Initialement publié le 27 mars 2019
L’une des composantes essentielle, et hautement subversive, du mouvement des Gilets Jaunes se situe dans sa construction totalement horizontale : pas de chef, pas de leader, pas d’organe de direction.
Le pouvoir et les médias ont bien tenté de faire croire l’inverse en portant certaines figures du mouvement en haut de l’affiche, accentuant ainsi leur visibilité publique. Mais cela n’a pas suffit pour rendre ces personnes représentatives d’autre chose que d’eux-mêmes. Et c’est déjà bien suffisant.
Car il n’y a rien qui dérange plus le système que de ne pas avoir d’interlocuteur identifié; de personnes à cibler pour apaiser la grogne, que ce soit par la menace ou par la séduction.
L’acte 18 est en cela révélateur de cette horizontalité. Aucune « figure médiatique » des GJ n’est à l’origine de cet appel national à converger sur Paris. Certains ont décidé de soutenir l’appel, d’autres non. Mais ils n’étaient en aucun cas à la manœuvre. Pas plus qu’une fantasmatique organisation de black bloc qui aurait décidé de manière centralisée de détruire les Champs-Élysées ce jour-là.
Non, la réalité est que certains GJ ont lancé dans leurs groupes locaux l’idée d’organiser à nouveau un acte centralisé sur Paris. Plusieurs dates circulaient même sur les réseaux sociaux dès le mois de janvier. Et personne n’était en mesure de décider pour tous d’une date. Finalement le 16 mars s’est imposé collectivement par le simple jeu des décisions individuelles : décision de participer aux événements facebook parisiens (et à ceux des régions), décision d’en parler et d’inviter ses amis, décision de lancer des groupes de covoiturage ou d’aide au logement. Ce sont des milliers de décisions prises par des milliers de citoyens qui ont abouti à cet acte 18.
Manif déclarée, manif sauvage, occupation d’un lieux, blocage de rond point, sit-in, barricades… Chaque Gilet Jaune a l’autonomie de prendre part ou non à une action, tout comme il peut lancer une initiative, IRL et/ou virtuelle. Libre ensuite à chacun de s’y associer ou de s’en dissocier.
Si cette organisation totalement horizontale peut, de prime abord, sembler moins efficace qu’une organisation très hiérarchisée avec un organe de direction et des responsables par pôles (communication, juridique, action…), elle est beaucoup plus forte sur le long terme. Car elle évite les jeux de pouvoirs inhérents à toute organisation (y compris celle les plus libertaires).
Elle permet également d’expérimenter les notions d’autonomie et d’autogestion, offrant l’occasion de comprendre que ne pas avoir de chef ne signifie pas vivre dans le chaos.
Le mouvement permet enfin de mettre à mal l’adage selon lequel ce mode de vie serait individualiste puisque refusant l’organisation collective. Prôner l’horizontalité et l’autonomie est, au contraire, un acte éminemment altruiste. Cela signifie se battre pour garder son autonomie de décision mais également, et surtout, se battre pour que les autres gardent cette autonomie, et la respecter. C’est croire en l’humain et en sa capacité à décider par lui-même.
En fait, n’en déplaise aux professionnels de la politique, les Gilets Jaunes représentent un superbe élan démocratique. Au sens le plus noble de ce terme. Il s’agit de remettre le peuple dans les décisions collectives. Ne plus confier la gestion de nos vies à quelques centaines de personnes.
Nous encourageons donc tous les GJ, et globalement tous les citoyens désireux de changer cette société, à lancer des initiatives. A oser. A ne pas se dire que cela ne marchera jamais ou que cela est trop ambitieux, trop dangereux. Car personne ne sait à l’avance comment une situation évoluera. Mais le plus important, le plus précieux, c’est de créer les conditions de cette situation. De ces situations.
Le pouvoir veut nous faire croire que nous n’avons pas de pouvoir. Mais nous pouvons au contraire beaucoup. Nous pouvons détruire, nous pouvons créer, nous pouvons haïr, nous pouvons aimer. Nous pouvons être sages. Nous pouvons être subversifs et indisciplinés.
Et sûrement devons-nous être tout ça.
Crédits photos : Mathias Zwick