
La condamnation à 7 ans de prison ferme du journaliste français Christophe Gleizes par la justice algérienne expose un système politique crispé, une relation diplomatique franco-algérienne sous tension… et l’incroyable pouvoir du football dans les dynamiques de contestation.
Arrêté en mai 2024 alors qu’il réalisait un reportage sur la JS Kabylie (JSK), club mythique et symbole de l’identité kabyle, Gleizes a été accusé « d’apologie du terrorisme » pour avoir rencontré un dirigeant du club impliqué dans le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) — organisation classée terroriste par Alger.
Tout indique que Gleizes paie autant un climat géopolitique envenimé qu’une prétendue faute professionnelle.
Les tensions entre Paris et Alger — mémorielles, politiques, migratoires — ont atteint un niveau où un journaliste devient une monnaie d’échange symbolique.
Le message est clair : dans la rivalité franco-algérienne, chaque détail compte. Et chaque Français, même journaliste, peut devenir un levier de pression.
Le fait que « sa nationalité ôtait toute inclination à la clémence » n’est pas un détail anodin : il s’agit d’un aveu sur la dimension politique du verdict.
Cette affaire révèle surtout la crispation autoritaire du régime algérien, notamment lorsqu’il s’agit de la Kabylie, région dont les revendications identitaires sont vues comme une menace pour l’unité nationale.
La moindre enquête, le moindre témoignage, la moindre image filmée autour de ce sujet sensible devient suspecte. Le pouvoir y voit la possibilité d’un « soulèvement régional », d’une contestation populaire, d’une fracture politique.
Condamner un journaliste étranger pour un simple reportage, c’est envoyer un signal : Aucune mise en lumière de la Kabylie ne sera tolérée.
Ce qui rend cette affaire encore plus révélatrice, c’est le sujet du reportage : le football.
La JSK, ce n’est pas seulement un club. C’est une institution identitaire kabyle, un lieu où la contestation culturelle et politique s’exprime parfois plus librement que dans l’espace public.
En algérie comme ailleurs dans les pays arabes, les tribunes deviennent des espaces d’expression, y compris de la colère populaire. Et donc, peuvent devenir des foyers potentiels de mobilisation sociale.
L’État le sait. Et un journaliste qui filme ces dynamiques dans une région réputée frondeuse… devient, malgré lui, un acteur menaçant pour le pouvoir.
en France, Une indignation… très sélective
Un élément frappe : le silence relatif des médias et des personnalités politiques françaises sur l’affaire Gleizes. Rien à voir avec l’affaire Boualem Sansal, qui a déclenché tribunes, plateaux TV, indignations unanimes dès qu’il a été empêché d’entrer en Algérie.
Cette différence de traitement n’est pas anodine. Boualem Sansal s’inscrit dans une pensée très compatible avec le climat islamophobe dominant en France : discours sur « le danger islamiste », « la civilisation menacée », etc. Résultat : il s’intègre parfaitement dans les obsessions françaises du moment, ce qui explique pourquoi son cas mobilise autant les élites politico-médiatiques.
Christophe Gleizes, lui, n’entre dans aucune des cases confortables du débat public français. Il ne valide aucune narration rassurante ou utile. Il ne sert aucune croisade idéologique.
Et surtout : il enquêtait sur la Kabylie, un sujet complexe, loin des raccourcis « civilisationnels » appréciés dans les médias mainstream.
Son cas n’indigne pas, parce que son histoire ne peut pas être instrumentalisée.