Initialement publié le 18 novembre 2020
Tentative de réconciliation après les ravages qu’Hold Up a causés.
J’écris cette contribution après avoir vu et analysé le documentaire. Après avoir lu les dizaines d’articles des médias mainstream empilant les fact-checking, après avoir lu les articles des médias indépendants comme le Poing ou Rouen dans la rue ainsi que des avis et des analyses des militants comme Vincent Verzat, figure influente du mouvement climat, ayant publié une vidéo sur sa chaîne Partager C’est Sympa.
J’écris aussi après avoir attendu que d’autres médias indépendants que j’affectionne se positionnent, se murant parfois dans un silence assourdissant, à l’instar de Cerveaux non disponibles – où j’espère pouvoir publier cette contribution pour pallier à celui-ci.
J’écris ce texte après avoir parlé du documentaire avec des membres de ma famille, après avoir débattu avec des inconnu.e.s ou des ami.e.s qui m’avaient envoyé le lien de la vidéo m’invitant à absolument la regarder. Après avoir vu tout ces tweets témoignant de la peur d’une partie de la population. Que ce soit la peur du complot mondial, ou la peur du complotiste.
J’écris aussi ce texte avec de la peur. Mais celle-ci ne réside pas dans le contenu du documentaire et dans l’engouement que celui-ci a suscité. Cette peur est apparue un peu après.
Elle est apparue quand j’ai vu ce tweet d’une mère nous expliquant que sa fille avait rompu tout lien avec elle, suite à une discussion tendue autour de ce documentaire.
Quand j’ai vu cette déferlante de haine dans les commentaires d’un article du média indépendant Rouen dans la rue, qui s’était essayé à faire une critique du film et des « théories du complot » qu’il véhiculait.
Quand j’ai vu cette déferlante de haine, sous la vidéo de « partager c’est sympa », ce militant écologiste qui avec sa positivité et sa bienveillance habituelle, nous invitait à faire attention, pour nous, pour les autres, pour la lutte.
Voilà plus d’une semaine que « Hold Up » est apparu un peu partout sur la toile, et alors que les débats autour du contenu, du vrai et du faux, continuent de faire rage, nous pouvons déjà tirer une conclusion. Le film NOUS divise, nous fait mal, alors même que celui-ci nous invite à nous « réveiller ».
Le NOUS, précédemment cité, c’est toutes les personnes qui contestent ce pouvoir, qui manifestent depuis exactement deux ans, qui partagent leur rage envers cette société. La rage contre le capitalisme, contre l’individualisme, contre ceux qui gouvernent. De ceux qui votent les lois, à ceux qui mettent des amendes en passant par ceux qui refusent nos demandes de prêt.
NOUS, c’est toi, moi, ton cousin, ton voisin, le SDF en bas de la rue qui n’a rien à bouffer, le jeune exilé qui ne comprend pas pourquoi son énième demande d’asile est refusé, c’est l’aide soignante qu’on a envoyé au casse pipe, c’est le lycéen qui continue à aller en cours bien que tout le monde trouve ça absurde, dans de telles conditions sanitaires. C’est l’ensemble des personnes qui subissent d’innombrables injustices.
Et l’ensemble de ces personnes, aujourd’hui, se déchirent au sujet de Hold-Up, pendant que les dirigeants, eux, continuent inlassablement de détruire nos libertés, de construire l’état policier, de diffuser le virus de la peur.
« Les formes d’aversion se multiplient, la phobie du contact se répand, le mouvement de rétraction devient spontané. C’est précisément dans cette rétraction qu’il faut voir la tendance du citoyen à s’éloigner de la pólis et de tout ce qui réunit. Il n’en répond plus. Il est dés-affecté. Mais l’anesthésie du citoyen immunisé, la basse intensité de ses passions politiques, qui font de lui le spectateur impassible du désastre du monde, sont aussi sa condamnation. » Donatella Di Cesare, un virus souverain.
Peut-être que le vrai Hold-Up réside ici, sous nos yeux, dans chaque discussion que nous partageons à son sujet. Nous sommes pris dans une inertie de folie nous rendant aveugle. Nous ne voyons même pas qu’un documentaire censé nous éveiller, nous révolter, nous unir contre un pouvoir corrompu, incompétent et autoritaire, nous rend profondément vulnérables en nous divisant. Le documentaire est ainsi fait.
Il polarise le débat en deux points de vue drastiquement opposés et irréconciliables. Ceux qui croient au documentaire, à l’intégralité de son contenu, et ceux qui le rejettent sous la bannière du complotisme. Le documentaire est ainsi fait qu’il rend les choses profondément manichéenne. Ce serait soit tout blanc, soit tout noir. Nos divergences s’établissent pourtant sur un spectre et non sur une opposition binaire.
« La seule ligne en matière de complots consiste à se garder des deux écueils symétriques qui consistent l’un à en voir partout, l’autre à n’en voir nulle part — comme si jamais l’histoire n’avait connu d’entreprises concertées et dissimulées… » Frédéric Lordon, « le complotisme de l’anticomplotisme. »
Croyez bien que l’ensemble des médias dominants s’en donnent à coeur joie et exploitent cette opposition pour agrandir le fossé, et séparer davantage les deux camps que ce documentaire a imposé. De cette opposition est née une tempête, un ouragan de merde.
Discréditation sur les plateaux télés, alertes aux Fake news par les instituts de « fact-checking », mépris des éditorialistes et réactions à chaud déconnectées des réalités.
« De la croisade anticomplotiste à l’éradication de la fake news (fausse information), il n’y a à l’évidence qu’un pas. Au point d’ailleurs qu’il faut davantage y voir deux expressions différenciées d’une seule et même tendance générale. Mais comment situer plus précisément un « décodeur » du Monde.fr au milieu de ce paysage ? Il est encore loin de l’Élysée ou de Matignon. D’où lui viennent ses propres obsessions anticomplotistes ? Inutile ici d’envisager des hypothèses de contamination directe : il faut plutôt songer à un « effet de milieu », plus complexe et plus diffus. » Frédéric Lordon, « le complotisme de l’anticomplotisme. »
Mais aussi réflexions et analyses critiques de certaines personnes, de certains médias indépendants, désolidarisation de certains ayant participé au documentaire, conflits entre ami.e.s, familles, camarades.
Sans oublier les déferlantes de commentaires interposés d’insultes. « sale complotiste », « espèce de vendu, de collabo ». Une haine nous a envahi, une haine de l’autre camp. Aussi bien du coté de ceux dénonçant le caractère complotiste du film que des personnes le défendant corps et âme.
Nous sommes en train de nous entretuer alors que nous partageons un même combat contre les élites. D’un gouvernement qui gère la crise sanitaire avec ses pieds. Ce même combat pour l’égalité et la justice. Contre l’autoritarisme et pour la liberté.
Si je devais donner un exemple pour étayer mon propos, je prendrais celui de l’article de Rouen dans la rue, critiquant le complotisme du docu, qui est sans doute un des exemples les plus flagrants.
Rouen dans la rue est un média indépendant comme il y en a peu. Dénonçant depuis 2014 les violences policières, le capitalisme, le fascisme, le désastre environnemental, la mascarade des élections, les ignominies des gouvernements successifs (entre autres). Un média étant depuis le 17 novembre 2018 au coeur des manifestations des gilets jaunes et sur les ronds points, qui en a publié un livre. Un média qui a subi la répression policière, une perquisition et dont certains contributeurs sont fichés.
Rouen dans la rue est clairement de notre côté, de ceux qui luttent, de ceux qui refusent la mascarade politique à laquelle nous assistons et de ses décisions que nous subissons dans nos chairs et payons parfois de nos vies. Et alors que le média a essayé de produire une critique du documentaire, c’est une déferlante de haine qui s’est abattue dans les commentaires de l’article :
– « Rouen devant les écrans.. ça c’est la vérité. »
– « Rouen dans la rue contredit j hallucine mais qui dirige ça alors dire que j était à fond avec vous pendant les gilets jaunes je tombe des nus quand ça dérange on voit le vrai visage de ce groupe »
– « Voilà encore un qui a graté un peu de pognon en coulisse ! Vive Hold UP, et longue a vie à cet homme courageux et téméraire »
– « Au revoir Rouen dans la rue. »
– « Vous faites des raccourcis pour manipuler les personnes qui n’ont pas vu le film… Une honte de votre part, vous ne valez pas mieux que les médias cités dans le film ! (BG vous aurait-il graissé la patte à vous aussi ????) »
– « Rouen dans la rue vous avez était racheter par bfm ? cest pas possible autrement…. »
– « Mdr Rouen dans la rue. …mais du côté de LREM Élites et Lobbies !! »
Et ça ce n’est qu’une infime partie des plus de 400 commentaires publiés en quelques heures sous l’article.Mais qu’est ce qui nous prend ? Qu’est ce qui nous fait arriver à de tels point de clivages alors même que hier nous étions ensemble ? Quel virus avons-nous attrapé ?
Peut-être sommes nous en constante position de défense et de défiance car nous sommes plus que jamais vulnérables. Pour la première fois, l’ensemble de la planète est confrontée à une crise dont le responsable n’est pas visible à l’œil nu. Nous ne le voyons pas, nous ne comprenons pas et pour certain.e.s nous n’y croyons même pas.
Alors nous cherchons des réponses. C’est légitime. Chacun trouve les siennes.
Certain.es pointeront du doigt la destruction de la biodiversité que nos sociétés capitalistes ont causées. D’autres diront que le covid est passé de la chauve souris à l’homme de manière naturelle, certaines personnes diront qu’il s’est échappé du laboratoire P4 de Wuhan et enfin d’autres affirmeront qu’il a été créé par une élite qui désire éradiquer une partie de la population.
Chacun aura ses sources. Chacun en tirera ses conclusions. Mais une chose est sûre.
Chacune de ces conclusions mèneront aux mêmes responsables. Ceux qui n’ont pas su gérer la crise. Ceux qui ont menti. Ceux qui ont détruit la planète pour leurs profits. Ceux qui ont voulu manipuler un virus. Ceux qui complotent pour nous éradiquer.
Quelque soit la théorie que nous avons sur le covid19, les responsables de la situation restent les mêmes. De Bezos à Macron, des GAFAM aux gouvernement. Du capitaliste au politique.
Mais si nous arrivons à être défiant vis à vis des intentions d’un média indépendant tel que Rouen dans la rue , alors nous ne pouvons espérer voir un jour une lutte victorieuse ou une apocalypse vécue dans la solidarité.
« La démocratie immunitaire est pauvre en communauté – elle en est désormais quasi privée. Quand on parle de « communauté » on entend seulement un ensemble d’institutions qui renvoie à un principe d’autorité. Le citoyen est soumis à celui qui lui garantit protection. Il se garde en revanche de l’exposition à l’autre, il se préserve du risque de contact. L’autre est infection, contamination, contagion. » Donatella Di Cesare, « Un virus souverain »
Continuons de débattre, mais réconcilions nous.
Nous avons bien une élite et un gouvernement à combattre, qui est d’ailleurs entrain de faire passer une des lois les plus dangereuses pour asseoir le régime policier et autoritaire dans lequel nous sommes déjà. Une loi qui vise à décupler les pouvoirs de la police, les technologies de surveillance de masse et à interdire la diffusion d’images de policiers.
Des manifestations ont d’ailleurs été organisées partout en France ce 17 novembre, rassemblant des milliers de personnes. Une foule a explicitement dénoncée l’autoritarisme du pouvoir devant l’assemblée nationale.
Des lors, une simple question se pose. Vaut-il mieux continuer à se déchirer autour d’un documentaire, ou rejoindre les milliers de personnes qui luttent depuis de nombreuses années. Contre Amazon, contre le fascisme grandissant, contre le libéralisme destructeur, pour nos libertés, et la justice sociale ?
Texte écrit par un contributeur.