Initialement publié le 6 janvier 2020
Les mots sont importants. Dans une période où les termes sont dévoyés, où plus rien ne semble vrai ou faux, il nous est toujours apparu important de tenter de laisser chaque mot à sa place et de les utiliser avec la plus grande attention. Aussi, alors qu’Emmanuel Macron arrive à la moitié de son mandat de Président, il nous apparaît crucial de nommer avec précision le régime actuellement en place et qui pourrait influer pour de nombreuses années sur l’avenir de notre société.
Dans une période où les USA sont dirigés par Trump, le Brésil par Bolsonaro et le Royaume-Uni par Boris Johnson, on pourrait s’estimer « heureux » d’avoir comme chef d’Etat une personne comme Macron, celui-ci pouvant apparaitre comme moderne et mesuré face aux caricatures précédemment citées .
Mais c’est en cela qu’il est si dangereux. Car oui, depuis deux ans et demi, Macron mène une politique ultra-autoritaire : opposants politiques mutilés, tués ou emprisonnés, journalistes et observateurs des droits de l’Homme agressés et persécutés juridiquement, lycéens humiliés, installation de milices ultra violentes et sans compte à rendre. De semaine en semaine, la France plonge, sans même s’en offusquer, dans un état autoritaire. Plus personne ne s’étonne de voir des centaines de policiers équipés d’armes de guerre dans les rues de nos villes. La norme est désormais placée du côté d’une vie régie par des cadres autoritaires.
Définition de l’autoritarisme ? Système politique où l’autorité est érigée en valeur suprême. Un régime politique autoritaire est celui qui par divers moyens (propagande, encadrement de la population, répression) cherche la soumission et l’obéissance des individus composant la société.
Comment ne pas considérer la France comme répondant parfaitement à ces termes ? Désormais, le préfet de Paris parle d’être dans un camp, et assume que son parti est celui de l’ordre. Le bruit des bottes est déjà derrière nous.
Dans plusieurs décennies, on regardera notre période en se disant qu’en quelques mois, les citoyens français ont vu leur liberté se réduire, avec le silence complice du plus grand nombre des secteurs qui auraient pu s’y opposer (politiques, associatifs, médiatiques…). Une période où il aura été accepté que des personnes soient arrêtées pour simple port d’un gilet jaune. Où des milliers de citoyens se sont vus privés de leur droit de manifester. Ou une personne en fauteuil roulant s’est vue condamnée à de la prison parce que présente en manif avec une arme (son fauteuil). Où deux jeunes allemands ont été emprisonnés pour possession de livres jugés « trop radicaux » (mais pourtant en vente libre).
C’est également ce moment de l’histoire où la force aura tué, de Steve à Zineb en passant par Aboubacar. Et ce, sans jamais être inquiétée puisque faisant partie d’une stratégie claire de l’état. Il n’y a pas eu de bavure pour toutes ces victimes. Elles étaient nécessaires pour le pouvoir.
Alors oui, depuis plusieurs mois, nous utilisons le terme d’autoritarisme pour parler du système politique français de 2019. Il ne s’agit pas de totalitarisme puisque la pluralité de partis et de syndicats est toujours présente. Mais il s’agit bien d’autoritarisme. Et c’est déjà énorme, et trop pour être compatible avec la démocratie. Pire. Nous estimons aujourd’hui que le pouvoir actuel prend la direction d’un post fascisme, celui d’un système économique ultra libéral qui use de tous les coups possibles pour se maintenir.
Le pouvoir actuel est tolérant, ouvert et moderne… tant qu’il n’est pas remis en cause. En cela, il rappelle certains dictateurs récemment tombés lors des révolutions arabes. En Tunisie, tant qu’on ne remettait pas en cause Ben Ali, tout semblait aller très bien. Mais on ne peut être libre partiellement. On est libre. Ou on ne l’est pas. Et les « démocraties » actuelles nous disent ceci : « vous êtes libres, tant que vous ne remettez pas en cause le système ».
En France, l’inattendu mouvement des Gilets Jaunes a permis de révéler le véritable visage du pouvoir. Si sa violence s’était déjà manifestée lors des mouvements contre la Loi Travail, avec déjà des milices hors de tout contrôle (Benalla power), tout a éclaté au grand jour et de façon évidente avec le mouvement GJ. Jamais depuis 60 ans la France n’avait connu une telle régression autoritaire.Les opposants politiques de 2020 se savent traqués , virtuellement et sur le terrain. Des centaines de citoyens sont derrière les barreaux pour simple participation à des mouvements sociaux. D’autres ont perdu un œil, une main ou une jambe. Les chiffres ressemblent à ceux d’une guerre civile. Parce que le pouvoir en a voulu ainsi.
Peut-on malgré tout parler de fascisme en France ? Le fascisme « originel » se définissait, selon la propre formule de Mussolini par : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! » L’État est ainsi érigé comme la structure ultime à protéger, bien plus que la démocratie, ou, hérésie, l’humanisme, l’égalité, la fraternité. A l’époque, le fascisme se définissait comme une réaction aux valeurs de l’humanisme démocratique du siècle des Lumières et rejetait les droits de l’homme, le communisme, l’anarchisme, les libertés individuelles et le libéralisme.
Évidemment que le pouvoir actuel en France est très éloigné de ce qu’a pu mettre en œuvre Mussolini. Mais il révèle de plus en plus une couleur objectivement fasciste dans sa criminalisation de tous ses opposants, dans sa volonté de contrôle absolu de la vie des citoyens, dans la terreur quotidienne imposée, dans sa volonté de faire de l’état une structure au-dessus de la justice, au-dessus de tout contrôle, ayant tous les droits.
Si on enlève le décorum de la Ve république, les belles images d’un gouvernement moderne, jeune et à l’écoute, si l’on regarde les faits, les chiffres (d’arrestations, de blessés, de morts) la France n’a plus grand chose d’une démocratie. Si ce n’est ses élections (où gagne celui ou celle qui a le plus d’argent et de médias dans sa poche). Car la démocratie, ce n’est pas pouvoir voter tous les cinq ans.
Définition de la démocratie ? Prenons trois définitions :
Selon Paul Ricoeur : « une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage ». La France n’y est clairement pas.
Selon Alexis de Tocqueville, la démocratie est un Etat social dans lequel les citoyens sont égaux : l’égalité devant la loi, l’égalité des chances, l’égalité de considération.
Selon Montesquieu, la démocratie est un système politique basé sur la vertu et dans lequel le peuple est sujet et souverain. Tous les citoyens sont égaux et leurs représentants sont choisis par tirage au sort.
Clairement, sur aucune de ces définitions, la France ne peut se prétendre aujourd’hui une démocratie.
Alors oui, les mots sont importants. Très importants. Et c’est pour ça que nous affirmons qu’il n’est plus possible de parler d’un état démocratique en France. Et qu’il est désormais essentiel de l’appeler selon les termes qui conviennent : un état autoritaire, en voie de fascisation.
Dire cela n’est pas une posture provocatrice ou militante mais l’unique possibilité pour celles et ceux qui respectent vraiment la démocratie et qui se battent pour elle. Dire cela, c’est aussi prendre acte de la situation et en tirer les conséquences dans nos vies quotidiennes. On ne vit pas pareil si on se sait dans un état fasciste. On résiste différemment. On fait des choix différents. Et c’est pour cela qu’il est important de ne plus laisser passer l’imposture du voile médiatique d’une démocratie en France.
Ce fascisme particulier qui nous pend au nez, dont on ne sait pas si on est déjà dedans ou non, c’est aussi celui qui s’organise autour des « innovations » technologiques. Après l’arsenal de lois « renseignement » et antiterroristes de ces dernières années, la France se situe clairement à la pointe des pays dits démocratiques par ses moyens juridiques et policiers de surveillance et de contrôle de sa population civile. Loin de questionner cette singularité et d’en évaluer les risques en termes d’atteintes aux libertés publiques, et sous l’impulsion des acteurs économiques du secteur, ce gouvernement semble lancé, sans aucun débat public sérieux, dans une course aveugle au déploiement de technologies de surveillance de masse.
On constate par exemple aujourd’hui la mise en place de nombreux dispositifs locaux de type « Smart City » : « Observatoire de la tranquillité publique » à Marseille, « Safe City » de Thalès à Nice et à La Défense, portiques de reconnaissance faciale dans deux lycées de la région Sud, vidéosurveillance intelligente à Toulouse, Valenciennes, dans les Yvelines ou dans les couloirs du métro à Paris, capteurs sonores à Saint-Etienne, déploiement de drones à Istres (cf. projet Technopolice). Derrière cette dénomination inoffensive de « Smart City » se cache en réalité le projet de mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières.
Au niveau national, le Fisc peut désormais procéder à la captation et l’analyse de masse des données des réseaux sociaux. Et le gouvernement veut donner à la police l’accès à l’ensemble des données nominatives de voyage en train, avion ou bateau. Par ailleurs le projet Alicem poussé par le gouvernement constitue clairement la première pierre d’une identification administrative par reconnaissance faciale.
De manière insidieuse, des cadenas se verrouillent donc autour de nous. Petit à petit, à coup de « il n’y a pas d’alternative », à coups de conflits d’intérêts privés, l’Etat, qui n’est plus qu’un gouvernement technique doté d’une police, nous amène dans une voie qui entrave nos libertés fondamentales en appelant ça le progrès. Mais ça n’est pas le progrès. La Chine et son effrayant système de « crédit social » sont là pour nous rappeler à quel point l’idée – qui nous est vendue par la start-up nation – que le progrès technologique serait nécessairement porteur de progrès social constitue un leurre fécond d’une dystopie technologique de marché, une tyrannie de ceux qui détiennent les moyens de contrôle sur l’ensemble de la population.
Le pouvoir politique peut évidemment continuer d’arborer ses fétiches démocratiques – suffrage universel, pluralité des partis politiques, séparation des pouvoirs, laïcité – mais si l’état néolibéral moderne est, par certains côtés, très éloigné du fascisme historique du 20è siècle, il dispose de moyens de contrôle et de coercition arbitraires incomparables qu’il mobilise déjà contre ses opposants. Après deux ans et demi de pouvoir Macron, le fameux barrage du second tour de l’élection présidentielle apparaît de plus en plus comme un mariage.