Quand le vent tournera
Initialement publié le 14 janvier 2019
Les motifs de satisfaction pour cet acte 9 ne manquent pas :
– La mobilisation encore en forte hausse, le gouvernement n’ose même plus parler d’essoufflement.
– L’échec de la grossière tentative de criminaliser tous les manifestants, devenus complices des violences. Un revers pour Castaner vu le nombre massif de GJ présents mais aussi au vu des nombreux messages de soutiens (affiches, chants) aux manifestants arrêtés et condamnés.
– La détermination des GJ une nouvelle fois très forte. Face aux centaines de CRS, canons à eau, flashball, chars et autres outils répressifs, les manifestants sont restés debout et on fait face, malgré la violence inouïe des forces de l’ordre.
Ces petites victoires, samedi après samedi, rendent d’autant plus insupportable l’idée même d’une défaite potentielle du mouvement face au pouvoir en place.
En deux mois, le mouvement déplore des centaines de blessés (dont plusieurs mutilés), plus de 6 000 interpellations et des centaines de condamnations. Et pourtant, de nombreuses villes ont connu pour cet acte 9 un record de mobilisation ! Malgré la peur des bavures policières et des arrestations abusives. Malgré les épouvantails brandis par le gouvernement : tantôt les « casseurs », puis les racistes, puis les anarchistes.
Rien que pour ça, l’acte 9 est une énorme victoire.
Une victoire au goût amer tant elle est totalement niée et méprisée par le pouvoir. Son mépris pour le mouvement ne se cache même plus. Et son silence face aux dérives policières ne peut plus être pris pour un dysfonctionnement. C’est une stratégie de lutte. Ce n’est plus du maintient de l’ordre mais du maintient au pouvoir.
Nous devons prendre acte de cette situation et en tirer les conséquences. Jamais dans la 5e République un mouvement social n’avait été aussi lourdement réprimé. Et ce, sans la moindre remise en cause du pouvoir. Le ministre de l’Intérieur est bien en place. Le gouvernement aussi.
*** MESSAGE AUX NON GJ ***
Mais le vent tournera. Et quand les cendres de la lutte s’envoleront pour laisser entrevoir le soleil, nous ne resterons pas bouche bée et bras croisés à se satisfaire de ce nouvel horizon. Non, nous seront assez lucides pour regarder derrière et ne pas oublier les corps meurtris qui joncherons le chemin emprunté. Et nous demanderons des comptes. Nous demanderons justice. Les coupables seront jugés.
Mais nous nous souviendrons aussi des complices de ce drame, ceux qui, par leur position sociale, par leur statut public ou par leur influence politique, auraient pu et auraient du s’indigner et s’insurger contre la politique anti sociale et anti démocratique mise en place par le pouvoir actuel.Ne pas prendre position est désormais un soutient aux dérives autoritaires du pouvoir. Quelques associations, syndicats, ONG, collectifs, artistes, journalistes, philosophes, professeurs, avocats et autres citoyens ont eu le courage de prendre position et de dénoncer les violences et arrestations arbitraires. Nous espérons que cela va s’amplifier.
A ceux qui préfèrent rester silencieux face à ce carnage démocratique : Que vous n’ayez pas compris l’essence du mouvement, ou que vous n’en validiez pas la légitimité idéologique ne vous exonère pas de voir la vérité de la dérive autoritaire et anti démocratique du pouvoir. La nier ou la cacher sous prétexte que le mouvement n’est pas totalement à votre goût vous rendra définitivement complice, et ce, jusqu’à la victoire du mouvement. Et même après.
*** MESSAGE AUX GJ ***
A l’aube de l’anniversaire des deux mois de lutte et du dixième acte, se posent plusieurs questions stratégiques. La déclaration des manifs semble vouée à l’échec. Si elle permet de pouvoir se regrouper plus facilement, elle empêche aussi tout débordement et toute mise en difficulté du pouvoir. Samedi à Paris, les seuls moments où les GJ ont semblé en mesure d’inquiéter le pouvoir ont été lors des manifs sauvages de fin de journée. Bref, on déclarera nos manifs quand ils déclareront leurs revenus.
La surdité du gouvernement face à la colère populaire doit être prise très au sérieux. Si, fin décembre, le gouvernement utilisait l’argument d’un essoufflement et donc d’une grogne désormais très minoritaire pour ne pas se remettre en cause, aujourd’hui, il reconnait une montée en puissance de la mobilisation. Mais sans sembler vraiment inquiet.
Au delà du mépris pour les centaines de milliers de personnes qui se sacrifient depuis deux mois sur les routes et rond points, c’est un signal que nous ne pouvons pas ignorer. Le pouvoir nous dit « gueulez tant que vous voulez, mais faites le en respectant les règles ». Sauf qu’en même temps, sa police respecte de moins en moins les droits de chaque citoyens. La justice commence aussi à perdre les pédales. Mais pour le pouvoir, l’important, c’est que le peuple reste à sa place : chez lui, à son travail ou dans les magasins.
Le fleuve ne doit pas déborder. Il peut couler et pleurer tant qu’il le veut, mais il doit rester dans le sillon bien tracé. Ce n’est pas un hasard si le moment où le gouvernement a le plus tremblé depuis deux mois correspond aux actes 2,3 et 4, ceux ayant connu le plus d’insoumission et d’actes de rébellion.
Il ne s’agit pas de prôner la violence et d’y voir la seule alternative possible. Non, loin de là. Mais il s’agit de regarder en face la vérité du rapport de force actuel. Et de comprendre que le soutient très fort de la population, et le nombre croissant de manifestants dans les rues doit s’accompagner d’actions de débordement pour pouvoir vraiment faire vaciller le système.
Nous ne pouvons plus enchainer les actes sans se renouveler, sans innover, sans tester de nouvelles méthodes de lutte. Cela peut passer par des actions festives, musicales, fraternelles. Cela peut aussi passer par des actions plus virulentes et plus radicales (qu’elles soient violentes ou non).
Les jours qui viennent seront particulièrement décisifs pour l’avenir du mouvement, pour l’avenir de la France, pour l’avenir de nos sociétés. Il n’est pas concevable que nous retrouvions notre quotidien passé sans qu’un profond changement politique et social s’opère. Et nous sommes désormais certains que ce changement ne pourra se faire sans que le pouvoir actuel ne chute. Et nous savons que pour le faire chuter, il faudra être encore plus forts, encore plus nombreux et encore plus déterminés.
Mais nous avons le sens de l’effort. Et nous allons très vite le prouver.
Soyons tous des boxeurs transpalettes
Initialement publié le 9 janvier 2019
Les dès sont tellement pipés que les annonces d’Édouard Philippe n’auront surpris personne. Le poison liberticide est si bien ancré dans notre nourriture quotidienne que l’on accepte le vomi sécuritaire en le trouvant presque bon, tout du moins salutaire.
Nous savions que les réponses du pouvoir face à l’intensité de l’acte 8 seraient féroces et violentes. Choqué par les coups de poing reçus par des CRS et la porte d’un ministère défoncée par un transpalette, le gouvernement joue la même carte que depuis le début : l’escalade répressive. Objectif : mater toute rébellion, en jouant sur la peur d’être blessé et/ou condamné. Quitte à délaisser nos sacro-saints Droits de l’Homme, bien peu utiles quand il s’agit de défendre des intérêts de classe.
L’ultra-sévérité contre l’utra-violence. Discours implacable. Indiscutable : 5 500 gardes à vue, 815 comparutions immédiates, 1 500 manifestants blessés dont plus de 15 personnes avec des membres arrachés (œils, mains, pieds…). Pour quel bilan en face ? Combien de membres arrachés chez les CRS, ou même d’hospitalisation ? Et surtout, combien de mesure de suspension de travail, voir de procédures judiciaires ouvertes face aux centaines de bavures recensées (et répertoriées en photos et vidéos) ?
Sans compter le décès à Marseille de Zineb Zerari suite à une grenade tirée par un CRS dans son appartement. Et, puisqu’on est à Marseille, et qu’on fait le bilan des drames de la crise actuelle, on pourrait rajouter dans la balance à charge du pouvoir les huit morts de la rue d’Aubagne. Auxquels nous pouvons rajouter les dizaines de récents décès liés au mal logement et aux conditions de vie indignes. Car oui, derrière ces drames se cachent toujours des enjeux économiques et des arbitrages du pouvoir et des puissances financières. Et oui, une partie de la population commence à s’en rendre compte et à s’y opposer, fermement, y compris physiquement.
Mais non, il nous faut nous choquer et nous scandaliser d’un homme ayant donné des coups de poing à des CRS sur-équipés et casqués. Nous devrions nous indigner d’une porte défoncée par un transpalette et d’un ministre ayant presque senti l’odeur des sans-dents.
Les nouveaux chiens de garde sont là pour appeler les Gilets Jaunes à retrouver « la raison », à se désolidariser des plus radicaux et des plus violents. Même mécanisme qu’à chaque soulèvement depuis des décennies.
Le discours, à peine voilé, est le suivant : « gueulez tant que vous voulez, mais restez à votre place, et surtout, respectez la loi. » Ce respect de la loi qui est sans cesse invoqué pour exclure les parties les plus turbulentes et indisciplinées d’une révolte. Mais qui n’a plus lieu d’être lorsqu’il s’agit des représentants de l’État.
Comment comprendre une société qui accepte sans s’offusquer de voir depuis six semaines autant de bavures policières (passages à tabac, humiliations, violence gratuite) et autant de décisions de justice clairement arbitraires et politiques, et qui s’indigne pour des voitures brûlées et une porte défoncée ? La seule réponse logique est que l’inquiétude ne vient pas de l’acte mais des conséquences potentielles de l’acte, à savoir une insurrection. Voir une révolte populaire.
Le mécanisme légal que le gouvernement veut utiliser contre les manifestants « radicaux » est exactement celui testé il y a près de dix ans par Sarkozy et Hortefeux sur les supporters de foot. Officiellement, et donc aux yeux du « bon peuple français », il s’agissait d’empêcher des hooligans racistes et assoiffés de sang d’accéder aux stades les jours de match, et ce, même si ces personnes n’avaient pas été condamnées par un tribunal. C’est la préfecture qui jugeait de la dangerosité desdits hooligans. Sauf que la mesure à surtout permis de criminaliser les ultras (qu’ils soient de gauche, de droite ou apolitique) et de les empêcher de vivre leur passion dans les tribunes de façon cohérente avec leur mouvement, à savoir en autonomie du club, des autorités et de la fédération. Ce qui gênait Sarkozy et le pouvoir, ce n’était pas quelques dizaines de nazillons (déjà identifiés) mais les milliers d’ultras qui vivaient dans une contre-culture de plus en plus subversive et hors du système ultra libéral du foot de haut niveau.
L’exemple des supporters interdits de stade est donc ô combien éclairant et inquiétant : avec l’épouvantail du raciste violent, le pouvoir va chercher à criminaliser tous les Gilets Jaunes avides de liberté, d’autonomie et de changements radicaux.
La riposte face à ce nouveau virage sécuritaire et liberticide va être très compliqué à trouver. Le pouvoir espère isoler les plus déterminés, puis les voir aller encore plus loin dans la radicalité, pour pouvoir encore plus les isoler et les criminaliser.
Il est donc plus que jamais nécessaire, essentiel, vital, d’être encore plus nombreux samedi 12 janvier dans toutes les villes de France. Et d’être encore plus déterminé, en première ligne, qu’importe la violence de la riposte policière. Ceux qui sont sur le terrain depuis des semaines se rendent compte qu’il n’y a pas d’un côté les Gilets Jaunes Bisounours et de l’autre la foule haineuse tant espérée par Macron. Non, il y a une population extrêmement hétéroclite et solidaire, qui se retrouve. Et se découvre l’envie commune de renverser la table. Une table pourrie sur laquelle le nombre de cadavres et d’injustices ne font que s’amonceler de jour en jour. Car n’en déplaise à BFM et à Macron, ce dont rêvent les Gilets Jaunes, ce n’est pas de sang et de larmes mais bien de bonheur et de fraternité.
Alors si un boxeur et un transpalette ont pu faire trembler ce pouvoir mortifère et nauséabond, soyons des milliers de boxeurs et de transpalettes lors de l’acte 9 de samedi prochain.
Appel aux Gilets Jaunes : Ne soyez plus "une classe bien sage" !
Initialement publié le 18 décembre 2018
Même si nous sommes beaucoup à ne pas être tombé dans le panneau du discours officiel de démobilisation des GJ, nous devons nous interroger sur les suites du mouvement. Quoi de plus normal puisque les premiers manifestants sont entrés en action il y a un mois maintenant !
Un mois de lutte. Un mois de surprise. Un mois de déconstruction des clichés sur les luttes sociales, sur le peuple, sur l’opposition entre ruralité et banlieue….
Un mois de souffrance aussi : avec des décès, des blessés, des arrestations, des humiliations.
Mais un mois de victoires surtout. Des victoires comme rarement le peuple français n’en avait obtenu ces dernières décennies. Car oui, le pouvoir politique, économique et médiatique a tremblé et a vacillé.
S’il tient encore en place, c’est parce que ce pouvoir a tout mis en œuvre pour casser la lutte, au prix d’un renoncement inédit aux principes fondateurs de ce pays : liberté (d’expression, de manifestation), égalité (de traitement face à la police et la justice), fraternité (dans la douleur, dans les blessures, dans les deuils). Les GJ sont devenus un ennemi d’état. Pas un mot sur le bilan dramatique de morts et de blessés par le gouvernement ou le pouvoir économique et financier.
Mais si le pouvoir tient encore, c’est aussi parce qu’il a réussi à « recadrer » une partie du mouvement qui était en train de « déborder ».
Car si l’on dresse le bilan des principales victoires des différentes mobilisations, elles se manifestent presque toujours pas des actions de rébellions et d’oppositions aux règles imposées par le pouvoir :
– Acte 1 : les GJ bloquent des routes, péages et autres accès sans aucune autorisation préfectorale (et cela dure jusqu’à aujourd’hui)
– Acte 2 : la préfecture autorise un rassemblement parisien mais seulement sur le Champs de Mars. Les GJ décident de ne pas s’en préoccuper et d’envahir les Champs Elysées. Ils dressent des immenses barricades et allument des feux.
– Acte 3 : la préfecture autorise l’accès aux Champs Elysées mais à condition d’être fouillé. Les GJ s’y refusent et forcent les accès.
– Acte 4 : tout le quartier autour des Champs est cadenassé par les forces de l’ordre. Mais les GJ débordent de partout, et pas seulement dans ce quartier.
A tout cela s’ajoutent les blocages de raffinerie, d’entrepôt, les fermetures de magasins, les radars mis HS…
Tous ces actes sont clairement punis par la loi.
Mais pour la première fois depuis très longtemps, une partie importante du peuple a décidé de juger les actions non pas selon la légalité mais selon la légitimité.
Bloquer une route, faire une barricade, fermer un magasin peut être illégal mais légitime. Et même juste. Alors qu’inversement, de nombreuses actions légales (et violentes) de l’état ou du pouvoir économique paraissent désormais profondément illégitimes et immorales.
La force de la mobilisation et la détermination des GJ a d’ailleurs permis de dévoiler au plus grand nombre le visage autoritaire et très peu démocratique du pouvoir. C’est là aussi la force de cette révolte : obliger le gouvernement et les autorités à jouer carte sur table et à montrer jusqu’où ils sont prêts à aller en terme d’entorse aux Droits de l’Homme : arrestations arbitraires (pour avoir un gilet jaune ou un masque pour se protéger), GAV prolongées, violences et intimidations, humiliations de mineurs… Si, lors des révoltes arabes nous nous « surprenions » à découvrir le visage terrifiant et autoritaire d’un Ben Ali ou d’un Hosni Moubarak, les mécanismes de la séquence actuelle tiennent des mêmes ressorts.
Face à ce constat, nous pensons donc crucial d’amplifier cette prise de conscience et ce courage politique. Loin de prôner la violence en tant que telle (notamment physique), nous pensons en revanche que pour lutter contre un système qui dispose des forces économiques, policières et judiciaires pour se maintenir en place, il devient nécessaire d’agir avec indiscipline et moralité.
Les plus belles choses surgissent souvent de façon inattendue et chaotique. Les tenants du pouvoir le savent. C’est pour cela qu’ils s’acharnent avec tant de fougue et de violence à recadrer et discipliner le mouvement des Gilets Jaunes.
Car le pouvoir peut accepter un peuple en colère mais discipliné. Mais il ne peut survivre à un peuple en colère et indiscipliné.
Acte 5 : victoire du pouvoir, défaite de la démocratie
Initialement publié le 15 décembre 2018
Ils auront donc réussi à avoir leur image tant espérée : des Champs Élysées presque vide de Gilets Jaunes. Des rues de Paris plutôt calmes et sous contrôle. Le gouvernement et les médias vont pouvoir annoncer la fin du mouvement, lassé par les violences et/ou convaincu des mesures de Macron.
Sauf qu’à y regarder de plus près (exercice que les médias semblent avoir abandonné depuis longtemps), la situation semble bien plus complexe.
Oui, le pouvoir a réussi son coup.
Mais non, ce n’est pas une défaite des Gilets Jaunes.
En revanche, il s’agit d’une défaite très violente, par KO, sur la démocratie et sur le droit de manifester et la liberté d’expression.
En ce samedi 15 décembre, sous une pluie glaciale, la ratp décide de fermer 56 stations de métro. Tous les axes menant aux Champs Elysées sont totalement bloqués par des grilles et des fourgons de CRS. Des fouilles ont lieu dans toutes les gares et principaux péages menant à Paris.Certains bus de GJ sont même bloqués plusieurs heures. Pour arriver vers les Champs, il faut donc marcher plus d’une heure.
Les rassemblements annoncés par différents collectifs à Gare du Nord, à Opéra ou encore à République sont systématiquement nassés, pendant plusieurs heures. Impossible pour les manifestants de ressortir pour rejoindre d’autres Gilets Jaunes.
Forcément, aux alentours des Champs, la foule est beaucoup moins nombreuse que les samedi précédents. Et ceux qui réussissent à arriver sur l’avenue n’auront pas un meilleur sort que les milliers de GJ nassés ailleurs : les CRS ont en effet décidé de disloquer en permanence la mobilisation pour éviter qu’un groupe trop important de Gilets Jaunes se forme. On aperçoit alors plusieurs unités de CRS foncer dans la foule et séparer les GJ par petits groupes.
Lassés par cette stratégie agressive empêchant toute dynamique de groupe, les manifestants désirant sortir des Champs doivent alors passer par de nouvelles fouilles ! Et là, pour quitter l’avenue, il faut abandonner tout matériel de protection (lunette, masque) mais aussi son Gilet Jaune (cf photo). Preuve que les consignes dépassent de très loin celle du maintien de l’ordre .
Autre exemple frappant : vers 16h, un millier de manifestants arrive à former un petit cortège aux abords de la rue de Rivoli. La Fanfare Invisible est présente. L’ambiance est très festive et totalement pacifique. La Fanfare commence à lancer des chants repris par plusieurs centaines de Gilets Jaunes. Tout le monde danse, sans se soucier des forces de l’ordre. Quelques minutes plus tard, alors qu’aucun manifestant n’avait jeté le moindre projectile, les CRS inondent le ciel et les rues de gaz lacrymogène. Là encore, il ne s’agissait plus de maintenir l’ordre mais bien de disperser tous les Gilets Jaunes et d’empêcher les images d’une foule nombreuse, motivée et pacifique.
[ Mise à jour – une vidéo du gazage : https://www.facebook.com/
Le gouvernement va donc pouvoir de nouveau bomber le torse et mépriser le mouvement social. Les médias vont se contenter d’avoir vu les Champs à moitié vides et aucune voiture brulée pour en déduire que le mouvement s’essouffle.
Mais les très fortes mobilisations dans de nombreuses villes en région montrent que c’est tout le contraire. Et le cas parisien offre une vision déformée par la stratégie ultra agressive du pouvoir qui a transformé Paris en nasses géantes et empêché tout rassemblement.
Mais que Macron et son monde ne se réjouissent pas trop vite. Les Gilets Jaunes sont loin d’avoir baissé les bras. Il va falloir être ingénieux et déterminés pour réussir à contourner la machine à casser les manifs mise en place jours après jours par Castaner.
Et que le reste de la société (médias, syndicats, partis ou simplement citoyens) s’inquiètent de la dérive clairement autoritaire de ce gouvernement. Ce qui se passe actuellement préfigure une nouvelle approche du maintien de l’ordre qui assume restreindre les libertés des opposants politiques sur l’autel de la sécurité. Accepter cette situation pour avoir (enfin) la paix sociale et économique serait une erreur historique, et pas que pour les Gilets Jaunes.
Acte 3. Plus loin dans la révolte. Plus loin dans les mensonges.
Initialement publié le 2 décembre 2018
Nous n’allons pas vous proposer un compte rendu de ce nouvel acte qui s’est joué le 1er décembre un peu partout en France. Les réseaux sociaux autant que les médias “traditionnels” ont largement couvert et analysé l’événement. Mais ce traitement interroge et nous pousse à poser quelques contradictions circulant ces dernières heures.
- CASSEURS VS GILETS JAUNES ?
On commence à être habitué à cette dialectique du gouvernement, de la préfecture et des médias. Mais aujourd’hui, cela en devient ridicule tellement cette position ne tient pas. Ridicule mais aussi dangereux.Le pouvoir parlait de quelques centaines de casseurs présents sur Paris. Dans ce cas là, comment expliquer qu’un dispositif policier largement plus important que lors du 1er mai, de plus de 5000 policiers, ai pu être à ce point dépassé ? La réalité, c’est qu’il y avait bien bien plus que les 5 500 “manifestants” annoncés par la préfecture (et docilement relayés par les médias). Que des dizaines de rues, voir de quartiers de Paris, on été envahi de gilets jaunes. Des dizaines de milliers de manifestants. Et parmi eux, des façon d’exprimer leur colère très diverses. Mais bien plus que quelques centaines se sont prêtés à des pratiques violentes de manifestation : de la construction de barricade au jet de pierre à la casse de vitrine en passant par l’allumage de feux. Tous n’ont pas été d’accord avec toutes les pratiques et chacun y a mis ses limites et ses lignes rouges à ne pas franchir. Évidemment que la très grande majorité auraient condamné les feux allumés dans des immeubles. Mais bien moins de gilets jaunes présents condamneront les barricades et les feux sur les routes.Surtout : nous ne pouvons pas laisser le pouvoir et les médias continuer d’opérer une scission entre “casseurs” et “gilets jaunes”. Si l’émeute parisienne du 1er décembre n’avait été le fait que des “professionnels du désordre” (dixit Castaner), jamais les forces de l’ordre n’auraient pu être autant mis en échec. Qu’on se le dise : samedi, des milliers de Gilets Jaunes se sont opposés aux forces de l’ordre : refusant d’être parqué, refusant d’être fouillé, refusant de se laisser gazer. De nombreuses vidéos et photos le prouvent. Nous vous invitons d’ailleurs à enrichir cet article en postant en commentaires des images de cette journée.L’avenir du mouvement se joue en partie dans la façon dont les gilets jaunes réussiront à sortir du piège du gouvernement et de la préfecture. Nous espérons qu’un maximum de monde prendra ses responsabilités et assumera que cette violence n’est rien face aux blessures et aux décès qu’engendre la précarité et ce système. Qu’il n’est plus possible de pleurer une voiture ou une vitrine et de laisser des retraités, chômeurs, immigrés crever de faim et de froid. Qu’il serait génial de pouvoir réaliser une révolution sociale sans avoir à opérer la moindre violence mais que face à un pouvoir hautain et autiste, le rapport de force se doit d’être également physique. - PARIS VS RÉGION ?
L’autre refrain largement chanté ces dernières heures serait que l’émeute parisienne ne refléterait en rien le mouvement national et la réalité des gilets jaunes en région, notamment dans les territoires ruraux.Là encore, l’objectif est de diviser (pour mieux régner). Mais l’affirmation ne tient pas et on se demande comment les médias arrivent, dans la même journée, à faire des reportages sur ces gilets jaunes remplissant des cars de toute la France, se levant à 3h du matin pour arriver à Paris et prendre part à la manif. A nous faire des portraits de personnes allant manifester pour la première fois de leur vie, et certains découvrant Paris pour l’occasion. Puis, dans la foulée, nous sortir qu’il s’agit d’un épiphénomène parisien et déconnecté du monde rural et du reste du mouvement.Sans oublier qu’en ce 1er décembre, de nombreux gilets jaunes un peu partout en France ont également opté pour des opérations bien plus violentes que précédemment : aéroports bloqués, voitures incendiées, préfectures envahies et même incendiées… De Marseille à Nantes en passant par Charleville Mezière, Tours ou Puy-en-Velay , le mouvement s’est durci. Et reflète le niveau d’épuisement et de colère de toute une partie de la population. - ACTE 4, ÉPILOGUE ?
La prochaine séquence (qui a déjà commencé) va être encore plus incertaine que les précédentes. Le pouvoir va monter d’un cran dans la peur et la menace, et tenter de diviser de partout les gilets jaunes. Impossible de savoir à quoi ressemblera l’acte 4 du 8 décembre. Mais il nous appartient d’imprimer notre propre calendrier, nos propres modalités d’actions et de revendications.Qu’ils instaurent l’état d’urgence, qu’ils interdisent les rassemblements, qu’ils criminalisent le mouvement… La force des gilets jaunes, jusqu’à présent, a été de refuser le jeu très codé et normé d’un mouvement avec des interlocuteurs, avec des lieux de rassemblement déclarés, avec un parcours, avec un service d’ordre.Cette révolte décentralisée, sans tête, comporte son lot de dérives et d’incohérences politiques. Mais c’est aussi sa force et ce qui la rend aussi incontrôlable par les forces de police et par le pouvoir.Que le mouvement garde son ADN initial. Que les forces progressistes et sociales continuent de s’y greffer s’en tenter de les contrôler. Et que chacun prenne position et prenne ses responsabilité lorsque l’acte 4 arrivera. Il sera alors temps d’envisager un acte 5.
Sur les champs des gilets
Article initialement publié le 26 novembre 2018
Le mouvement des gilets jaunes divise au sein des forces progressistes et révolutionnaires. La journée du 17 novembre aura conforté celles et ceux qui y voient un mouvement régressif et quasi contre révolutionnaire, avec de multiples actes racistes, sexistes et homophobes.
Elle aura aussi conforté celles et ceux qui, au sein de la gauche radicale, y voit une chance de convaincre de nouvelles personnes de la nécessité de mettre nos forces en commun pour renverser un pouvoir qui ne sert que ses intérêts et celui des plus riches.
Face à ce constat et cette division des forces anti-racistes et anticapitalistes, je ne voyais qu’une solution pour le rassemblement du 24 novembre : aller sur place pour se faire ma propre opinion et, peut-être, apporter mon soutien au mouvement. Rejoignant un appel et réflexions lancés par certains autonomes (Génération Ingouvernable, Nantes Révoltés, Rouen dans la Rue, Cerveaux Non Disponibles), j’ai donc décidé de rejoindre les gilets jaunes sur les Champs Élysées. Et je ne regrette pas ce choix tant la journée fut riche et constructive pour la suite.
J’avais donc fait le choix de ne pas écouter la préfecture et d’aller à la Concorde, lieu initial du rassemblement. Très vite, je me suis rendu compte que beaucoup, beaucoup de personnes avaient pris la même décision, malgré l’interdiction.
Il est totalement impossible de compter le nombre de gilets jaunes présents à Paris ce 24 novembre. Des groupes de plusieurs centaines de personnes se constituaient et déambulaient tout autour des champs, allant jusqu’à Madeleine, Hausman voir même St Lazare. Mais les chiffres de la préfecture (et des médias) ont largement sous estimé la réalité. Par moment, de véritables marées jaunes se constituaient (et pas que sur les champs).
Si les CRS bloquaient les principaux axes d’entrée sur les Champs, ils ne pouvaient empêcher les gilets jaunes d’accéder à « la plus belle avenue du monde » par d’autres petites rues. Résultat : malgré les très nombreuses charges, canon à eau et centaine de gaz lacrymo, les Champs sont devenus le terrain d’occupation de milliers de manifestants. Parfois coupés entre eux par des CRS. Au point que par moment, ce sont les CRS qui se retrouvaient « nassés ». Des énormes barricades se montent. Des feus prennent de partout. Tout cela dans une ambiance assez « festive » et « déterminée ».
Contrairement à ce que certains médias ont affirmé ce samedi, ce rassemblement n’a pas du tout été orchestré ou pris en main par l’extrême droite. Pas plus qu’il n’a été pris en otage par des autonomes / anarchistes.
Durant toute la journée, j’ai été très attentif à cette menace fasciste. Si je ne peux pas prétendre avoir été partout à tout moment de la journée, je peux tout de même témoigner n’avoir assisté à aucun dérapage raciste/sexiste/homophobe. J’ai bien vu quelques drapeaux français et quelques dizaines de royalistes ou autres militants clairement marqués à droite. Mais ces individus, voire ces petits groupes, n’ont en aucun cas été meneurs du mouvement. Ils étaient présents, très minoritaires.
Plusieurs Marseillaises ont été chantées, par des milliers de personnes, y compris ceux qui étaient en train de monter les barricades, allumer les feux ou affronter les CRS. Clairement, ces Marseillaises étaient plus proches de celle entendues cet été pendant la coupe du monde que de celles chantées aux meetings du Front National.
L’une des choses les plus frappantes aura été la solidarité totale des gilets jaunes entre eux. Solidarité face aux attaques policières. Mais solidarité aussi dans les pratiques de luttes. Si tous n’ont pas monté de barricades ou allumé de feux, personne ne s’y est opposé, bien au contraire. Il est assez étonnant d’avoir passé plus de dix heures dans le quartier des Champs Elysées, sans avoir entendu une seule remarque critiquant les méthodes des gilets jaunes les plus offensifs.
Les médias et le gouvernement tenteront sûrement d’expliquer que les « débordement des champs » ont été le fait de 200 ou 300 casseurs. Tous ceux présents ce samedi 24 novembre aux Champs peuvent affirmer le contraire. Il n’y avait pas 300 casseurs d’un côté et 10 000 gilets jaunes de l’autre. Il y avait 20 000 ou 30 000 gilets jaunes déterminés et laissant chacun exprimer sa colère selon ses préférences. Surtout, au fur et à mesure de la journée, les gilets jaunes semblaient de plus en plus convaincus de la nécessité de ce type de pratique pour arriver à devenir une force face à un pouvoir muet et déconnecté des réalités des personnes présentes.
Ce qui frappe le plus dans cette journée, c’est la force inouïe de ce mouvement. Jamais nous ne pensions qu’il serait possible d’occuper les Champs Élysées malgré l’interdiction de la préfecture et les CRS présents en masse. Jamais nous ne pensions que des barricades aussi immenses pourraient tenir des heures durant. Rarement nous n’avions senti les forces de l’ordre en telle difficulté. Et tout cela grâce à un mouvement sans aucun organe de direction, totalement décentralisé. Il est vraiment étonnant de voir comment une foule totalement autonome, sans syndicat, sans parti politique, sans association, a pu triompher dans ses stratégies de contournement, de blocage et d’occupation.
Cette journée sur le terrain avec les gilets jaunes me conforte dans l’idée que la construction de l’image du mouvement faite par les médias est caricaturale et mensongère.
Ce mouvement est composé de personnes aux profils, convictions et méthodes très diverses. L’unique point commun pourrait être celui du « ras le bol ». Mais on distingue aussi ce rejet d’un pouvoir des riches pour les riches, par les riches. Cela ne fait pas des gilets jaunes un mouvement de gauche, ni un mouvement anti-capitaliste. Mais de nombreux gilets jaunes ont en eux ce dégout pour l’injustice sociale.
Au sein des groupes autonomes et de la gauche radicale, nous sommes de plus en plus à penser qu’il est de notre devoir de continuer à être dans cette lutte, sans tenter de l’instrumentaliser ni de la récupérer. Mais d’essayer de convaincre les gilets jaunes que le combat contre l’injustice sociale ne peut se faire que de façon globale et radicale.