C’est un des paradoxes de notre époque : en France, jamais nous n’avons connu autant de mouvements de protestation d’ampleur. En intensité comme en nombre de personnes. Et si rapprochés dans le temps.
Et jamais nous n’avons connu autant de défaites : Gilets Jaunes, Retraites, Grève du climat, BLM puis la révolte des quartiers après la mort de Nahel, Loi sécurité globale, mouvement anti pass sanitaire…
La liste est longue et incomplète.
Le constat est glaçant, et nous oblige à nous questionner. Prenons la dernière défaite majeure en date : la réforme des retraites. Bien sûr, on pourrait tenter de refaire le match et dire ce qu’il aurait fallu faire différemment pour arriver à faire plier le gouvernement. Bien sûr, les syndicats ont été défaillants à bien des égards.
Mais sincèrement, qui pense vraiment qu’il existait un scénario qui ferait plier le pouvoir sur ce point ?
Le mouvement a tout eu : une durée inédite, des mobilisations massives, des actions hors manif, des aspects insurrectionnels et clairement offensifs, un soutien important de la population….
La réalité, c’est que le pouvoir actuel avait décidé de passer sa réforme réactionnaire coûte que coûte. Et que désormais, dans notre société, il est « accepté » qu’un pouvoir fasse passer (en 49.3 en plus) une réforme dont la majeure partie de la population ne veut pas et qui met des millions de personnes dans la rue pendant des mois.
Le pouvoir actuel le sait et en profite. Et les prochains gouvernements feront de même.
En quelques décennies, le contrat implicite passé entre la population et ses « gouvernants » a totalement basculé. Il y a 20 ou 30 ans, on aurait jamais imaginé que des mouvements sociaux d’une telle ampleur ne débouchent pas sur des compromis du gouvernement en place. Aujourd’hui, en raison de la violence de la société ultra libérale et la propagande des médias qui la servent, cela est devenu « normal ».
La preuve de ce terrible constat se trouve également du côté des Gilets Jaunes. Comment pouvait-on imaginer qu’une telle révolte n’aboutisse à aucun changement politique, pas même un remaniement ? Le pouvoir a tremblé, s’est barricadé, mais n’a concédé que des miettes.
Qui aurait pu prédire que tout resterait comme avant ? Voire pire.
Car c’est aussi la force de ce système : non seulement il ne cède pas aux protestations sociales, mais il arrive à se renforcer à chaque séquence, notamment sur son volet répressif, sécuritaire et liberticide.
On se retrouve donc avec l’équation suivante : chaque mouvement de lutte est voué à l’échec, et donne l’occasion au système de renforcer son arsenal répressif et autoritaire.
Pour autant, il ne faut ni blâmer les personnes qui luttent, ni décourager les prochains mouvements. Mais il faut rester lucide sur la situation inédite.
Car l’horizon n’est pas totalement bouché. Il n’y a en fait désormais qu’une seule issue « positive ». Elle est très lointaine mais elle est atteignable et magnifique : il s’agit de faire chuter le système capitaliste. De le détruire. Et de reconstruire un autre monde.
On le sait désormais, il n’y aura plus de « petites victoires ». Le système politique et médiatique a réussi à faire accepter l’idée qu’un pouvoir en place puisse passer en force et écraser toute constestation (qu’importe sa forme et son fond). La victoire viendra donc du fait de détruire ce système. Sans parler d’un grand soir, il s’agit bel et bien d’imaginer la fin du capitalisme et de réussir à créer un nouvel horizon politique et de vie commune, et ce, bien au delà de la France.
Car le système capitaliste est ainsi fait qu’un seul pays (qui plus est occidental) ne peut s’en extraire seul. L’exemple de la Grèce il y a dix ans est pour le coup plus qu’éclairant. Un gouvernement, si anticapitaliste soit-il, ne réussira pas à sortir seul du système capitaliste.
Il faut donc travailler dès maintenant à des jonctions de luttes entre différents pays, que ce soit sur les thématiques climatiques, sociales ou anti racistes. Les raisons de se réunir au-delà des frontières ne manquent pas. Il faut également se déconstruire politiquement pour trouver des horizons et des projets réellement solidaires et à même d’être une alternative aussi crédible que radicale vis à vis du capitalisme.
Il faut aussi préparer le terrain à ce que ce basculement puisse exister. Et il ne se fera pas sur une lutte, mais au travers de plusieurs luttes, qui pousseront ensemble, dans un espace temps commun. Pour cela, une contre-culture révolutionnaire et insurrectionnelle doit se développer. Cinéma, musique, théâtre mais aussi des médias autonomes, des clubs sportifs, des bars, des restaurants, des espaces autogérés. Il faut qu’un maximum d’espaces fassent sécession avec cette société. Sans se fermer au reste du monde, mais en invitant les autres à les rejoindre, même l’espace d’un concert, d’un match de foot ou d’un weekend de teuf.
Tous ces espaces doivent alors se tenir prêts, et pouvoir participer au basculement le jour où il sera possible.
Tout cela est évidemment très diffus et incertain. Mais c’est à nos yeux le seul moyen de sortir vraiment par le haut de cette spirale mortifère pour le vivant dans lequel nous entraîne ce monde capitaliste. L’idée n’est pas de crier à la convergence des luttes. Mais de prendre acte que notre société n’accepte plus que la rue puisse donner son avis et influer sur le cours de l’histoire. Le peuple ne peut désormais « participer » que lors des élections. Et ces élections ne sont en aucun cas une issue pour sortir du système.
Pour changer la donne, il faut donc changer le système. Et pour changer le système, il faudra le détruire. Car les puissants qui en profitent ne laisseront pas les choses changer sans qu’ils y soient contraints.