La grande arnaque des grèves et manifs startup-Nation/Répu !

Initialement publié le 27 février 2020

En quelques années, à coup de petites réformes et changements stratégiques, le pouvoir a réussi à rendre totalement indolore les deux principaux outils de résistance du peuple : la grève et la manifestation. Et si une partie du peuple décide de lutter en dehors de ce « cadre imposé », on l’accuse d’ultra violence, de radicalisation ou même de terrorisme !

La preuve avec la séquence actuelle : La France vient de connaitre l’une des grèves les plus suivie et longue de son histoire, notamment dans les transports. Des centaines de milliers de personnes se sont mis en grève, pendant plusieurs jours de suite, plusieurs semaines même. Plus d’un mois de grève pour les plus déterminés.

Dans le même temps, des centaines de manifs ont été organisées dans tout le pays : en journée, la nuit, en semaine, le weekend. Au moins quatre fois depuis le 05 décembre, plus d’un million de personnes sont descendus dans la rue. Les chiffres du ministère de l’intérieur, largement minorés, compte plus de 3 millions de manifestants cumulés sur les 10 manifs intersyndicales depuis le 05/12. Si on prend les chiffres des syndicats, on approche les 10 millions ! Ajoutons à cela que le mouvement a toujours été majoritairement soutenu par l’ensemble de la population.

POURTANT…
La réforme des retraites sera mise en place par le gouvernement. On pourra nous dire qu’il est totalement légitime de le faire puisqu’il a été élu DEMOCRATIQUEMENT. Mais la démocratie ne s’arrête pas au simple fait électoral, loin de là. Un pays vraiment démocratique écoute lorsqu’une partie importante de la population s’oppose à un projet aussi structurant que la réforme des retraites. Un pays vraiment démocratique donne des outils à ces personnes pour peser dans le débat même s’il ne sont pas ministre, député ou maire. Au passage, un pays démocratique n’aurait pas ignoré en 2005 les résultats d’un référendum sur la constitution européenne.

La démocratie française n’a pas interdit le droit de grève : Dans les transports, à l’école, dans les services de santé…. il a « simplement » été imposé des outils aux entreprises pour « palier » aux conséquences de la grève. Pour le bien des usagers, des élèves, des patients ou des consommateurs bien sûr. Des cadres RATP s’improvisent donc conducteurs pendant que des retraités corrigent des épreuves du Bac. Résultat, il devient quasi impossible de bloquer réellement un rouage de l’économie et du système en restant dans le cadre « démocratique » d’une grève.

Reste donc les manifs ? Même pas. Désormais, les manifs, si massives soient-elles, sont devenues des nasses géantes dans lesquelles des centaines de milliers de personnes viennent s’entasser, entourées de milliers de policiers, de barrages à chaque rues et de voltigeurs tout autour. 100 000 personnes dans les rues de Paris n’ont plus du tout la même signification que cette même mobilisation il y a 20 ou 30 ans. Les scènes des manifestants en « nasse mobile » nous ferait rire si l’on voyait ça en Chine ou en Corée du nord. On raillerait le simulacre d’opposition qu’offre le gouvernement chinois ou coréens en laissant « sortir ses citoyens » mais entourées de milliers de policiers armés comme des militaires et visant les manifestant. Mais cela se passe en France. Et personne ne rigole.

Le pouvoir a totalement infantilisé les citoyens, pour les rendre totalement inoffensifs et donc forcément docile. Il leur a fourni un cadre tellement rigide et maitrisé des modes de « protestation » que cela ressemble à la stratégie des adultes qui donnent un coussin à des jeunes enfants pour qu’ils passent leurs nerfs dessus. Et que leur colère passe sans conséquence pour les meubles du salon. Sauf que le peuple français n’est pas un enfant. Et le pouvoir encore moins leur parent. A bon entendeur.


ULTRAS, LE 14 MARS, CHANGEZ D’ÉPOQUE !

Initialement publié le 24 février 2020

Appel aux groupes Ultras à rejoindre la lutte.

Depuis plusieurs mois, la France est secouée par de nombreuses révoltes : Gilets Jaunes, climat, retraites, lycées, avocats, pompiers…la liste est longue et ne fait que grossir.

Il existe deux point communs à ces revendications :
1/ La réponse du pouvoir, toujours la même : réprimer et terroriser.
2/ L’idée de plus en plus répandue que la solution réside dans un changement total du système. Une Révolution.

Face à cette situation, le mouvement ultras français est pour le moment resté en retrait. Présentée depuis toujours comme une évidence en France, cette volonté de ne pas agir en dehors du cadre footbalistique n’est pourtant plus de mise dans de nombreux pays où les révoltes ont été les plus importantes : Tunisie, Chili, Turquie, Algérie, Brésil…

Les Ultras ont été parmi les premiers à expérimenter les dérives totalitaires du pouvoir : les nouvelles techniques pour gérer les foules (caméras, lacrymo, flashball) mais aussi les nouveaux « outils » législatifs pour restreindre les libertés individuelles sans avoir à passer par un juge. Ainsi, les interdictions de manifester que des milliers des Gilets Jaunes ont subies ne sont que la déclinaison des interdictions administratives de stade que les Ultras connaissent depuis plusieurs années. Aujourd’hui, on parle de reconnnaissance faciale dans certains stades français. Le pouvoir teste ainsi son délire autoritaire et fascisant sur une partie de la population que peu de gens soutiennent, parce que présentés comme violents et beaufs par les médias mainstream. Ce faisant, il peut ensuite décliner ses outils quelques années plus tard sur d’autres populations… Pour finir par les utiliser sur l’ensemble des citoyens.

La violence policière, les restrictions de liberté, la justice aux ordres du pouvoir…. toutes ces dérives ont donc été vécues par le milieu ultra. Pourquoi ? Parce qu’il dérange par son autonomie et sa force d’opposition. L’autonomie d’un groupe ultras est quelque chose qui fait peur : au club, à la ligue, à la préfecture, au pouvoir. Des centaines de supporters qui s’organisent entre eux, en toute liberté, sans qu’on puisse leur mettre de pression financière ou autre, c’est quelque chose d’inacceptable pour le système actuel qui a plus que jamais besoin de contrôler. Contrôler tout le monde, tout le temps.

Le tournant sécuritaire dans les stades et la répression contre les groupes ultra vont de pair avec la néo-libéralisation marchande du football : dès qu’il y a un tournant néo-libéral, il y a un tournant répressif. C’est ce qu’on a vu avec Thatcher et c’est ce qu’on voit actuellement avec Macron. C’est le cas dans les stades comme partout ailleurs. Dans le foot, les enjeux marchands et politiques sont tels que les autorités ont besoin de stades aseptisés où les supporters ne sont finalement plus que des spectateurs, et surtout, où ils sont totalement dociles.

Pour réussir à réprimer de façon aveugle et injuste le mouvement ultra, les autorités ont stigmatisé une population déjà fortement dénigrée par les médias et les « classes dominantes ». Traités de sauvages, de barbares, d’assoiffés de violence… il a alors été facile de les condamner et de les terroriser.

Une méthode que l’on a pu revoir ces derniers mois avec les Gilets Jaunes, eux aussi traités de barbares et de sauvages. Mais au fond, eux aussi craints par le pouvoir en raison de leur autonomie et de leur liberté d’action et de pensée.

En 2020, la question n’est plus d’être en jaune, en vert, en rouge ou en noir. La question est d’être dans la rue et de résister. Une rue que le pouvoir totalitaire a totalement confisquée, au point d’embarquer toute personne osant manifester en dehors des « nasses mobiles » mises en place par la préfecture.

Le 14 mars, de nombreux collectifs d’horizons très divers appellent à venir sur Paris pour reprendre cette liberté et pour aller encore plus loin. Il est question de réforme des retraites, de justice climatique, de pouvoir d’achat, de liberté d’expression et de circulation, de violences policières et d’Etat…. Des GJ, des écolos, des syndiqués de base, des étudiants, des avocats, des pompiers… toute la France qui lutte est appelée à venir sur Paris ce jour là.

C’est pourquoi nous formulons le vœu que les Ultras sortent des stades et se mobilisent avec le reste de la société. En commençant par cette journée du 14 mars à Paris. Car les Ultras ont des pratiques et une expérience qui pourraient être utiles dans ce combat face à un pouvoir violent et autoritaire. Des chants aux fumigènes en passant par les chorégraphie, l’univers ultras influence déjà les lutte sociales mais pourrait aller encore plus loin. Surtout, les ultras d’un même groupe ont une force précieuse qui découle de leur solidarité, de leur détermination et de leurs capacité à agir de façon très groupée et rapide. Lorsqu’un ultra est pris à parti par des policiers, aucun membre de son groupe ne reste passif et/ou ne filme la scène. Tous les membres de son groupe viennent l’aider et opposent une résistance. Cet esprit de groupe et de résistance font des ultras une force d’opposition réelle au pouvoir et à son bras armé. Ces groupes, dans la rue avec les GJ, les BB et autres militants qui veulent vraiment changer les choses, pourraient devenir décisifs.

En Tunisie ou en Egypte, les Ultras ont joué un rôle important dans les révolutions de 2011. Les ultras turcs ont également su mettre leurs différents de côté au moment de la révolte de la place Taksim. Plus récemment, à Alger, les diverses communautés ultras d’Alger se sont déclarées khawa (« frères »), mettant entre parenthèses leurs rivalités sportives pour unir leurs forces contre le régime. Ils participent régulièrement aux manifestations du vendredi. Au Chili également, les groupes de supporters des trois grands clubs de Santiago ont appelé à manifester, mettant de côté leurs inimitiés.

En France, nous pensons qu’il serait salutaire pour le mouvement social que les Ultras prennent position et aillent aux côtés de ceux qui combattent ce pouvoir de plus en plus autoritaire et totalitaire. Se battre avec eux, avec leurs différences, en y ajoutant leurs revendications et leur passif, pour en faire une force.

Bien sûr, il aurait été souhaitable que le reste de la population s’indigne du sort des ultras ces derniers années, et soit solidaire. Mais cela ne suffit pas pour refuser d’entrer dans le mouvement général de révolte contre le système.

Bien sûr, les groupes ultras refusent pour la plupart de se « mêler » de politique. Mais leur avenir est éminemment lié à des décisions politiques, des choix de société. Cela ne veut pas dire faire campagne pour un parti, mais simplement se battre pour faire tomber ce pouvoir et tout le système qui lui est lié. Exactement comme les GJ qui ont pu se retrouver sur des ronds points et dans des manifestations sans avoir voté pareil mais qui ont décidé d’unir leur force pour mettre fin à cette époque dont plus personne ne veut.

Une seule police, un seul pouvoir, une seule bataille.
Et elle commence le 14 mars à Paris. Ultras français, nous vous attendons à Paris.


Que vive la violence !

Initialement publié le 9 février 2020

On nous parle de combat politique et de lutte des classes. Mais aujourd’hui, en 2020, il faudrait combattre et lutter sans aucune violence. Foutaises.
Cette injonction permanente à la non-violence la plus absolue n’est qu’une ruse des puissants pour conserver pouvoir et argent.

Les ultras riches ne changeront jamais le système actuel qui leur profite tant. Ces gens-là se cognent complètement des tribunes, manifestations pacifiques, grèves et autres pétitions.

Mettons-nous à leur place : pourquoi changeraient-ils une société qui a été bâtie pour eux, pour leurs profits, pour leurs intérêts ? A quel moment peut-on penser qu’il y aurait une « prise de conscience » de ces personnes ?

La grande réussite de ce système, c’est d’avoir réussi à rendre totalement inacceptable l’usage de la violence dans nos sociétés. Sauf bien sûr pour les forces policières, qui elles, n’ont jamais été aussi violentes. Le peuple n’a jamais été autant désarmé et docile alors que la police n’a jamais été aussi armée et violente. Drôle d’époque.

Nos cerveaux ont été formatés pour s’indigner d’une poubelle qui brûle ou d’une vitre de banque brisée… tout en acceptant de chevaucher un SDF qui dort contre une bouche d’aération. On pourrait dérouler les exemples à n’en plus finir. Nous avons tous intégré l’ultra-violence de la société libérale qui blesse, tue et humilie chaque jour des millions de personnes.
Écrire cela, ce n’est pas regretter les sociétés passées, plus violentes au quotidien ! Bien sûr que c’est un progrès que les violences diminuent dans une société, notamment les violences conjugales, sexistes, racistes ou homophobes. Bref, les violences d’individu à individu.

Mais cela ne doit pas pour autant rendre illégitime tout usage d’actions « violentes » dans des luttes sociales, surtout quand celles-ci ont clairement un objectif révolutionnaire.

On va nous ressortir l’éternel exemple de Gandhi et de la possibilité d’une révolution non violente. Évidemment que cela a existé. Mais si l’on regarde avec honnêteté la liste des révolutions ces dernières décennies, la grande majorité a connu des épisodes de violence.

Et c’est tout à fait compréhensible : un pouvoir, surtout s’il est autoritaire, ne se laisse pas déposséder de son trône sans se battre. Physiquement, violemment. Et donc, souvent, pour gagner, il faut pouvoir répliquer. Physiquement, violemment.

Autre schéma à détruire de nos constructions mentales : l’idée que ceux qui, en manif, peuvent se prêter à des actions offensives sont des sauvages, des barbares, des animaux assoiffés de sang.

Bien sûr qu’il y a des montées d’adrénaline lors d’affrontements, lors de feux de joie. Quel GJ présent sur les Champs lors des premiers actes n’a pas connu une certaine euphorie du moment, en partie liée à des actions dites « violentes ». Il n’y a pas à avoir honte de ces sentiments. Ceux qui cherchent à faire culpabiliser de ces émotions sont ceux qui ont intérêt à ce que la population s’autocensure sur de telles actions.

Mais les personnes présentes dans les actions offensives ne rêvent pas d’égorger un policier ou de brûler un riche. Ils rêvent d’une société plus juste, plus humaine, plus égalitaire, plus soucieuse de l’environnement. Ils prennent du plaisir à chanter et danser sur un rond point autant qu’à construire une barricade. C’est peut-être moins vendeur pour BFM et LCI, mais que ce soit en noir ou en jaune, les manifestants se prétendant révolutionnaires ont surtout soif d’amour et de fraternité.

Les réduire à la violence n’est pas anodin. C’est une technique pour les isoler, les stigmatiser puis les disqualifier. Mais ce cirque marche de moins en moins. Ceux qui sont allé sur le terrain pour se battre lors des centaines de manifestations et d’actions qui ont eu lieu en France depuis 14 mois savent que les plus deter sont tout sauf des barbares.

Les barbares sont aujourd’hui en costards et au pouvoir. Sous leur vernis civilisé, il y a le sang de millions de laissés pour compte, mais aussi de toute la planète qui se meurt. Ils le savent. Et ils s’en tapent. Tant qu’ils peuvent profiter de leurs yachts et de leurs villas à la montage. Ces gens-là sont d’une violence ultime, meurtrière. Ils ne lâcheront rien sans qu’ils y soient forcés.
Sachant cela, on peut disqualifier totalement la violence du champ des luttes sociales. Mais dans ce cas là, acceptons que le système ne changera jamais profondément. A chacun de choisir.

“Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai la violence.” Gandhi
“La violence aux mains du peuple n’est pas la violence, mais la justice.” Eva Peron-
“Celui qui rend violence pour violence ne viole que la loi, et non l’homme.” Francis Bacon


DÉFIER L'INTERDIT. MONTRER L’ILLÉGITIME 

Initialement publié le 2 février 2020

Qu’est-ce que nous dit un Etat qui tient une contestation démocratique à l’écart des lieux de pouvoir et qui enferme 3 lycéens pendant 36 heures de garde à vue pour les punir d’avoir bloqué leur lycée contre les réformes Blanquer ? Peut-être tout simplement qu’il a peur… Peur au point de vouloir intimider le mouvement lycéen et peur au point d’interdire la moitié de Paris à une manifestation de gilets jaunes.

Vu de loin, cet acte 64 des GJ à Paris pourrait être considéré comme un échec : aucune manif sauvage n’a pu avoir lieu et de nombreux manifestants ont été interpellés/verbalisés de façon totalement arbitraire. 403 verbalisations rien qu’à Paris ! Et 3 gardes à vue.

Sauf que ce qui s’est passé à Paris samedi est nettement plus fort qu’une manif déclarée et totalement nassée de bout en bout par la police, qui ne dérange absolument pas le pouvoir.

Ce samedi, plusieurs centaines de Gilets Jaunes (sans leur gilet) ont bravé l’arrêté préfectoral grotesque qui leur interdisait d’être « présents » dans une bonne partie de la capitale (tous les lieux de pouvoirs et touristiques). Malgré les menaces du préfet, ils se sont retrouvés au lieu de départ de la manif refusée par la préfecture, devant le Conseil d’Etat. Le dispositif policier était énorme, démesuré, comme depuis plusieurs mois. Et pourtant, ces citoyens ont décidé de venir dans la gueule du loup, non pour être victime, mais pour tenir la dragée haute à l’intimidation d’un pouvoir qui n’a plus que la surenchère de ses muscles pour empêcher une simple manifestation. Rapidement nassés (comme prévu), ils ont été rejoints par d’autres manifestants qui se sont payés le luxe de nasser la nasse policière. Une dérision délectable qui a pour quelques instants désorganisé le dispositif. Un peu gênée aux entournures dans ce quartier touristique, la police a ensuite desserré les dents et les gilets jaunes ont pu rester manifester devant le conseil d’état ou marcher dans le quartier puis se rendre sur un plan B.

Pendant plusieurs heures, les GJ ont continué à défier le pouvoir et son bras armé (les BRAV), sûrs de leur légitimé à manifester et à se battre pour une société plus juste et plus humaine.

La réponse du pouvoir apparait dès lors forcément disproportionnée et illégitime. Et c’est tout l’intérêt de cette action !

Car un pouvoir autoritaire et de plus en plus fascisant peut tout à fait se faire passer pour démocratique tant que tout le monde respecte ses « conditions » et feint d’accepter le consentement forcé. Mais lorsqu’on l’oblige à montrer son vrai visage, simplement en décidant d’aller manifester où bon nous semble, la part sombre et dangereuse du pouvoir apparait au grand jour.

En cela, les 500 GJ parisiens présents ce samedi ont été bien plus subversifs et utiles à la lutte que s’ils avaient été 3000 dans une manif totalement « encagée », dans une nasse policière mobile.

Et si, samedi prochain, ils sont plus nombreux, le pouvoir aura de plus en plus de mal à contenir la colère légitime. Et il n’aura d’autre solution que de montrer encore plus son visage fascisant.

Revenons maintenant sur l’arrestation des 4 lycéens.Vendredi matin, ils sont arrêtés dans le cadre de la mobilisation contre les épreuves de contrôle continu du nouveau bac (une des réformes de Blanquer). On leur reproche d’avoir bloqué le lycée Ravel avec une poubelle en feu. La mise en garde à vue de 4 mineurs pour des faits de la sorte est exceptionnelle. Alors qu’un des lycéens a été libéré sans suite au bout de 24h, les 3 autres ont été déférés au tribunal et leur garde à vue a été prolongée.

Mais coup de théâtre samedi, le parquet se rend compte que le dossier ne permet pas de faire passer les lycéens devant un juge pour la poubelle brulée par manque de preuves et des irrégularités dans la procédure. Il décide donc de leur notifier une mesure alternative. Ainsi le parquet garde la face dans une affaire qui aurait pu lui couter cher : se faire désavouer par un juge.

C’est la même technique qui est employée contre les gilets jaunes rappelle Lucie Simon, l’avocate des jeunes lycéens. En sommes une technique qui consiste à arrêter arbitrairement, et, fautes d’éléments tangibles, coller un rappel à la loi.

Macron et son monde ne tiennent plus que par sa police et sa justice à deux vitesses. Plus la contestation sociale augmente, plus les moyens répressifs sont démesurés pour terroriser tous ceux qui osent résister. Cette débauche de moyens a un but : faire peur aux autres, à ceux qui ne s’organisent pas encore face à cela et qui pourraient rejoindre le mouvement. Dans le cas du lycée Ravel comme dans le cas de la manif gilets jaunes, le procédé est le même : envoyer un message de terreur. Ainsi l’État dit aux parents que leurs enfants pourront souffrir dans les mains de la police s’ils s’opposent aux reformes. Que même si les accusations ne sont pas fondées, il aura malgré tout les moyens de punir dans les interstices. Voilà ce qu’on appelle une manière de faire de la police politique. Les gilets jaunes ne connaissent que trop bien cette rengaine. Les lycéens de Mantes la Jolie qui avaient été mis à genoux l’année dernière sur ordre de flics armés aussi.

Face à cela, il n’y a pas d’autre choix que de résister et de déranger. Au risque de se faire arrêter, interpeller, verbaliser.

Même si cela fait mal, n’oublions pas que cela est juste. Légitime. Et que c’est ce qu’il faut faire.

Alors disons le clairement : bravo à celles et ceux qui ont tenté de changer les choses ce samedi à Paris avec la manif gilets jaunes. Et bravo aussi aux lycéens et lycéennes qui s’organisent pour bloquer l’application de réformes injustes. Et bravo à tout celles et ceux qui ont le courage d’accompagner les révoltes en cours.

A trop montrer les muscles de son autoritarisme, l’Etat est en train de s’effondrer par le propre poids de sa force, en se délégitimant. Et si nous poussons tous, il tombera


L'horreur et le sublime

Initialement publié le 11 janvier 2020

La période actuelle a cela d’étonnant qu’elle fait monter en miroir l’horreur de la répression d’une société fascisante de Macron avec l’espoir et la beauté de ceux qui résistent. Tout est plus fort, de jour en jour : l’horreur et le sublime.
La manif parisienne du 09 janvier en fut une parfaite illustration. Elle fut aussi désespérante qu’enthousiasmante.
L’espoir perdu, c’est celui d’un état de droit, d’une société respectueuse où la violence est combattue et non encouragée par le pouvoir. Nous écrivions il y a quelques jours que le pouvoir était devenu objectivement autoritaire et qu’il était en voie évidente de fascisation. Tous ceux qui étaient parmi les milliers de manifestants en tête de cortège jeudi ne peuvent que constater que la deuxième étape est déjà là.

Les scènes sont vraiment hallucinantes : des centaines de forces de l’ordre (CRS, policiers, gendarmes mais aussi les terribles BRAV) se sont employés durant toute la journée à terroriser, à blesser. Au point qu’un mort n’aurait pas été une surprise ! Il y a eu un tir de LBD à bout portant. Il y a eu de multiples matraquages au crane. Un déchainement de brutalité et de sauvagerie.

Nous l’avons déjà dit mais il ne s’agit pas de bavures. Comment pourrait-on en parler quand il y a autant d’actes et qu’aucun n’est puni. En une semaine, la police française a tué deux fois, en dehors même des manifs. Sans compter les morts des deux dernières années.

La police tue. Le pouvoir couvre. Voire encourage. Car c’est sa dernière carte pour tenter d’écraser une révolte sociale qui n’en finit pas depuis plus d’un an. Avec ou sans gilet jaune.

Mais jeudi, c’était aussi l’espoir, à la hauteur de l’horreur. Car jamais depuis le 05 décembre nous n’avions vu un cortège aussi fort et courageux. Une motivation, une détermination, de la passion, une folle envie de résistance. Des milliers de personnes ont décidé de ne plus se laisser faire, de refuser de laisser la police les nasser en permanence, les menacer de leur LBD, les encadrer comme on « autoriserait » une manif dans une dictature qui chercherait à prendre les habits d’une démocratie.

Il y eut de nombreuses scènes improbables de manifestants avançant vers les cordons policiers, malgré les coups de matraque et les gaz, voire les tirs de LBD. Il y eut des charges de manifestants, qui réussirent plusieurs fois à casser les nasses et cordons policiers. Des œufs jetés sur les policiers, des légumes !

Le niveau de violence n’a pas été fixé par les manifestants mais bien par la police et la préfecture. Leur présence ultra anxiogène et leur nombreux assauts à l’intérieur même de la manif, juste pour séparer différents cortèges, les ont exposés comme rarement cela aura été le cas.

Cette stratégie voulue par Lallement et validée par Castaner et Macron est très dangereuse et pourrait conduire au pire. Jeudi à Paris, nous avons senti que le drame était vraiment proche. En blâmer les manifestants serait d’une malhonnêteté intellectuelle inouïe.

Quand la police tue, mutile et éborgne en toute tranquillité, il est normal (et même sain) que la population résiste et refuse de manifester dans de telles conditions.

L’espoir de jeudi, c’est aussi l’évidente Giletjaunisation du mouvement. Là encore, depuis le 05 décembre, aucune manifestation sur Paris n’avait autant pris l’ADN du mouvement GJ. Le cortège de tête était en fait une immense manif GJ, mais version 2020. D’apparence, à part quelques gilets jaunes visibles, cela ressemblait aux cortèges de tête de 2016. Sauf que parmi tous ceux en noirs, en rouge ou sans habits particuliers, se trouvaient énormément de GJ. Cela s’est notamment manifesté clairement lorsque le « chant des Gilets Jaunes » était lancé. A plusieurs reprises, des centaines de manifestants ont repris le chant, y compris des syndiqués ! Et puis il y a évidemment eu les désormais classiques « GJ, quel est votre métier ? » , « révolution ! » , « on est là… »

Alors bien sûr, le cadre de la manif déclarée (et ultra encadrée par la police) n’a pas permis les débordements des actes les plus offensifs des GJ. Mais l’envie, la passion et la détermination étaient plus que jamais présentes, et pas que chez quelques dizaines de personnes.

On ne peut même plus parler de convergence. L’esprit GJ, la façon d’envisager le combat politique face à un pouvoir autoritaire a désormais imprégné une partie importante du paysage des luttes sociales. Cela crée forcément quelques contradictions (à l’image des manif déclarées) mais cela permet aussi au mouvement d’évoluer et de toucher de nouvelles personnes, tout aussi attachées à se battre pour un futur où l’humain et la planète passent avant les profits de quelques uns.

Alors après ce 09 janvier, il convient de prendre acte de deux réalités : le pouvoir ne connait aucune limite dans sa violence et sa volonté de casser les luttes sociales, quitte à blesser voire tuer. Une partie de plus en plus importante de ce mouvement social est prête à combattre et à résister face à cette dérive.

Cela peut parfois paraître vain de résister face à une armée sans limite et décidée à tous les massacres. Mais dans l’histoire, il n’est jamais vain de résister. Loin de là.


Macron, start-up fasciste

Initialement publié le 6 janvier 2020

Les mots sont importants. Dans une période où les termes sont dévoyés, où plus rien ne semble vrai ou faux, il nous est toujours apparu important de tenter de laisser chaque mot à sa place et de les utiliser avec la plus grande attention. Aussi, alors qu’Emmanuel Macron arrive à la moitié de son mandat de Président, il nous apparaît crucial de nommer avec précision le régime actuellement en place et qui pourrait influer pour de nombreuses années sur l’avenir de notre société.

Dans une période où les USA sont dirigés par Trump, le Brésil par Bolsonaro et le Royaume-Uni par Boris Johnson, on pourrait s’estimer « heureux » d’avoir comme chef d’Etat une personne comme Macron, celui-ci pouvant apparaitre comme moderne et mesuré face aux caricatures précédemment citées  .

Mais c’est en cela qu’il est si dangereux. Car oui, depuis deux ans et demi, Macron mène une politique ultra-autoritaire : opposants politiques mutilés, tués ou emprisonnés, journalistes et observateurs des droits de l’Homme agressés et persécutés juridiquement, lycéens humiliés, installation de milices ultra violentes et sans compte à rendre. De semaine en semaine, la France plonge, sans même s’en offusquer, dans un état autoritaire. Plus personne ne s’étonne de voir des centaines de policiers équipés d’armes de guerre dans les rues de nos villes. La norme est désormais placée du côté d’une vie régie par des cadres autoritaires.

Définition de l’autoritarisme ? Système politique où l’autorité est érigée en valeur suprême.  Un régime politique autoritaire est celui qui par divers moyens (propagande, encadrement de la population, répression) cherche la soumission et l’obéissance des individus composant  la société.

Comment ne pas considérer la France comme répondant parfaitement à ces termes ? Désormais, le préfet de Paris parle d’être dans un camp, et assume que son parti est celui de l’ordre. Le bruit des bottes est déjà derrière nous.

Dans plusieurs décennies, on regardera notre période en se disant qu’en quelques mois, les citoyens français ont vu leur liberté se réduire, avec le silence complice du plus grand nombre des secteurs qui auraient pu s’y opposer (politiques, associatifs, médiatiques…). Une période où il aura été accepté que des personnes soient arrêtées pour simple port d’un gilet jaune. Où des milliers de citoyens se sont vus privés de leur droit de manifester. Ou une personne en fauteuil roulant s’est vue condamnée à de la prison parce que présente en manif avec une arme (son fauteuil). Où deux jeunes allemands ont été emprisonnés pour possession de livres jugés « trop radicaux » (mais pourtant en vente libre).

C’est également ce moment de l’histoire où la force aura tué, de Steve à Zineb en passant par Aboubacar. Et ce, sans jamais être inquiétée puisque faisant partie d’une stratégie claire de l’état. Il n’y a pas eu de bavure pour toutes ces victimes. Elles étaient nécessaires pour le pouvoir.

Alors oui, depuis plusieurs mois, nous utilisons le terme d’autoritarisme pour parler du système politique français de 2019. Il ne s’agit pas de totalitarisme puisque la pluralité de partis et de syndicats est toujours présente. Mais il s’agit bien d’autoritarisme. Et c’est déjà énorme, et trop pour être compatible avec la démocratie. Pire. Nous estimons aujourd’hui que le pouvoir actuel prend la direction d’un post fascisme, celui d’un système économique ultra libéral qui use de tous les coups possibles pour se maintenir.

Le pouvoir actuel est tolérant, ouvert et moderne… tant qu’il n’est pas remis en cause. En cela, il rappelle certains dictateurs récemment tombés lors des révolutions arabes. En Tunisie, tant qu’on ne remettait pas en cause Ben Ali, tout semblait aller très bien. Mais on ne peut être libre partiellement. On est libre. Ou on ne l’est pas. Et les « démocraties » actuelles nous disent ceci : « vous êtes libres, tant que vous ne remettez pas en cause le système ».

En France, l’inattendu mouvement des Gilets Jaunes a permis de révéler le véritable visage du pouvoir. Si sa violence s’était déjà manifestée lors des mouvements contre la Loi Travail, avec déjà des milices hors de tout contrôle (Benalla power), tout a éclaté au grand jour et de façon évidente avec le mouvement GJ. Jamais depuis 60 ans la France n’avait connu une telle régression autoritaire.Les opposants politiques de 2020 se savent traqués , virtuellement et sur le terrain. Des centaines de citoyens sont derrière les barreaux pour simple participation à des mouvements sociaux. D’autres ont perdu un œil, une main ou une jambe. Les chiffres ressemblent à ceux d’une guerre civile. Parce que le pouvoir en a voulu ainsi.

Peut-on malgré tout parler de fascisme en France ? Le fascisme « originel » se définissait, selon la propre formule de Mussolini par : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! »  L’État est ainsi érigé comme la structure ultime à protéger, bien plus que la démocratie, ou, hérésie, l’humanisme, l’égalité, la fraternité.  A l’époque, le fascisme se définissait comme une réaction aux valeurs de l’humanisme démocratique du siècle des Lumières et rejetait les droits de l’homme, le communisme, l’anarchisme, les libertés individuelles et le libéralisme.

Évidemment que le pouvoir actuel en France est très éloigné de ce qu’a pu mettre en œuvre Mussolini. Mais il révèle de plus en plus une couleur objectivement fasciste dans sa criminalisation de tous ses opposants, dans sa volonté de contrôle absolu de la vie des citoyens, dans la terreur quotidienne imposée, dans sa volonté de faire de l’état une structure au-dessus de la justice, au-dessus de tout contrôle, ayant tous les droits.

Si on enlève le décorum de la Ve république, les belles images d’un gouvernement moderne, jeune et à l’écoute, si l’on regarde les faits, les chiffres (d’arrestations, de blessés, de morts) la France n’a plus grand chose d’une démocratie. Si ce n’est ses élections (où gagne celui ou celle qui a le plus d’argent et de médias dans sa poche). Car la démocratie, ce n’est pas pouvoir voter tous les cinq ans.

Définition de la démocratie ? Prenons trois définitions :

Selon Paul Ricoeur : « une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage ». La France n’y est clairement pas.

Selon Alexis de Tocqueville, la démocratie est un Etat social dans lequel les citoyens sont égaux : l’égalité devant la loi, l’égalité des chances, l’égalité de considération.

Selon Montesquieu, la démocratie est un système politique basé sur la vertu et dans lequel le peuple est sujet et souverain. Tous les citoyens sont égaux et leurs représentants sont choisis par tirage au sort.

Clairement, sur aucune de ces définitions, la France ne peut se prétendre aujourd’hui une démocratie.

Alors oui, les mots sont importants. Très importants. Et c’est pour ça que nous affirmons qu’il n’est plus possible de parler d’un état démocratique en France. Et qu’il est désormais essentiel de l’appeler selon les termes qui conviennent : un état autoritaire, en voie de fascisation.

Dire cela n’est pas une posture provocatrice ou militante mais l’unique possibilité pour celles et ceux qui respectent vraiment la démocratie et qui se battent pour elle. Dire cela, c’est aussi prendre acte de la situation et en tirer les conséquences dans nos vies quotidiennes. On ne vit pas pareil si on se sait dans un état fasciste. On résiste différemment. On fait des choix différents. Et c’est pour cela qu’il est important de ne plus laisser passer l’imposture du voile médiatique d’une démocratie en France.

Ce fascisme particulier qui nous pend au nez, dont on ne sait pas si on est déjà dedans ou non, c’est aussi celui qui s’organise autour des « innovations » technologiques. Après l’arsenal de lois « renseignement » et antiterroristes de ces dernières années, la France se situe clairement à la pointe des pays dits démocratiques par ses moyens juridiques et policiers de surveillance et de contrôle de sa population civile. Loin de questionner cette singularité et d’en évaluer les risques en termes d’atteintes aux libertés publiques, et sous l’impulsion des acteurs économiques du secteur, ce gouvernement semble lancé, sans aucun débat public sérieux, dans une course aveugle au déploiement de technologies de surveillance de masse.

On constate par exemple aujourd’hui la mise en place de nombreux dispositifs locaux de type « Smart City » : « Observatoire de la tranquillité publique » à Marseille, « Safe City » de Thalès à Nice et à La Défense, portiques de reconnaissance faciale dans deux lycées de la région Sud, vidéosurveillance intelligente à Toulouse, Valenciennes, dans les Yvelines ou dans les couloirs du métro à Paris, capteurs sonores à Saint-Etienne, déploiement de drones à Istres (cf. projet Technopolice). Derrière cette dénomination inoffensive de « Smart City » se cache en réalité le projet de mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières.

Au niveau national, le Fisc peut désormais procéder à la captation et l’analyse de masse des données des réseaux sociaux. Et le gouvernement veut donner à la police l’accès à l’ensemble des données nominatives de voyage en train, avion ou bateau. Par ailleurs le projet Alicem poussé par le gouvernement constitue clairement la première pierre d’une identification administrative par reconnaissance faciale.

De manière insidieuse, des cadenas se verrouillent donc autour de nous.  Petit à petit, à coup de « il n’y a pas d’alternative », à coups de conflits d’intérêts privés, l’Etat, qui n’est plus qu’un gouvernement technique doté d’une police, nous amène dans une voie qui entrave nos libertés fondamentales en appelant ça le progrès. Mais ça n’est pas le progrès. La Chine et son effrayant système de « crédit social » sont là pour nous rappeler à quel point l’idée – qui nous est vendue par la start-up nation – que le progrès technologique serait nécessairement porteur de progrès social  constitue un leurre fécond d’une dystopie technologique de marché, une tyrannie de ceux qui détiennent les moyens de contrôle sur l’ensemble de la population.

Le pouvoir politique peut évidemment continuer d’arborer ses fétiches démocratiques – suffrage universel, pluralité des partis politiques, séparation des pouvoirs, laïcité – mais si l’état néolibéral moderne est, par certains côtés, très éloigné du fascisme historique du 20è siècle, il dispose de moyens de contrôle et de coercition arbitraires incomparables qu’il mobilise déjà contre ses opposants. Après deux ans et demi de pouvoir Macron, le fameux barrage du second tour de l’élection présidentielle apparaît de plus en plus comme un mariage.


LA RÉVOLTE DOMESTIQUÉE ?

Initialement publié le 12 décembre 2019

Mardi dans Paris, le mouvement social a connu une journée très étrange. Bien que plus faible que la journée historique du 05 décembre, la mobilisation était encore exceptionnellement forte (plus de 100 000 personnes dans la capitale). La détermination plus que jamais présente. L’espoir aussi. Un cortège de tête de plusieurs milliers de personnes. Et pourtant…. mardi, le pouvoir n’a pas tremblé. Il n’a même pas semblé sous pression. En témoigne la réponse d’Edouard Phillipe le lendemain, qui, non seulement confirme la réforme mais va même encore plus loin.

Mardi, pour la première fois, on a vu un black bloc de plusieurs centaines de manifestants marchant tranquillement de Montparnasse à Denfert en étant constamment entouré de policiers. Une nasse mobile. Si la tactique avait déjà été éprouvée sur la fin des manif contre la loi Travail en 2016, c’est la première fois qu’elle a été aussi imposante et qu’elle s’est passée sans la moindre contestation. Un an plus tôt, pour l’acte 3, les Gilets Jaunes étaient deux fois moins nombreux dans Paris (8 000 selon la préfecture mais probablement 30 à 40 000). Mais ce jour là, le gouvernement était en alerte maximale. Voire en panique.

On se rappelle que c’est entre autre le fait de n’avoir pas voulu se faire fouiller aux check points de la police qui avait permis de sortir du cadre prévu par la préfecture et de regrouper puis d’éparpiller ainsi plein de groupes révoltés dans les quartiers bourgeois.

Ce n’est pas tant le degré de violence qui interroge que le respect bien sage des règles édictées par le pouvoir pour exprimer sa contestation. Car ces règles sont évidemment faites pour que le pouvoir ne soit pas dérangé. Or, depuis plusieurs mois, l’envie est claire de déranger le système, de le faire dérailler, de le changer. De plus en plus de personnes se lèvent face à ce monde abject qui se construit pour le compte de quelques privilégiés au détriment des autres et de la planète.

Gj, écolos, étudiants et même syndicalistes : rarement il n’y avait eu en France et dans le monde autant d’appel à la rébellion. Difficile dans ce paysage là de comprendre l’apathie de la manif parisienne du 10 décembre.

Bien sûr, la répression ultra violente et aveugle du pouvoir peut être une des raisons. Bien sûr que le cordon de policiers qui entoure tout le cortège de tête a dû refroidir certains manifestants. Aussi, deux éléments clés ont fait récemment leur entrée du coté de la répression : La reconstitution des équipes de voltigeurs (appelés les bravm) qui avaient été dissouts après le meurtre de Malik Oussekine et la promulgation de la loi dite « anti-casseur » qui punit le simple fait d’avoir sur soi un masque de protection pour les gaz. D’un coté une tactique meurtrière offensive et de l’autre la soustraction des moyens de défense des manifestants face aux attaques de la police.

Il n’empêche : être des dizaines de milliers ensemble, dans la rue, et dans une colère commune, devrait donner la force de refuser d’être traités comme des moutons qu’on amène d’un point A à un point B. Laisser la police entourer et guider les manifestants, c’est leur accorder une ascendance sur nos vies et nos luttes.

Comment un cortège qui combat l’oppression et la répression policière peut se laisser guider par ces mêmes policiers qui ont autant mutilé, blessé et tué ?

On l’a encore vu mercredi avec les annonces d’Edouard Phillipe, ce pouvoir ne jure que par et pour les plus forts. Ils ne donnera rien au plus faible.

Ce que les plus faibles obtiendront, ce sera en le prenant et non en le réclamant gentiment. Au Chili ou à Hong Kong, les manifestants ne suivent pas les ordres de la police qui leur dirait quelle rue emprunter et à quel rythme marcher. Si nous laissons ces agressions permanentes faire loi et les bottes policières s’essuyer sur nos libertés fondamentales le futur sera terrible.

En tout cas, si cette pratique de la nasse mobile du cortège de tête persiste, c’est probablement la fin même du cortège de tête. Car mardi, il y avait souvent plus de vie et de joie à l’arrière du cortège de tête, voir même au début du cortège syndical, là où il n’y avait pas de policiers. Et c’est assez logique : comment être léger et joyeux quand on marche juste à côté de policiers ultra armés et menaçants. Ces mêmes policiers ayant blessés et mutilés des manifestants depuis des mois. On ne peut pas manifester dignement en étant en permanence menacé de leur LBD et lacrymo.

A travers ce constat, l’idée n’est pas d’inciter à la violence. Mais c’est un constat : ce cortège de tête était l’un des plus apathique et triste de l’histoire. Et la présence proche et intrusive de la police y est sans aucun doute pour beaucoup. La préfecture a été totalement satisfaite de cette journée du 10 décembre. Il y a donc fort à parier qu’elle reconduira cette technique. Manif après manif, le cortège de tête pourrait devenir de moins en moins un espace de liberté et d’expression, mais l’endroit où on marche entouré de policiers. Jusqu’à n’être plus assez massif pour exister.

Mardi, il y aurait pourtant eu des espaces d’expressions et de rebellions possibles pour empêcher cette marche mortifère : refuser d’avancer tant que la police ne se retire pas, ou encore entourer les policiers de manifestants les mains levés, comme l’ont fait les pompiers le 05 décembre, décider de repartir en sens inverse ou même refuser de rentrer dans le parcours et continuer à manifester par groupe tout autour… En bref, trouver un moyen de faire l’inverse de ce que le dispositif attendait des manifestants.

Qu’on se le dise. Ce gouvernement n’est pas impressionné par les manifestations de masse. Il peut très bien attendre qu’elles se tassent, que les gens s’épuisent et qu’ils n’aient plus suffisamment d’argent pour continuer les jours de grève. Nous vivons un moment historique de convergence des ras le bol. Nous avons le nombre, nous tenons la grève, nous ne pouvons pas tout laisser filer dans le calme et l’apathie. Le moment est idéal pour libérer nos passions, pour faire exploser nos désirs qui sont jour après jour gommés par le mode de vie capitaliste. Réinventer ce monde ne se fera pas sans exulter, pas sans se laisser la place pour rêver et pas sans détruire le système garant de l’ordre bourgeois.

Nous entendions récemment un gréviste dire au secrétaire d’Etat aux Transports venu sur un piquet de grève : « Vous bossez pour le CAC 40, et ceux qui produisent les richesses vous les laissez crever ». Sauf que si l’on continue de produire des richesses ainsi tels des machines, si nous continuons tranquillement à revendiquer des améliorations de travail ou de retraite, nous n’obtiendrons rien, car nous continueront à jouer à la table de ceux qui ont les cartes en mains. Afin de rebattre le jeu, nous devons avoir un coup d’avance, être là où on ne nous attend pas. Ce mouvement social doit dépasser la simple question de la sauvegarde du système de retraite. Honnêtement… Si nous sommes là c’est pour un tas de raisons, et la réforme n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Comme la taxe carburant en novembre dernier qui entraina le mouvement des gilets jaunes. Alors débordons, sinon nous coulerons.

« Il n’y aura pas de retour à la normale car la normalité était le problème ». (Slogan vu au Chili, où la contestation sociale et la répression barbare a complétement changé les mentalités)


Au delà de la grève. Au delà des clivages.

Initialement publié le 2 décembre 2019

Les prochains jours vont être déterminants pour l’avenir de notre société. Ce qu’il va se jouer dépasse largement le cadre, déjà important, de la réforme des retraites. Ce qui se joue dans les prochaines semaines, c’est le paysage politique et social du pays. C’est la possibilité d’un changement radical. D’une révolte. Voire au delà.

Mais même si la mobilisation de jeudi sera, sans aucun doute, massive. Même si le pays sera en grande partie bloqué. Même si les grèves seront reconduites les jours suivants : il va falloir bien plus pour renverser le système.

Car ce qu’il risque de se passer, c’est que tous ceux qui ont des intérêts au statut quo du système politique actuel vont avancer leurs pions en ce sens.

Ainsi, nul doute que le pouvoir va tenter de présenter la grève comme un mouvement de gauche, d’en faire une énième grogne dans un rapport de force classique face aux syndicats et aux partis de gauche.

Si le pouvoir réussit, avec l’aide des médias, à faire croire cela au plus grand nombre, il aura gagné ! Car les puissants seront alors face à des rapports de force qu’ils savent gérer. Les syndicats aussi pourraient tirer leur épingle du jeu et en profiter à titre « individuels ». Les vrais perdants seraient ceux qui se battent depuis des mois pour une société plus juste et n’ont que faire des partis politiques, de gauche comme de droite.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Macron incarne cet éclatement du schéma ancestral « gauche / droite ». Il a été élu président grâce à cet éclatement. Au final, il représente froidement la réalité politique du moment : ni de gauche, ni de droite, simplement au service des puissants. Mais, en stratège qu’il est, Macron va tenter de faire renaitre artificiellement ce clivage uniquement pour diviser la colère des Français, et espérer qu’une partie de ceux qui ne se sont jamais sentis « de gauche » ne rejoignent pas les différentes « actions » liées à la grève générale et illimité.

Plus que jamais, il est donc vital de réaffirmer que la révolte sociale qui secoue le pays depuis plus d’un an est une révolte qui n’est pas le fait de partis (ni de gauche, ni de droite) ni de syndicats. Qu’au sein de cette révolte, certains GJ se sentent de gauche, d’autre de droite. Que certains sont syndiqués. Mais que tous se retrouvent dans l’envie de renverser un pouvoir qui méprise les citoyens de seconde zone, ceux qui, aux yeux de la Macronie, ne sont rien et n’ont rien réussi. Ces millions de personnes en ont marre et ont pris conscience de leur force collective, qui s’exprime notamment dans leur différence et dans le respect de ces différences. Ces millions de personne ont pris conscience qu’une autre vie était possible. Que l’horizon gris et morose qu’on nous présente comme inévitable n’est plus une fatalité.

A travers la réforme des retraites, c’est un choix de société qui se profile. Ce pouvoir (et ceux d’avant) précarise nos vies à toutes leurs étapes : naissance, études, travail, retraite… Lutter pour une retraite digne, c’est lutter pour la dignité. Comme lutter pour des études dans la dignité. Pour un travail dans la dignité.

L’épouvantail du manque d’argent de notre pays qui courrait à sa perte n’est qu’une vaste blague dans un monde où les milliardaires ne font qu’augmenter (et devenir eux même de plus en plus riches). L’argent, on sait tous où il est. Et on sait tous comment mieux le répartir. Ce ne sont pas aux retraités ou aux enseignants de se serrer la ceinture quand quelques milliers de privilégiés se gavent sur le dos des peuples et de la planète.

Pour toutes ces raisons, il est crucial que dès le 5 décembre, tous les citoyens en colère, tous ceux qui sont descendus au moins une fois dans les rue depuis un an, toutes ces forces vives se retrouvent pour lutter. En manif déclarée, en manif sauvage, en blocage, en occupation. Qu’importe.

Dans un second temps, le samedi 07 décembre, il faut que toutes les forces en lutte convergent dans les différentes manif de Gilets Jaunes dans toute la France : étudiants, retraités, pompiers, cheminots… les GJ, qu’importe leur profession et leur statut, ont toujours accompagné les luttes depuis un an. Aujourd’hui, c’est ensemble qu’il faut lutter. Jeudi, les GJ seront dans la rues aux côtés des syndicats. Samedi, c’est à tous ceux qui luttent de rejoindre les GJ. Car GJ n’est ni une profession ni un parti ni un syndicat, simplement un signe de ralliement pour tous ceux qui ont décidé de refuser la fatalité de la précarité. Et refuser les anciens cadres de luttes qui ont été totalement mis en échec par un gouvernement qui en connait trop bien les rouages.

Plus que jamais, sachons dépasser les clivages du vieux monde, sachons déborder, sachons lutter avec nos différences.


On va faire simple !

Initialement publié le 2 décembre 2019

« Giletjauner la grève, c’est en finir avec les finasseries. »

Tout est très simple. C’est ça l’esprit gilet jaune. Macron dit de venir le chercher ; on va le chercher à l’Elysée. L’État nous rackette sur les routes ; on pète les radars. On en a marre de tourner en rond chez soi ; on occupe les ronds points. BFM ment ; BFM s’en mange une. On veut se rendre visibles ; on met le gilet fluo. On veut se fondre à nouveau dans la masse ; on l’enlève. Les gilets jaunes, c’est le retour de l’esprit de simplicité en politique, la fin des faux-semblants, la dissolution du cynisme.

Comme on entre dans la grève, on en sort. Qui entre frileux dans la grève, sans trop y croire ou en spéculant à la baisse sur le mouvement, comme le font toujours les centrales même lorsqu’elles font mine d’y appeler, en sort défait. Qui y entre de manière fracassante a quelque chance de fracasser l’adversaire.

La grève qui vient – cela se sent dans la tension qu’elle suscite avant même d’avoir commencé – contient un élément magnétique. Depuis des mois, elle ne cesse d’attirer à elle plus de gens. Ça bouillonne dans les têtes, dans les corps, dans les boîtes. Ça craque de partout, et tout le monde craque.

C’est que les choses sont simples, en fait : cette société est un train qui fonce au gouffre en accélérant. Plus les étés deviennent caniculaires, plus on brûle de pétrole ; plus les insectes disparaissent, plus on y va sur les pesticides ; plus les océans se meurent dans une marée de plastique, plus on en produit ; plus les gens crèvent la gueule ouverte, plus les rues regorgent de publicité pour des marques de luxe ; plus la police éborgne, plus elle se victimise.

Au bout de ce processus de renversement de toute vérité, il y a des Trump, des Bolsonaro, des Poutine, des malins génies de l’inversion de tout, des pantins du carbofascisme. Il faut donc arrêter le train. La grève est le frein d’urgence. Arrêter le train non pas pour le redémarrer après trois vagues concessions gouvernementales. Arrêter le train pour en sortir, pour reprendre pied sur terre ; on verra bien si on reconstruit des rails qui ne passent pas, cette fois, à l’aplomb du gouffre.

C’est de ça que nous aurons à discuter dans les AG, de la suite du monde pas de l’avancée des négociations. Dans chaque métier, dans chaque secteur, en médecine, dans l’agriculture, l’éducation ou la construction, quantité de gens inventent ces dernières années des techniques et des savoirs pour rendre possible une vie matérielle sur de tout autre bases. Le foisonnement des expérimentations est à la mesure de l’universel constat du désastre. L’interruption du cours réglé du monde ne signifie panique et pénurie que pour ceux qui n’ont jamais manqué de rien.

En avril 1970, quelques jours avant le première journée de la Terre, le patron de Coca Cola déclarait : « Les jeunes de ce pays sont conscients des enjeux, ils sont indignés par notre insouciance apparente. Des masses d’étudiants s’engagent et manifestent. Je félicite nos jeunes pour leur conscience et leur perspicacité. Ils nous ont rendu service à tous en tirant la sonnette d’alarme. » C’était il y a cinquante ans. Aujourd’hui, la fille d’Edouard Philippe est dans Extinction Rébellion.

C’est par de tels discours, entre autres, que les capitalistes, d’année en année, ont gagné du temps, et donc de l’argent ; à la fin, ils ont gagné un demi-siècle, et nous l’avons perdu. Un demi-siècle à surseoir à la sentence que ce système a déjà prononcé contre lui-même. A un moment, il faut bien que quelqu’un l’exécute. Il faut bien que quelqu’un commence. Pourquoi pas nous, en France, en ce mois de décembre 2019 ?

Giletjauner la grève, c’est en finir avec les finasseries. La grève part du hold-up planifié sur les retraites ; elle ne s’y arrête pas. A quoi ressemblera ta retraite si ton compte en banque est plein, mais la terre en feu ? Où iras-tu à la pêche lorsqu’il n’y aura plus de poissons ? On parle d’une réforme qui s’étale sur vingt-trente ans : juste le temps qu’il faut pour que ce monde soit devenu invivable. « Pour l’avenir de nos enfants », disaient les GJ depuis le départ.

Cette grève n’est pas un temps d’arrêt avant de reprendre le traintrain, c’est l’entrée dans une nouvelle temporalité, ou rien. Elle n’est pas un moyen en vue d’obtenir un recul de l’adversaire, mais la décision de s’en débarrasser et la joie de se retrouver dans l’action ou autour d’un brasero. Partout dans le monde, en ce moment, des insurrections expriment cette évidence devenue enfin consciente : les gouvernements sont le problème, et non les détenteurs des solutions.

Depuis le temps qu’on nous bassine avec « les bons gestes et les bonnes pratiques » pour sauver la planète, tous les gens sensés en sont arrivés à la même conclusion: les bons gestes, c’est dépouiller Total, c’est prendre le contrôle des dépôts de carburants, c’est occuper Radio France et s’approprier l’antenne, c’est exproprier tous les bétonneurs. Les bonnes pratiques, c’est assiéger les télés, c’est couler les bâtiments des pêcheries industrielles, c’est reboucher le trou des Halles, c’est tout bloquer et reprendre en main ce qui mérite de l’être.

C’est la seule solution, il n’y en a pas d’autre : ni la trottinette électrique, ni la voiture à hydrogène, ni la géo-ingénierie, ni la croissance verte et les drones-abeilles ne tempéreront la catastrophe. Il n’y aura pas de transition, il y aura une révolution, ou plus rien. C’est tout le cadre qu’il faut d’abord envoyer balader si nous voulons trouver des « solutions ». Il faut briser la machine si l’on veut commencer à réparer le monde. Nous sommes enfermés dans un mode de vie insoutenable. Nous nous regardons vivre d’une manière que nous savons absurde. Nous vivons d’une manière suicidaire dans un monde qui n’est pas le nôtre.

Jamais on ne nous a demandé notre avis sur aucun des aspects tangibles de la vie que nous menons : ni pour les centrales nucléaires, ni pour les centres commerciaux, ni pour les grands ensembles, ni pour l’embourgeoisement des centres-villes, ni pour la surveillance de masse, ni pour la BAC et les LBD, ni pour l’instauration du salariat, ni pour son démantèlement par Uber & co., ni d’ailleurs pour la 5G à venir. Nous nous trouvons pris en otage dans leur désastre, dans leur cauchemar, dont nous sommes en train de nous réveiller.

Plus les choses vont et plus un schisme s’approfondit entre deux réalités. La réalité des gouvernants, des medias, des macronistes fanatisés, des métropolitains satisfaits ; et celle des « gens », de notre réalité vécue. Ce sont deux continents qui s’écartent de mois en mois. La grève qui vient sonne l’heure du divorce. Nous n’avons plus rien à faire ensemble. Nous n’allons pas nous laisser crever pour vos beaux yeux, pour vos belles histoires, pour vos belles maisons. Nous allons bloquer la machine et en reprendre le contrôle point par point. Nous sommes soixante millions et nous n’allons pas nous laisser mourir de faim.

Vos jours sont comptés ; vos raisons et vos mérites ont été pesés, et trouvés légers ; à présent, nous voulons que vous disparaissiez. Ça fait quarante ans que nous positivons ; on a vu le résultat. Vous vous êtes enrichis sur notre dos comme producteurs puis comme consommateurs. Et vous avez tout salopé.

Pour finir, nous avons compris que la destruction des conditions de la vie sur terre n’est pas un effet malheureux et involontaire de votre règne, mais une partie de votre programme. Pour vendre de l’eau en bouteille, il faut d’abord que celle du robinet cesse d’être potable. Pour que l’air pur devienne précieux, il faut le rendre rare.

Depuis le temps que les écologistes disent qu’une bifurcation est urgente, qu’il faut changer de paradigme, que nous allons dans le mur, il faut se rendre à l’évidence : cette grève est l’occasion, qui ne s’est pas présentée en 25 ans, d’engager la nécessaire bifurcation. Le moyen sérieux d’en finir avec la misère et la dévastation.

La seule décroissance soutenable. Seul un pays totalement à l’arrêt a quelque chance d’afficher un bilan carbone compatible avec les recommandations du GIEC. La seule ville redevenue un peu vivable, c’est celle où les flâneurs refleurissent sur les trottoirs parce que le métro est à l’arrêt. La seule bagnole admissible, c’est celle où l’on s’entasse à six à force de prendre des autostoppeurs.

« Il n’y aura pas de retour à la normale ; car la normalité était le problème »

Texte à retrouver sur Lundi Matin


Amer Anniversaire

Initialement publié le 19 novembre 2019

Une sorte de brouillard plane en ce début de semaine. Difficile d’y voir clair sur ces trois jours de festivités et de luttes. De savoir s’il s’agit d’une victoire pour les GJ ou pour le pouvoir. Sûrement aucune des deux. En tout cas, du côté des défaites, on peut clairement y mettre la démocratie et la liberté.

Si le pouvoir nous a habitué a pousser toujours plus loin la violence et l’arbitraire, ce weekend d’anniversaire est encore allé plus loin dans le délire totalitaire qui se met en place, insidieusement. Liste non exhaustive en fin d’article.

Le pouvoir et les médias ne parlent que des événements de la place d’Italie, et ce, uniquement sous le prisme des fameux « débordements ». La belle affaire. Sauf que le pouvoir a tout fait pour empêcher tout autre événement : concerts, maison du peuple, happening… Tout a été sauvagement réprimé, et pas seulement les actions dites « offensives ». Macron et Castaner poussent les citoyens à un choix particulièrement dangereux : accepter d’exprimer sa colère dans des manifestations totalement inoffensives et que le pouvoir n’écoute pas, ou entrer dans le « camp » adverse (selon les mots du préfet Lallement). Tout opposant sortant du cadre imposé par les puissants est désormais considéré comme un ennemi d’Etat (à l’image des prélèvements ADN à la Maison du Peuple).

Cette nouvelle doctrine trouve son illustration Place d’Italie, entre 12h et 14H : la préfecture, totalement débordée et surprise des actions offensives du matin, décide d’annuler la manifestation. Mais elle force des centaines de manifestants arrivés dans le quartier (et qui n’avaient pas l’info de l’interdiction) à entrer sur la place. Pour ensuite les empêcher d’en sortir, pendant plusieurs heures, le tout sous des centaines de lacrymo, de grenades de désencerclement et de charges ultra violentes.

Le message est clair : « Vous venez sur une place où il y a des GJ qui cassent ou brûlent. Vous êtes donc solidaire de cette violence inacceptable. Et vous allez en payer le prix. Vous êtes les ennemis de la France. Et nous allons vous traiter de la sorte. »

Avec un double objectif : dissuader les manifestants de revenir à de futures manif GJ (car il y en aura encore et encore). Et casser la popularité du mouvement auprès des citoyens encore solidaires de cette révolte sociale.

Qu’on se le dise : la préfecture n’a pas planifié tout cela à l’avance comme certains ont pu le prétendre. Les autorités ne pensaient pas que les éléments les plus déterminés viendraient à cette manif. Personne ne l’avait vraiment prévu. Pas même une fantasmatique « internationale des Blacks Blocs ». Non, ce qu’il s’est passé, c’est que plusieurs GJ, notamment de province, sont arrivés assez tôt sur Paris. Les Champs étant totalement barricadés, et vu l’expérience du 21 septembre, certains ont décidé d’aller sur le lieu de la manif déclarée, plusieurs heures en avance. Parmi ces GJ, quelques uns ont commencé à monter des barricades sur une place remplie d’objets de chantier. Un petit feu a été allumé. Les images ont très rapidement tourné. Et donc les GJ les plus déterminés ont eu la tentation de venir rejoindre la place. Le temps que la préfecture s’en rende compte, plus de 3 000 manifestants étaient Place d’Italie, plus d’une heure avant le début de la manif. Des barricades, des feux, des voitures renversées. Tout cela sans que la police ne soit en mesure d’intervenir.

En revanche, une fois que les forces de police étaient arrivées en force place d’Italie, les manifestants se sont retrouvés nassés et il n’y a quasiment plus eu de dégradation. Pourtant, c’est seulement à ce moment là que le carnage a commencé. Pendant des heures, la police a littéralement agressé les manifestants présents sur la place, et totalement coincés. Sans aucun discernement, sans même chercher à arrêter ceux qui avaient commis des dégradations. Non, il s’agissait de terroriser et punir ceux qui étaient présents. La terreur. On pourra noter d’ailleurs que ceux qui auront le plus souffert de cette terrible décision des autorités sont les personnes venues sans protection (et donc, logiquement, celles les moins à même d’avoir commis d’actes offensifs).

Cette attitude n’est pas une surprise pour ceux qui suivent et vivent les luttes sociales en France depuis plusieurs mois. Il n’empêche, un nouveau cap a été franchi. Les médias mainstream, comme prévu, n’en ont eu que pour des feux de poubelles, des bris de vitrines et une statue d’un maréchal pétainiste et partisan de l’Algérie française détériorée. L’Histoire n’est amère qu’à ceux qui l’attendent sucrée !

Du côté GJ, on peut se réjouir du nombre d’initiatives lancées sur ce weekend, même si beaucoup ont été rapidement réprimées (et parfois étouffées dans l’œuf) : des occupations, des ronds points, des blocages, des happenings, des concerts, des maisons du peuple… Réussite également au vu du nombre de manifs sauvages toute la journée de samedi, mais aussi le soir et le dimanche, dont beaucoup ont réussi à déborder le dispositif ultra sécuritaire.

On peut en revanche regretter le nombre quelque peu décevant de GJ descendus dans la rue. Si on est bien au dessus des chiffres annoncés par la pref et les médias, on pouvait tout de même espérer beaucoup plus. Aussi bien sur Paris qu’en Région. Alors que le mouvement reste apprécié et compris par une majorité de la population, alors que des centaines de milliers de Français sont déjà descendus dans la rue en jaune au moins une fois fin 2018, il n’a pas été possible de ramener à la lutte ces personnes. Il faut le prendre en compte et ne pas se voiler la face. Car ceux qui crient « révolution » dans les rues depuis des mois, et qui le veulent vraiment, doivent savoir que cet horizon ne sera possible qu’avec une adhésion très forte des autres citoyens, et leur participation active. Comme on peut le voir au Chili ou à Hong Kong.

Cela ne veut pas dire que ces GJ qui ne lâchent rien sont dans l’erreur. Bien au contraire. Mais il faut essayer de comprendre pourquoi les autres, bien que solidaires dans la pensée, ne descendent plus sur les ronds points, dans les manif, sur les occupations. Bien sûr que la terreur d’état est un des éléments importants. Mais pas que.

Samedi, Place d’Italie, la détermination était là. La colère aussi. Mais il manquait peut être de la folie, de la joie, de la fraternité. De la musique et de la danse aussi. La beauté du mouvement GJ, ce sont ces instants improbables, où dans la cruauté du monde libéral, quelques personnes arrivent à créer du lien, du beau, de l’amour.

Il a peut-être aussi manqué de stratégie et d’idées sur cette place d’Italie, qui fut un terrain de révolte pendant deux heures avant de devenir une énorme prison et une salle de torture. Des milliers de personnes étaient présentes. Toutes voulaient sortir de cet endroit, pour vraiment manifester (en déclarée ou en sauvage). Mais il n’y a pas eu suffisamment d’échanges et de propositions pour réussir à sortir de cette nasse. La lutte doit être aussi le moment d’expérimenter des actions collectives constituées de plusieurs actions individuelles. Il faut discuter, il faut proposer, il faut agir. Il faut également redonner du sens aux actions et clamer/afficher les objectifs de cette révolte sociale, d’autant qu’ils sont partagés par des millions de citoyens.

En cela, la mobilisation de ce week-end a parfois été décevante. Décevante mais pas décourageante. Car le feu est toujours là. L’envie de vivre et de connaitre un monde nouveau. L’envie de voir leur monde s’effondrer. De ne plus laisser cette précarité systémique nous tuer.

Pour cela, il faudra dépasser les limites rencontrées ce weekend. Ce ne sera pas facile. Mais existe-til une révolution facile ? Et n’oublions pas quil ne s’agissait que du premier anniversaire.

Annexes – Résumé de trois jours de totalitarisme en France :
– Le vendredi, une soirée concert sur les quais de Seine, totalement pacifique et ne gênant personne, est expulsée. Les deux musiciens sont embarqués et passent la nuit au poste. Les instruments sont gardés par la police tout le weekend

– Une maison des peuples est ouverte dans un lieu désaffecté depuis plus de 3 ans dans Paris. Elle est violemment expulsée par la police dès le lendemain. Avec de nombreuses interpellations.

– Plusieurs journalistes sont tabassés, au moins deux recevoient des grenades aux visages, dont un blessé gravement

– Des milliers de manifestants sont nassés pendant des heures Place d’Italie et interdits de sortir alors que la place est gazée et chargée en permanence. Une véritable boucherie.

– Des manifestants qui font une action totalement pacifique dans les Galeries Lafayette sont violemment arrêtés et embarqués au poste, y compris des personnes dans la rue qui soutenaient les GJ sur place.