Le racisme n'est pas une maladie

Il ne se guérit pas. Il se combat en détruisant les structures qui le créent et qui l’abritent.

Peu de monde semble vouloir mesurer la gravité de ce qu’il vient de se passer en France. Pas seulement l'attentat contre les Kurdes en lui-même, mais également son traitement policier, judiciaire et médiatique. Rendez-vous compte : l'auteur de l'attentat, qui sortait de détention provisoire pour une précédente attaque sur des migrants, déclare lui-même avoir agi par racisme, et avoir ciblé les Kurdes parce qu'ils avaient faits prisonniers des combattants de DAESH, au lieu de les avoir tués. Résultat ? Sa garde à vue a été levée et il a été provisoirement transféré vers l’hôpital psychiatrique.

Le médecin de la préfecture avait en effet estimé que son état de santé mentale n'était "pas compatible avec la mesure de garde à vue". Qu'importe qu'il ait été renvoyé en GAV dimanche 25 décembre. Le simple fait de l'avoir sorti aussi rapidement et d'avoir déclaré son état de santé mentale incompatible avec un interrogatoire peut déjà dire beaucoup de choses. Des choses graves et indignes pour l’État français mais tout à fait compatibles avec sa ligne politique et ses valeurs républicaines si actuelles.

Imagine-t-on un terroriste salafiste-takfiriste (qualifié d’islamiste ou djihadiste par la presse), venant d'effectuer un attentat à Paris, qui serait sorti de l'interrogatoire pour être envoyé en hôpital psy parce qu'on estimerait sa santé mentale incompatible avec une détention ? Le tollé serait monumental, prenons l’attentat de Nice comme élément comparatif sérieux.

La Justice considère que ces fondamentalistes ne sont pas des malades mentaux mais des personnes endoctrinées et porteuses d'une idéologie mortifère. Leurs idées, si dangereuses soient-elles, sont considérées comme dotées d'une logique et d'une construction « sensée ». Il s'agit d'une idéologie, d'un choix de société.

Tout cela est éminemment politique. Et ce, que la personne soit « un loup solitaire de Daesh » ou totalement intégrée dans des réseaux structurés. On pourrait même pousser le raisonnement jusqu'au point Godwin en se demandant s'il aurait fallu interner tous les nazis dans un hôpital psychiatrique sans les combattre et les condamner ?

Nous ne disons pas qu'il faut considérer toutes ces personnes comme des ennemis dont il faudrait se débarrasser. Nous tâchons de souligner qu’il y a derrière des mécanismes de pensée et une société qui poussent à créer ce qu’elle décrit comme des monstres, jamais comme SES monstres. Et qu'on ne guérit pas le racisme et l'intolérance. On les combat. Idéologiquement, et physiquement s'il le faut.

Que William Mallet souffre de troubles d’ordre psychiatriques ou pas ne change finalement pas grand chose aux conditions matérielles de ses actes. De la même façon que pour les frères Kouachi par exemple. Vouloir éviter ces attentats nous imposerait d'essayer de comprendre pourquoi et comment ces personnes en sont arrivées à devenir ce qu'elles étaient au moment de leur passage à l'acte.

Car on ne naît pas raciste, on ne naît pas fasciste. On le devient. Ne pas le comprendre, c'est être dans le déni de ses propres responsabilités dans les drames passés et à venir. La société est raciste dans son intégralité et nous en sommes malheureusement toutes et tous imprégnés à des niveaux différents, y compris les populations racisées. « Le racisme n'est pas un tout mais l'élément le plus visible, le plus quotidien, pour tout dire, à certains moments, le plus grossier d'une structure donnée » disait Fanon.

Pour en revenir à William Mallet, nous devons prendre conscience du choix politique du pouvoir français, de considérer qu'un Français qui commet des horreurs contre des Kurdes est une personne instable psychologiquement qu'il convient de « soigner » alors qu'un arabe ou un noir ayant commis les mêmes horreurs sur des Français sera considéré comme un ennemi, un combattant, totalement conscient de ses actes.

Le traitement de l'affaire par les médias mainstream ne fait qu'accompagner cette terrible narration. La plupart des médias français mais surtout les mandataires de l’État n'ont en effet pas utilisé le terme de terrorisme, alors qu’ils n’avaient pas ce problème quand, par exemple, il s’agissait de polémiquer autour de ce terme concernant des militants écologistes opposés aux megabassines.

Ils n'ont même pas voulu donner le nom de famille de William Mallet, ne précisant que le M après son prénom. On a jamais vu ces mêmes médias décider de ne pas dévoiler le nom de famille des auteurs d’attentats comme ceux de Charlie Hebdo ou du Bataclan. La fachosphère qui s'était emballée sur le nom de famille "étranger" du terroriste, en relayant une fausse info, partie d'un twittos, se reporte finalement sur la théorie du pauvre vieux malade, dont nous devrions avoir pitié.

Cette graduation témoigne bel et bien d’un racisme et d’une passivité d’un État qui a ouvert des brèches pour propager le racisme déjà solidement ancré dans la société française.On voit ainsi qu'un terroriste qui revendique son racisme sera traité par la police, la justice et les médias d'une façon bien particulière et, avouons-le, avec une certaine « bienveillance ». Bien plus qu'un terroriste mais aussi qu'un militant d'extrême gauche, un « islamogauchiste », un écologiste ou un anarchiste et autres militants dits « d’ultragauche » venant de commettre une action considérée comme illégale.

Établir un parallèle entre des activistes progressistes déterminés qui n’ont jamais tué personne et Daesh ou Al Qaïda a un objectif politique qui n’a rien d’anodin. Criminaliser la révolte et l’accuser de ce qu’elle n’est pas, quitte à faire des raccourcis invraisemblables. Celui-ci va de pair avec le fait de minimiser le danger de l’extrême-droite qui d’un côté gouverne dans beaucoup de pays, et de l’autre, représente le plus grand danger concernant les risques d’attentat dans le monde occidental. Dans ces conditions, William Mallet, personne âgée, française, est donc logiquement instable psychologiquement. Gerbant, une souillure pour les victimes de ce raciste.

Alors nous le dirons, redirons et répéterons tant qu'il le faudra : le racisme n'est pas une maladie. William Mallet est un raciste qui a commis un attentat contre la communauté kurde. En solitaire ou commandité par des organisations, cela ne change rien à l'histoire. Il convient de traiter ce terroriste comme tel, afin de tenter de dissuader les prochains sur la liste sombre des criminels racistes.


Attentat raciste : indignité jusqu'au sommet de l'État

Vendredi 23 décembre, ce n'est pas que la communauté kurde qui a été frappée, c'est tous ceux qui partagent des valeurs de liberté et de tolérance. Malheureusement, les heures qui ont suivi le drame n'ont pas fait honneur à ces valeurs et aux victimes de cet attentat.

Après le choc de l'attentat, et une fois les éléments assez clairement établis, il nous semble important de remettre les pendules à l'heure. Pour malheureusement constater les défaillances de l'État français et du monde occidental, qui ne cesse d'être complaisant avec l'extrême droite, et qui n'arrive pas à se détacher de la pression du pouvoir turc sur la question kurde.

La presse mainstream et l’État Français sont fidèles à leur indécence en refusant de qualifier ce crime raciste d'attentat, préférant évoquer une « attaque » par balles, et ce, malgré la revendication ouverte du terroriste d’avoir agi par racisme et délibérément visé la communauté kurde.

Nous partageons ce sentiment de colère et souhaitons revenir encore une fois sur cette affaire et les interrogations qu’elle suscite dans un contexte où se multiplient les tentatives d’attentats imputées à l’extrême-droite.

Aussi l’équipe de CND tient une fois de plus à adresser ses condoléances et son soutien aux familles et proches des victimes.

 

Les faits

Vendredi dernier, en fin de matinée, un homme âgé ouvre le feu devant l’entrée du Centre Démocratique Kurde Français, situé au 16 rue d’Enghien, dans le 10ème arrondissement de Paris, où réside une part importante de la diaspora. Des commerces kurdes divers sont ensuite pris pour cible, notamment un restaurant, puis un salon de coiffure.

Le terroriste, armé d’un Colt 45 1911 de l’US Army, tire neuf fois et sera finalement interpellé.

Mis en garde à vue, il sera arrêté avec une mallette contenant « deux ou trois chargeurs approvisionnés, une boîte de cartouches calibre 45 avec au moins 25 cartouches à l'intérieur. ».

L’assassin, William Mallet, est un Français âgé de 69 ans, conducteur de train qui avait déjà été arrêté l’année précédente pour avoir attaqué des migrants à l’arme blanche en lacérant des tentes muni d’un sabre, puis en tentant de tuer un exilé qui s’était défendu avec cette même arme.

Placé un an en détention provisoire et tout juste relâché le 12 décembre dernier, l’homme n’a pas été fiché malgré plusieurs condamnations pour détention d’armes illégales en 2016 et 2017.

Le mobile raciste est revendiqué, l’assassin assume une haine viscérale vis à vis des populations racisées.

Il explique en vouloir à tous les migrants et spécifiquement aux kurdes pour le fait d’avoir faits prisonniers des soldats de Daesh, au lieu de les exécuter.

Le Monde rapporte que le suspect a déclaré aux enquêteurs que, le matin de l’attaque, il s’était d’abord rendu à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) muni de son arme « pour commettre des meurtres sur des personnes étrangères », selon le parquet. Il a finalement renoncé « compte tenu du peu de monde présent et en raison de sa tenue vestimentaire l’empêchant de recharger son arme facilement ».

Conduit en psychiatrie, sa garde à vue a été levée.

 

Les victimes

Le Centre Démocratique Kurde Ahmet-Kaya, un lieu de vie important pour les communautés du peuple kurde, accueille 24 associations et regroupe des activités en lien avec la culture et la vie politique. Trois personnes y ont été assassinées :

Emine Kara est une responsable du Mouvement des Femmes Kurdes en France. Combattante du Nord-Est de la Syrie, elle était initialement venue en France pour se faire soigner après avoir été blessée par Daesh.

Mir Pewer, réfugié politique, était un artiste, poète et chanteur kurde dont les paroles engagées dérangeaient profondément le pouvoir turc.

D’après Berivan Firat, porte-parole du CDKF, le dictateur Erdogan en personne redoutait ses compositions.

Abdullah Kizil, était un homme âgé qui avait pour habitude de venir quotidiennement dans ce centre. Il aurait dévoué sa vie aux combats des Kurdes.

 

La répression comme réponse d'État

Une fois de plus, l’ordre républicain se distingue par son mépris odieux.

Le ministre l’intérieur exclut immédiatement le mobile politique de cet attentat, ce qui rajoute de l’huile sur le feu et attise naturellement la colère de la population kurde.

Pour en rajouter une couche, Gérald Darmanin n'a pas hésité à laisser la police française attaquer une population endeuillée qui se recueille le soir-même d’un attentat. Un manifestant a été grièvement blessé à l’œil par un tir de lacrymogène.

Cette manière de procéder rappelle que le départ du préfet Lallement, remplacé par Laurent Nunes ne change rien et que l’ère du tout répressif ne fait que commencer.

Toutefois, la dignité kurde a su tenir tête à la honte républicaine et a prouvé sa détermination partout en France, notamment à Paris et Marseille.

 

Un sentiment de colère et des questions

Outre l’attitude tout bonnement irresponsable des forces de l’ordre, que dire une fois de plus de la piteuse couverture médiatique des grands groupes de presse ? Est-il si difficile d’utiliser les mots « terrorisme » ou « attentat » dans une situation appropriée ?

Rien n’évolue a ce sujet, mais ce n’est pas une surprise. Pas plus que le peu de temps accordé à interroger les motifs du terroriste et surtout les conditions, l’ambiance générale et les discours qui ont inspiré son acte et sa manière de penser.

Évidemment, nous retrouvons aussi cette géométrie variable qui refuse de s’attarder sur les violences policières et la volonté délibérée d’attaquer des manifestants à Paris et Marseille.

Nous n’attendons rien ni de ces médias, ni de la classe politique et évidemment encore moins de l’État français. Il y a cependant matière à être inquiet et à s’interroger.

La classification immédiate en tant qu’irresponsable du meurtrier qui a pourtant revendiqué fermement son acte en tant que raciste et dit avoir ciblé spécifiquement la communauté kurde laisse songeur.

L’immense majorité des auteurs d’attentats d’extrême-droite sont immédiatement considérés comme « fous » et ne seraient donc pas responsables de leurs actes, et la France n’est pas une exception. Nous devons nous questionner sur les qualifications à géométrie variable concernant les actes terroristes.

On retrouve des cas similaires partout dans le monde occidental. Faut-il rappeler qu’il a fallu plusieurs contre-expertises obtenues sous la pression pour prouver que Anders Behring Breivik, auteur d’un attentat épouvantable en Norvège en 2012 n’a pas agi par « pulsions délirantes » ?

Le racisme est le produit d’une construction sociale et un système de domination politique, pas une pathologie liée à des troubles d’ordre psychiatrique.

Comment et surtout pourquoi peut-on bâcler la possibilité d’une enquête aussi rapidement, 24 heures après les faits alors que des militants nationalistes et racistes sont ces derniers temps régulièrement arrêtés pour projeter des attentats ? La personne revendique clairement son acte.

Nous savons aussi que le peuple kurde est la cible de tous les impérialismes régionaux au Kurdistan et donc que ses ennemis sont nombreux allant de l’État turc à Daesh en passant par l’extrême-droite mais aussi l’État iranien où la communauté kurde joue un rôle phare dans les révoltes actuellement en cours.

Il paraît tout de même invraisemblable d’exclure d’office la possibilité que l’assassin aurait pu agir pour le compte de quelqu’un en y trouvant ses intérêts. Le profil des victimes ainsi que leurs engagements respectifs laisse tout aussi songeur. Pour finir, qui était le conducteur du tireur ?

Les soupçons envers les sbires d’Erdogan, plus particulièrement la mafia des Loups Gris paraissent tout à fait justifiés même si nous ne connaîtrons malheureusement peut-être jamais la vérité.

Nous rappelons aussi que cet attentat survient, quasi jour pour jour, presque dix ans après un autre attentat qui avait causé la mort de trois militantes kurdes : Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, tuées par Ömer Güney, agent du renseignement turc (MIT) surnommé « la source ».

Ce dernier, décédé d’un cancer du cerveau en 2016 dans un hôpital parisien, était membre des Loups gris : une organisation paramilitaire d’extrême-droite ouvertement mafieuse, dont la branche politique, le MHP, est actuellement alliée à l’AKP du dictateur Erdogan pour lequel il sert de milice.

L’enquête avait été classée sans suite et les familles n’avaient pas été reçues par les chefs d'État ou leur ministres. Et l'enquête suite à une deuxième plainte visant les commanditaires demeure obstruée par le secret-défense.

L’État français n’avait pas souhaité froisser son homologue turc, également membre de l’OTAN.

Pour en revenir à cette affaire, comme souvent les obstacles à la manifestation de la vérité et de la justice seront des facteurs parmi les plus rageants, que le terroriste ait agi seul ou pas.

Car c’est aussi de ça dont il s’agit lorsqu’il s’agit de justice sociale, d’honorer la mémoire des martyrs et de pouvoir faire intégralement son deuil.