Le 28 novembre a eu lieu. Et il n’est pas passé inaperçu ! Entre 100 et 200 000 personnes à Paris, près de 500 000 sur toute la France. Au delà du nombre, il y a eu aussi la détermination. Face à une police volontairement en retrait et sur la défensive – pas pour autant en sous-effectif – une partie des manifestant·e·s ont fait bien plus que marcher.

« Est-ce que vous condamnez les violences des manifestants ? » la question des BFM, C-NEWS, TF1, etc.

Les images qui en découlent sont abondamment utilisées par les médias pour décrédibiliser la marche. Le pouvoir va essayer de légitimer la méthode « Lallement » en procédant à un inversement de la réalité pour donner l’illusion que la violence est du fait des manifestant·e·s barbares. Il n’en est rien, la violence est bien dans les politiques du pouvoir, dans le mépris des médias, dans les armes de la police. Rappelons-nous que c’est encore et toujours l’État qui fixe le niveau de violence en imposant cette loi qu’il défend ensuite par la force de son bras armé.

Évidemment, la dialectique du retournement de la violence n’a rien de nouveau. Et il y aura toujours les habituelles courroies de transmission du pouvoir pour se prêter à l’exercice. Il n’empêche, à l’heure d’une bascule très grave du pays dans un état post-fasciste, il convient de remettre les choses à leur place.

Quand la presse voit flou

Ce samedi, quelques voitures ont brûlé , des abris et des toilettes de chantier aussi. Une vitrine du concessionnaire BMW a volé en éclats. Un bâtiment de la banque de France a vu sa devanture s’enflammer. Et les policiers ont reçu énormément de jets de pavés, de fumigènes, de feux d’artifice et autres joyeusetés trouvées sur le chemin. Clairement, les ordres de la préfecture et du ministère de l’intérieur étaient de rester en retrait, d’intervenir le minimum possible. Pour éviter un maximum d’images de violences policières mais aussi pour mettre sur le banc des accusés les manifestants.e.s. Pour un temps, la police a préféré jouer aux victimes vu le contexte. Elle n’a pas hésité d’ailleurs à envoyer quelques uns de ses soldats en sous nombre pour se faire cartonner. Les ordres sont les ordres…

Quand les médias français pointent du doigt les « casseurs », de l’autre côté de la manche, The Guardian les appelle les « défenseurs des libertés de la Presse ». D’ailleurs, en France, on ne parle jamais de casseurs quand il s’agit des révoltes à Hong Kong, au Chili ou en Égypte. Ce sont des résistants. Des manifestants en première ligne qui affrontent le pouvoir autoritaire et sa police.

Que tout le monde ne veuille pas participer à ces actions est tout à fait compréhensible.

En revanche, ceux qui accuseront ces manifestant·e·s d’être responsables d’un éventuel échec du mouvement pour le retrait de la loi Sécurité Globale portent, pour le coup, une grave responsabilité dans ce qu’il risque de se passer dans les prochaines années. Quand un fascisme d’un nouveau genre frappe à nos portes, il est dangereux et même complice de vouloir trier entre les bons et les mauvais manifestants, entre les bons et les mauvais résistants. C’est une forme de régression vis à vis des mouvements sociaux précédents. Comme si nous n’avions rien appris du passé. S’il y a bien une leçon à tirer, c’est que la révolte populaire trouve une vraie puissance par la diversité des tactiques et le soutien inconditionnel des uns envers les autres, dans le respect des pratiques. Toutes. Violentes ou non violentes.

Ce que nous combattons en ce moment, ce n’est pas seulement l’article 24 de la loi Sécurité Globale. Ce n’est pas non plus uniquement la loi Sécurité Globale. C’est l’avènement d’une société post-fasciste qui se met en place. Une hybridation entre un état policier, une super structure technologique de surveillance et une ségrégation des musulmans que la prochaine loi Séparatisme entend écrire noir sur blanc.

Rarement dans l’histoire de la 5e république, la répression n’avait été aussi totale contre tous les mouvements sociaux (gilets jaunes, écolos, antiracistes, lycéens, féministes) mais aussi contre tous les corps de métiers : journalistes, avocat.ess, pompiers, profs, soignant.es, éboueurs, etc.

Rarement dans l’histoire de la 5e république, il n’y avait eu autant de mouvements sociaux massifs en si peu de temps. Depuis que Macron est président, des manifs à plus de 100 000 personnes ont eu lieu pour le climat, pour la justice sociale, contre le racisme, ou pour le droit des femmes. Aucun de ces combats n’a vu le pouvoir reculer, malgré l’ampleur des mobilisations. L’exemple le plus parlant reste la réforme des retraites, avec un passage en force via le 49.3.

La seule fois où Macron a reculé, très légèrement, c’était en décembre 2018, après les actes GJ les plus insurrectionnels. La fois où, rappelons-le, le roi s’était enfermé dans son Bunker par peur qu’une foule révolutionnaire ne vienne le chercher.

Il faut comprendre que ce pouvoir n’a rien de démocratique. Que le dialogue social n’existe pas et que les puissants sont en train de mettre en œuvre les outils légaux pour éviter que la contestation ne puisse s’exprimer, en dehors des contestations de salon et qui, au-delà du cirque médiatique, ne seront jamais prises en compte.

Comment le dogme de la non-violence protège l’État

Alors oui, ce samedi, ceux qui ont jeté des pavés l’ont fait pour changer de monde. Pour changer de société. Pour combattre le fascisme 2.0. Vous pourrez leur cracher dessus, les traiter de sauvages, les accuser d’être les idiots utiles du pouvoir. Mais c’est une illusion. Une illusion créée par ce pouvoir. (cf. « Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux » de Peter Gelderloos)

Nous préférons voir dans ces personnes la lueur et l’espoir face à l’obscur monde que Macron nous façonne. Qu’ils soient en noir, en jaune ou en rose, ceux qui ont participé aux actions offensives samedi à Paris (mais aussi dans de nombreuses autres villes) rêvent d’une société meilleure et moins violente.

Les « casseurs » et les « casseuses » ne sont rien de plus que des Farida – l’infirmière qui avait jeté un caillou à visage découvert le 16 juin dernier avant de se faire arrêter sauvagement. Ou des Christophe Dettinger – le boxer gilet jaune. La différence réside uniquement dans la tenue vestimentaire, écran de tous les fantasmes, alors qu’en réalité ce n’est qu’une tactique adoptée par une foule d’individus hétéroclites pour éviter l’identification policière.

Un tag populaire pendant les gilets jaunes disait : « On n’est pas des casseurs mais on va tout péter ». En vrai, le mot « casseur » est une étiquette saugrenue qui convient avant tout à la bourgeoisie pour décrédibiliser l’expression d’une violence légitime qui remet en cause son ordre inégalitaire. Les médias bourgeois aimeront parler de « haine anti-flic » aussi. Et ramener à une déviance un rapport de force. Les aspirations démocratiques qui se heurtent au bras armé du pouvoir ne sont pas des « haines anti-flic ».

Il faut ne jamais avoir été ces femmes et ces hommes qui se réveillent chaque matin la boule au ventre suite aux immondices de la veille. Ne jamais avoir eu le frigo vide et se battre pour que ça n’arrive plus. N’avoir jamais subit la ségrégation parce que pas les bons papiers français. N’avoir jamais eu envie de vomir lorsqu’un gilet jaune prend de la prison ferme pour une porte de ministère défoncée au fenwick alors qu’un policier meurtrier continuera à être en liberté.

Voir clair dans la tempête

A l’image d’un camion de syndicat qui passait avec son gros cortège après les affrontements et qui eut l’intelligence de passer dans sa sono « Mais qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu » de NTM, il s’agit maintenant de voir la suite et comment nous allons tenir ensemble avec nos diversités pour dégager cette loi et tout le projet post-fasciste qui vient derrière.

Les manifestations de ce 28 novembre sont une réussite : force numérique, actions offensives, but commun, organisation des colères et parfois déchainement de colère, comme pour rappeler qu’on n’est pas là que pour se représenter, mais pour agir. Mais ne soyons pas dupes et rappelons que toutes les luttes émancipatrices des derniers années ont un triste point commun : leur échec.

Les défaites des derniers mouvements sociaux nous ont prouvé qu’on ne peut continuer à se battre avec la naïveté du réformisme. C’est une impasse dangereuse qui ne fait qu’étouffer les chances de réel renversement en faisant croire à des milliers de gens qu’il suffira d’invoquer le droit et de voter aux prochaines élections. « il nous semble incroyablement naïf, ou alors d’une hypocrisie plus ou moins dissimulée, de croire que l’on nous remettra gentiment les rênes du pouvoir, l’argent du coffre ou les clés de la ville simplement par bonté d’âme. » (Peter Gelderloos)

La vérité c’est que les institutions jouent contre nous. Ceux qui ambitionnent de gérer des mouvements sociaux en ordre discipliné et convenable aux yeux du pouvoir ne travaillent qu’à la maintenance de ce système inégalitaire.

Nous sommes des millions à vouloir un changement profond et émancipateur. On crie sans cesse « ça va péter ». On reprend à tue-tête les chants du mouvement insurrectionnel des gilets jaunes. Il ne suffira pas de le dire pour le faire. Un jour, il faudra se remonter les manches et avoir le courage de regarder en face la violence et l’inventivité nécessaire qu’il faut pour faire tomber le monde qui nous opprime.

Tant qu’on se battra avec les modalités choisies par le pouvoir et le folklore qui est admis dans les médias bourgeois, nous ne serons que des figurants et les luttes ne seront que des illusions nous entrainant malgré nous dans un monde toujours plus fermé, autoritaire, ségrégationniste… Et sous surveillance.