Initialement publié le 19 janvier 2021
Ce n’est pas dur d’avoir 20 ans en 2020. C’est humiliant. C’est violent. C’est affamant. C’est froid, glacial.
En 2021, c’est mortel.
Inutile de rappeler les mort·e·s. Celles et ceux qui ont sauté, pris des cachets, tranché leurs veines. Inutile de compter le nombre de ceux qui y ont pensé. Vous n’y arriverez pas.
On parle beaucoup de cette jeunesse en ce moment. Celle qui déprime de manière industrielle. Celle qui décroche, qui arrête les études, qui démissionne. Celle qui va en rave party un 31 décembre. Cette jeunesse qui ne vote pas. Cette jeunesse isolée, individualisée, cachée derrière son écran pour suivre les cours, le code de la route, le travail, pour voir ses camarades, ses collègues ses amis, et même pour prendre l’apéro.
Cette jeunesse désignée comme responsable de la propagation du virus, responsable des couvre-feux.
On en parle pas mal de cette jeunesse qui doute du vaccin. De son efficacité, et même de ce qu’il y a dedans.
On en parle vraiment beaucoup de cette jeunesse. Les vieux en parlent beaucoup.
La jeunesse ici décrite ne correspond pas à une tranche d’âge mais à un mode de vie, à des envies et des besoins. La jeunesse ici décrite désigne l’ensemble des personnes qui aspire à quelque chose de plus sensible, de plus désirable et vivant qu’un mortifère mode de vie « métro, boulot, dodo ». Qui n’a pas comme première préoccupation un crédit sur 20 ans ou des responsabilités. Ainsi, les vieux, ce ne sont pas ceux qui ont un certain âge, qui ont passé la crise de la quarantaine où qui sont à la retraite. Ce n’est pas ça un vieux. Un vieux c’est quelqu’un qui appartient à un autre temps. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, 31 ans est un vieux quand il annonce le couvre-feu à 18h. Quand il dit aux « vieux » d’attendre avant de pouvoir prendre rendez-vous pour le vaccin. Il appartient à ce vieux monde, plein de mépris, d’arrogance, de conservatisme puant, que chaque enfant qui sommeille en nous veut voir pourrir.
Et puis y’a l’autre vieux, 43 ans, qui nous a regardé droit dans les yeux, avec son air de chien battu. Sa voix tremblante, ses mains l’une dans l’autre, comme en prière, et la répétition des premiers mots de sa phrase pour appuyer le drama. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020… c’est dur. »
Avoir 20 ans c’est humiliant, car l’ensemble de notre vie est à l’arrêt. Elle se résume à un appart exigu, une visioconférence, et un allez retour chez Lidl. Parfois derrière le Lidl pour récupérer les denrées périmées. C’est humiliant car il y a de ces vieux qui nous humilient. Tous les jours à la télé, dans les discours, dans les repas de famille, sur les réseaux sociaux. Nous sommes inconscients, irresponsables, nous manquons de jugeote. Après un an, on a rien pigé. On est tenus pour responsables de tous les maux.
Avoir 20 ans c’est violent car nous n’avons quasiment plus rien à quoi nous raccrocher. Plus rien de désirable. Alors on arrête ce qu’il nous reste car ce qui nous reste n’a plus de sens. Le travail n’a pas de sens, les études n’ont pas de sens. Rien n’a de sens. On perd le goût et l’odorat. On perd l’envie. On perd nos partenaires, on oublie des amis qu’on n’a pas sélectionné dans le cercle de personnes qu’on a le droit de continuer de voir, on arrête nos études, on démissionne.
Avoir 20 ans c’est affamant. Littéralement. On n’a pas de thunes, pas de quoi manger. Des gens quittent leur appart et retournent chez leurs parents. D’autres squattent des colocations où il y a de la place pour une personne en plus. D’autres ouvrent des squats, d’autres encore ne paient plus leur loyer et attendent la procédure d’expulsion.
On récupère les légumes de fin de marché ou les périmés des supermarchés. On attend dans les interminables files des restos du cœur.
Avoir 20 ans, c’est glacial. On est congelé dans une bulle sociale si étroite qu’elle nous étouffe. Toute chaleur humaine a disparu. Une froide tension envahit nos corps et nos esprits. On est irrité en permanence. Rester dans son appart devient insupportable aux bout de quelques heures. Ce lieu, on l’associe désormais à une extrême solitude.
Dans cet espace exigu, on ronge notre frein. On regarde le velux, ou le tas de médocs dans l’armoire. On voit notre vieux compas du lycée. On réfléchit, on y pense. On va dormir car il n’y a que ça à faire pour passer l’idée noire.
« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 ». Par cette phrase, le vieux qui nous gouverne balaie d’un revers de main toutes responsabilités, les faisant reposer sur une année et un virus.
L’état catastrophique de la jeunesse ne date pourtant pas du Covid qui ne sert que de révélateur au mépris dont ces vieux font chaque jour la démonstration. La pandémie n’est qu’un amplificateur d’un mal-être connu et chiffré depuis des années.
Un mal-être voulu, organisé.
Il n’y a qu’à voir le nombre de psychologues par étudiant.e.s. 1 pour 30 000 étudiant.e.s. Le chiffre va doubler paraît-il. 1 pour 15 000. Remercions le roi. Un psychologue pour quelques dizaines d’étudiant.e.s ne suffirait pas à endiguer la catastrophe. Un numéro vert encore moins.
Il n’y a qu’à observer les nombreuses réformes de l’enseignement et les impacts qu’elles ont eu sur les concerné·e·s.
Il n’y a qu’à voir le Service National Universel qui a pour unique but de mettre la jeunesse au garde à vous, où encore la mise en place des Pôles universitaires avec les nombreuses fusions, qui déshumanisent les lieux d’études.
Il y aurait tant d’exemples à donner.
Ils organisent la mise au pas et la léthargie d’une jeunesse déjà sous Xanax, et cela semble magistralement fonctionner.
Nos conditions d’études et de vies, nos états psychiques, nos mort.e.s auraient dû faire déborder le vase il y a bien longtemps. Mais le vase ne déborde jamais. Il ne fait qu’augmenter sa capacité à mesure que nous acceptons tel ou tel coup de massue. Pendant ce temps, nous nous avérons de plus en plus incapables d’organiser une nuit de fête, de retrouvailles, de révolte alors que ce serait sans doute la chose la plus réconfortante, la plus intéressante, la plus vivante et la plus utile que nous aurions faite ces 12 derniers mois.
Il y a à coté de chez moi un grand bâtiment, une ancienne école je crois.
Je rêve d’y faire venir mes anciens profs et mes anciens camarades que j’ai – comme des milliers d’autres – arrêté de côtoyer par webcam interposée.
Je rêve de nous y retrouver, d’investir le lieu, de nous l’approprier. D’échanger, de faire cours, de faire une assemblée générale, d’en faire un lieu d’apprentissage physique, libre et accessible à tous et toutes. Je rêve de la pause café, d’une balle au prisonnier dans la cour, d’un banquet prix libre pour le midi. Je rêve de discuter du cours précédent avec une personne qui en fut passionnée.
Je rêve de tout ça, mais ça n’arrivera pas, car la jeunesse, sa force de création, sa capacité à se révolter, sa joie de vivre est à l’état végétatif.
C’est dommage, on aurait pu faire un truc mortel de toute cette grisaille!