Initialement publié le 18 décembre 2018
Même si nous sommes beaucoup à ne pas être tombé dans le panneau du discours officiel de démobilisation des GJ, nous devons nous interroger sur les suites du mouvement. Quoi de plus normal puisque les premiers manifestants sont entrés en action il y a un mois maintenant !
Un mois de lutte. Un mois de surprise. Un mois de déconstruction des clichés sur les luttes sociales, sur le peuple, sur l’opposition entre ruralité et banlieue….
Un mois de souffrance aussi : avec des décès, des blessés, des arrestations, des humiliations.
Mais un mois de victoires surtout. Des victoires comme rarement le peuple français n’en avait obtenu ces dernières décennies. Car oui, le pouvoir politique, économique et médiatique a tremblé et a vacillé.
S’il tient encore en place, c’est parce que ce pouvoir a tout mis en œuvre pour casser la lutte, au prix d’un renoncement inédit aux principes fondateurs de ce pays : liberté (d’expression, de manifestation), égalité (de traitement face à la police et la justice), fraternité (dans la douleur, dans les blessures, dans les deuils). Les GJ sont devenus un ennemi d’état. Pas un mot sur le bilan dramatique de morts et de blessés par le gouvernement ou le pouvoir économique et financier.
Mais si le pouvoir tient encore, c’est aussi parce qu’il a réussi à « recadrer » une partie du mouvement qui était en train de « déborder ».
Car si l’on dresse le bilan des principales victoires des différentes mobilisations, elles se manifestent presque toujours pas des actions de rébellions et d’oppositions aux règles imposées par le pouvoir :
– Acte 1 : les GJ bloquent des routes, péages et autres accès sans aucune autorisation préfectorale (et cela dure jusqu’à aujourd’hui)
– Acte 2 : la préfecture autorise un rassemblement parisien mais seulement sur le Champs de Mars. Les GJ décident de ne pas s’en préoccuper et d’envahir les Champs Elysées. Ils dressent des immenses barricades et allument des feux.
– Acte 3 : la préfecture autorise l’accès aux Champs Elysées mais à condition d’être fouillé. Les GJ s’y refusent et forcent les accès.
– Acte 4 : tout le quartier autour des Champs est cadenassé par les forces de l’ordre. Mais les GJ débordent de partout, et pas seulement dans ce quartier.
A tout cela s’ajoutent les blocages de raffinerie, d’entrepôt, les fermetures de magasins, les radars mis HS…
Tous ces actes sont clairement punis par la loi.
Mais pour la première fois depuis très longtemps, une partie importante du peuple a décidé de juger les actions non pas selon la légalité mais selon la légitimité.
Bloquer une route, faire une barricade, fermer un magasin peut être illégal mais légitime. Et même juste. Alors qu’inversement, de nombreuses actions légales (et violentes) de l’état ou du pouvoir économique paraissent désormais profondément illégitimes et immorales.
La force de la mobilisation et la détermination des GJ a d’ailleurs permis de dévoiler au plus grand nombre le visage autoritaire et très peu démocratique du pouvoir. C’est là aussi la force de cette révolte : obliger le gouvernement et les autorités à jouer carte sur table et à montrer jusqu’où ils sont prêts à aller en terme d’entorse aux Droits de l’Homme : arrestations arbitraires (pour avoir un gilet jaune ou un masque pour se protéger), GAV prolongées, violences et intimidations, humiliations de mineurs… Si, lors des révoltes arabes nous nous « surprenions » à découvrir le visage terrifiant et autoritaire d’un Ben Ali ou d’un Hosni Moubarak, les mécanismes de la séquence actuelle tiennent des mêmes ressorts.
Face à ce constat, nous pensons donc crucial d’amplifier cette prise de conscience et ce courage politique. Loin de prôner la violence en tant que telle (notamment physique), nous pensons en revanche que pour lutter contre un système qui dispose des forces économiques, policières et judiciaires pour se maintenir en place, il devient nécessaire d’agir avec indiscipline et moralité.
Les plus belles choses surgissent souvent de façon inattendue et chaotique. Les tenants du pouvoir le savent. C’est pour cela qu’ils s’acharnent avec tant de fougue et de violence à recadrer et discipliner le mouvement des Gilets Jaunes.
Car le pouvoir peut accepter un peuple en colère mais discipliné. Mais il ne peut survivre à un peuple en colère et indiscipliné.