La récente séquence médiatique et politique concernant des candidats aux législatives fichés S illustre tristement la capacité de la population française à vivre sous un régime autoritaire, qui pourrait sans trop de difficulté basculer vers un régime totalitaire.
En effet, nous avons vu un candidat (devenu député) devoir se justifier auprès de presque tous les médias d’être fiché S. Pire encore, plusieurs médias ont lancé des sondages pour interroger l’idée de rendre les fichés S inéligibles. Le journal d’extrême droite Le JDD a annoncé fièrement que 80 % de ses lecteurs y étaient favorables.
Dans une société en bonne santé, c’est le pouvoir qui devrait se justifier d’avoir fiché ce candidat/député alors qu’il ne représente en rien une menace terroriste. Dans notre société malade, c’est à ce député antiraciste de se justifier devant les médias d’avoir une fiche S !
Les fiches S (car il y en a plusieurs) existent depuis longtemps. Elles sont utilisées par l’État pour « procéder à la surveillance de ceux sur lesquels ne repose aucune incrimination pénale, mais qui peuvent, par leur activité, représenter à un moment ou à un autre un risque de trouble à l’ordre public ou une atteinte à la sûreté de l’État ». En d’autres termes, et il faut le marteler : une personne fichée S n’a commis aucune infraction à la loi. Mais les services de renseignement estiment qu’elle pourrait être amenée à en commettre dans le cours de sa vie. C’est donc une présomption de culpabilité future et hypothétique !
Historiquement, ce fichage était destiné à la lutte contre le terrorisme. Cependant, année après année, le spectre des fichés S s’est largement étendu, tout comme le nombre de fichés. Il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre de fichés S. Les dernières déclarations des autorités évoquaient, en 2018, 30 000 fichés S, soit 50 % de plus que trois ans plus tôt ! Parmi ces 30 000, seuls 17 000 étaient suivis pour un lien potentiel avec « la mouvance islamiste ».
Il n’est sûrement pas anodin que nous ne disposions pas de chiffres plus récents, depuis 2018, l’année du début des Gilets Jaunes ! Mais à n’en pas douter, ce nombre doit osciller entre 50 000 et 100 000 personnes, dont la plupart se retrouvent fichées parce qu’elles sont Gilets Jaunes, écologistes, syndicalistes ou antiracistes.
On voit ici le piège se refermer : offrir des outils de contrôle quasi total des vies de certains citoyens, officiellement pour la « sécurité de l’État », mais très vite utilisés à des fins politiques pour « combattre » des adversaires politiques. Et quand on voit les dérives déjà en cours avec ce fichage, on n’ose imaginer le carnage que cela serait si (ou plutôt quand) l’extrême droite arrivait au pouvoir.
D’autant plus que l’usage de ces fiches S semble s’élargir au fil des années. Ainsi, depuis janvier 2015, la liste des « fichés S » dans l’Éducation nationale est fournie aux rectorats en vue d’une exclusion définitive. On a donc des enseignants qui se voient exclus sans avoir commis la moindre infraction.
En 2016, des lycéens auraient même été fichés S suite à l’occupation de leur établissement lors du mouvement contre Parcoursup (source Lundi Matin).
Face à cette dynamique autoritaire, il ne suffit pas de défendre l’idée que des fichés S puissent être éligibles ou exercer la profession d’enseignants. Il faut exiger l’arrêt de ce fichage politique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’État met en place un système de renseignement qui détruit le respect de la vie privée et les droits fondamentaux de tous ceux qui sont considérés, à l’instant T, comme des adversaires politiques du pouvoir. Ce n’est pas inédit dans l’histoire. Mais c’est inédit dans une démocratie. À moins que l’on considère que nous avons déjà basculé, depuis plusieurs années, dans un système autocratique et autoritaire qui n’a de démocratie que son vernis électoral.