Firefox (voire Tor) plutôt que Chrome, Safari ou Internet explorer

DuckDuckGo plutôt que la recherche Google

Protonmail ou Riseup plutôt que Gmail

Mozilla Thunderbird plutôt qu'Outlook

Signal plutôt que WhatsApp

Peertube plutôt que Youtube

Mastodon plutôt que Twitter

Des outils qui remplacent l'ensemble des activités numériques du quotidien à la différence qu'elles sont libres, indépendantes et sécurisées. N'appartiennent ni à un milliardaire, ni à un état.


Une ardeur de vivre !

Tribune des organisateurs de la Rave Party de Lieuron

A toutes celles et ceux qui se demandent pourquoi une telle volonté de faire la fête pour ce nouvel an, la réponse tient en quelques mots : une année de tristesse, d’anxiété et de privations.

La détermination dont a fait preuve le public pour accéder à la fête n’est que la manifestation d’un désir profond de lâcher-prise. Ces espaces de liberté sont inhérents à nos sociétés depuis la nuit des temps. C’est un besoin inaliénable pour nombre d’entre nous.

Pourtant, la jeunesse, la fête et la culture sont montrées du doigt tous les jours. Nous serions les bourreaux irresponsables de nos ainé·e·s et des plus fragiles, grands vecteurs de la propagation du virus. Face à cette culpabilisation incessante, la jeunesse se retrouve réduite à ne voir qu’un obscur brouillard comme seule perspective. Et après le Covid, le climat !

Nous n’acceptons donc pas que seuls les intérêts économiques puissent passer outre les précautions sanitaires, encore davantage lorsque le malaise créé par l’absence d’espaces de culture et de sociabilisation engendre de graves conséquences sur la population. Nous comprenons que cela puisse être choquant. Nous avons tous et toutes dans nos proches une personne à risque et nous tenons aussi à les protéger. Mais il faut entendre qu’il existe aussi des vies déséquilibrées par cet état de morosité ambiante et d’isolement constant. La consommation d’antidépresseurs a considérablement augmenté. Les instituts psychiatriques sont saturés. Nombre de gens ont perdu leur emploi. Beaucoup ne supportent pas ce climat anxiogène et des alternatives socioculturelles sont nécessaires. Pourtant quasiment rien n’est fait de ce côté-là. Ni pour soigner ni pour prévenir.

Nous avons donc répondu à l’appel de celles et ceux qui ne se satisfont pas d’une existence rythmée uniquement par le travail, la consommation et les écrans, seul·e·s chez eux le soir. Notre geste est politique, nous avons offert gratuitement une soupape de décompression. Se retrouver un instant, ensemble, en vie.

Il aura suffi qu’une bande de ravers enthousiastes osent dire non à un ordre de dispersion pour que fusent les balles de défense et que les gaz lacrymogènes envahissent Lieuron, en Ille-et-Vilaine. Quelques heurts ont éclaté en réponse aux pressions policières, le temps d’ouvrir un passage dérobé par-derrière pour les piétons. Une immense joie retrouvée et un sentiment partagé de soulagement se sont fait sentir dès que le reste du public a pu accéder à la fête. S’ensuivirent diverses scènes de liesse où l’on put même apercevoir des riverain·e·s, des pompiers et des fêtard·e·s célébrer ensemble la fin de cette terrible année !

Nos services d’Etat étant plus prompts à réprimer qu’à secourir, il est logique qu’ils aient dépêché près de 200 gendarmes armés pour empêcher la tenue de cet événement. Mais, si le danger était si grand, pourquoi n’avoir envoyé sur place un dispositif sanitaire qu’après la fin ?

Dès les premières communications, nous avons donné une place primordiale à la prévention sur le Covid. Des consignes strictes de dépistage et d’isolement ont été données en amont, à l’entrée, pendant et après. Quelques milliers de masques et des dizaines de litres de gel étaient distribués à l’entrée et disponibles en libre-service. Avec l’aide précieuse de l’association Technoplus, les adresses de centres de dépistage ainsi que de nombreuses autres informations liées aux pratiques festives en temps de pandémie ont été communiquées aux participant·e·s. Le choix du site s’est fait en calculant les volumes d’air et l’aération, conditions principales pour réduire au maximum les risques de contamination.

Quant à la fête en elle-même, que dire si ce n’est que ce fut une belle bringue. Des couleurs, des sourires, de l’amour, du partage, de la musique, des lumières. Une ardeur commune de vivre. Un instant recouvré de liberté. Suite aux menaces d’évacuation par la force, nous avons fait le choix de partir dans la nuit, afin d’éviter que la violence d’Etat ne vienne ternir ce souvenir désormais indéfectible.

1 650 amendes. La seule réponse qu’a apportée l’Etat à cette lueur d’espoir a été de frapper au portefeuille une jeunesse pourtant déjà durement touchée par la crise économique. De les catégoriser publiquement comme «2 500 délinquants». Pire, pour ne pas perdre la face, deux participants lambda furent immédiatement arrêtés. Tout simplement parce qu’ils étaient en possession, pour l’un d’un instrument de musique électronique et pour l’autre d’une petite sono avec platines ainsi que d’un groupe électrogène de faible puissance. Eléments forts sympathiques pour une soirée chez soi mais inutiles pour une telle fête. Ces personnes furent donc humiliées et terrorisées pour une simple opération de communication.

Dans sa triste obsession de vouloir à tout prix envoyer un message d’autorité, l’Etat n’a pas hésité à engager de lourdes poursuites. Un maximum de chefs d’accusation furent alignés les uns à la suite des autres pour bien montrer la gravité de la réponse donnée. Nous, organisateurs et organisatrices, sommes dès lors «activement recherché·e·s», des termes habituellement réservés aux pires criminels. On voudrait donc nous voir incarcéré·e·s et décourager toute velléité de dissidence culturelle collective, quelles que soient les dispositions prises. Pourtant nous offrons ces fêtes par passion, à prix libre pour tenter de couvrir une petite partie des frais engendrés. Bien souvent, la seule chose que nous récoltons en retour, ce sont des emmerdes.

Mais ces fêtes sont un vecteur d’espoir et de cohésion sociale pour des centaines de milliers de jeunes, de toutes classes et de toutes origines. Elles sont ce qu’elles sont, mais elles sont surtout le reflet de toute une partie de notre société que nos gouvernant·e·s ne pourront éternellement continuer d’ignorer. Ainsi, en ces temps si troubles, nous sommes fièr·e·s d’avoir pu redonner le sourire à quelques milliers de personnes, ne serait-ce que l’instant d’un «raveillon» de nouvel an !

Tribune initialement publiée dans Libération


L'idiot et l'article 24

S'il fallait une preuve du peu de considération qu'a le gouvernement envers la population, elle serait sans doute dans cette nouvelle annonce de réécriture de l'article 24.

L'ampleur du mépris et l'absence de considération sont tels, qu'ils ont manœuvré à visage découvert et manié de manière transparente la grotesque stratégie de l'arbre cachant la forêt. Le gouvernement nous trouve t-il à ce point stupide ?

 

L'article 25 de la loi sur les Principes républicains

Si l'article 24 de la loi Sécurité globale va être de nouveau réécrit, celui-ci ne disparaît pas. Il existe toujours, quasiment mot pour mot dans l'article 25 de la loi sur les Principes républicains (anciennement séparatisme).

Article 24 - loi Sécurité globale

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »

Article 25 - loi Principes républicains

« Le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle, d’une personne, permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. » La peine est aggravée lorsque la personne visée est dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public à 5 ans d'emprisonnement.

Les deux articles de ces deux projets de loi sont donc extrêmement similaires et alors que l'article 24 est suspendu et en cours de réécriture, le gouvernement cherche déjà à rendre l'article 25 de la loi sur les principes républicains, identique à l'article 24, en y intégrant tout simplement ses dispositions.

Selon Europe 1 : « Alors que la majorité a définitivement reculé sur le très controversé article 24 de la loi Sécurité globale, le gouvernement planche sur une autre solution pour assurer la protection des forces de l’ordre sans fâcher les journalistes : l’inclure dans l’article 25 de… la loi sur les séparatismes »

 

Les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 de la loi Sécurité globale.

Cela pourrait faire sourire si ce n'était pas grave. Mais l'intégralité des articles de cette loi font ensemble vaciller le pays dans l'état policier que le pouvoir a toujours voulu. L'ensemble des articles donnent plein pouvoir aux forces de l'ordre. Création d'une nouvelle police à Paris, développement des pouvoirs des polices municipales et des polices privées. Augmentation des pouvoirs de l'ensemble des polices sur la chaîne judiciaire, sur le contrôle des caméras de surveillance. Développement de la surveillance de masse, des drones, de la reconnaissance faciale. Possibilité pour les policiers hors service de se balader dans des lieux publics avec leurs armes de services.

 

L'état le plus policier d'Europe

En additionnant les 30 000 policiers municipaux aux 150 000 fonctionnaires de la police nationale et aux 170 000 employés des sociétés privées de sécurité, l’Etat disposerait d’environ 350 000 membres des forces de maintien de l’ordre et de sécurité intérieure, sans compter les 99 000 membres de la gendarmerie nationale. Grâce à la loi « sécurité globale », l’Etat aurait ainsi à sa disposition au quotidien, pas loin d’un demi million d’agents de sécurité, soit un agent de l'ordre pour 150 habitant.e.s. La France deviendrait, de loin, le pays le plus sécuritaire et policier d'Europe.

C'est bien l'ensemble de cette loi ainsi que la loi sur les principes républicains qui doivent finir dans les abysses de l'histoire.


Pour que ce samedi soit historique, évitons la nasse !

Demain, la manifestation contre la loi sécurité globale sera sans nul doute massive. Mais un problème se pose et fait de plus en plus le tour des réseaux sociaux. La place de la République. Et sa nasse assurée !

La préfecture a interdit toute manifestation et autorise un rassemblement statique. Un piège grossier pour confiner les manifestant.e.s sur la place entourée de CRS, et à coup sûr les disperser sous les gaz quelques heures plus tard. Une nasse dont le préfet Lallement s'est fait le spécialiste, bien qu'elle soit illégale. Une nasse où nous serons entassé.es, avec un risque sanitaire décuplé.

Pour que ce samedi soit audacieux, offensif, historique, il faut éviter le piège de la République.

Nous nous retrouvons dans la rue pour combattre l'état policier et la casse de nos libertés. Comment envisager le faire dans une cage géante ? Dans une prison à ciel ouvert que le pouvoir présentera comme un espace de liberté ?

Nous avons le droit de marcher, nous avons le droit de résister. Et samedi plus que jamais, nous en avons le devoir.

Alors oui, ne tombons pas dans le piège de la nasse. Et si possible, nassons la nasse !

Descendons aux différentes stations de métro adjacentes. Temple, Arts et métiers, Strasbourg Saint Denis, Jacques Bonsergent. Marchons vers la place, mais sans y aller. Restons à l'extérieur du dispositif policier. Il en va de la possibilité même de manifester.

Quand nous serons hors de la nasse, nous verrons ce qu'il est possible de faire, de tenter, de créer.

Sur le site d'information Paris-Luttes.Info, un texte appelle lui aussi à ne pas rentrer dans la nasse. Mais propose des lieux de rdv alternatifs. Si ces propositions sont alléchantes, Nous pensons que nous ne pouvons pas désigner de cibles précises en amont. Ce serait contre-productif. Si des lieux sont ciblés demain, ce sera grâce à la volonté, la créativité et la détermination des personnes présentes sur place, et non par une diffusion en amont.

Mais nous sommes convaincu.es d'une chose. Il faut aller sur les lieux de pouvoir. Et aller là où le pouvoir ne veut pas que nous soyons. Nous partageons le constat de l'article de Paris-Luttes.infos, notamment ces paragraphes :

« Nous sommes aussi terriblement impuissants, et de plus en plus. Ce samedi 21 novembre, nous en étions réduits à nous regarder nous-mêmes, à mettre en scène notre révolte, chantant toujours les mêmes slogans, réduits à piétiner et faire des tours de place dans le froid. Beaucoup de manifestant.e.s sont ressortis frustrés de cette expérience.

C’est grave car notre mobilisation est inoffensive. Et nous l’acceptons, incapables de réagir. Nous aurions pu être 50 000 ou 100 000 dans cette configuration, peu importe, la loi passerait quand même comme une lettre à la poste, au prix d’une petite semaine de polémique dans les médias.

[...]

C’est un peu comme si nous faisions un simple baroud d’honneur, quelque chose qui nous permette de nous dire dans dix ans : « Ah au moins nous étions là, nous faisions partie des quelques-uns qui ont dit non. Cela n’a pas suffi mais nous étions là ».

A tous ceux que cette loi révolte, que ce monde révolte, il faut à tout prix en finir avec cet esprit de défaite ! »


Si tout s'accélère contre nous, c'est qu'ils sont morts de trouille

On aura beau dire tous les trois jours que c'est de pire en pire sur tous les points et que ça va de plus en plus loin, c'était prévisible et on l'a vu venir en se sentant impuissants depuis longtemps.

Sous fond d'autoritarisme sanitaire, de racisme d'état (islamophobie, chasse aux exilés et j'en passe), de politique ultra-sécuritaire et j'en passe aussi, ce glissement idéologique assumé vers l'extrême-droite est logique : tout l'arsenal vers l'autoritarisme est désormais en place et ça empirera probablement dans les mois ou les années à venir. La république assume dorénavant les valeurs sur lesquelles elle s'est construite, maintenant c'est à visage découvert.

Bien sûr, ce futur proche aux aspects orwelliens est effrayant. Ceci-dit, rappelez vous d'un truc : depuis la fin du mouvement Nuit debout et la loi travail disons mi-2018 à nos jours, il s'est passé plein de choses, dans un ordre plus ou moins chronologique avec beaucoup d'oublis, nous avons eu :

- plusieurs victoires dans les ZAD

- le soulèvement populaire le plus violent, le plus déterminé et dans l'idée et la pratique, l'un des plus inventifs et des plus audacieux généralisé à l'échelle du pays entier depuis au moins 36

- trois jours d'émeutes spontanées et parallèle aux gjs des lycéens, certes tuées dans l'oeuf par la répression mais qui laisseront des traces plus étalées encore sur le territoire que la génération "loi travail"

- la plus longue grève depuis 1945 avec un durcissement évident des bases, qui plus est vu que la défaite est cuisante

- des dizaines de milliers de personnes contre l'islamophobie

- encore plus devant le TGI, puis à répu contre la négrophobie, le racisme d'état et les violences policières

- un monde fou à chaque marche pour le climat

- de même pour les exilés où les cortèges sont de plus en plus importants

- des manifs énormes pour le droit des femmes, contre le patriarcat et la violence qui en émane

- le fait de parler beaucoup plus des violences d'état, qu'on évoque enfin leur racisme, et qu'on médiatise enfin les collectifs de familles qui se battent pour demander justice et vérité.

- Si les révoltes de 2005 n'avaient rien de nouveau dans leur légitimité ou les actes et qu'elles continuent, elles n'ont probablement jamais été aussi ciblées à l'encontre du bras armé de l'oppresseur notamment par le mortier.

Bien sûr, ça ne suffit pas du tout, chaque lutte possède ses spécificités et tout ne peut "s'articuler" logiquement uniquement sous prétexte d'avoir les mêmes ennemis en commun si on veut des alternatives concrètes pour accompagner ces combats.

Reste que si tout s'accélère contre nous, c'est aussi le cas contre eux : ces chiens sont morts de trouille et tenteront donc toujours d'avoir un temps d'avance en régnant par la terreur. Du préfet de Paris, aux renseignements en passant par certains généraux de l'armée, tous flippent de l'évolution des mouvements sociaux en quelques années.

C'est pas pour vous donner du baume au coeur, encore moins vous rassurer vu le contexte et le rapport disproportionné face auquel on ne se résignera pas, mais bien dire que tout n'est pas perdu.

On va prendre de plus en plus cher, on manque d'organisation mais aussi cruellement d'imagination, souvent de souplesse renfermé dans nos délires "puristes", et surtout de renouveau parce que clairement pour certains d'entre nous, on est à bout, y'a forcément l'affect qui rentre au jeu, on a trop la tête dans le guidon à force de courir partout et donc pas le temps d'avoir le moindre recul. Evidemment : la répression nous a fait beaucoup de mal et on s’en remet pas comme ça (blessures, mutilations, incarcérations, condamnations, interdictions de manifs, post-traumas..)

Ce qui est rassurant, c'est de lire beaucoup d'entre vous qui ont envie de manifester pour la première fois de leur vie, en général ça annonce des trucs cools, là c'est vraiment le moment, confinement ou pas : il n'y aura pas de retour en arrière possible et on a besoin de vous sur place plus encore que sur les réseaux.

Si on attend 2022 pour espérer changer les choses et de se calquer uniquement sur l'agenda électoral qu'on nous impose on sera encore plus déçu et se résigner à ça, c'est signer l'arrêt de mort de tout ce qui s'est construit en si peu de temps et se faire bouffer par une double candidature de la loose : Taubira/Jadot, ou même JLM...d'autant qu'ils n'ont pour le moment aucune chance et que la crise qui arrive après le covid va faire très mal, c'est notre consentement à tout accepter qui est actuellement expérimenté.

A nous de nous imposer pour être force de proposition.

Leur crasse nous donne peut être l'opportunité d'aller nous aussi encore plus loin.