Le mouvement des Gilets Jaunes, malgré son aspect imprévisible et horizontal, subit la loi des cycles et de la ritualisation.

La séquence actuelle, faite de mobilisations massives mais assez calmes partout en France, de manifs déclarées et fortement encadrées par les forces de l’ordre, nous rappellent ce qui s’est déjà passé trois fois, après des séquences offensives qui avaient secoué le pouvoir et les médias. Petit rappel avec la situation parisienne :

Mi-décembre après plusieurs actes massifs et insurrectionnels, le mouvement connaît plusieurs actes assez « tranquilles ». L’occasion pour les médias et le pouvoir de crier à la fin du mouvement.

Puis, dès le premier samedi de janvier, pour l’acte 8, Paris connaît une énorme mobilisation, aussi bien en nombre de GJ présents qu’en détermination. C’était, notamment, l’épisode Dettinger et du transpalette. Les quatre samedis suivants furent particulièrement encadrés, avec l’arrivée des premières manifestations déclarées sur la capitale.

Puis, lors de l’acte 13, lassés par des manifs de plus en plus inoffensives pour le pouvoir, des centaines de GJ lancent une manif sauvage de plusieurs heures dans Paris, occasionnant de nombreux dégâts matériels autour de la Tour Eiffel.

Les deux weekends suivants sont l’occasion de vivre des nasses géantes et mobiles pendant lesquelles les forces de l’ordre marchent « tranquillement » autour des GJ pour empêcher toute tentative de sauvage.

Et puis, il y eut l’acte 16.

Crédit photo : Jules Le Moal

Et nous voici, à l’aube de l’acte 21, dans une situation assez proche des précédentes : la préfecture durcit encore plus les dispositifs et les interdictions. Les mobilisations restent massives. Mais le pouvoir, bien aidé par les médias, continue de minimiser cette mobilisation et fait tout pour l’invisibiliser.

A ce jeu-là, les chiffres du ministère de l’intérieur sont devenus totalement ridicules, et viennent même en contradiction avec les chiffres de contrôles supérieurs à ceux de la mobilisation.

Mais les GJ ne sont plus dupes et ne se soucient même plus de ces annonces. Ni des médias qui relaient sans remettre en cause ces chiffres. Ces médias de masse se rendent complices d’une communication devenue propagande d’état. Il ne faudra pas s’étonner ensuite d’une défiance grandissante envers ces médias.

Reste la question stratégique de la suite à donner : les manifestations déclarées et où aucun débordement n’est possible sont totalement invisibilisées et ne posent aucun rapport de forces réel au pouvoir. Les séquences plus insurrectionnelles ont le mérite d’obliger le pouvoir et les médias à remettre la question des GJ sur la table, mais uniquement par le biais de la question sécuritaire.

Les GJ, après avoir été méprisés et violentés par le pouvoir, ne sont plus dupes de la réalité des rapports de forces politiques et financières. Ils ne seront plus trompés par un grand débat, pas plus que par des annonces de perlimpinpin. Ils ne seront pas non plus découragés par les chiffres ridiculement bas de mobilisation annoncés chaque semaine par le ministère de l’intérieur.

Ces milliers de GJ ne peuvent plus être dupés. Mais reste à réussir à ce que les tous les Français, qui devraient légitimement se lever et se révolter, ne soient plus dupés/trompés par ces mécanismes,

Il faut donc réussir à toucher et à parler à ces millions de citoyens qui peuvent être solidaires de près ou du loin du mouvement et de ses revendications. Mais comment les toucher sans passer par les médias de masse, qui ne relaient le mouvement qu’à travers le prisme de la violence ? Cela passe peut-être par la création de nouveaux espaces de discussions et par une visibilité du mouvement dans les lieux de vie des Français : travail, écoles, transports mais aussi les espaces de loisirs (cinémas, stades, théâtres…). Cela passe aussi par la reprise de nos fameux ronds-point. Par la construction de nouvelles cabanes. Par l’occupation de lieux.

Bref, ne tombons pas dans le piège des actions/réactions où il n’y aurait que des séquences qui se reproduisent de façon ritualisée, que ce soit dans des manifs déclarées ou dans des manifs sauvages plus offensives. Tentons des choses que le pouvoir n’attend pas. Ouvrons des brèches, même l’espace de quelques minutes, pour créer une autre réalité et un autre possible. Trompons le système pour qu’il ne puisse plus nous tromper.

 

Crédit photo : Jules Le Moal