Il y a quelque chose de puant dans l’air. Une sensation d’avoir déjà perdu, qu’importe le résultat du second tour des législatives.
Les trois semaines que nous venons de passer ont une nouvelle fois confirmé que ces campagnes électorales n’ont jamais vraiment servi les causes populaires. Ou du moins, que cela fait bien longtemps que ce n’est pas arrivé. Mais celle-ci apparaît comme particulièrement déconnectée de nos aspirations.
Finalement, c’est comme si nous n’assistions ni plus ni moins qu’à une simple restructuration des camps politiques, pour et par les camps politiques, qui trouverait sa légitimité par l’élection.
Il ne s’agit pas de gouverner, mais de clarifier. Et ce qui apparaît clairement au soir du 1er tour, c’est que personne ne sera en capacité de gouverner.
Bien que le RN puisse obtenir une majorité absolue, il devra faire face au « front républicain » qui a pour but de le bloquer au second tour.
Si le parti d’extrême droite arrive à obtenir une majorité à l’Assemblée, il devra cependant faire face à un régime de cohabitation dont les pouvoirs reviennent pour une partie au président.
L’union de la gauche ne semble pas quant à elle avoir réussi son pari, et risque, de manière prévisible, d’éclater une fois arrivée à l’Assemblée. Plusieurs de ses composantes ne manqueront pas de trahir le programme présenté pendant la campagne, dès l’élection passée.
Le macronisme est quant à lui presque mort. La triste réalité est que seul un Macron isolé semble en capacité de gouverner. Car président à la tête d’un régime semi-présidentiel.
Dans le refus de son déclin pourtant évident, le président nous prépare à « la guerre civile », à « l’article 16 ». Le macronisme vit une mort lente et douloureuse. On en observe l’agonie à chaque prise de parole du camp présidentiel clamant qu’il est le seul à faire figure de « républicain ».
Le bloc central faisait ses dernières en mettant sur le même niveau l’ensemble de ses adversaires dans un ni-ni nous faisant croire que l’extrême droite et la gauche sont le même désastre pour la démocratie. Hier soir le discours fût plus mesuré, tant la survie de chaque siège à l’Assemblée peut bien s’accommoder d’une gauche qui éclatera et dont une partie rejoindra le camp présidentiel.
De ce regard, ces élections n’ont rien de joyeux. Ce que l’on nous propose est de choisir notre désastre. Le péril (néo)fasciste d’un côté, ou son plus grand allié, la trahison historique social-démocrate. Ce qu’a permis la dissolution c’est une pirouette politique nous obligeant, par effet d’urgence, à espérer que notre salut viendrait du Rassemblement National, du macronisme ou du Nouveau Front Populaire. Nous n’avons qu’une réponse a apporter à cette provocation : Nous sommes notre propre solution.
Les dissolutions d’Assemblée Nationale sont, historiquement et partout sur le globe, un moment d’instabilité politique qui permet parfois à la population de faire un pas de plus dans une perspective révolutionnaire.
Disons-le clairement, la temporalité (urgente) et l’espoir d’alternative électorale que provoquent ces élections législatives ordonnées par le chef de l’État selon son agenda nous empêchent de penser plus loin.
Les manifestations parisiennes appelant à la mobilisation derrière le Nouveau Front Populaire auraient dû a minima réclamer la convocation d’une assemblée constituante plutôt que d’entretenir l’espoir vain d’un vote pour une union de la gauche aussi pâle et triste que celle qui nous est proposée. Ce cloisonnement de l’imaginaire par l’échéance électorale nous montre à quel point la révolution n’est pas à l’ordre du jour alors que, 5 ans plus tôt, celle-ci était au centre des débats lors du mouvement des gilets jaunes. C’est bien la contre-révolution qui est à l’œuvre aujourd’hui en France et en Europe.
Pour autant, le résultat des élections pourrait provoquer un nouvel embrasement du pays. Qu’importe la composition de l’Assemblée, celle-ci pourrait être un affront de trop pour une grande partie de la population et devrait engendrer dans la foulée un mouvement social d’ampleur même dans le cas d’une victoire du NFP dont la composition obligerait les travailleurs à se mettre en mouvement pour éviter toute trahison de l’accord électoral.
Ce qui est le plus probable est une absence de majorité qui amènerait à l’enlisement de l’instabilité politique dont la rue ne tarderait pas à se défaire.
L’histoire des instabilités parlementaires est riche en apprentissages. En 1830, le régime de la restauration en place depuis une quinzaine d’année est usé et la situation économique du pays extrêmement compliquée.
Le gouvernement de Jules de Polignac doit affronter les deux partis d’opposition dans la Chambre des députés. Le Roi prononce le 16 mai la dissolution et convoque les électeurs les 23 juin et 3 juillet 1830. Les élections de juillet sont un triomphe pour l’opposition. Mais plutôt que d’accepter le verdict des urnes, Charles X préfère avoir recours aux ordonnances permises par l’article 14 de la Charte et prononce une nouvelle dissolution ainsi qu’une modification de la loi électorale.
En réponse, des Parisiens se soulèvent, dressent des barricades dans les rues et affrontent les forces armées. L’émeute se transforme rapidement en insurrection révolutionnaire.
En 1871 les élections législatives du 8 février, organisées dans la précipitation pour ratifier au plus vite l’armistice avec les Prussiens signée dix jours plus tôt, envoient une forte proportion de monarchistes (400 députés), candidats des listes « pour la paix », à l’Assemblée Nationale. La gauche parisienne n’eut pas le temps de faire campagne dans les circonscriptions rurales où la majorité de l’électorat était encore concentrée. Ces élections seront un des éléments de contexte déclencheur de la période insurrectionnelle de la Commune de Paris.
Sans vouloir se jeter bêtement dans une analyse du type “l’histoire se répète”, les instabilités politiques telles que celle que nous vivons actuellement peuvent être celles qui font l’Histoire, dans le bon sens du terme. L’histoire des peuples, qui reprennent en main leurs conditions matérielles d’existence.
Mais elles peuvent également, à l’image de 1933, être l’avènement du pire. Le 1er février, le président du Reich allemand, Paul von Hindenburg signe le décret de dissolution des chambres, qui fixe la date des élections au 5 mars. Comme nous le savons, le NSDAP fera plus de 40% des voix et obtiendra une majorité en s’alliant avec le Parti national du peuple allemand.
Par ces crochets historiques, ce que nous essayons de dire c’est qu’aujourd’hui il ne s’agit pas tant de faire un choix entre le NFP, le Macronisme ou le RN.
Alors que Macron se prépare à gouverner seul, que les oppositions au macronisme n’offrent aucun possible désirable, ces élections nous obligent à faire un choix tout à fait en dehors de la question du vote. Celui de la tentation fasciste ou du désir révolutionnaire. Nous avons fait le nôtre.
Crédit photo : Nicolas Messyasz/SIPA pour l’Humanité.