Appel aux Gilets Jaunes : Ne soyez plus "une classe bien sage" !

Même si nous sommes beaucoup à ne pas être tombé dans le panneau du discours officiel de démobilisation des GJ, nous devons nous interroger sur les suites du mouvement. Quoi de plus normal puisque les premiers manifestants sont entrés en action il y a un mois maintenant !

Un mois de lutte. Un mois de surprise. Un mois de déconstruction des clichés sur les luttes sociales, sur le peuple, sur l'opposition entre ruralité et banlieue....

Un mois de souffrance aussi : avec des décès, des blessés, des arrestations, des humiliations.

Mais un mois de victoires surtout. Des victoires comme rarement le peuple français n'en avait obtenu ces dernières décennies. Car oui, le pouvoir politique, économique et médiatique a tremblé et a vacillé.

S'il tient encore en place, c'est parce que ce pouvoir a tout mis en œuvre pour casser la lutte, au prix d'un renoncement inédit aux principes fondateurs de ce pays : liberté (d'expression, de manifestation), égalité (de traitement face à la police et la justice), fraternité (dans la douleur, dans les blessures, dans les deuils). Les GJ sont devenus un ennemi d'état. Pas un mot sur le bilan dramatique de morts et de blessés par le gouvernement ou le pouvoir économique et financier.

Mais si le pouvoir tient encore, c'est aussi parce qu'il a réussi à "recadrer" une partie du mouvement qui était en train de "déborder".

Car si l'on dresse le bilan des principales victoires des différentes mobilisations, elles se manifestent presque toujours pas des actions de rébellions et d'oppositions aux règles imposées par le pouvoir :
- Acte 1 : les GJ bloquent des routes, péages et autres accès sans aucune autorisation préfectorale (et cela dure jusqu'à aujourd'hui)
- Acte 2 : la préfecture autorise un rassemblement parisien mais seulement sur le Champs de Mars. Les GJ décident de ne pas s'en préoccuper et d'envahir les Champs Elysées. Ils dressent des immenses barricades et allument des feux.
- Acte 3 : la préfecture autorise l'accès aux Champs Elysées mais à condition d'être fouillé. Les GJ s'y refusent et forcent les accès.
- Acte 4 : tout le quartier autour des Champs est cadenassé par les forces de l'ordre. Mais les GJ débordent de partout, et pas seulement dans ce quartier.

A tout cela s'ajoutent les blocages de raffinerie, d’entrepôt, les fermetures de magasins, les radars mis HS...

Tous ces actes sont clairement punis par la loi.

Mais pour la première fois depuis très longtemps, une partie importante du peuple a décidé de juger les actions non pas selon la légalité mais selon la légitimité.

Bloquer une route, faire une barricade, fermer un magasin peut être illégal mais légitime. Et même juste. Alors qu'inversement, de nombreuses actions légales (et violentes) de l'état ou du pouvoir économique paraissent désormais profondément illégitimes et immorales.

La force de la mobilisation et la détermination des GJ a d’ailleurs permis de dévoiler au plus grand nombre le visage autoritaire et très peu démocratique du pouvoir. C'est là aussi la force de cette révolte : obliger le gouvernement et les autorités à jouer carte sur table et à montrer jusqu'où ils sont prêts à aller en terme d'entorse aux Droits de l'Homme : arrestations arbitraires (pour avoir un gilet jaune ou un masque pour se protéger), GAV prolongées, violences et intimidations, humiliations de mineurs... Si, lors des révoltes arabes nous nous "surprenions" à découvrir le visage terrifiant et autoritaire d'un Ben Ali ou d'un Hosni Moubarak, les mécanismes de la séquence actuelle tiennent des mêmes ressorts.

Face à ce constat, nous pensons donc crucial d'amplifier cette prise de conscience et ce courage politique. Loin de prôner la violence en tant que telle (notamment physique), nous pensons en revanche que pour lutter contre un système qui dispose des forces économiques, policières et judiciaires pour se maintenir en place, il devient nécessaire d'agir avec indiscipline et moralité.

Les plus belles choses surgissent souvent de façon inattendue et chaotique. Les tenants du pouvoir le savent. C'est pour cela qu'ils s'acharnent avec tant de fougue et de violence à recadrer et discipliner le mouvement des Gilets Jaunes.

Car le pouvoir peut accepter un peuple en colère mais discipliné. Mais il ne peut survivre à un peuple en colère et indiscipliné.


Acte 5 : victoire du pouvoir, défaite de la démocratie

Ils auront donc réussi à avoir leur image tant espérée : des Champs Élysées presque vide de Gilets Jaunes. Des rues de Paris plutôt calmes et sous contrôle. Le gouvernement et les médias vont pouvoir annoncer la fin du mouvement, lassé par les violences et/ou convaincu des mesures de Macron.

Sauf qu'à y regarder de plus près (exercice que les médias semblent avoir abandonné depuis longtemps), la situation semble bien plus complexe.

Oui, le pouvoir a réussi son coup.
Mais non, ce n'est pas une défaite des Gilets Jaunes.
En revanche, il s'agit d'une défaite très violente, par KO, sur la démocratie et sur le droit de manifester et la liberté d'expression.

En ce samedi 15 décembre, sous une pluie glaciale, la ratp décide de fermer 56 stations de métro. Tous les axes menant aux Champs Elysées sont totalement bloqués par des grilles et des fourgons de CRS. Des fouilles ont lieu dans toutes les gares et principaux péages menant à Paris.Certains bus de GJ sont même bloqués plusieurs heures. Pour arriver vers les Champs, il faut donc marcher plus d'une heure.

Les rassemblements annoncés par différents collectifs à Gare du Nord, à Opéra ou encore à République sont systématiquement nassés, pendant plusieurs heures. Impossible pour les manifestants de ressortir pour rejoindre d'autres Gilets Jaunes.

Forcément, aux alentours des Champs, la foule est beaucoup moins nombreuse que les samedi précédents. Et ceux qui réussissent à arriver sur l'avenue n'auront pas un meilleur sort que les milliers de GJ nassés ailleurs : les CRS ont en effet décidé de disloquer en permanence la mobilisation pour éviter qu'un groupe trop important de Gilets Jaunes se forme. On aperçoit alors plusieurs unités de CRS foncer dans la foule et séparer les GJ par petits groupes.

Lassés par cette stratégie agressive empêchant toute dynamique de groupe, les manifestants désirant sortir des Champs doivent alors passer par de nouvelles fouilles ! Et là, pour quitter l'avenue, il faut abandonner tout matériel de protection (lunette, masque) mais aussi son Gilet Jaune (cf photo). Preuve que les consignes dépassent de très loin celle du maintien de l'ordre .

Autre exemple frappant : vers 16h, un millier de manifestants arrive à former un petit cortège aux abords de la rue de Rivoli. La Fanfare Invisible est présente. L'ambiance est très festive et totalement pacifique. La Fanfare commence à lancer des chants repris par plusieurs centaines de Gilets Jaunes. Tout le monde danse, sans se soucier des forces de l'ordre. Quelques minutes plus tard, alors qu'aucun manifestant n'avait jeté le moindre projectile, les CRS inondent le ciel et les rues de gaz lacrymogène. Là encore, il ne s'agissait plus de maintenir l'ordre mais bien de disperser tous les Gilets Jaunes et d’empêcher les images d'une foule nombreuse, motivée et pacifique.

[ Mise à jour - une vidéo du gazage : https://www.facebook.com/parallelidea/videos/2242364639334114/ ]

Le gouvernement va donc pouvoir de nouveau bomber le torse et mépriser le mouvement social. Les médias vont se contenter d'avoir vu les Champs à moitié vides et aucune voiture brulée pour en déduire que le mouvement s'essouffle.

Mais les très fortes mobilisations dans de nombreuses villes en région montrent que c'est tout le contraire. Et le cas parisien offre une vision déformée par la stratégie ultra agressive du pouvoir qui a transformé Paris en nasses géantes et empêché tout rassemblement.

Mais que Macron et son monde ne se réjouissent pas trop vite. Les Gilets Jaunes sont loin d'avoir baissé les bras. Il va falloir être ingénieux et déterminés pour réussir à contourner la machine à casser les manifs mise en place jours après jours par Castaner.

Et que le reste de la société (médias, syndicats, partis ou simplement citoyens) s'inquiètent de la dérive clairement autoritaire de ce gouvernement. Ce qui se passe actuellement préfigure une nouvelle approche du maintien de l'ordre qui assume restreindre les libertés des opposants politiques sur l'autel de la sécurité. Accepter cette situation pour avoir (enfin) la paix sociale et économique serait une erreur historique, et pas que pour les Gilets Jaunes.


Acte 3. Plus loin dans la révolte. Plus loin dans les mensonges.

Nous n’allons pas vous proposer un compte rendu de ce nouvel acte qui s’est joué le 1er décembre un peu partout en France. Les réseaux sociaux autant que les médias “traditionnels” ont largement couvert et analysé l’événement. Mais ce traitement interroge et nous pousse à poser quelques contradictions circulant ces dernières heures.
  1. CASSEURS VS GILETS JAUNES ?
    On commence à être habitué à cette dialectique du gouvernement, de la préfecture et des médias. Mais aujourd’hui, cela en devient ridicule tellement cette position ne tient pas. Ridicule mais aussi dangereux.Le pouvoir parlait de quelques centaines de casseurs présents sur Paris. Dans ce cas là, comment expliquer qu’un dispositif policier largement plus important que lors du 1er mai, de plus de 5000 policiers, ai pu être à ce point dépassé ? La réalité, c’est qu’il y avait bien bien plus que les 5 500 “manifestants” annoncés par la préfecture (et docilement relayés par les médias). Que des dizaines de rues, voir de quartiers de Paris, on été envahi de gilets jaunes. Des dizaines de milliers de manifestants. Et parmi eux, des façon d’exprimer leur colère très diverses. Mais bien plus que quelques centaines se sont prêtés à des pratiques violentes de manifestation : de la construction de barricade au jet de pierre à la casse de vitrine en passant par l’allumage de feux. Tous n’ont pas été d’accord avec toutes les pratiques et chacun y a mis ses limites et ses lignes rouges à ne pas franchir. Évidemment que la très grande majorité auraient condamné les feux allumés dans des immeubles. Mais bien moins de gilets jaunes présents condamneront les barricades et les feux sur les routes.

    Surtout : nous ne pouvons pas laisser le pouvoir et les médias continuer d’opérer une scission entre “casseurs” et “gilets jaunes”. Si l’émeute parisienne du 1er décembre n’avait été le fait que des “professionnels du désordre” (dixit Castaner), jamais les forces de l’ordre n’auraient pu être autant mis en échec. Qu’on se le dise : samedi, des milliers de Gilets Jaunes se sont opposés aux forces de l’ordre : refusant d’être parqué, refusant d’être fouillé, refusant de se laisser gazer. De nombreuses vidéos et photos le prouvent. Nous vous invitons d’ailleurs à enrichir cet article en postant en commentaires des images de cette journée.

    L’avenir du mouvement se joue en partie dans la façon dont les gilets jaunes réussiront à sortir du piège du gouvernement et de la préfecture. Nous espérons qu’un maximum de monde prendra ses responsabilités et assumera que cette violence n’est rien face aux blessures et aux décès qu’engendre la précarité et ce système. Qu’il n’est plus possible de pleurer une voiture ou une vitrine et de laisser des retraités, chômeurs, immigrés crever de faim et de froid. Qu’il serait génial de pouvoir réaliser une révolution sociale sans avoir à opérer la moindre violence mais que face à un pouvoir hautain et autiste, le rapport de force se doit d’être également physique.

  2. PARIS VS RÉGION ?
    L’autre refrain largement chanté ces dernières heures serait que l’émeute parisienne ne refléterait en rien le mouvement national et la réalité des gilets jaunes en région, notamment dans les territoires ruraux.Là encore, l’objectif est de diviser (pour mieux régner). Mais l’affirmation ne tient pas et on se demande comment les médias arrivent, dans la même journée, à faire des reportages sur ces gilets jaunes remplissant des cars de toute la France, se levant à 3h du matin pour arriver à Paris et prendre part à la manif. A nous faire des portraits de personnes allant manifester pour la première fois de leur vie, et certains découvrant Paris pour l’occasion. Puis, dans la foulée, nous sortir qu’il s’agit d’un épiphénomène parisien et déconnecté du monde rural et du reste du mouvement.

    Sans oublier qu’en ce 1er décembre, de nombreux gilets jaunes un peu partout en France ont également opté pour des opérations bien plus violentes que précédemment : aéroports bloqués, voitures incendiées, préfectures envahies et même incendiées... De Marseille à Nantes en passant par Charleville Mezière, Tours ou Puy-en-Velay , le mouvement s’est durci. Et reflète le niveau d’épuisement et de colère de toute une partie de la population.

  3. ACTE 4, ÉPILOGUE ?
    La prochaine séquence (qui a déjà commencé) va être encore plus incertaine que les précédentes. Le pouvoir va monter d’un cran dans la peur et la menace, et tenter de diviser de partout les gilets jaunes. Impossible de savoir à quoi ressemblera l’acte 4 du 8 décembre. Mais il nous appartient d’imprimer notre propre calendrier, nos propres modalités d’actions et de revendications.Qu’ils instaurent l’état d’urgence, qu’ils interdisent les rassemblements, qu’ils criminalisent le mouvement... La force des gilets jaunes, jusqu’à présent, a été de refuser le jeu très codé et normé d’un mouvement avec des interlocuteurs, avec des lieux de rassemblement déclarés, avec un parcours, avec un service d’ordre.

    Cette révolte décentralisée, sans tête, comporte son lot de dérives et d’incohérences politiques. Mais c’est aussi sa force et ce qui la rend aussi incontrôlable par les forces de police et par le pouvoir.

    Que le mouvement garde son ADN initial. Que les forces progressistes et sociales continuent de s’y greffer s’en tenter de les contrôler. Et que chacun prenne position et prenne ses responsabilité lorsque l’acte 4 arrivera. Il sera alors temps d’envisager un acte 5.