Emeute à Rotterdam contre le pass sanitaire

Réflexions et rapport sur les émeutes du 19 novembre à Rotterdam - article paru dans itsgoingdown.org

Traduction d'un article du site itsgoingdown.org

Un camarade des Pays-Bas a envoyé un rapport de première main sur les extraordinaires émeutes anti-police de la nuit dernière à Rotterdam, aux Pays-Bas, au cours desquelles la police néerlandaise a tiré dans la foule.

Certains "gauchistes" déconnectés de la réalité ont essayé de rejeter ces émeutes parce qu'elles coïncidaient avec une manifestation organisée par la droite contre de nouvelles restrictions gouvernementales. Cependant, un événement tel que le soulèvement des jeunes contre la police la nuit dernière ne peut être aussi simplement réduit - comme le montre clairement notre auteur.

Je ne sais pas par où commencer pour écrire sur ce sujet. D'une part, je suis submergé par l'émotion, je suis encore en train de traiter les choses dont j'ai été témoin la nuit dernière. D'autre part, j'essaie de donner un sens à ce qui s'est passé du point de vue de quelqu'un qui croit en la révolution sociale. Je ne pense pas pouvoir faire entrer ce dernier point dans ce texte court et chargé d'émotion, mais certaines choses doivent être dites à ce sujet maintenant. Ce qui s'est passé hier soir est bien plus que la supposée "émeute fasciste" que beaucoup considèrent comme telle.

La nuit dernière, une manifestation contre les mesures (renouvelées) contre le coronavirus a été organisée. Cette manifestation a été clairement initiée par des personnes qui devraient, pour la plupart, être qualifiées de fascistes. Ces manifestations attirent cependant une foule beaucoup plus diverse que les seuls fascistes, et le mécontentement s'élargit, surtout maintenant que l'État impose une répression de plus en plus stricte pour contrôler la propagation du virus.

Pendant tout ce temps, je n'avais pas vu un seul signe lié à la manifestation, pas entendu un seul slogan, pas vu une seule bannière. Il s'agissait d'une haine collective et généralisée de la police. On pouvait la goûter, la sentir et la ressentir à chaque coin de rue cette nuit-là.

Le potentiel de ce mouvement est en grande partie alimenté par l'approche totalement aléatoire et irresponsable du gouvernement néerlandais face à la crise de la pandémie. La frustration à l'égard des mesures contre la pandémie est croissante et diverse. Elle comprend des personnes qui pensent que la pandémie est sérieuse et qu'il faut y faire face, ainsi que des personnes qui croient aux mensonges du mouvement anti-vax et se laissent prendre à leurs réponses faciles. Il serait difficile de trouver des personnes qui soutiennent l'approche du gouvernement face à la pandémie : une politique qui consiste à laisser le virus se propager tant que les hôpitaux peuvent gérer l'arrivée de personnes dans les services de soins intensifs, au lieu de prévenir sa propagation et de se concentrer sur la vaccination et la mise à disposition d'installations de dépistage suffisantes.

Les cas d'infection atteignent un niveau record depuis que le gouvernement a décidé d'abandonner de manière aléatoire toutes les mesures de lutte contre la pandémie en septembre dernier. Même le strict minimum, comme le port d'un masque et le maintien d'une distance sociale, a été abandonné d'un jour à l'autre.

Des protestations contre la réponse du gouvernement ont eu lieu depuis le début de la pandémie et ont été dominées par les fascistes, ne nous y trompons pas. Mais ce serait une erreur de discréditer la tendance sociale plus large et croissante de la frustration envers le gouvernement néolibéral comme étant la même chose. Quiconque n'est pas furieux de ce qui se passe n'est pas suffisamment attentif. Les fascistes abusent de ces frustrations, et cela ne devrait surprendre personne, mais discréditer tous les participants en les qualifiant de "fascistes" est une approche facile qui empêche toute analyse sérieuse. Les événements d'hier étaient bien plus qu'une manifestation pandémique. Il s'agissait d'une révolte généralisée contre la police à laquelle se sont joints des masses de jeunes, des jeunes qui n'avaient pas grand-chose à voir avec les manifestations mais qui avaient toutes les raisons de saisir l'occasion et de riposter. Prétendre que les événements de la nuit dernière étaient "une émeute fasciste" est tout simplement un mensonge.

"Les révoltes ne peuvent être comprises que par ceux qui ont les mêmes besoins que les rebelles, c'est-à-dire par ceux qui ont le sentiment de faire partie de la révolte." - Filippo Argenti

Au début de cette année, lorsque de nouvelles mesures gouvernementales ont été introduites, des émeutes ont éclaté dans le sud de la ville. Parallèlement aux manifestations anti-vaccins, les jeunes ont commencé à se révolter en réponse à ces mesures.

La nuit dernière, j'ai entendu dire qu'il y avait à nouveau des émeutes et j'ai décidé d'y jeter un coup d'œil, mais je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'ai pas vu de policiers. Une camionnette de police se trouvait au milieu de la route, abandonnée et détruite. En continuant à marcher, j'ai vu une voiture de police en flammes au coin de la rue. Des masses de personnes s'étaient rassemblées et se trouvaient dans les rues. La plupart d'entre eux semblent n'avoir rien à voir avec la manifestation initiale ; la foule est principalement composée de jeunes qui traînent dans le centre-ville. Ici et là, de petits groupes de hooligans étaient actifs, manifestement plus organisés que la plupart des gens présents. Ce que je ne savais pas, c'est que la police avait déjà tiré des coups de feu.

J'étais déconcerté par cette situation apparemment calme ; il s'avère que la police s'était retirée juste avant mon arrivée. J'ai décidé de me promener un peu pour voir ce qui se passait en bas de la rue.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'ai pas vu de policiers. Une camionnette de police se trouvait au milieu de la route, abandonnée et détruite. En continuant à marcher, j'ai vu une voiture de police en flammes au coin de la rue. Des masses de personnes s'étaient rassemblées et se trouvaient dans les rues. La plupart d'entre eux semblent n'avoir rien à voir avec la manifestation initiale ; la foule est principalement composée de jeunes qui traînent dans le centre-ville. Ici et là, de petits groupes de hooligans étaient actifs, manifestement plus organisés que la plupart des gens présents. Ce que je ne savais pas, c'est que la police avait déjà tiré des coups de feu.

J'étais déconcerté par cette situation apparemment calme ; il s'avère que la police s'était retirée juste avant mon arrivée. J'ai décidé de me promener un peu pour voir ce qui se passait en bas de la rue. Je ne pouvais pas dire si la plupart des gens étaient là en train de regarder ou de participer à quoi que ce soit, mais environ un millier de personnes étaient dans les rues de cette zone. Plus loin dans la rue, des barricades en feu avaient été érigées, principalement à l'aide des scooters électriques de location, superflus et nombreux.

Un groupe de flics anti-émeute est apparu depuis une rue latérale et a commencé à former une ligne devant la voiture de police en feu. Alors qu'ils tentaient de fermer la ligne, ils ont été attaqués par une grande partie de la foule avec des pierres, des feux d'artifice, des panneaux de signalisation, etc. Les policiers ont instantanément sorti leurs armes et ont commencé à tirer sur la foule. Malgré les fortes attaques provenant d'une direction, la police a tiré dans une autre direction sur une personne qui, d'après ce que j'ai pu voir, ne les attaquait pas du tout. Cette personne est tombée au sol après avoir été touchée par une balle et a finalement été traînée par les policiers anti-émeute une fois que de nombreuses personnes ont reculé, réalisant ce qui venait de se passer. Quelques minutes après mon arrivée, des dizaines de coups de feu ont été tirés, certains en l'air, d'autres dans la foule.

Après cela, les policiers, toujours en infériorité numérique, ont commencé à utiliser leurs fourgons anti-émeutes comme armes, roulant à grande vitesse, pourchassant tous ceux qui se trouvaient devant leur fourgon. Cela a donné lieu à une heure de poursuites au cours desquelles les policiers ont foncé dans la foule avec leurs fourgons. Les gens se sont battus contre eux avec ce qu'ils ont pu trouver. Les groupes se sont disséminés, mais la foule globale a semblé grandir elle aussi.

Les escarmouches avec les flics avaient lieu non seulement sur le long boulevard où tout a commencé, mais aussi dans les rues secondaires. Partout où je suis allé, des jeunes se tenaient debout, semblant ne rien faire, mais lorsque les policiers passaient, les jeunes les attaquaient encore et encore. Pendant tout ce temps, je n'avais pas vu un seul signe lié à la manifestation, pas entendu un seul slogan, pas vu une seule bannière. Il s'agissait d'une haine collective et généralisée envers la police. Quelque chose que l'on pouvait goûter, sentir et ressentir à chaque coin de rue cette nuit-là.

Rien n'a changé pendant une heure environ, alors que la police tentait de se regrouper et de rassembler des renforts. Une fois qu'ils se sont enfin rassemblés, ils ont attaqué avec des canons à eau et des centaines de flics anti-émeute, et les choses se sont transformées en une course-poursuite qui a duré toute la nuit et s'est étendue au centre ville. J'ai décidé d'en rester là, n'ayant pas encore tout à fait enregistré ce qui venait de se dérouler devant moi.

J'ai vu des manifestations, des émeutes et des combats de rue plus intenses que ce qui s'est passé hier soir. J'ai déjà vu des flics utiliser leur voiture comme arme. Mais tout cela se passait dans d'autres pays où les policiers réagissaient d'abord avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau, des balles en caoutchouc, etc.

J'ai toujours pensé que si de telles émeutes se produisaient aux Pays-Bas, la police commencerait à tirer rapidement. Cependant, je n'aurais jamais prédit un tel niveau d'empressement à utiliser la violence mortelle. Je n'aurais jamais prédit l'ampleur avec laquelle elle a été utilisée hier soir, souvent sans discernement. Plus tard dans la nuit, le maire a déclaré sans ironie que "la permission d'utiliser des gaz lacrymogènes a été demandée. Elle a été accordée, mais pas nécessaire". Et autant je suis bouleversé par ce qui s'est passé, autant je me sens naïf d'en être surpris.

De plus, je n'ai jamais été témoin d'une révolte aussi généralisée contre la police ici. La police de Rotterdam a construit un héritage de comportements violents et racistes et est ouvertement et publiquement soutenue par notre maire et une grande partie du conseil local. Comme nous avons dû endurer un gouvernement de plus en plus corrompu et éhonté, de plus en plus de gens se rendent compte que l'État ne se soucie pas d'eux. Ils réalisent que la police et toutes les autres institutions de l'État ne se battent que pour les plus privilégiés. Ils ne sont pas là pour nous, ils ne l'ont jamais été et ne le seront jamais.

Pour analyser plus avant ce qui s'est passé, nous devrions examiner les émeutes de Londres de 2011, les émeutes de Paris de 2005 et tous les autres soulèvements anti-police qui ont eu lieu dans cette partie du monde au cours de la dernière décennie.
Ces émeutes sont spontanées, chaotiques et destructrices et incarnent souvent certaines des tendances les plus toxiques que la vie moderne a créées. Les anarchistes ont tendance à romantiser "l'émeute" et à oublier sa laideur. Elle est laide, toujours, mais elle porte en elle quelque chose que nous devons embrasser, et si nous n'y travaillons pas activement en tant qu'anarchistes, nous ne pouvons pas prétendre nous battre aux côtés des moins privilégiés.

Je me souviens que nous nous sommes posés des questions sur nos positions concernant ces précédentes émeutes. Il est difficile de répondre à ces questions. Elles n'ont pas de réponse unique pour commencer. Mais, le plus important, c'est que ces questions nous obligent à réfléchir à notre propre position en tant qu'anarchistes, au lieu d'inventer des excuses pour expliquer que la situation ne nous concerne pas... parce qu'elle nous concerne.

Il manque encore un million de choses dans ce rapport mais je sens que le sujet a une urgence qui ne permet pas une longue période de réflexion avant de publier ce petit texte. Il est destiné à contrer le faux récit selon lequel il s'agirait d'une "émeute fasciste" et à nous faire réfléchir sur notre rapport aux révoltes en général. Le nombre de gauchistes autoproclamés qui ont applaudi les violences policières de la nuit dernière est répugnant et totalement hypocrite. Pendant qu'ils encourageaient la violence policière sur Internet, j'ai vu des jeunes, principalement des jeunes migrants qui sont harcelés par la police raciste tous les jours, se faire battre et tirer dessus. Ici, il ne devrait pas y avoir de discussion pour savoir de quel côté nous sommes.


Excuses aux gilets jaunes

EXCUSES AUX GJ - Lettre anonyme

Voici une lettre d'un GJ que nous avons reçue hier en messagerie et que nous avons décidé de vous relayer à l'occasion des 3 ans du mouvement

Trois ans.. Si loin, si proche.
Quand je repense aux premiers actes GJ, des frissons me prennent. Ce fut l'un des moments les plus forts de ma vie. Des souvenirs dingues. Des rencontres. Et l'espoir ! Pendant plusieurs semaines, tout nous semblait possible. Changer la société, changer nos vies.

Mais j'ai aussi d'énormes regrets et un vrai sentiment de gâchis : je m'en veux de ne pas avoir été assez loin, de ne pas avoir pris plus de "risques" lors des actes où cela aurait pu basculer.

Quand je pense aux milliers de GJ qui ont été blessés ou qui ont fait de la prison, je me dis que je n'ai pas été à la hauteur. Que j'aurais du engager mon corps et ma vie encore plus.

J'étais présent dès le premier acte. J'ai participé à plus de 100 rassemblements GJ en trois ans. J'ai monté des barricades, j'en ai enflammé. J'ai été en première ligne. J'ai participé à des manif sauvages extrêmement déterminées, à des envahissements de lieux (publics et privés), à des occupations. A plusieurs moments, j'aurais pu être interpellé, condamné et/ou blessé. On pourrait donc considéré que "j'ai fait ma part".

Mais non, à y réfléchir, je n'ai pas fait tout ce que j'aurais pu. Et je le regrette. Et je m'en excuse auprès des milliers de GJ qui eux, sont allés au bout de leur rêve, et l'ont payé au prix fort.

Car aujourd'hui, quand je vois l'état de notre société, comment Macron et sa police ont réussi à écraser l'espoir d'une révolution populaire, et que seules les pulsions réactionnaires semblent encore audibles, je me dit une chose : s'il avait fallu que je fasse quelques mois de prison ou que je sois blessé pour que l'issue du mouvement débouche sur un renversement du système, je l'aurais fait. Sans hésiter.

Évidemment, je n'ai pas la prétention de penser que mes actes auraient changé le cours de l'histoire. Sauf qu'on sait que plus de 4 000 Gilets Jaunes ont été blessés et plus de 3 200 condamnés. On peut donc estimer que près de 10 000 citoyens ont payé, d'une façon ou d'une autre, le prix de cette révolte. 10 000. C'est énorme. Mais on sait aussi qu'on était au moins cinq à dix fois plus à être prêts à presque tout pour voir le mouvement aboutir à la chute du régime et du système. Or, si dans ces 30 000 à 50 000 Gilets Jaunes déters, qui ont eu la chance de ne pas subir les conséquences de la répression, nous avions été 10 000 de plus à pousser d'un cran notre engagement, et ce dans les actes les plus insurrectionnels, alors oui je pense que l’issue aurait pu être différente.

On ne vit pas avec des regrets.
Mais je tenais à profiter de ce troisième anniversaire du plus beau mouvement populaire que j'ai connu de ma vie pour remercier ceux qui y ont participé, qui s'y sont engagés, corps et âme. Les remercier, et m'excuser de ne pas avoir été aussi loin que ce que j'aurais finalement voulu, et pu faire.


La Kabylie en détresse

🚨 Nous ne pouvons compter que sur la solidarité !🚨

Nous relayons ce texte de Sophia Hocini à propos de la situation en Kabylie.
Là-bas comme en Grèce et en Turquie, les habitants font face aux ravages du feu.
Partout, les politiques sont irresponsables et laissent la population en proie à la violence des flammes. Hommes, femmes et enfants sont déraciné.e.s de leurs villages, et certains locaux se secourent les uns les autres pendant que d’autres tentent de sauver les animaux…Horrifiant !

➡️ «La pandémie de la COVID-19 et l’arrivée du variant delta continuent de faire des ravages en Kabylie notamment à cause du manque d’oxygène dans les structures sanitaires déjà très fragilisées par l’incurie du régime. Le nombre de victimes aurait continué d’augmenter sans la solidarité des citoyennes et des citoyens kabyles comptant même sur la diaspora pour réunir des fonds et se procurer eux même des concentrateurs à oxygène.

Non contents de regarder suffoquer ces populations sans apporter le moindre appui à ce vaste mouvement d’entraide populaire, l’administration algérienne a au contraire cherché à décourager la mobilisation par le zèle et la mise en place de contraintes administratives comme « l’autorisation d’acheminement des dons » ou l’obligation de « remettre les dons au ministère algérien de la santé qui les répartirait ensuite au niveau national ».

Dans la journée du lundi 9 aout, l’inquiétude a commencé à se faire sentir lorsque des habitants de différentes communes de Kabylie ont commencé à témoigner d’incendies géants survenus brutalement mais simultanément à des endroits parfois éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres. Très rapidement dans la soirée, le conservateur des forêts de la wilaya de Tizi-Ouzou, Youssef Ould Mohand a affirmé que l’origine de ces incendies ne pouvait être autre que criminelle, le climat caniculaire inédit ayant participé de l’aggravation de ces feux. Il a ajouté avoir dressé des procès-verbaux qui montrent le lien direct entre ces incendies qui se répètent chaque année depuis une dizaine d’année et le squat ou la confiscation de ces parcelles pour dégager du foncier au cœur du massif forestier et réaliser des structures.

Le ministre algérien de l’intérieur, Kamel Beldjoud a déclaré le 10 août à Tizi-Ouzou que les incendies en Kabylie « sont d’origine criminelle ». Le ministre n’a pourtant pas encore diligenté d’enquête sur le sujet.

La violence de ces incendies a surpris les habitants qui se sont retrouvés non seulement encerclés mais surtout sidérés et impuissants. Des mouvements de panique ont été constatés dans la nuit de lundi à mardi et dans la journée. Des centaines de messages et d’appels à l’aide, des images de flammes qui rongent les forêts et les champs, des animaux calcinés, des familles apeurées fuyant à pied ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. En face, les familles de la diaspora témoins des heures sombres que vivaient leur familles, impuissantes face à leur téléphone et la frustration de pas arriver à joindre directement leurs proches fautes de courant.

Le régime algérien a quant à lui préféré se dédouaner subtilement en invoquant la pénurie d’eau et en décrétant le deuil national de trois jours. Seulement, les problématiques de pénurie d’eau n’ont jamais donné lieu à une mesure concrète pour le pallier en mettant en place des réseaux d’eau efficaces dans les zones rurales et dans les quartiers populaires et il n’a jamais été non plus question de financer des engins pour venir à bout des flammes tels que des canadairs.

Face à l’absence de moyens pour agir, le peuple kabyle a exhorté le gouvernement a accepter l’aide internationale pour en venir à bout, mais même face à cette situation d’urgence, le choix de jouer la montre a de nouveau démontré au moins l’indifférence du régime en place au pire leur complicité dans ce qui se caractérise comme une catastrophe humanitaire, écologique et économique. Le dernier bilan faisant pour l’instant état d’au moins 70 décès et de centaines de blessés.
Il y a manifestement de la part du régime algérien, non-assistance à personnes en danger de mort en Kabylie.
De fait, au cours des vingt dernières années, les feux de forêts et l’insécurité d’une manière générale, ont augmenté parallèlement à l’accroissement du nombre d’implantations de structures policières et militaires, jusqu’à faire de la Kabylie le territoire le plus militarisé d’Algérie. Comment expliquer alors l’absence d’intervention sérieuse avec l’équipement adéquat ?

Après la surprise et l’émotion, ce sont de nouveau les villageois qui ont dû coordonner le sauvetage des victimes et l’extinction des incendies avec des moyens dérisoires : des citernes, des tuyaux et des camionnettes. De la même manière, c’est grâce à différents appels sur les réseaux sociaux que la mise à l’abri des rescapés a pu se mettre en place, les uns proposant des couchages, les autres faisant le lien avec les zones sinistrées pour relayer les informations.

De nouveau ces deux derniers jours, c’est sur un élan de solidarité populaire et international que les sinistrés de Kabylie ont pu compter à la fois pour venir à bout des incendies mais surtout prendre en charge les nombreux blessés et traumatisés. Des convois sont acheminés depuis plusieurs autres communes et villages pour fournir de l’eau et des premiers soins aux victimes. Alors que les besoins humanitaires sont urgents, des locaux servant à stocker les denrées collectées ont été fermés à certains endroits par la police algérienne.

De nombreux observateurs affirment qu’il y a un lien direct entre la présence policière et militaire excessive en Kabylie et le processus de délabrement multidimensionnel que connait ce territoire.
Pour le Congrès Mondial Amazigh (CMA) le régime militaire algérien, y compris sa façade civile, veut punir la Kabylie et son peuple qui souhaitent conserver et protéger leur existence et leur singularité linguistique, culturelle, sociale, politique, historique et civilisationnelle.

Cet épisode tragique n’est que la suite logique d’une violence systémique exercée sur les populations autochtones (amazigh) d’Algérie notamment les kabyles qui ont payé plus d’une fois de leur vie leur différence dans un régime qui ne permet aucune libre expression, ni de l’identité, ni de l’opinion.»


La lettre d'un jeune étudiant, Matéo, à son ancien professeur

Une longue lettre, qui ne vous laissera pas indemne.

 

Bonjour Monsieur,

Ce mail n’appelle pas nécessairement de réponse de votre part, je cherchais simplement à écrire mon désarroi. Ne sachant plus à qui faire part du profond mal-être qui m’habite c’est vous qui m’êtes venu à l’esprit.

Même si cela remonte à longtemps, l’année que j’ai passée en cours avec vous a eu une influence déterminante sur les valeurs et les idéaux qui sont aujourd’hui miens et que je tente de défendre à tout prix, c’est pour cela que j’ai l’intime conviction que vous serez parmi les plus à même de comprendre ce que j’essaye d’exprimer.

Ces dernières semaines ont eu raison du peu d’espoir qu’il me restait. Comment pourrait-il en être autrement ? Cette année était celle de mes 21 ans, c’est également celle qui a vu disparaître mon envie de me battre pour un monde meilleur.

Chaque semaine je manifeste inlassablement avec mes amis et mes proches sans observer le moindre changement, je ne sais plus pourquoi je descends dans la rue, il est désormais devenu clair que rien ne changera. Je ne peux parler de mon mal-être à mes amis, je sais qu’il habite nombre d’entre eux également.

Nos études n’ont désormais plus aucun sens, nous avons perdu de vue le sens de ce que nous apprenons et la raison pour laquelle nous l’apprenons car il nous est désormais impossible de nous projeter sans voir le triste futur qui nous attend.

Chaque semaine une nouvelle décision du gouvernement vient assombrir le tableau de cette année. Les étudiants sont réduits au silence, privés de leurs traditionnels moyens d’expression.

Bientôt un blocage d’université nous conduira à une amende de plusieurs milliers d’euros et à une peine de prison ferme.

Bientôt les travaux universitaires seront soumis à des commissions d’enquêtes par un gouvernement qui se targue d’être le grand défenseur de la liberté d’expression.

Qu’en est-il de ceux qui refuseront de rentrer dans le rang ?

Je crois avoir ma réponse.

Samedi soir, le 5 décembre, j’étais présent Place de la République à Paris.

J’ai vu les forces de l’ordre lancer à l’aveugle par-dessus leurs barricades anti-émeutes des salves de grenades GM2L sur une foule de manifestants en colère, habités par une rage d’en découdre avec ce gouvernement et ses représentants.

J’ai vu le jeune homme devant moi se pencher pour ramasser ce qui ressemblait à s’y méprendre aux restes d’une grenade lacrymogène mais qui était en réalité une grenade GM2L tombée quelques secondes plus tôt et n’ayant pas encore explosée.

Je me suis vu lui crier de la lâcher lorsque celle-ci explosa dans sa main.

Tout s’est passé très vite, je l’ai empoigné par le dos ou par le sac et je l’ai guidé à l’extérieur de la zone

d’affrontements.

Je l’ai assis au pied de la statue au centre de la place et j’ai alors vu ce à quoi ressemblait une main en charpie, privée de ses cinq doigts, sorte de bouillie sanguinolente.

Je le rappelle, j’ai 21 ans et je suis étudiant en sciences sociales, personne ne m’a appris à traiter des blessures de guerre.

J’ai crié, crié et appelé les street medics à l’aide.

Un homme qui avait suivi la scène a rapidement accouru, il m’a crié de faire un garrot sur le bras droit de la victime.

Un garrot… Comment pourrais-je avoir la moindre idée de comment placer un garrot sur une victime qui a perdu sa main moins d’une minute plus tôt ?

Après quelques instants qui m’ont paru interminables, les street medics sont arrivés et ont pris les choses en main.

Jamais je n’avais fait face à un tel sentiment d’impuissance. J’étais venu manifester, exprimer mon mécontentement contre les réformes de ce gouvernement qui refuse de baisser les yeux sur ses sujets qui souffrent, sur sa jeunesse qui se noie et sur toute cette frange de la population qui suffoque dans la précarité.

Je sais pertinemment que mes protestations n’y changeront rien, mais manifester le samedi me permet de garder à l’esprit que je ne suis pas seul, que le mal-être qui m’habite est général. Pourtant, ce samedi plutôt que de rentrer chez moi heureux d’avoir revu des amis et d’avoir rencontré des gens qui gardent espoir, je suis rentré chez moi dépité, impuissant et révolté.

Dites-moi Monsieur, comment un étudiant de 21 ans qui vient simplement exprimer sa colère la plus légitime peut-il se retrouver à tenter d’installer un garrot sur le bras d’un inconnu qui vient littéralement de se faire arracher la main sous ses propres yeux, à seulement deux ou trois mètres de lui.

Comment en suis-je arrivé là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

Je n’ai plus peur de le dire. Aujourd’hui j’ai un dégoût profond pour cette République moribonde.

Les individus au pouvoir ont perverti ses valeurs et l’ont transformée en appareil répressif à la solde du libéralisme.

J’ai développé malgré moi une haine profonde pour son bras armé qui défend pour envers et contre tous ces hommes et ces femmes politiques qui n’ont que faire de ce qu’il se passe en bas de leurs châteaux.

J’ai toujours défendu des valeurs humanistes et pacifistes, qui m’ont été inculquées par mes parents et desquelles j’ai jusqu’ici toujours été très fier.

C’est donc les larmes aux yeux que j’écris ceci mais dites-moi Monsieur, comment aujourd’hui après ce que j’ai vu pourrais-je rester pacifique ?

Comment ces individus masqués, sans matricules pourtant obligatoires peuvent-ils nous mutiler en toute impunité et rentrer chez eux auprès de leur famille comme si tout était normal ?

Dans quel monde vivons-nous ?

Dans un monde où une association de policiers peut ouvertement appeler au meurtre des manifestants sur les réseaux sociaux, dans un monde où les parlementaires et le gouvernement souhaitent renforcer les pouvoirs de cette police administrative qui frappe mutile et tue.

Croyez-moi Monsieur, lorsque je vous dis qu’il est bien difficile de rester pacifique dans un tel monde…

Aujourd’hui être français est devenu un fardeau, je suis l’un de ces individus que l’Etat qualifie de « séparatiste », pourtant je ne suis pas musulman, ni même chrétien d’ailleurs.

Je suis blanc, issu de la classe moyenne, un privilégié en somme…

Mais quelle est donc alors cette religion qui a fait naître en moi une telle défiance vis-à-vis de l’Etat et de la République ?

Que ces gens là-haut se posent les bonnes questions, ma haine pour eux n’est pas due à un quelconque endoctrinement, je n’appartiens à l’heure actuelle à aucune organisation, à aucun culte « sécessioniste ».

Pourtant je suis las d’être français, las de me battre pour un pays qui ne veut pas changer.

Le gouvernement et les individus au pouvoir sont ceux qui me poussent vers le séparatisme.

Plutôt que de mettre sur pied des lois visant à réprimer le séparatisme chez les enfants et les étudiants qu’ils s’interrogent sur les raisons qui se cachent derrière cette défiance.

La France n’est plus ce qu’elle était, et je refuse d’être associé à ce qu’elle représente aujourd’hui.

Aujourd’hui et malgré moi je suis breton avant d’être français. Je ne demanderais à personne de comprendre mon raisonnement, seulement aujourd’hui j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose, une lueur, qui aussi infime soit-elle me permette de croire que tout n’est pas perdu.

Ainsi c’est à regret que je dis cela mais cette lueur je ne la retrouve plus en France, nous allons au-devant de troubles encore plus grands, le pays est divisé et l’antagonisme grandit de jour en jour.

Si rien n’est fait les jeunes qui comme moi chercheront une sortie, un espoir alternatif en lequel croire, quand bien même celui-ci serait utopique, seront bien plus nombreux que ne l’imaginent nos dirigeants.

Et ce ne sont pas leurs lois contre le séparatisme qui pourront y changer quelque chose.

Pour certains cela sera la religion, pour d’autre comme moi, le régionalisme.

Comment pourrait-il en être autrement quand 90% des médias ne s’intéressent qu’aux policiers armés jusqu’aux dents qui ont été malmenés par les manifestants ?

Nous sommes plus de 40 heures après les événements de samedi soir et pourtant je n’ai vu nulle part mentionné le fait qu’un manifestant avait perdu sa main, qu’un journaliste avait été blessé à la jambe par des éclats de grenades supposées sans-danger.

Seul ce qui reste de la presse indépendante tente encore aujourd’hui de faire la lumière sur les événements terribles qui continuent de se produire chaque semaine.

Soyons reconnaissants qu’ils continuent de le faire malgré les tentatives d’intimidation qu’ils subissent en marge de chaque manifestation.

Je tenais à vous le dire Monsieur, la jeunesse perd pied.

Dans mon entourage sur Paris, les seuls de mes amis qui ne partagent pas mon mal-être sont ceux qui ont décidé de fermer les yeux et de demeurer apolitiques.

Comment les blâmer ?

Tout semble plus simple de leur point de vue. Nous sommes cloîtrés chez nous pendant que la planète se meurt dans l’indifférence généralisée, nous sommes rendus responsables de la propagation du virus alors même que nous sacrifions nos jeunes années pour le bien de ceux qui ont conduit la France dans cette impasse.

Les jeunes n’ont plus l’envie d’apprendre et les enseignants plus l’envie d’enseigner à des écrans noirs.

Nous sacrifions nos samedis pour aller protester contre ce que nous considérons comme étant une profonde injustice, ce à quoi l’on nous répond par des tirs de grenades, de gaz lacrymogènes ou de LBD suivant les humeurs des forces de l’ordre.

Nous sommes l’avenir de ce pays pourtant l’on refuse de nous écouter, pire, nous sommes muselés. Beaucoup de choses ont été promises, nous ne sommes pas dupes.

Ne gaspillez pas votre temps à me répondre. Il s’agissait surtout pour moi d’écrire mes peines. Je ne vous en fait part que parce que je sais que cette lettre ne constituera pas une surprise pour vous. Vous êtes au premier rang, vous savez à quel point l’abîme dans laquelle sombre la jeunesse est profond.

Je vous demanderai également de ne pas vous inquiéter. Aussi sombre cette lettre soit-elle j’ai toujours la tête bien fixée sur les épaules et j’attache trop d’importance à l’éducation que m’ont offert mes parents pour aller faire quelque chose de regrettable, cette lettre n’est donc en aucun cas un appel au secours.

J’éprouvais seulement le besoin d’être entendu par quelqu’un qui je le sais, me comprendra.

Matéo


America never was Amercia to me

Ce qui se passe à Portland est observé de près - témoignage de Gwenola Ricordeau

Je suis arrivée à Portland (Oregon) hier, lundi 27 juillet. Ça fait donc environ 24 heures que je suis ici – je suis venue de Californie du Nord où j’habite car depuis une semaine Portland est au centre de l’attention des médias, des militant.e.s, des politiques… Je voulais en savoir plus sur les seules images que je voyais sur les réseaux sociaux et à la télé qui laissaient penser que la ville était en train de s’embraser !

America never was America to me
"America never was America to me" : référence au poème de Langston Hughes écrit en 1935, qui parle du rêve américain qui n'a jamais existé pour l'Américain des classes pauvres et de la liberté et de l'égalité que chaque immigrant espérait mais n'a jamais reçues.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le contexte : Portland, une ville où les mouvements syndicalistes et anarchistes ont une longue tradition, les mobilisations aux USA qui ont suivi le meurtre de George Floyd, la campagne présidentielle… Mais pour aller à l’essentiel : y a une semaine, le Président Trump a envoyé à Portland les « Feds » (des agents fédéraux – des forces de police fédérales) contre l’avis des pouvoirs locaux (État de l’Oregon et municipalité de Portland notamment). Trump prétend, par l’envoi de ces agents, protéger les bâtiments fédéraux, mais surtout rétablir l’ordre dans cette ville où il y a eu environ 60 manifestations massives depuis le meurtre de George Floyd fin mai. Ce qui se passe à Portland est observé de près car l’envoi des Feds dans ce genre de contexte (de manifestations) est rare (il est routinier pour le contrôle des frontières, la répression des mouvements dans les centres de rétention…). Cela pose brutalement la question de la répression des droits politiques (les Feds ont notamment procédé à des brèves arrestations de manifestant.e.s) et de la démocratie (quid de la prise de décision par des personnes élues localement ?) dans un contexte de campagne présidentielle où Trump est nettement en perte de vitesse et cherche à remobiliser sa base – en apparaissant comme l’homme du parti de l’ordre (« Law and Order »).

"Violents anarchistes distribuant des boissons énergisantes"

En ce moment, les manifestations sont très concentrées au centre-ville autour d’un parc avec d’un côté la mairie, de l’autre la cour fédérale et la maison d’arrêt du comté. Tous les soirs, à la nuit tombée, des milliers de gens se rassemblent. En permanence, il y a des tentes installées avec des volontaires qui assurent des soins médicaux (« street medics ») et fournissent des repas gratuits 24/24. L’équipe de volontaires qui cuisine en permanence a fermé son appel aux dons après avoir reçu plus de 300’000$. 
Hier soir a été un soir qui a ressemblé aux autres selon tous les gens avec qui j’ai pu parler. A la grosse centaine de personnes qui étaient sur place vers 18 heures et qui pour certaines s’occupaient de taches collectives comme la nourriture, les soins…, se sont ajoutés de plus en plus de gens.

First Aid
Tente médic et Free shop

Ce qui marque au premier abord, c’est la diversité de la foule réunie. Y a beaucoup de jeunes, mais j’ai aussi parlé avec une dame qui avait manifesté contre la guerre au Vietnam. Et puis, il y a les « Mamans », qui s’habillent en jaune et se mettent en ligne ensemble devant la police : elles sont plusieurs dizaines tous les soirs et leur groupe s’est constitué de façon informelle après qu’un jeune ait été grièvement blessé par la police. Il y a aussi les « Papas » qui ont décidé de se mobiliser (ils sont moins nombreux que les « Mamans ») et certains d’entre eux portent des souffleurs aspirateurs ordinairement utilisés pour le ramassage des feuilles mortes mais qui peuvent très utilement aussi repousser les nuages de gaz lacrymogènes. Et puis il y a aussi les vétérans… Dans le contexte des vastes mobilisations #BLM et par rapport aux manifestations d’autres grandes villes, on peut être surpris du relatif faible nombre de Noirs et d’autres minorités ethniques. Mais Portland est une ville très blanche en raison de la longue histoire du suprématisme blanc dans l’Oregon : la dernière loi interdisant aux Noirs de s’installer dans l’État a été abolie en 1926.

Wall of moms, Portland
Wall of moms, Portland

Vers 21h, alors qu’il y avait plusieurs milliers de personnes rassemblées dans le parc et devant le bâtiment fédéral et la cour du comté, des prises de parole, ponctuées de slogans, ont commencé dans un endroit. Ailleurs (devant le bâtiment fédéral), les manifestant.e.s faisaient face aux grilles aménagées spécialement pour défendre le bâtiment et qui résistent très bien aux assauts répétés… Vers 22h, les prises de parole ont cessé : certaines personnes ont commencé à quitter le rassemblement, mais d’autres arrivaient encore… Et comme tous les autres soirs, la police a invité les manifestant.e.s à rentrer chez eux par haut-parleur, indiquant que le rassemblement était désormais considéré comme illégal. Vers 23h30, les premiers tirs de lacrymogènes ont commencé, ne dispersant qu’une petite partie des manifestant.e.s qui sont pour beaucoup équipées en masques. J’ai quitté les lieux vers minuit et quart – alors qu’il y avait encore sans doute un millier de manifestant.e.s… Mais tout le monde m’a assuré que ce ne serait que partie remise pour ce soir.

Je vais donc être à nouveau sur place à partir de 21 h (heure locale), soit 6 heures du matin (heure française, mercredi) – si vous voulez me suivre sur Twitter (@g_ricordeau), je vous donnerai des nouvelles !

Makita
Souffleur Makita pour repousser les gaz lacrymogène

Multicolores sous nos cagoules discours contre l'impérialisme, le colonialisme et le capitalisme.

MULTICOLORES SOUS NOS CAGOULES ! discours contre l'impérialisme, le colonialisme et le capitalisme

Quand la sincérité est une arme fédératrice, un uppercut pour le parti de l’ordre. La scène se passe le 20 juin, lors de la commémoration pour Lamine Dieng. Ian du collectif Désarmons les, livre un discours coup de poing, une parole de combat rappelant que du black bloc aux luttes anti-colonialistes en passant par les émeutes de banlieues, il n’y a qu’une force multicolore et populaire qui se dresse pour l’émancipation, contre l'impérialisme, le colonialisme et le capitalisme.

Merci à SmartShoot78 et Street Live, pour les images

Je m'appelle Ian, je fais partie d'un collectif qui se bat contre l'Etat et ses milices, Désarmons-les.

Je suis venu parler de notre histoire, de résilience et d'insurrection.

Il faut se rappeler d'où on vient pour comprendre ce qu'on est devenus.

Moitié allemand, je suis le petit-fils d'un sous-officier de l'armée nazie. On ne choisit pas son passé familial. Mais c'est en regardant l'histoire en face qu'on apprend. C'est en la regardant que je suis devenu antifasciste. Pour ne jamais reproduire les saloperies du passé.

Cette semaine, nous avons pleuré la mort de l'un des témoins de cette lointaine période en noir et blanc, Maurice Rajsfus. Maurice était un grand homme de famille juive qui a voué sa vie à dénoncer l'institution policière après que ses parents ont été déportés par la police française et assassinés dans les camps nazis. Je suis heureux d'avoir croisé le chemin de Maurice qui, sans le savoir, m'a permis de boucler une boucle. Si je pouvais, je lui rendrai un hommage dans toutes les langues du monde.

Car il faut aussi savoir regarder ailleurs, hors des frontières, pour comprendre ce que le mot « système » signifie. Violence systémique, racisme systémique...

Le 26 juillet 2014, j'ai vu un homme de 17 ans se faire tuer devant moi en Palestine, lors d'une manifestation devant le check-point de Qalandia, la tête perforée par une balle israélienne. Son nom était Muhammad Al-Araj. Une opération de maintien de l'ordre, dans une démocratie. Cette année a été pour moi la confirmation que le colonialisme, c'est la mort. Car le colonialisme, c'est l'extension du capitalisme par la violence armée.

Et ce colonialisme se poursuit, ici, maintenant, dans les quartiers populaires d'une part, mais aussi dans l'esprit nauséabond d'une partie importante de la population française.

A l'heure où l'exécution insoutenable de George Floyd a réveillé le souvenir des luttes noires américaines, il faut relire et réécouter les Black Panthers, Frantz Fanon, Angela Davis, pour comprendre qu'on ne combat pas le capitalisme sans combattre le racisme, et qu'on ne combat pas le racisme sans combattre le capitalisme. Et dans la sagesse politique de ces révolutionnaires noirs, il y avait un universalisme puissant qu'on tend à oublier : à cette époque, Alger était la mecque des Révolutionnaires, et toutes les couleurs de peau menaient un combat commun contre l'impérialisme, le colonialisme et le capitalisme.

Il est temps de se le dire : nous sommes tous légitimes dans ce combat !

En 2005, il y a exactement 15 ans, lors du contre-sommet du G8 en Ecosse, j'ai participé au Black Bloc, constitué à mes yeux des seuls êtres politisés qui ne négociaient pas leurs droit d'exister avec les autorités. Et derrière le noir des cagoules, il y a des êtres multicolores. Le Black Bloc existe aux USA, à Hong Kong, à Beyrouth et à Santiago. Pour eux, pour nous, il s'agit de rendre coup pour coup, de répondre à la violence hégémonique de l'Etat, qui s'abat au quotidien sur tous les pauvres. Des pierres contre des fusils.

« Tant que la Justice ne sera que violence, la violence du peuple ne sera que justice »

Fin 2005, je me suis donc trouvé tout naturellement aux côtés des émeutiers de banlieues qui, suite à la mort de Zyed et Bouna, ont laissé exploser leur légitime colère face à la saloperie de ce monde, qui honore les tortionnaires et écrase les humbles. Etions-nous de la racaille ? Oui, nous en étions !
Des pierres contre des fusils.

Sarkozy a été notre cauchemar.
Un mois après son investiture, sa police étouffait Lamine Dieng.

Six mois plus tard, sa police tuait Laramy et Moushin en tamponnant leur moto à Villiers le Bel, entraînant, comme à chaque fois que la police tue, son cortège d'émeutes.

Des émeutes écrasées avec le consentement muet de la majorité, cette même majorité qui s'est tue lorsqu'on déportait des juifs, qui s'est tue encore quand on jetait des Algériens dans la Seine, celle-là encore qui est sortie dans la rue par milliers pour soutenir l'escroc De Gaulle et mettre fin à la révolte de mai 68, trop effrayée par la liberté. Cette majorité qui écoute docilement les immondices de CNews et BFM TV.

En 2007 toujours, le Lanceur de balles de défense faisait sa première victime, crevant l'oeil d'un lycéen de Nantes, Pierre. Nous venions d'entrer dans l'ère du Flashball.

Moi cette année là, je découvrais les violences policières contre les migrants de Calais. Je dormais avec un groupe d'amis afghans et presque chaque matin, les CRS venaient les réveiller à renfort de matraque et de gaz en criant
« Café croissants ! ». Hilares.

Humour de porcs, comme en 42. Etonnament, on ne crie plus CRS-SS. Est-ce trop radical ?
La police humilie, frappe, mutile et tue. C'est son métier, où qu'elle se trouve.

Alors si l'on prétend combattre les violences policières, il faut s'attaquer radicalement à leur source : l'Etat lui- même, où qu'il se trouve ! L'apartheid ne vise pas qu'une couleur, il s'adapte en fonction du contexte : l'Etat neutralise indistinctement tous les corps indociles, dans une guerre de basse intensité.

Ce que j'appelle de mes vœux aujourd'hui, ce n'est pas une réforme de la police. Il ne s'agit pas de remplacer la guillotine par la chaise électrique ou la clé d'étranglement par le taser !

De la même manière que le capitalisme, la police n'est pas réformable. Ils doivent être abolis.

Et pour les abolir, nous n'avons pas le choix. Je suis de la génération Zyed et Bouna. Ce n'est pas d'une fausse révolte instagramable que nous avons besoin, mais d'une intifada globale. Des ghettos juifs de 42 aux camps de réfugiés palestiniens et syriens, des quartiers de Beyrouth à ceux de Minneapolis, des rues de Santiago à celles d'Alger, Paris ou Argenteuil.

A Désarmons-les, nous travaillons ces liens, patiemment et avec humilité. Que l'Etat se tienne sage !

Hommage à toutes les victimes de crimes racistes et sécuritaires !

 


DÉCLARATION DE LOÏC après 16 mois de prison - Procès du G20 de Hambourg

Mercredi, dans une déclaration poignante d’une heure retraçant une trajectoire de vie et mettant la justice au banc des accusés, Loïc Citation s’est adressé à ses jurés dans le procès de l’émeute de l’Elbchaussee qui s’ouvrait au public pour la première fois. Lundi aura lieu le plaidoyer du procureur. Loïc pourra être entendu une nouvelle fois avant la fin du procès dont le jugement devrait tomber mi-juillet.

CONTEXTE

G20 d’Hambourg, 2017 : Dans une ville connue pour ses squats et son milieu auto-gestionnaire, les manifestations anti G20 ont défrayé la chronique. Ce qui devait être une vitrine du pilotage économique du capitalisme s’est vite transformé en une fenêtre ouverte sur le monde qui n’en veut pas. Et la police qui devait protéger ce sommet a été débordée.

Les événements d’Hambourg ont permis de voir une société auto-organisée et hétérogène venue lutter de manière parfois violente, parfois pacifique, contre une société jugée injuste et criminelle. Le spectateur découvrait aux infos qu’on pouvait livrer bataille pendant plusieurs jours au sein d’une même ville contre l’idéologie capitaliste, ses représentants et ses forces armées. Celles et ceux que le pouvoir catégorise d’habitude comme la marge ont fait littéralement irruption au centre d'un dispositif pourtant sur-armé. Le ministre de la justice allemande déclarera après coup : « Il n'y aura plus de G20 dans une grande ville allemande ».

L’Allemagne se lance alors dans une chasse aux sorcières avec des moyens exceptionnels. Après avoir été la vitrine d’une guerre ouverte contre ses fondements capitalistes, le pays veut se venger et s’efforce de devenir une autre vitrine : celle d’une répression judiciaire exemplaire.

Avec l’aide des tabloïds, la police allemande diffuse des listes de centaines de militants. Trombinoscopes et appels à la délation font la une. Dans un premier temps, la traque se déroule sur son territoire, puis viendra ensuite la collaboration entre les différents pays d’Europe.

C’est là qu’un an après, Loïc est suspecté d’avoir participé aux émeutes de l’Elbchaussee, qui comme à Hong Kong ne sont plus qualifiées de manifestation par la justice. Il est arrêté par un commando de police au domicile de ses parents et incarcéré pendant 16 mois. La police ne mettra la main que sur 5 personnes. Le long procès se déroule en parallèle à huis clos. Il est emprisonné tant de temps, mais il n’y a encore aucun jugement.

L’enjeu pour la justice allemande est nouveau : Il faut passer un cap pour faire plus peur. Elle invente alors une justice de bouc-émissaire. Est-ce que 5 individus doivent payer pour tous les dégâts d’une manifestation ? Disons le clairement, vouloir condamner l’individu pour ce qu’il représente aux yeux du pouvoir et non pour ce qu’il aurait fait pénalement est une philosophe digne des régimes fascistes, et elle est en train de repousser en Allemagne.

LETTRE DE DÉCLARATION DE LOÏC CITATION

Mesdames et messieurs les jurés,

Enfin, nous arrivons vers la fin de ce procès qui a débuté en décembre 2018. Je ne savais pas qu’un procès pouvait durer aussi longtemps.

J’ai été arrêté quelques jours après l’anniversaire de mes 22 ans, en août 2018, les policiers ont défoncé la porte de la maison de mes parents en criant, ma petite sœur a dû se mettre à genoux les mains sur la tête. En entendant la porte se faire fracasser, j’ai eu dans mon esprit des images de violence policière lors d’interpellations, de comment les policiers se lâchent et frappent les personnes. J’ai pris peur et je suis passé par le toit en finissant dans le jardin des voisins et j’ai rejoint l’autre côté du lotissement. Mais la police avait bouclé l’ensemble du quartier, et une personne qui marche en chaussettes sur la route est très vite suspectée. Un policier en civil se met à courir après moi en me criant : « Viens ici petit merdeux ». Ayant ressenti dans sa voix une certaine animosité, je juge préférable de ne pas répondre à son invitation qui, si c’était moi qui lui avais dit « merdeux », relèverait de l’outrage.

Je me retrouve alors dans le jardin puis le garage d’un voisin, pris au piège. Étant contre le mur, contraint d’attendre que le policier arrive, ce dernier me saute dessus et me tord le poignet droit alors que je me laisse faire. Je lui fais la remarque de sa violence inutile et il me réplique : « Estime toi heureux que je ne t’ai pas tiré dessus ». Vu sous cet angle, je m’estime effectivement heureux d’être encore en vie. Il est vrai que de nombreuses interpellations policières ont comme fâcheuse tendance de se transformer en peine de mort. Mais ce triste sort est d’avantage réservé aux personnes racisées habitants dans les quartiers populaires. En France, il ne passe pas un mois sans décès lors d’interpellation. La porte du garage finit par s’ouvrir, des policiers, gendarmes, bacqueux et civils cagoulés apparaissent, arme automatique à la main. Peut-être trente membres des « forces de l’ordre ».

Le voisin, à qui appartient le garage, sort de sa maison et découvrant la scène me dit spontanément : « Ça va Loïc ? Tu veux un verre d’eau ? ». Cette remarque a fait un blanc dans le sérieux et la lourdeur de l’interpellation, j’ai fait de mon mieux pour étouffer un rire et j’ai refusé le verre d’eau car mes mains étaient attachées. De retour à la maison de mes parents afin de mettre mes chaussures, je n’arrive pas à faire mes lacets et demande aux gendarmes d’enlever mes menottes : « Nan, c’est possible d’y arriver avec », répond l’un. J’ai toujours aimé les défis alors j’essaye, mais vu que mes mains sont attachées dans le dos – et même avec beaucoup de volonté – c’est tout bonnement impossible. Les gendarmes rigolent et se moquent de moi. Ma petite sœur se tient juste à côté avec une sérénité mélangée d’émotions comme je n’en avais jamais vu sur son visage, son regard est puissant. Elle lance spontanément avec force aux gendarmes : « Mais enlevez-lui les menottes pour qu’il mette ses chaussures ! » Sa voix contient une puissance divine, la moquerie s’est transformée en gène. J’ai vu les regards des gendarmes se perdre vers le sol et l’un s’est empressé d’enlever les menottes. Ma petite sœur aurait dit : « Mais enlevez-lui les menottes et laissez-le libre ! », les gendarmes seraient peut-être partis et j’aurais pu faire un câlin à ma petite sœur. Parce que viendront ensuite 1 an et 4 mois d’emprisonnement, 1 an et 4 mois où même au parloir, les gardiens empêchent les câlins.

Lorsque j’arrive à la prison en France, un gardien de 2 mètres de haut me dit : « Si tu brûles ma voiture, je te découpe en deux ». Entre le policier qui est prêt à me tirer dessus et ce gardien qui veut me découper, je crois que je préfère encore me faire tirer dessus que de finir en deux morceaux. Mais ce qui est inquiétant, outre la menace de mort, c’est que ce gardien pense que j’ai brûlé une voiture. Je réalise à ce moment-là combien le procès à venir est une supercherie monstrueuse. En accusant quelqu’un de toutes les violences qui peuvent se passer dans une manifestation, vous générez un flou dans l’esprit simpliste des gardiens et policiers. Par l’accusation disproportionnée, vous suscitez un traitement disproportionné.

Ce gardien enchaîne avec une vitesse douteuse : « Ça ne sert à rien ce que tu as fait, regarde maintenant où tu es, ils sont où tes amis ? Maintenant tu es ici… » Je lui fais remarquer que lui aussi est ici mais il enchaîne : «… Tu es seul, tu as échoué dans ta vie. Tu n’as rien changé et tu ne sers à rien, etc. » Je n’ai même pas l’opportunité d’en placer une, ou d’avoir un échange, il me coupe la parole. Il ne transpire pourtant pas ce qu’il dit, j’ai l’impression qu’il a la mission de me démoraliser. Je me fais ensuite fouiller à nu lors de l’entrée à la prison, puis également lors de ma sortie de prison vers le tribunal pour juger sur la légalité du mandat d’arrêt. Je suis transféré par les Eris. Les Eris sont des mastodontes, cagoulés et armés de mitrailleuses, ils sont huit dans deux 4×4 blindés aux vitres teintées. Arrivé à la cour d’appel de Nancy, dans une pièce d’attente avant l’audience, un Eris, après m’avoir enchaîné mains et pieds, tente de gagner sur le terrain des idées : « Tu sais que tu coûtes cher ? », dit-il. Je lui réponds : « Vous savez qu’il y a 40 millions d’euros qui sont déversés chaque année en Meuse pour faire accepter le projet d’enfouissement des déchets nucléaire à Bure ? » Lui : « Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? ». Moi : « Oh rien, je voulais simplement préciser ce qui coûte cher. » Fin du dialogue.

Pendant l’audience, je m’avance devant la juge avec deux agents Eris cagoulés, l’un à ma droite, et l’autre à ma gauche. La situation est totalement surréaliste, je suis menotté. Ma famille et des amies sont là pour me soutenir. Mon grand frère pasteur me lance alors un petit bout de papier avec quelques mots d’encouragement, je le rattrape malgré les menottes mais je me fais plaquer au sol par un agent Eris. Les juges se retirent immédiatement et mon frère est évacué de la salle. Alors que je suis toujours au sol, je tente de garder de toutes mes forces le papier dans le creux de ma main. L’agent exerce alors une pression sur mon cou et je hurle de douleur en lâchant prise. L’audience reprend. L’acte d’accusation est traduit d’une manière qui laisse sous-entendre que c’est moi personnellement qui ait brûlé dix-neuf voitures et blessé une personne dans un bâtiment.

Dans cette prison française, je me suis retrouvé bloqué au « quartier arrivant » pendant un mois en attente d’être transféré en Allemagne. Ce qui m’a traumatisé, c’est le passage d’un gardien toutes les deux heures, même en pleine nuit, qui vérifie si je suis toujours en vie en faisant glisser le cache de la porte avec beaucoup de bruit avant d’allumer la lumière. Je n’ai jamais pu dormir plus de deux heures d’affilées. J’ai eu l’occasion de rencontrer un ramasseur de ferraille d’origine roumaine. Son crime était de ne pas avoir déclaré combien d’argent il avait gagné en ramassant ce qu’il trouvait sur les trottoirs. Il avait pris quatre mois ferme pour un manque de 400 euros d’impôts à l’État. Il y a des évasions fiscales, des paradis fiscaux, des blanchiments d’argents, des « panama papers », des « luxleaks », des milliards et des milliards d’euros qui disparaissent entre les mains des riches. Mais je n’ai pas vu de riches ou de banquiers en prison, tout le monde n’a pas les moyens de s’échapper dans une malle de contrebasse. Les 500 personnes les plus riches de France ont multiplié par 3 leur fortune depuis la crise financière de 2008, pour atteindre 650 milliards d’euros.

L’égalité, c’est avoir la possibilité de jouir de la même capacité matérielle, or, une femme de ménage ne peut pas habiter une villa de l’Elbschaussee. Et la gentrification à Hambourg, qui continue actuellement, ne devrait pas arranger les choses. Les inégalités se creusent. Le jeune italien Fabio, un ancien prisonnier du G20 de Hambourg, avait déclaré au tribunal (en 2017) que les 85 personnes les plus riches du monde possédaient la même richesse que 50% de la population la plus pauvre. La situation s’est aggravée depuis. Un appel des gilets jaunes précisait en janvier 2019 qu’il s’agit désormais de 26 milliardaires qui possèdent autant que la moitié de l’humanité. L’éducation qu’offre l’institution judiciaire sur ce point est qu’il est immoral de ne pas payer ses impôts lorsque l’on est pauvre mais que c’est chose acceptable lorsque la classe aisée se le permet. C’est ce que l’on appelle une justice de classe. Et je n’ai rien appris dans vos institutions qui embellisse l’âme humaine, tout la déprave.

Voici une citation de Michel Foucault :

L’illégalisme des biens a été séparé de celui des droits. Partage qui recouvre une opposition de classes, puisque, d’un côté, l’illégalisme qui sera le plus accessible aux classes populaires sera celui des biens — transfert violent des propriétés; que d’un autre la bourgeoisie se réservera, elle, l’illégalisme des droits : la possibilité de tourner ses propres règlements et ses propres lois ; de faire assurer tout un immense secteur de la circulation économique par un jeu qui se déploie dans les marges de la législation — marges prévues par ses silences, ou libérées par une tolérance de fait. Et cette grande redistribution des illégalismes se traduira même par une spécialisation des circuits judiciaires : pour les illégalismes de biens — pour le vol —, les tribunaux ordinaires et châtiments; pour les illégalismes de droits — fraudes, évasions fiscales, opérations commerciales irrégulières —, des juridictions spéciales avec transactions, accommodements, amendes atténuées, etc. La bourgeoisie s’est réservée le domaine fécond de l’illégalisme des droits.

Michel Foucault – Surveiller et Punir, S. 172, édition française

Lorsque j’ai été transféré à Hambourg dans une voiture de police allemande, le conducteur a mis quelques musiques puis a monté le son lorsque c’était L’Internationale, les agents de la « Soko SchwarzBlock » voulait certainement voir ma réaction. Je n’ai pu m’empêcher de leur dire que je préfère La Makhnovtchina. J’ai trouvé intéressant de pouvoir parler de permaculture avec une policière même si, entre deux légumes, elle tentait de me poser des questions pour savoir si j’étais allé au G20 et ce que j’avais pu y faire. Je crois que j’ai finalement réussi à éveiller en elle un intérêt plus grand pour les légumes. Arrivé à Hambourg, j’ai été transféré par un autre camion et d’autres policiers vers le centre de détention UHA. Nous avons fait plusieurs escales dans la soirée où venait s’ajouter dans ma petite cellule d’autres interpellés pour diverses raisons. Il n’y a pas de ceinture de sécurité donc on se cogne parfois au mur. Nous nous sommes retrouvés un peu serrés à quatre et deux hommes étaient complètement saouls. L’un d’eux a tapé sur le mur pour demander à pouvoir aller aux toilettes à plusieurs reprises, même lorsqu’il y a eu un arrêt pour rajouter un interpellé dans la deuxième cellule, en vain. Il n’a finalement pas pu se retenir et a fait pipi par terre. Je suis donc resté en équilibre sur le banc avec mes deux pieds levés, un autre a tenté la même tactique. Celui qui a pissé et le dernier qui était aussi bourré ne semblaient pas prendre conscience de la situation et laissaient leurs chaussures sur le sol. La flaque de pisse, en suivant les mouvements du camion, a fini par se balader sur l’ensemble de la surface en s’échappant parfois sous la porte où se trouvait juste derrière mes cartons d’affaires qui venait de la prison de France. Une partie d’un carton a absorbé un peu d’urine, mais c’est un gardien qui les a transportés sans le remarquer. D’une certaine manière, on peut dire que justice est faite. Car il n’est pas bon d’empêcher quelqu’un d’uriner.

Après quelques jours d’observation dans une cellule où la lumière restait toujours allumée, j’ai retrouvé ce rituel du gardien qui regarde à l’intérieur toutes les deux heures. L’avantage est qu’il n’y avait pas ici de cache à faire glisser car la porte contenait un petit hublot. Dans une cellule vide où rien ne se passe, je voyais toutes les deux heures le visage d’un gardien pendant quelques secondes. Si je me mettais un instant à la place de ce gardien qui doit regarder chaque détenu, je crois que je fondrais en larme de voir autant de détresse. Je pense que la plupart des gardiens apprennent à ne plus avoir d’émotions. Ce sont presque des automates ou des robots. Et je crois aussi que la plupart ne rêve pas de faire ce métier, mais que le choix de devenir gardien se fait souvent car il n’y avait aucune autre alternative visible. Je dis alternative visible parce qu’il y a pleins de débouchés dans des collectifs paysans ou de maraîchages. Semer des graines ou semer le désespoir dans les cœurs de celles et ceux qu’on enferme. Tant que cette planète n’est pas complètement bousillée, je pense que nous avons le choix. Je suis resté les quatre premiers mois dans le petit bâtiment A qui est parallèle au palais de justice où nous nous trouvons à présent. Je parle également de ce bâtiment dans mon témoignage de sortie de prison à travers le texte : Briser le mur de la prison qui sépare de la zone du dehors dont je vais reprendre quelques passages :

Ce bâtiment, c’est celui des arrivants. Là, on doit rester 23h sur 24 en cellule, 7 jours sur 7. C’est un endroit sombre où des détenus craquent, crient et tapent sur les murs. J’y suis resté quatre mois. Pendant le premier, je n’avais que les habits que je portais sur moi en arrivant. Impossible de récupérer mes affaires pourtant arrivées en même temps.

Dans ce bâtiment, il y avait essentiellement des étrangers dont le crime est d’avoir été contrôlés sans papiers, des petits dealers ou des accusés de vols. J’ai vu des regards haineux de gardiens se porter longuement sur des détenus racisés. La plupart des étrangers que j’ai croisés en promenade dans ce bâtiment A définissent les gardiens comme des nazis. Cela m’a fait bizarre d’entendre ça aujourd’hui, sachant que, dans cette même prison, il y a moins d’un siècle, des nazis ont tué plusieurs centaines de personnes. Après 1 mois d’attente, j’ai enfin pu avoir mes affaires de rechange. Avec désormais une bonne dizaine de caleçons, en sachant que les autres détenus n’en ont qu’un seul, j’ai commencé à faire des distributions durant l’heure de promenade. Ma famille m’a envoyé une cinquantaine de caleçons. Cela m’a donné beaucoup d’énergie de pouvoir aider d’autres personnes en prison en les distribuant, il y avait cette phrase écrite au stylo sur un mur d'une cellule « When you help someone, you help yourself ». C’est dans ce bâtiment A que j’ai été mis en isolement pour la première fois car un gardien m’a surpris en train de donner du pain aux pigeons sur le rebord de ma fenêtre. Je n’ai rien compris à ce qu’il m’a dit en entrant dans ma cellule et c’est seulement en sortant de la pièce d’isolement après 1 heure que j’ai pu avoir un petit morceau de papier en guise d’explication sur lequel il est écrit en français : « Ne pas nourrir les oiseaux. »

Après 4 mois dans ce bâtiment A, j’ai pu aller dans un autre bâtiment où il y avait plus d’heures de cellules ouvertes en journées. Un détenu a acheté le jeu de société Risk, mais comme il n’était possible que de jouer à 6 joueurs maximum et que nous étions 12 à l’étage, j’ai commencé à construire des cartes d’extension sur des boîtes de Kellogs que les autres détenus pouvaient acheter chez le commerçant et à faire des figurines avec de la farine, du sel et de l’eau. Pour pouvoir les colorier, j’avais acheté un kit de crayons de couleur que je réduisais en poudre en prenant soin de retirer les morceaux de bois avant de rajouter de l’eau afin d’obtenir une peinture liquide. Il est possible d'imaginer beaucoup de jeux de société avec de la farine, de l’eau et un peu de sel. Un autre détenu a même commencé à calquer les territoires que j’avais imaginé afin de faire le plateau de jeu en 3D. Je pense que j’ai dû faire au moins 50 parties de Risk en prison. Une partie pouvait s’étaler sur plusieurs semaines comme nous étions jusqu’à dix joueurs. Pour vous donner une idée il y a 42 territoires sur le jeu de base, le plus grand des plateaux de jeu que j’ai créé faisait 189 territoires. J’étais souvent la première personne qui se faisait éliminer de la partie car j’essayais constamment de combattre le plus fort et de motiver les autres à équilibrer la partie en l’attaquant. J’ai remarqué qu’en prison il y a souvent un prisonnier qui se prend un peu pour le chef et comme tout le monde le craint, personne n’ose le combattre dans le jeu afin de ne pas créer de tension, c’est donc toujours lui qui gagne. J’ai aussi écrit une cinquantaine de pages de règles alternatives du Risk afin de le rendre plus collaboratif et moins compétitif. Malheureusement, en sortant de prison, j’ai seulement pu récupérer les plateaux de jeu, les cartes & figurines sont restées dans ma cellule et n’ont pas été prises avec mes affaires.

Loïc visage couvert par le jeu de plateforme qu'il a crée en prison
"Le Français accusé (24 ans) se cache derrière un jeu de société qu'il a développé pendant ses 16 mois de prison" Bild (tabloïd allemand)

Ce que je n'oublierai jamais, c'est chaque matin à 6h45 le gardien qui ouvre ma porte et me dit : "Morgen". Au début je répondais et je trouvais ça intéressant que l'on prenne la peine de me dire bonjour le matin, c'est vous accorder un peu de considération, d'humanité. Mais voilà, un matin, de mauvaise humeur, je n'avais pas envie de répondre, le gardien s'est alors mis à insister "MORGEN ! MORGEN !" j'ai mis ma tête sous mon oreiller et il est parti. Pourtant je n'avais rien dit, je n'avais pas répondu à la salutation. Le lendemain, quand un autre gardien m'a dit "Morgen", j'ai fait un test en levant simplement mon pied, il est également parti. J'ai alors saisi avec effroi que chaque matin, "morgen" n'incarnait pas une salutation matinale, mais une question : "Êtes-vous toujours en vie ?". Et que n'importe quel geste ou réponse signifie pour le gardien : "Tout va bien, je ne me suis pas encore suicidé". Ce mot continue encore aujourd'hui à me glacer le sang.

Il y a d’autres textes que j’ai écrits expliquant plus en détail mes péripéties carcérales. Par exemple, comment je me suis retrouvé en isolement à 2 autres reprises sur des accusations mensongères d’avoir crié par ma fenêtre lors de deux manifestations de soutien. Quand c’est arrivé pour la deuxième fois, les autres détenus ont chacun signé une pétition écrite à la main affirmant que je n’avais pas crié par ma fenêtre. Lorsque j’ai appris cela, j’en ai eu des frissons. J’ai pu connaître des moments très forts en prison. Souvent, nous nous laissons aller à l’ironie dans notre existence et nos échanges avec les autres. En prison, il y a des échanges & des personnes que j’ai pu rencontrer avec une intensité que je n’oublierai jamais. Un autre texte « escalade de l’arbitraire, procédure disciplinaire et libération d’un oiseau » explique aussi comment j’ai découvert un bébé oiseau mort dans une cellule d’attente lors des pauses du procès. Je l’avais ramené au tribunal car je savais que personne ne me croirait si je le racontais sans preuve. C’est un de ces petits cachots qui se trouve à côté de chaque salle d’audience. Il régnait dans celui-ci une odeur de cadavre fermenté. J'y raconte également comment une gardienne m’a laissé attraper un pigeon tout maigre dans un couloir d’accès au tribunal réservé aux prisonniers. J’ai pu le laisser s’envoler par la fenêtre de la salle d’audience.

Je continue encore aujourd'hui à rêver deux ou trois fois par semaine que je me fais arrêter par la police dans différentes situations ou lieux. Une fois par mois je rêve qu'un policier me tire dessus pendant l'interpellation. J'ai du mal à prendre des initiatives parce qu'en prison on ne vous laisse rien faire de votre propre volonté, vous devez constamment vous soumettre à une volonté extérieure. Je remarque que je me laisse désormais plus facilement emporter par les autres et que c'est difficile de m'affirmer ou simplement d’être moi-même. Je ne sais même plus qui je suis. Je n'ai plus d'identité et tous les gens que je rencontre me connaisse à travers le procès : "ah c'est lui qui est en procès". Ce procès devient ma nouvelle identité. Et même lorsque l'on me pose une question sur ce que je fais à Hambourg, j'en viens forcément à devoir parler du procès parce qu’autrement je ne serais pas ici mais près de mes proches en France. Je ne vois pas de sens dans cette ville et elle me semble bien triste. J'ai toujours détesté les villes. Je crois qu'il faut les démanteler en offrant gratuitement et sans taxe des lopins de terre à qui le souhaite. Les villes ne sont pas des lieux sains, il n'y a aucune autonomie en nourriture ou énergie. Elles vont s'effondrer un jour ou l'autre. Ma famille et mes ami.e.s me manquent. Parce qu'un des principes de l'incarcération est de vous séparer de vos proches et de votre lieu de vie, j'ai l'impression que malgré ma sortie de prison en décembre, je suis encore enfermé. Je suis allé seulement une fois voir ma famille en France, trouvant un moment entre les journées d'audiences et de travail. Et depuis le Coronavirus, c'est impossible de traverser la frontière. Une amie qui s'appelle Monique Tatala était très gravement malade en février, et lorsque j'ai enfin pu débloquer un week-end pour aller la voir à l'hôpital, j'ai appris qu'elle était décédée quelques jours avant mon départ.

Je suis né à Nancy, ville du nord-est de la France, située à 80km du village de Bure où se trouve un projet d'enfouissement à 500 mètres sous terre des déchets nucléaires les plus radioactifs. Avant de commencer des études de droit pour exercer le métier d'avocat en droit à l'environnement, j'ai réalisé de grands voyages solitaires à vélo où j'ai commencé à lire l'ensemble des livres de prédilections de Christopher McCandless, ce jeune dont la vie a inspiré le film "film Into The Wild". J'ai pu découvrir Tolstoï, Jack London et Henri David Thoreau, mon auteur préféré. Ce dernier a vécu 2 ans seul dans les bois en refusant de payer son impôt à l'État américain pratiquant l'esclavage des noirs. Il a mené une vie autonome construisant une petite cabane en forêt bien que certains témoignages racontent que sa mère continuait à lui faire son linge et que des tartes posés sur le rebord des fenêtres du village de Concord disparaissaient. Il s'est également opposé à la guerre menée contre le Mexique qui a finalement été une guerre colonisatrice des USA où le Mexique a perdu énormément de territoires. Sans cette guerre, le Texas par exemple, ne ferait pas partie des États-Unis. Le mur qui sépare le Mexique et les USA est un mur à abattre.

Voici une citation de son journal (Henri David Thoreau), écrite après son séjour d’une nuit en prison en juillet 1846, 174 ans avant le G20 de Hambourg :

Dans ma brève expérience de la vie humaine, j’ai découvert que les obstacles qui se dressaient sur mon chemin n’étaient pas des hommes vivants, mais des institutions mortes. Les hommes sont aussi innocents que le matin pour celui qui se lève tôt, pour le pèlerin confiant ou pour les voyageurs matinaux qu’il a croisé sur son chemin vers la poésie. Alors que les institutions comme l’Église, l’État, l’école, la propriété, sont des spectres sinistres et fantomatiques en raison du respect aveugle qu’on leur témoigne. Quand je me suis abandonné au rêve poétique d’un paradis terrestre, je n’ai pas envisagé d’être dérangé par un Indien Chippewa, mais j’ai pensé qu’il serait vraisemblablement englouti par une monstrueuse institution. Le seul bandit de grand chemin que j’aie jamais rencontré était l’État en personne. Quand j’ai refusé de payer la taxe qu’il réclamait pour cette protection dont je ne voulais pas, il m’a lui-même volé. Quand j’ai affirmé la liberté qu’il proclame, il m’a emprisonné. J’aime l’humanité, je hais les institutions de ses aïeux. Ni des voleurs, ni des bandits de grand chemin mais des gendarmes et des juges ; non pas des pêcheurs mais des prêtres ; non pas des ignorants mais des pédants et des pédagogues ; non pas des ennemis étrangers mais des armées en ordre de marche ; non pas des pirates mais des navires de guerre. Non pas une malveillance gratuite mais une bienveillance organisée. Par exemple, le geôlier ou gendarme simplement considéré en tant qu’homme et voisin – avec pour ce dernier 70 années à vivre – peut s’avérer être un homme droit et digne, doté d’un cerveau capable de réfléchir ; mais en tant qu’officier et instrument de l’État, il n’a pas plus d’entendement ou de cœur que la clef de sa prison ou que son gourdin.

Le plus attristant, c’est que les hommes adoptent volontairement le caractère et la fonction d’une nature brutale. Il existe assurément bien assez de moyens qui permettent à un homme de se procurer du pain sans que cela le rende nuisible en tant que voisin et compagnon. Il y a bien assez de pierres sur le chemin du voyageur sans qu’un homme ne vienne y ajouter son propre corps. Pour prendre un seul exemple : il n’y a sans aucun doute jamais eu de pire crime commis depuis le commencement des temps que l’actuelle guerre mexicaine [au terme de laquelle le Mexique s’est vu contraint de céder aux États-Unis le Texas, la Californie, l’Utah, le Nevada, le Colorado, Wyoming, le Nouveau Mexique et l’Arizona]. Tel est le commandement implacable : bouge et tu seras délogé ; sois le maître de tes actes ou tu deviendras l’instrument de l’esclave le plus insignifiant sans même t’en rendre compte. N’importe qui peut gouverner celui qui ne se gouverne pas lui-même. Tous les hommes sont plus ou moins ensevelis dans la tombe des coutumes, et pour certains, seuls les quelques cheveux au sommet de leur crâne émergent du sol. Ceux qui sont physiquement morts valent mieux, car au moins, il y a de la vie dans leur décomposition. Ceux qui ont un domaine à défendre qu’ils ont usurpé par acte de propriété, des esclaves à garder à leur service, ceux qui aimeraient retenir leur dernière inspiration pour la conserver perpétuellement, ceux-là exigent l’aide des institutions, de ce testament stéréotypé et pétrifié du passé. Mais ceux qui sont, en eux-mêmes, quelque chose à défendre, qui ne sont pas asservis, qui sont en accord avec leur temps, ne veulent pas de ce genre de sujétion.

La première chose qui m'a attristé en lisant son journal est de savoir qu'il n'existe quasiment plus d'espace sauvage aujourd’hui. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il deviendrait même criminel de mener une vie de contemplation comme il l’a fait, car actuellement notre civilisation industrielle détruit chaque jour 200 espèces animales et végétales. Ce serait être contemplateur du désastre. Le 7 Juillet 2020, cela fera 219 000 espèces végétales et animales exterminées par notre civilisation industrielle & capitaliste depuis le G20 de Hambourg. Les manifestations n’ont fait à ma connaissance disparaître aucune espèce, pas même une seule entreprise de marque de luxe. Je n'ai pas envie de lister ici l'ampleur de la catastrophe, de l'effondrement en cours, je pense que chacun en a entendu parler et peut se renseigner en faisant quelques recherches. Dans les débats qui ont pu agiter ce tribunal, j’ai entendu dire qu’il pouvait être compréhensible de lutter avec violence sous le nazisme mais que cela n’est pas convenable dans une démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le problème, c’est que nous ne sommes pas en démocratie, mais dans un régime représentatif.

Emmanuel-Joseph Sieyès, juste après la révolution française, dans son discours du 7 septembre 1789, a déclaré :

La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.

Cette personne qui a participé activement à l'élaboration du système politique après la révolution française a l'honnêteté intellectuelle de reconnaître qu'un régime représentatif n'est pas une démocratie. Aujourd'hui, la classe dirigeante, afin de ne pas perdre ses intérêts et risquer de disparaître sous un nouveau mécontentement populaire, nous berce dès l'école et rabâche à la télévision que nous sommes dans une "démocratie avancée". Cette formulation prétentieuse veut nous faire croire que nous serions allés même au-delà de la démocratie alors qu'en réalité nous n'avons jamais atteint cette étape mais sommes encore aujourd'hui sous un régime représentatif.

J’ai décidé d’agir plutôt que d’abandonner mon pouvoir à un représentant.

« Vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus », écrivait Élisée Reclus dans son texte Ne votez pas, agissez. Les parlements sont infestés par les lobbys, les intérêts des grosses entreprises et de la finance.

J’ai donc commencé par rejoindre la mouvance Anonymous on me bornant à écrire des textes et faire des vidéos à travers une opération contre les grands projets inutiles et imposés. Il s’agissait de cibler les sites internet des grosses industries ou de l’État français impliqués dans la réalisation de différents projets comme le barrage de Sivens, la poubelle nucléaire à Bure ou l’aéroport de Notre Dame des Landes, par exemple. Dans le même temps, je me suis rendu à la manifestation d’octobre 2014 à Sivens où Rémi Fraisse fut tué par une grenade policière à une centaine de mètres de moi. C’était une de mes premières manifestations et j’ai été traumatisé par la violence policière, les 400 grenades explosives lancées aveuglément dans la nuit, le mensonge d’État qui masqua les circonstances de sa mort, la propagande médiatique de criminalisation, et l’indifférence de la justice qui a prononcé un non-lieu malgré les demandes de la famille de Rémi d’obtenir une condamnation symbolique. Le lendemain matin j’ai directement appelé ma petite sœur au téléphone, et j’avais pleuré, réalisant que j’aurais pu y passer également avec toutes ces grenades qui explosaient autour de moi. J’ai aussi depuis des problèmes d’auditions qui se sont aggravés et des acouphènes aigus continuel dans mon oreille. Mais le plus grave pour moi c’est qu’aujourd’hui je peux dire devant vous qu’un jeune homme de mon âge est mort presque à côté de moi dans une manifestation, que je peux le dire avec un sang-froid. Quelque chose s’est éteint en moi pendant l’incarcération, j’ai perdu une partie de mes émotions en prisons.

Afin que vous saisissiez un peu mieux, je tiens à dire quelques éléments concernant cette journée de mobilisation qui s’est tenue en pleine nature dans la vallée du Tescou (Sud-Ouest de la France), la préfecture avait promis de ne pas déployer de gendarmes afin de ne pas générer de tensions en retirant même, au cas où, les engins de chantiers. Le barrage de Sivens fut porté par la CACG, un organisme public-privé, ce qui lui permettait de réaliser une déclaration d’utilité publique et ainsi de mettre la main sur l’argent du contribuable : près de 4 millions d’euros de fonds publics pour construire ce barrage afin de soutenir une agriculture intensive. Mais le comble, c’est que le barrage de Fourrogue, construit juste avant ce projet de barrage de Sivens, a été déclaré illégal et inadapté par le tribunal administratif après sa construction. C’est-à-dire qu’il ne pouvait même pas remplir la mission pour laquelle il a été construit, à savoir l’irrigation des cultures. Cela démontre que l’intérêt derrière ces projets est essentiellement le détournement d’argent public. Les porteurs de ce projet veulent construire une cinquantaine de barrage dans la région et ils réfléchissent actuellement à refaire un projet de barrage non loin de l’endroit où Rémi, jeune homme de 21 ans, a été tué par la police. Une rivière doit pouvoir s’écouler librement jusqu’à l’océan. Est-il plus sain de s’adapter à la nature ou d’adapter la nature au capitalisme ?

J’aimerai que l’on m’explique où est le progrès lorsque des grands groupes comme Bayer/Monsanto brevettent le vivant et réalisent des mutations sur les plantes de telle sorte qu’il soit impossible de réutiliser les graines chaque année sans devoir les racheter. Il est démontré aujourd’hui que dans les anciennes variétés de graines un code génétique se transmet de génération en génération à travers les semences, la plante s’adapte à son milieu, elle a une intelligence, elle s’améliore et se renforce d’année en année. Bayer & Monsanto sont responsables de la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes par maladie ou suicide, notamment en interdisant l'utilisation de certaines semences et en imposants des graines génétiquement modifiées. En Inde par exemple, des paysans s'endettent à devoir les racheter chaque année, mais vous ne verrez jamais les dirigeants de ces entreprises faire 1 an et 4 mois de prison ferme pour ces raisons.

Pour revenir à la mouvance Anonymous, j’ai découvert sur internet l’existence du projet d’enfouissement de déchets nucléaire à Bure à quelques pas de chez moi. Je n’en avais pas entendu parler à l’école, aux JT ou dans les journaux. J’ai donc fait des recherches et découvert que depuis plus de 20 ans, des personnes luttent et se mobilisent contre ce projet. Il y a même eu une pétition signée à la main par plus de 50 000 personnes demandant l’organisation d’un référendum local pour savoir si la population est d’accord avec ce projet. Cette pétition a été ignorée. Il serait en effet dommage pour les autorités locales de perdre les 80 millions d’€ distribués chaque année afin « d’accompagner économiquement » le projet d’enfouissement. Jusque dans les écoles, l’argent nucléaire coule à flot, et des balades scolaires sont organisées dans les tunnels souterrains où déjà deux ouvriers sont décédés dans un effondrement des galeries.

Lorsqu’il a été rappelé à l’Agence Nationale pour la Gestion des déchets Radioactifs qu’il y aura à terme un écroulement des tunnels, la réponse donnée par un responsable fut : « C’est prévu, Cigéo va s’écrouler, mais nous préférons parler de convergences des roches. » Je crois plutôt qu’une convergence des luttes empêchera la folie de ce projet. De la même manière que l'écrivain italien Erri de Luca l’a affirmé à propos du projet de ligne TGV Lyon-Turin en Italie, je crois que le projet d'enfouissement de déchets nucléaires doit être freiné, entravé et donc saboté pour la légitime défense de la santé, du sol, de l'air et de l'eau.

L'Allemagne a théoriquement arrêté le nucléaire après Fukushima mais les déchets nucléaires restent un problème. En France, alors que nous ne savons également pas quoi faire des déchets, nous allons renouveler le parc des centrales et lancer une nouvelle génération de réacteurs (EPR), essentiellement pour pouvoir les vendre à l'étranger.

Au regard de la gestion laborieuse que la filiale nucléaire a réalisé en Somalie, puis en balançant les fûts de déchets nucléaires dans l’océan et dans divers sites d'enfouissement aux multiples accidents (au Nouveau Mexique comme en Allemagne); il semble évident qu'il ne faut pas laisser la gestion des déchets nucléaires à ces individus irresponsables.

« On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés »

Albert Einstein.

Il est important de reconnaître avec honnêteté, que nous ne savons pas quoi faire et nous n'avons jamais su quoi faire des déchets nucléaires. Dès lors, l'arrêt immédiat de la production de ses déchets est une évidence.

Cette question de la gestion devrait être prise en compte par la société toute entière, en finançant des recherches indépendantes. Où trouver l'argent ? Il y a 80 millions d'euros déversés dans le département de la Meuse et Haute-Marne chaque année pour acheter le consentement de celles et ceux qui demain seront irradiés. Dans la langue de l'époque, on n'appelle plus cela "corrompre" mais "travailler à l'acceptabilité sociale d'un projet". Redirigeons cette somme dans la recherche d'alternatives. Pour les déchets existants, tentons de trouver des solutions par la science, plutôt que l'achat des consciences. Il y a les PDG du nucléaire, nucléocrates et autres personnes qui se sont fait des millions, voir milliards de bénéfices sur le dos de notre vie, il faudra également qu'ils rendent l'argent, pour la survie de l'humanité.

Je tiens à rappeler que l’Allemagne sera probablement plus impactée par ce projet d’enfouissement, car Bure se situe dans le Nord-Est de la France sous les vents dominants de l’ouest.

C’est cet engagement sur le terrain informatique contre Bure et le Barrage de Sivens qui m’a conduit à une première condamnation en justice après la visite de 7 agents de la DGSI au domicile de mes parents. Les 48 heures de garde-à-vue qui ont suivi était une horreur. Refusant de collaborer, les agents sont aller jusqu’à menacer de mettre en garde à vue mon meilleur ami car il apparaissait sur le rush d’un montage vidéo. Ils ont réussi à me faire craquer en faisant pression sur cet ami proche qui ne partage pas mes opinions politiques. Je tiens à insister sur cette bassesse monstrueuse de l’élite de la police Française. J’étais jeune, je ne pensais pas alors qu’il était possible d’aller jusque-là. Faire pression sur des proches, je pensais que c'était seulement dans les films ou sous des dictatures. J’ai écopé de quatre mois de prison avec sursis ainsi que d’une interdiction de passer des concours dans certains métiers du domaine public pendant cinq ans. Étant en première année d’étude de droit à ce moment-là, j’ai décidé de faire appel afin de demander que cette interdiction de métier soit enlevée pour que je puisse continuer mes études et tenter de devenir avocats en droit de l’environnement. Malheureusement, la cour d’appel a confirmé l’interdiction qui est en plus redevenue active pour 5 ans à ce moment-là. C'est à ce moment-là que j'ai dû oublier ce projet professionnel et que je me suis tourné vers la permaculture. Terrain dans lequel l’État ne m'a pas encore mis d'entraves.

En France, les policiers allemands sont perçus comme les rois de la désescalade, j'ai cependant vu, à Hambourg, des milliers de manifestants escalader un mur afin d’échapper à la police qui matraquaient les crânes. C'était le premier jour des manifestations contre le G20 de Hambourg, le positionnement des canons à eau qui étaient dès le début presque au contact du cortège et les charges policières de tous les côtés ne laissaient même pas l’opportunité de s’échapper. Il y a eu plusieurs dizaines de blessées très graves à la tête. Pourquoi donc les palais de justice restent-ils silencieux vis à vis de la violence policière ? Où sont les photos des policiers matraquant les crânes dans les médias et leurs colonnes d’appel à délation post-G20 ?

J'accuse le pouvoir judiciaire de participer à un groupement fermé de personnes pratiquant la violence sur une base d’un partage des tâches entre les policiers qui passent à l’acte et les tribunaux qui cautionnent et encouragent les délits par leur laxisme. Les palais de justice en général, appartenant à ce groupe, sont complices de toutes les violences policières du G20 car aucun ne s'est distancié à l’égard de ces violences. Il n’y a eu aucune condamnation de policiers depuis le G20 et ce, malgré les nombreuses vidéos et documentations citoyennes. Mais c’est également un problème structurel de l’institution policière, la police ne fait pas remonter les enquêtes contre elle-même.

Bertolt Brecht disait :

« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »

Faut-il accueillir le G20 ou l’empêcher en protestant ?

Nous retrouvons dans ce sommet les cinq plus gros marchands d'armes au monde qui sont les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne, tous également membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU. " Quand on est pour la paix, on ne vend pas des armes.", ce sont les mots d'un sans papier Guinéen prononcé dans la cour de promenade du bâtiment A. Il m’a beaucoup parlé de la Guinée et de l’Afrique en générale, continent très riche en ressources mais pauvre à cause du pillage exercé par le système capitaliste. Si les Thomas Sankara ou Patrice Lumumba ne finissaient pas chaque fois assassiné par des armes construites dans les pays du Nord, l’Afrique aurait aujourd’hui un autre visage.

Pendant le G20 de Hambourg, la France et l’Allemagne vendaient des armes à la Turquie. Des armes qui ont probablement étaient utilisées lors de l’offensive Turc contre les kurdes aux Rojava dans le Nord de la Syrie. Des journalistes turcs sont encore emprisonnés pour avoir dévoilé que Erdogan avait livré des armes à Daesh. Si une personne donne une pierre a un manifestant, elle peut être accusé de complicité d’un acte d’une extrême violence et risque de finir en prison. Mais vendre des armes est un acte légal. Le problème vient peut-être du fait que c’est un don et qu’il serait à vos yeux plus juste de devenir marchand de pierres. Ou bien cela n’a rien à voir avec l’intérêt financier et il s’agirait d’une question morale : il est bon de vendre des armes car elles servent à faire la guerre pour la paix, incohérence déjà décrite par George Orwell dans son œuvre "1984". Des anarchistes ont récemment été torturés en Russie. Torture que l’on retrouve en Turquie ou en Arabie Saoudite. Avez-vous simplement idée de l’extrême violence qu’incarne votre sommet, cette réunion des 20 États les plus riches de la planète ?

Il y a quelque chose de particulièrement grave dans cette affaire, 5 personnes doivent répondre de l’ensemble des dégâts d’une manifestation. 99 % des faits reprochés ne visent pas personnellement les accusés. L’accusation s’étend à plus d'un million d’euros de dégâts. Le procureur tente de construire et d’imposer une vision très large de la complicité, au point qu’il désire même l’étendre au-delà de la présupposée présence des accusés. Concrètement, imaginez-vous dans une manifestation, quelqu’un brûle une voiture à 50 mètres de vous : vous êtes considéré comme responsable des dégâts. Mais ce n’est rien ! Imaginez-vous maintenant quittant une manifestation, 10 minutes plus tard, un cocktail molotov est lancé : bien que vous n’êtes plus présent, vous êtes aussi considéré comme responsable.

Il y a beaucoup de problème dans ce procès, dans la prison, dans la police, dans le capitalisme, dans l’État et son monde. Ces différents thèmes ont, entre autres, comme pourritures communes : la soif de gestion, la globalisation, la classification. La personnalité de l'individu, son identité, sa créativité, son unicité, doivent rentrer dans une case, un groupe.

Voici une autre citation de Thoreau :

Le caractère unique d’un homme se manifeste dans chaque trait de son visage et dans chacune de ses actions. Confondre un homme avec un autre et toujours les considérer globalement est une marque de stupidité. Les esprits obtus ne distinguent que des races, des nations ou des clans, quand l’homme sage distingue des individus.

Journal de Thoreau – juillet 1848

Je ne vais pas pouvoir expliquer ce que je n’ai pas fait et si vous me demandez ce que j’en pense, cela pourrait tenir dans cette autre citation :

Quels que soient mes jugements sur tel ou tel acte ou tel ou tel individu, je ne mêlerai jamais ma voix aux cris de haine d’hommes qui mettent armées, police, magistrature, prêtres et lois en branle pour le maintien de leurs privilèges.

Elisée Reclus

Il vous reste encore un peu de temps avant la fin de ce procès afin de limiter l’acte d’accusation seulement à ce que j’ai pu faire, tant que cela ne sera pas le cas, je refuse de m’exprimer à propos de l’accusation me concernant sur la manifestation de l’Elbschaussee. A savoir : si j’étais bel et bien présent, si vous m’avez confondu avec d’autres personnes, ou si je n’étais tout simplement pas là, preuve à l'appui.

En France, j'ai été accusé d'avoir découpé un grillage autour d'un projet d'enfouissement de déchets nucléaire, j'ai revendiqué devant le tribunal ce geste afin de l'expliquer. La retranscription de ce procès est disponible dans une brochure intitulée "Sachez que je n'attends rien de votre institution" également traduite en allemand. D'autres procès contre des anarchistes comme celui d'Alexandre Marius Jacob contiennent également une revendication et explication des actes réalisés devant le tribunal. Il s'agit d'une stratégie de rupture. Je comprends l'attitude de ne pas vouloir s'exprimer et de garder le silence et je veux rester solidaire envers les personnes qui choisissent de ne pas s'exprimer lors des procès. Cependant, je déteste les narrations mensongères des procureurs ou de la police. Et c'est dans les tribunaux que leurs versions s'établissent et sont reprises par les juges puis les médias. Si je m'exprime aujourd'hui, c'est pour vous relater une réalité que j'ai vécue dans les rues de Hambourg.

Dans l’après-midi du 7 juillet 2017, la police allemande a fait une autre démonstration de sa désescalade. Dans un ballet incessant de policiers qui chargeaient en passant à répétition tout autour de Rota Flora. J’ai vu à plusieurs reprises la police matraquer sans raison des personnes sur les trottoirs ainsi que des personnes assisses aux terrasses des bars, buvant un verre. Peut-être que dans un esprit policier, le fait d’être simplement présent autour de Rote Flora est une culpabilité suffisante ? Dans le petit parc juste derrière, 4 policiers ont couru vers une personne qui était dans un coin près d’un buisson, elle s’est fait tabasser à l’abri des regards & des caméras. J’ai vu un journaliste se faire frapper par la police. Et alors qu’une énième personne se faisait sévèrement matraquer devant Rota Flora, je me suis avancé spontanément avec d’autres personnes, criant d’indignation. Un policier m’a gazé au visage. J’ai alors posé mon sac à dos par terre et lancé 2 bouteilles de bières qui se trouvaient devant moi vers la police. Il y a des violences policières qui sont à l’origine de ce geste, je ne veux pas m’en excuser. D’autant plus que je n’ai pas réussi à atteindre la police et les bouteilles ont atterri à côté (comme on peut le voir sur une vidéo). Certes, à vos yeux, que le projectile touche ou non un policier, cela reste illégal, tout comme votre loi interdit de matraquer à hauteur de tête ou de mettre du gaz lacrymogène au visage. A-t-on pour autant déjà fait un procès à l’encontre d’un policier qui a donné des coups de matraque dans le vent à côté d’une tête sans la toucher ? Non. Il n’y a même pas eu un seul procès contre un policier qui a matraqué un crâne au G20. Dès lors, faut-il venir casqué en manifestation ?

Un peu plus tard, sur une vidéo policière, on me voit courir vers une dame d'un certain âge qui pousse son vélo. Elle s’était arrêtée au milieu de la route alors qu’un canon à eau avançait vers elle. Je l’ai aidé à rejoindre le trottoir et une fois celui-ci atteint, nous nous sommes pris un jet du canon à eau clairement dirigé contre nous deux. Vous faites toujours preuve d’une imagination débordante et d’une sensibilité extrême lorsque vous écrivez dans vos actes d’accusation que tel projectile a été lancé vers la police en rajoutant « acceptant que cela aurait pu blesser gravement les policiers ». Car avant d’imaginer cela, il faudrait peut-être déjà démontrer que le projectile a atteint en effet un policier. Une fois que c’est chose faite, il faut reconnaître qu’il est difficile de blesser gravement un policier quand il porte des protections contrairement aux manifestants qui n’en portent aucune. En attendant, le puissant jet d’eau nous a clairement atteint et personne ne reproche au policier qui a tiré d’avoir « accepté que cela aurait pu blesser gravement cette dame âgée ». Après avoir vérifié que cette dernière se portait bien, j’ai ramassé 2 pierres et je les ai jetées en direction du canon à eau. Les policiers étaient en position derrière le canon à eau.

Ne me retrouvant pas dans vos définitions de bon ou de mauvais manifestant, sachez que je reste solidaire à l'égard de n'importe quelle personne se retrouvant face à la justice suite aux manifestations : que ce soit celles du G20 ou des gilets jaunes, de Minneapolis ou des quartiers populaire, du Chile ou de Hong-Kong. Car encore une fois, quels que soient mes jugements sur tel ou tel acte ou tel ou tel individu, je ne mêlerai jamais ma voix à celles et ceux qui mettent armées, police, magistrature, prêtres et lois en branle pour le maintien de leurs privilèges.

Il y a eu de nombreuses tentatives afin de bloquer le G20 avec des sittings non-violents, j’ai également pris part à cette stratégie et une personne qui se trouvait à côté de moi s’est retrouvée avec un œil au beurre noire pendant qu’un autre policier m’a donné des coups de pieds alors que nous étions assis. J’ai remarqué qu’il était moins dangereux d’utiliser cette tactique si il y a la présence de caméras qui filment la scène. La police semble très sensible à son image et se retient de montrer sous les projecteurs sa violence mais elle n’hésite pas, une fois qu’un peu d’ombre se présente, à déployer son obscurité.

La résistance passive non-violente est efficace tant que votre adversaire adhère aux mêmes règles que nous. Mais si la manifestation pacifique ne rencontre que la violence, son efficacité prend fin. Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace.

Nelson Mandela

Il existe une analyse de février 1989 sur les effets de l'uniforme réalisée par le service correctionnel du Canada. L'étude avait démontré qu'une personne sera plus disposée à être agressive si elle porte un uniforme. C’est pourquoi je n’en veux pas particulièrement aux individus, mais à la situation que génère le métier de policier. Il est probable que bientôt, tout comme à Minneapolis, il devienne nécessaire pour de plus en plus de monde de démanteler la police.

En dernier point, la presse allemande met souvent en avant l’impact économique des manifestations. Je crois que pour l’ensemble du G20 de Hambourg j’avais entendu qu’il s’agissait de 10 millions d’euros de dégâts. Je vais vous démontrer qu’une personne qui mange sainement et fait quelques dégâts en manifestation coûte moins cher à la société qu'un habitué du McDo. Un article du journal "libération" de l'année 2019 a estimé que le coût de la mal bouffe pour la santé en France est de 55 milliards d'euros par an. Il faudrait qu'il y ait chaque année 5 500 fois des manifestations avec 10 millions d'euros de dégâts pour égaler l'impact économique de la mal bouffe. Sachant que les mobilisations se sont étalées sur 4 journées, il n'est pas possible d'en réaliser plus de 92 dans l'année. A moins que l'on s'autorise à imaginer plusieurs manifestations en même temps. Il faudrait donc que se déroule de manière simultanée 59 manifestations comme celles du G20 de Hambourg en se répétant continuellement pendant un an afin que les dégâts économiques égalent ceux de la mal bouffe en France. Je n'ai pas trouvé de chiffres concernant l’Allemagne mais je pense que c'est sensiblement identique. En arrondissant, on peut dire que la mal bouffe coûte 100 milliards d'euros par an en Allemagne et en France. Donc 300 milliards d'euros depuis le G20 de Hambourg, n'est-il pas plus sage de faire des procès contre les géants de l'agroalimentaire qui empoisonnent notre nourriture et nos vies ?

Voici quelques paroles de Ravachol :

En créant les articles du Code, les législateurs ont oublié qu’ils n’attaquaient pas les causes mais simplement les effets, et qu’alors ils ne détruisaient aucunement le crime ; en vérité, les causes existant, toujours les effets en découleront. Oui, je le répète : c’est la société qui fait les criminels, et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre justice qui s’amoindrit à punir les effets.

J'ai entendu le tribunal se souciait de savoir si la peine était suffisante pour l'éducation des accusés. J'ai été surpris de découvrir cette forme d'éducation. Vous estimez que punir par l'enfermement permet de contraindre à ne plus recommencer. Il existe des prisons ouvertes où le taux de récidive est de 20% en Norvège, l'endroit où je suis resté enfermé 1 an et 4 mois a un taux de 70% de récidive. Dans cette prison norvégienne les gardiens chantent parfois une chanson aux nouveaux arrivants, il y a de l'écoute, de l'amour et de la considération. Quand je suis arrivé dans votre prison, je suis resté 1 mois avec le même caleçon enfermé 23h/24 en croisant les regards sévères de gardiens qui méprisent les détenus. Mais au risque de ne pas avoir été clair, parce que l'on pourrait croire que je me satisfait d'une prison norvégienne. Tout comme Ravachol disant "c'est la société qui fait les criminels" et le criminologue Alexandre Lassange affirmant "la société a les criminels qu’elle mérite". Je pense que c'est en transformant la société que nous pouvons supprimer tous les crimes. Et je crois qu'il y a dans ce procès 0% de chance de récidive, car la cause a disparu, il n'y aura plus jamais de G20 à Hambourg.

Ma prochaine déclaration contiendra un texte imaginant un G20 sans police, ce que je considère comme étant des alternatives à votre sommet ainsi qu'une critique de la civilisation industrielle & des énergies renouvelables du capitalisme vert. Je déposerai également à votre tribunal une BD patate que j'ai réalisée en prison expliquant comment tous les États du monde pourraient se débarrasser de leurs bombes atomiques.

Loïc, Hambourg, le 17 juin 2020.

Texte libre de droit.

La semaine prochaine, le procureur fera ses réquisitions. Loïc devrait normalement être autorisé à s’exprimer une seconde fois le 9 juillet. Le jugement est attendu avant la mi-juillet.

(1) : VICE => Un futur sans police est-il possible ?
Retrouver plus d'infos sur le site en soutien à Loïc : https://laneigesurhambourg.noblogs.org/

Version allemande ici : https://de.indymedia.org/node/89481

 

 


Mais comment tue le covid 19 ?

Douloureux et critique, ce témoignage nous livre sans fard une vérité. Celle des "protocoles" sanitaires, machines à négliger parfois des personnes réellement malades..

 

Mais comment tue le covid 19 ?

Certes le covid 19 est meurtrier mais qui est le plus dangereux ? Le virus lui-même ou les moyens utilisés par le gouvernement pour “nous protéger du virus” ?

Mon mari risque de mourir à cause du covid. Il n'a pas le virus. Une bactérie l'attaque et le menace de mort.

Cependant en France, en Euskal Herri, un mot est souverain dans le domaine de la santé : coronavirus. A tort ou à raison, ce ne sera pas mon propos ici. Ce qui m'inquiète c'est cette obsession qui inhibe toute forme de pensée.

Symptômes grippaux, myalgie et maux de ventre et le médecin ne se déplace plus. Il écoute du haut de son cabinet le patient et sa détresse, sa femme et sa désolation puis répond au patient inquiet : “Prends du doliprane, fais le test, et surtout isole-toi.”

Par téléphone, le teint jaune n'apparait pas, la tension ne se mesure pas. Pourtant c'est le protocole.

A partir de ce coup de fil ce qui prime est de savoir s'il est un cas de plus à ajouter à la longue liste de l'Agence Régionale de Santé. Et pendant ce temps j'observe mon homme décliner, impuissante. Aujourd'hui, les parents se substituent aux enseignants, les proches aux médecins. L’accompagnement des plus fragiles s'effectue à distance et nous éloigne chaque jour un peu plus les uns les autres du genre humain !

Je comprends très vite que je suis celle qui devra discerner le moment opportun pour appeler le SAMU, mais seulement en cas de “détresse respiratoire”. Moi et seulement moi. Plus personne ne se déplacera chez nous. Nous sommes devenus des pestiférés. Et sans “détresse respiratoire”, pas de SAMU. A partir de quand considère-t-on une personne en détresse respiratoire ? Est-ce que faire deux mètres du canapé aux toilettes et montrer les signes d'essoufflement d'une randonnée de 2h en est une? “Non”, me répond-on, c'est le point de référence. En cas d’aggravation, j'appelle le SAMU. Avec cette information qui se dit médicale je peux dormir tranquille. Quand il montrera les signes d'essoufflement d''une randonnée de 3h je devrai appeler le SAMU.... C'est le protocole.

Et rebelote le lendemain en appelant le SAMU: “Madame votre mari est-il en détresse respiratoire ?” “Suis-je médecin ? Je vous dis qu'il va mal, aidez-moi !”. Finalement les secours arrivent. Trois bénévoles de la croix-rouge parviennent à notre domicile. Ils ne sont pas médecins. Ces messieurs prennent les constantes, puis appellent en suivant les médecins du SAMU. Ce sont eux qui en dernier recours prennent la décision de l'hospitalisation. C'est le protocole.

Tout s'accélère alors : un hélicoptère est dépêché avec des médecins à bord. En cas de covid 19 ou de suspicion, le service hospitalier n'a pas les moyens de la désinfection de l'appareil. L'hélicoptère repartira à vide. C'est le protocole.

Le protocole ? Le gouvernement et le président assurent que les protocoles sanitaires viennent nous préserver du coronavirus, qu'il ne faut s'y soustraire pour notre bien. Alors pourquoi ne donne-t-il pas aux hôpitaux les moyens de nous sauver ?

J'obtiens enfin les résultats du test par téléphone : « Négatif au covid 19 ! »
Pourtant ses jours sont en danger, mon mari est en réanimation dans un état grave. Ni moi ni sa famille n'avons le droit de le voir. C'est le protocole.

Aurait-il été sauvé s'il était arrivé plus tôt à l'hôpital ? Je ne sais pas. Ce que j'ai appris, c'est que vivre avec la peur et à travers le filtre de cette maladie met nos vies en péril. Il n'y a pas que le covid qui tue.

Lore R