Réponse à la tribune "Plus jamais ça !"

Initialement publié le 28 mars 2020

« Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre « jour d’après ». Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral. »

Par ces mots se termine une tribune signée par 18 responsables d’organisations syndicales, associatives et environnementales.

Selon eux, la crise sanitaire actuelle oblige à un « jour d’après » à la hauteur des enjeux, avec une lutte commune pour des changements radicaux. On aimerait se satisfaire d’une telle tribune. On aimerait y croire. Mais comment est-ce encore possible ?

La situation actuelle, et l’expérience des dernières luttes, nous donne plutôt envie de répondre « Plus jamais de tribune comme celle-ci ». Car combien en a-t-on lu, et même signé, des tribunes collectives de ce genre ? Nous même en avons écrit.

Mais aujourd’hui, continuer sur cette voie de la communication du « plus jamais ça » tout en tentant de négocier avec le pouvoir et les structures financières, relève au mieux d’une naïveté qu’on ne peut plus se permettre, au pire d’une complicité avec le système actuel.

Macron, son pouvoir et son monde, n’ont strictement rien appris de cette crise. Sous une façade d’unité et de solidarité avec le personnel de santé (la bonne blague), ils utilisent ce drame pour détruire encore un peu plus le droit du travail et pour passer des mesures encore plus liberticides.

Il n’y aura pas de « prise de conscience » des puissants que le système actuel nous amène à une catastrophe humaine et écologique. Si changement il y a, il se fera parce que ces personnes auront été poussées vers la sortie et ne tiendront plus les rênes du système.

La planète brule, littéralement. Et certains pensent encore pouvoir raisonner les incendiaires.

En deux ans, le pouvoir a été totalement sourd à l’un des mouvement les plus insurrectionnels depuis 68 (les Gilets jaunes) et à l’une des grèves les plus importante (par sa durée et son ampleur) depuis un quart de siècle. Il a également été sourd au mouvement climatique le plus important que le pays n’ait jamais connu. Et bien sûr, sourd à toutes les revendications sectorielles : pompiers, hôpitaux, profs, avocats….

Qui peut aujourd’hui croire que le drame du Covid19 va faire changer quelque chose à leur façon d’appréhender le gestion du monde ? Ces gens ne sont pas aux services des « citoyens » mais bien d’une petite élite d’ultras riches.

Nous n’avons qu’une vie. Nous n’avons qu’un père, qu’une mère. Nous n’avons qu’une planète. Et nous n’avons que trop tardé pour arrêter le carnage en cours.

Pour certains, la ligne infranchissable dans la lutte est celle de la pseudo « violence ».
Pour nous, c’est celle de la compromission avec le pouvoir.

Macron, sous une façade bien présentable, moderne et ouverte, a construit en quelque mois une société totalitaire où les seules libertés encore permises sont celles offertes aux capitaux et aux riches. La crise du Covid ne va qu’accélérer cette chute dans le totalitarisme 2.0

Macron a mutilé des milliers de manifestants : Gilets jaunes, pompiers, infirmières, profs. Il a réduit le droit de manifestation pour en faire une farce « pseudo démocratique » où il n’est désormais possible de manifester que dans une nasse policière géante. Il a verbalisé et condamné des personnes pour leur simple présence dans un lieu public, pour leur simple adhésion supposée à un mouvement (GJ). Les exemples sont malheureusement encore nombreux et ne vont que s’accumuler dans les mois à venir.

Face à cela, deux options : négocier ou se battre. Pour nous, on ne négocie pas avec un pouvoir totalitaire. On se bat pour le détruire.

Cela n’empêche pas d’écrire des tribunes. Mais cela engage à faire bien plus que ça, le fameux « jour d’après ».

Car rien ne serait pire que de déclamer « plus jamais ça », et, le jour d’après, continuer la lutte comme « avant », pour le résultat que l’on connait d’avance.


Faire culpabiliser les citoyens

Initialement publié le 23 mars 2020

Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué.

Texte de Marco Bersani (Attac Italie)

Cette stratégie a été largement mise en œuvre dans la dernière décennie avec le choc de la dette publique, présenté comme la conséquence de modes de vie déraisonnables, où l’on vivait au-dessus de ses moyens sans faire preuve de responsabilité envers les générations futures.

L’objectif était d’éviter que la frustration due à la dégradation des conditions de vie de larges couches de la population ne se transforme en rage contre un modèle qui avait donné la priorité aux intérêts des lobbies financiers et des banques sur les droits des individus.

C’est bien cette stratégie qu’on est est en train de déployer dans la phase la plus critique de l’épidémie de coronavirus.

L’épidémie a mis le roi à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine libérale.
Un système sanitaire comme celui de l’Italie, qui jusqu’il y a dix ans était l’un des meilleurs du monde, a été sacrifié sur l’autel du pacte de stabilité : des coupes budgétaires d’un montant global de 37 milliards et une réduction drastique du personnel (moins 46.500 personnes, entre médecins et infirmièr.e.s), avec pour brillant résultat la disparition de plus de 70.000 lits d’hôpital – ce qui veut dire, s’agissant de la thérapie intensive de dramatique actualité, qu’on est passé de 922 lits pour 100.000 habitants en 1980 à 275 en 2015.

Tout cela dans le cadre d’un système sanitaire progressivement privatisé, et soumis, lorsqu’il est encore public, à une torsion entrepreneuriale obsédée par l’équilibre financier.

Que la mise à nu du roi soit partie de la Lombardie est on ne peut plus illustratif : cette région considérée comme le lieu de l’excellence sanitaire italienne est aujourd’hui renvoyée dans les cordes par une épidémie qui, au cours du drame de ces dernières semaines, a prouvé la fragilité intrinsèque d’un modèle économico-social entièrement fondé sur la priorité aux profits d’entreprise et sur la prééminence de l’initiative privée.

Peut-on remettre en question ce modèle, et courir ainsi le risque que ce soit tout le château de cartes de la doctrine libérale qui s’écroule en cascade ? Du point de vue des pouvoirs forts, c’est inacceptable.

Et ainsi démarre la phase de culpabilisation des citoyens.
Ce n’est pas le système sanitaire, dé-financé et privatisé qui ne fonctionne pas ; ce ne sont pas les décrets insensés qui d’un côté laissent les usines ouvertes (et encouragent même la présence au travail par des primes) et de l’autre réduisent les transports, transformant les unes et les autres en lieux de propagation du virus ; ce sont les citoyens irresponsables qui se comportent mal, en sortant se promener ou courir au parc, qui mettent en péril la résistance d’un système efficace par lui-même.

Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible ; voilà pourquoi désigner un coupable (« les irresponsables »), en construisant autour une campagne médiatique qui ne répond à aucune réalité évidente, permet de détourner une colère destinée à grandir avec le prolongement des mesures de restriction, en évitant qu’elle ne se transforme en révolte politique contre un modèle qui nous a contraints à la compétition jusqu’à épuisement sans garantir de protection à aucun de nous.

Continuons à nous comporter de façon responsable et faisons-le avec la détermination de qui a toujours à l’esprit et dans le cœur une société meilleure.

Mais commençons à écrire sur tous les balcons : « Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème. »


NOUS NE SOMMES PAS EN GUERRE, par Sophie Mainguy, médecin urgentiste

Initialement publié le 19 mars 2020

NOUS NE SOMMES PAS EN GUERRE
et n’avons pas à l’être…
Par Sophie Mainguy, médecin urgentiste.

Il est intéressant de constater combien nous ne savons envisager chaque événement qu’à travers un prisme de défense et de domination.
Les mesures décrétées hier soir par notre gouvernement sont, depuis ma sensibilité de médecin, tout à fait adaptées. En revanche, l’effet d’annonce qui l’a accompagné l’est beaucoup moins.
Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être.
Il n’y a pas besoin d’une idée systématique de lutte pour être performant.
L’ambition ferme d’un service à la vie suffit.
Il n’y a pas d’ennemi.
Il y a un autre organisme vivant en plein flux migratoire et nous devons nous arrêter afin que nos courants respectifs ne s’entrechoquent pas trop.
Nous sommes au passage piéton et le feu est rouge pour nous.
Bien sûr il y aura, à l’échelle de nos milliards d’humains, des traversées en dehors des clous et des accidents qui seront douloureux.
Ils le sont toujours.
Il faut s’y préparer.
Mais il n’y a pas de guerre.
Les formes de vie qui ne servent pas nos intérêts (et qui peut le dire ?) ne sont pas nos ennemis.
Il s’agit d’une énième occasion de réaliser que l’humain n’est pas la seule force de cette planète et qu’il doit – ô combien- parfois faire de la place aux autres.
Il n’y a aucun intérêt à le vivre sur un mode conflictuel ou concurrentiel.
Notre corps et notre immunité aiment la vérité et la PAIX.
Nous ne sommes pas en guerre et nous n’avons pas à l’être pour être efficaces.
Nous ne sommes pas mobilisés par les armes mais par l’Intelligence du vivant qui nous contraint à la pause.
Exceptionnellement nous sommes obligés de nous pousser de coté, de laisser la place.
Ce n’est pas une guerre, c’est une éducation, celle de l’humilité, de l’interrelation et de la solidarité.

Sophie Mainguy, médecin urgentiste


Interview Assa Traoré

Initialement publié le 6 mars 2020

A quelques jours de la Journée internationale de lutte contre les violences policières et d’une grande marche organisée à Paris, Assa Traoré revient sur l’importance de cette date et sur les luttes en cours. D’autant que la lutte contre les violences policières sont désormais au centre des revendications de l’ensemble des mouvements (Gilets Jaunes, écolo, syndicalistes).

https://www.youtube.com/watch?v=DCXS4m6gHeA

🛑MARCHE DES FAMILLES CONTRE LES VIOLENCES POLICIERES

🛑SAMEDI 14 MARS – 13H12 – OPERA


MARCHE ET CRÈVE ?

Initialement publié le 6 mars 2020

8 mars : marche féministe / 14 mars : marche climat.
En l’espace d’une semaine, le pays va connaitre quatre grosses manifestations qui rassembleront plusieurs centaines de milliers de personnes à Paris.

Deux luttes essentielles qui ont déjà réussies ces derniers mois des manifestations massives dans Paris : 150 000 personnes le 23 novembre dernier contre les violences sexistes et sexuelles. 107 000 personnes le 16 mars dernier lors de la marche climat.

Deux luttes qui ne cessent de clamer l’urgence de la situation et de déplorer le mutisme du pouvoir face à la situation. Cela parle de soulèvement, de révolte, de radicalité. A juste titre.

Mais pourquoi dès lors continuer à se rassembler dans une manif déclarée qui sera totalement maitrisée par le pouvoir et donc indolore pour lui. Montrer aux médias le soutien de la population à cette cause ? Nous le savons déjà. Nous n’en sommes plus là.

L’heure est à l’action. Au soulèvement. A la révolte. Pour le climat. Pour le respect des femmes, dans toutes leurs diversité. Pour le respect de l’humain (et de la nature). Face à l’argent.

Les puissants l’ont suffisamment montré ces derniers temps, et de façon particulièrement obscène : ils n’en ont rien à foutre et nous emmerde ! La planète peut continuer à bruler, les femmes à être violées, ils continueront leur cirque puant et mortifère. Ils continueront à se donner des récompenses et à se congratuler. Ils sont rationnels et se tiennent à une feuille de route capitaliste, patriarcale et néo coloniale. Ce qui en fait des monstres froids.

Face à cela, les marches ne suffisent plus.
Ce que nous obtiendrons, c’est ce que nous prendrons. Le pouvoir ne nous « donnera » rien. Il faudra l’arracher.

Au Brésil, au Mexique ou en Colombie, les féministes ont décidé de réellement se révolter, et pas seulement avec des slogans. Ce n’est pas gagné et les oppressions et agressions sont encore très (trop) présentes. Mais elles ont décidé d’arrêter de seulement se défendre. Elles attaquent. Les agresseurs et leur soutien. Le système.

En France, les Gilets Jaunes ont dès leur début compris que la lutte ne pouvait plus se faire dans le cadre imposé par l’État et par les puissants. La séquence des retraites leur donne malheureusement raisons : les millions de personnes dans la rue et les centaines de milliers de grévistes n’y ont rien fait. Le pouvoir est passé. En force.

Nous nous rappelons les actions écolos dans le centre commercial Italie 2 ou dans les locaux de black Rock. Aussi la soirée des Césars de la honte et les manifs sauvages dans les beaux quartiers autour de la salle Pleyel. Elles nous rappellent et nous font ressentir que seul ce qui transgresse la légalité s’inscrit dans l’émancipation. Sans vouloir en faire un dogme, vu la gestion autoritaire qui se met en place, aujourd’hui l’action politique qui ne vise pas à ébranler véritablement l’Etat et le pouvoir de l’argent n’est qu’une salle d’attente pour un futur désastreux.

Les rendez vous à venir :
– Samedi 7 mars aura lieu une Marche De Nuit Féministe à 19h Place des Fêtes avec un cortège féministe antifasciste
– Dimanche 8 mars un village des féministes au CICP à partir de 14h
et aussi une manif à 14h au départ de place d’Italie.
– Vendredi 13 mars une action de désobéissance civile organisée par Youth For Climate
– Le 14 mars, des milliers de GJ seront autour des Champs, pour défier le pouvoir et son bras armé. C’est le paris d’une grande désobéissance civile à quelques mètres des bâtiments des puissances économiques et politiques.
– A 13H12, à la bonne heure ! La marche contre les Violence Policière s’élancera d’Opéra. Elle est organisée par les familles qui ont eu un des leurs tué par la police et qui depuis des années s’organisent pour obtenir une justice d’intérêt public et informer des techniques criminelles de la police.
– Et la marche climat partira de Bastille.

Gageons que nous serons des milliers à trouver des moyens pour montrer notre colère et notre ras le bol de cette société patriarcale, sexiste, capitaliste et néo coloniale, des milliers à se voir, à échanger et même à comploter pour atteindre notre but . Et que la manif déclarée ne sera pas le seul point de lutte.

Nous n’avons plus le temps de marcher et d’espérer une prise de conscience des puissants. Ils sont plus que jamais conscients de la situation. Et ne veulent absolument pas que cela change.

C’est donc leur monde qui va devoir crever. Ou nos espoirs.
Face à ce choix, il faudra faire plus que marcher.
Les barricades n’ont que deux côtés.


Désormais on se lève et on se barre - Virginie Despentes

Initialement publié le 1er mars 2020

Tribune : « trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss. »

crédit photo : Nasser Berzane

Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des puissants s’il fallait tenir compte du consentement des dominés ? Et je ne suis certainement pas la seule à avoir envie de chialer de rage et d’impuissance depuis votre belle démonstration de force, certainement pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie d’impunité.

Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotesque, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu : Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS, Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. Les corps qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture – marre de se cacher, de simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, ça vaut pour les exactions de votre police, ça vaut pour les césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est le problème. Votre jouissance morbide, avant tout. Et vous ne tolérez autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez – à travers lui c’est votre puissance qu’on doit respecter.

Il serait inutile et déplacé, dans un commentaire sur cette cérémonie, de séparer les corps de cis mecs aux corps de cis meufs. Je ne vois aucune différence de comportements. Il est entendu que les grands prix continuent d’être exclusivement le domaine des hommes, puisque le message de fond est : rien ne doit changer. Les choses sont très bien telles qu’elles sont. Quand Foresti se permet de quitter la fête et de se déclarer «écœurée», elle ne le fait pas en tant que meuf – elle le fait en tant qu’individu qui prend le risque de se mettre la profession à dos. Elle le fait en tant qu’individu qui n’est pas entièrement assujetti à l’industrie cinématographique, parce qu’elle sait que votre pouvoir n’ira pas jusqu’à vider ses salles. Elle est la seule à oser faire une blague sur l’éléphant au milieu de la pièce, tous les autres botteront en touche. Pas un mot sur Polanski, pas un mot sur Adèle Haenel. On dîne tous ensemble, dans ce milieu, on connaît les mots d’ordre : ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu’une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu’Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d’enfant actrice, de son point de vue.

Alors tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le pouvoir absolu des puissants. Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants. On ne les aime pas malgré le viol et parce qu’ils ont du talent. On leur trouve du talent et du style parce qu’ils sont des violeurs. On les aime pour ça. Pour le courage qu’ils ont de réclamer la morbidité de leur plaisir, leur pulsion débile et systématique de destruction de l’autre, de destruction de tout ce qu’ils touchent en vérité. Votre plaisir réside dans la prédation, c’est votre seule compréhension du style. Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance. C’est cette exigence qui fait que lors de la cérémonie tous les corps sont soumis à une même loi du silence. On accuse le politiquement correct et les réseaux sociaux, comme si cette omerta datait d’hier et que c’était la faute des féministes mais ça fait des décennies que ça se goupille comme ça : pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C’est toujours la loi du silence qui prévaut. C’est au respect de cette consigne qu’on sélectionne les employés.

Et bien qu’on sache tout ça depuis des années, la vérité c’est qu’on est toujours surpris par l’outrecuidance du pouvoir. C’est ça qui est beau, finalement, c’est que ça marche à tous les coups, vos saletés. Ça reste humiliant de voir les participants se succéder au pupitre, que ce soit pour annoncer ou pour recevoir un prix. On s’identifie forcément – pas seulement moi qui fais partie de ce sérail mais n’importe qui regardant la cérémonie, on s’identifie et on est humilié par procuration. Tant de silence, tant de soumission, tant d’empressement dans la servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier. On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. Himself. Dans nos gueules. Vous n’avez décidément honte de rien. Vingt-cinq millions, c’est-à-dire plus de quatorze fois le budget des Misérables, et le mec n’est même pas foutu de classer son film dans le box-office des cinq films les plus vus dans l’année. Et vous le récompensez. Et vous savez très bien ce que vous faites – que l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent. Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le prix est taché par votre ignominie – même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’industrie du cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c’est le spectacle des césars. Et les hasards du calendrier font que le message vaut sur tous les tableaux : trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss.»

Alors quand Adèle Haenel s’est levée, c’était le sacrilège en marche. Une employée récidiviste, qui ne se force pas à sourire quand on l’éclabousse en public, qui ne se force pas à applaudir au spectacle de sa propre humiliation. Adèle se lève comme elle s’est déjà levée pour dire voilà comment je la vois votre histoire du réalisateur et son actrice adolescente, voilà comment je l’ai vécue, voilà comment je la porte, voilà comment ça me colle à la peau. Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste – toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.

Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de colère et les épaules ouvertes. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie – Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde. Je donne 80 % de ma bibliothèque féministe pour cette image-là. Cette leçon-là. Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone pour cette sortie-là. Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n’aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.

Virginie Despentes


La grande arnaque des grèves et manifs startup-Nation/Répu !

Initialement publié le 27 février 2020

En quelques années, à coup de petites réformes et changements stratégiques, le pouvoir a réussi à rendre totalement indolore les deux principaux outils de résistance du peuple : la grève et la manifestation. Et si une partie du peuple décide de lutter en dehors de ce « cadre imposé », on l’accuse d’ultra violence, de radicalisation ou même de terrorisme !

La preuve avec la séquence actuelle : La France vient de connaitre l’une des grèves les plus suivie et longue de son histoire, notamment dans les transports. Des centaines de milliers de personnes se sont mis en grève, pendant plusieurs jours de suite, plusieurs semaines même. Plus d’un mois de grève pour les plus déterminés.

Dans le même temps, des centaines de manifs ont été organisées dans tout le pays : en journée, la nuit, en semaine, le weekend. Au moins quatre fois depuis le 05 décembre, plus d’un million de personnes sont descendus dans la rue. Les chiffres du ministère de l’intérieur, largement minorés, compte plus de 3 millions de manifestants cumulés sur les 10 manifs intersyndicales depuis le 05/12. Si on prend les chiffres des syndicats, on approche les 10 millions ! Ajoutons à cela que le mouvement a toujours été majoritairement soutenu par l’ensemble de la population.

POURTANT…
La réforme des retraites sera mise en place par le gouvernement. On pourra nous dire qu’il est totalement légitime de le faire puisqu’il a été élu DEMOCRATIQUEMENT. Mais la démocratie ne s’arrête pas au simple fait électoral, loin de là. Un pays vraiment démocratique écoute lorsqu’une partie importante de la population s’oppose à un projet aussi structurant que la réforme des retraites. Un pays vraiment démocratique donne des outils à ces personnes pour peser dans le débat même s’il ne sont pas ministre, député ou maire. Au passage, un pays démocratique n’aurait pas ignoré en 2005 les résultats d’un référendum sur la constitution européenne.

La démocratie française n’a pas interdit le droit de grève : Dans les transports, à l’école, dans les services de santé…. il a « simplement » été imposé des outils aux entreprises pour « palier » aux conséquences de la grève. Pour le bien des usagers, des élèves, des patients ou des consommateurs bien sûr. Des cadres RATP s’improvisent donc conducteurs pendant que des retraités corrigent des épreuves du Bac. Résultat, il devient quasi impossible de bloquer réellement un rouage de l’économie et du système en restant dans le cadre « démocratique » d’une grève.

Reste donc les manifs ? Même pas. Désormais, les manifs, si massives soient-elles, sont devenues des nasses géantes dans lesquelles des centaines de milliers de personnes viennent s’entasser, entourées de milliers de policiers, de barrages à chaque rues et de voltigeurs tout autour. 100 000 personnes dans les rues de Paris n’ont plus du tout la même signification que cette même mobilisation il y a 20 ou 30 ans. Les scènes des manifestants en « nasse mobile » nous ferait rire si l’on voyait ça en Chine ou en Corée du nord. On raillerait le simulacre d’opposition qu’offre le gouvernement chinois ou coréens en laissant « sortir ses citoyens » mais entourées de milliers de policiers armés comme des militaires et visant les manifestant. Mais cela se passe en France. Et personne ne rigole.

Le pouvoir a totalement infantilisé les citoyens, pour les rendre totalement inoffensifs et donc forcément docile. Il leur a fourni un cadre tellement rigide et maitrisé des modes de « protestation » que cela ressemble à la stratégie des adultes qui donnent un coussin à des jeunes enfants pour qu’ils passent leurs nerfs dessus. Et que leur colère passe sans conséquence pour les meubles du salon. Sauf que le peuple français n’est pas un enfant. Et le pouvoir encore moins leur parent. A bon entendeur.


ULTRAS, LE 14 MARS, CHANGEZ D’ÉPOQUE !

Initialement publié le 24 février 2020

Appel aux groupes Ultras à rejoindre la lutte.

Depuis plusieurs mois, la France est secouée par de nombreuses révoltes : Gilets Jaunes, climat, retraites, lycées, avocats, pompiers…la liste est longue et ne fait que grossir.

Il existe deux point communs à ces revendications :
1/ La réponse du pouvoir, toujours la même : réprimer et terroriser.
2/ L’idée de plus en plus répandue que la solution réside dans un changement total du système. Une Révolution.

Face à cette situation, le mouvement ultras français est pour le moment resté en retrait. Présentée depuis toujours comme une évidence en France, cette volonté de ne pas agir en dehors du cadre footbalistique n’est pourtant plus de mise dans de nombreux pays où les révoltes ont été les plus importantes : Tunisie, Chili, Turquie, Algérie, Brésil…

Les Ultras ont été parmi les premiers à expérimenter les dérives totalitaires du pouvoir : les nouvelles techniques pour gérer les foules (caméras, lacrymo, flashball) mais aussi les nouveaux « outils » législatifs pour restreindre les libertés individuelles sans avoir à passer par un juge. Ainsi, les interdictions de manifester que des milliers des Gilets Jaunes ont subies ne sont que la déclinaison des interdictions administratives de stade que les Ultras connaissent depuis plusieurs années. Aujourd’hui, on parle de reconnnaissance faciale dans certains stades français. Le pouvoir teste ainsi son délire autoritaire et fascisant sur une partie de la population que peu de gens soutiennent, parce que présentés comme violents et beaufs par les médias mainstream. Ce faisant, il peut ensuite décliner ses outils quelques années plus tard sur d’autres populations… Pour finir par les utiliser sur l’ensemble des citoyens.

La violence policière, les restrictions de liberté, la justice aux ordres du pouvoir…. toutes ces dérives ont donc été vécues par le milieu ultra. Pourquoi ? Parce qu’il dérange par son autonomie et sa force d’opposition. L’autonomie d’un groupe ultras est quelque chose qui fait peur : au club, à la ligue, à la préfecture, au pouvoir. Des centaines de supporters qui s’organisent entre eux, en toute liberté, sans qu’on puisse leur mettre de pression financière ou autre, c’est quelque chose d’inacceptable pour le système actuel qui a plus que jamais besoin de contrôler. Contrôler tout le monde, tout le temps.

Le tournant sécuritaire dans les stades et la répression contre les groupes ultra vont de pair avec la néo-libéralisation marchande du football : dès qu’il y a un tournant néo-libéral, il y a un tournant répressif. C’est ce qu’on a vu avec Thatcher et c’est ce qu’on voit actuellement avec Macron. C’est le cas dans les stades comme partout ailleurs. Dans le foot, les enjeux marchands et politiques sont tels que les autorités ont besoin de stades aseptisés où les supporters ne sont finalement plus que des spectateurs, et surtout, où ils sont totalement dociles.

Pour réussir à réprimer de façon aveugle et injuste le mouvement ultra, les autorités ont stigmatisé une population déjà fortement dénigrée par les médias et les « classes dominantes ». Traités de sauvages, de barbares, d’assoiffés de violence… il a alors été facile de les condamner et de les terroriser.

Une méthode que l’on a pu revoir ces derniers mois avec les Gilets Jaunes, eux aussi traités de barbares et de sauvages. Mais au fond, eux aussi craints par le pouvoir en raison de leur autonomie et de leur liberté d’action et de pensée.

En 2020, la question n’est plus d’être en jaune, en vert, en rouge ou en noir. La question est d’être dans la rue et de résister. Une rue que le pouvoir totalitaire a totalement confisquée, au point d’embarquer toute personne osant manifester en dehors des « nasses mobiles » mises en place par la préfecture.

Le 14 mars, de nombreux collectifs d’horizons très divers appellent à venir sur Paris pour reprendre cette liberté et pour aller encore plus loin. Il est question de réforme des retraites, de justice climatique, de pouvoir d’achat, de liberté d’expression et de circulation, de violences policières et d’Etat…. Des GJ, des écolos, des syndiqués de base, des étudiants, des avocats, des pompiers… toute la France qui lutte est appelée à venir sur Paris ce jour là.

C’est pourquoi nous formulons le vœu que les Ultras sortent des stades et se mobilisent avec le reste de la société. En commençant par cette journée du 14 mars à Paris. Car les Ultras ont des pratiques et une expérience qui pourraient être utiles dans ce combat face à un pouvoir violent et autoritaire. Des chants aux fumigènes en passant par les chorégraphie, l’univers ultras influence déjà les lutte sociales mais pourrait aller encore plus loin. Surtout, les ultras d’un même groupe ont une force précieuse qui découle de leur solidarité, de leur détermination et de leurs capacité à agir de façon très groupée et rapide. Lorsqu’un ultra est pris à parti par des policiers, aucun membre de son groupe ne reste passif et/ou ne filme la scène. Tous les membres de son groupe viennent l’aider et opposent une résistance. Cet esprit de groupe et de résistance font des ultras une force d’opposition réelle au pouvoir et à son bras armé. Ces groupes, dans la rue avec les GJ, les BB et autres militants qui veulent vraiment changer les choses, pourraient devenir décisifs.

En Tunisie ou en Egypte, les Ultras ont joué un rôle important dans les révolutions de 2011. Les ultras turcs ont également su mettre leurs différents de côté au moment de la révolte de la place Taksim. Plus récemment, à Alger, les diverses communautés ultras d’Alger se sont déclarées khawa (« frères »), mettant entre parenthèses leurs rivalités sportives pour unir leurs forces contre le régime. Ils participent régulièrement aux manifestations du vendredi. Au Chili également, les groupes de supporters des trois grands clubs de Santiago ont appelé à manifester, mettant de côté leurs inimitiés.

En France, nous pensons qu’il serait salutaire pour le mouvement social que les Ultras prennent position et aillent aux côtés de ceux qui combattent ce pouvoir de plus en plus autoritaire et totalitaire. Se battre avec eux, avec leurs différences, en y ajoutant leurs revendications et leur passif, pour en faire une force.

Bien sûr, il aurait été souhaitable que le reste de la population s’indigne du sort des ultras ces derniers années, et soit solidaire. Mais cela ne suffit pas pour refuser d’entrer dans le mouvement général de révolte contre le système.

Bien sûr, les groupes ultras refusent pour la plupart de se « mêler » de politique. Mais leur avenir est éminemment lié à des décisions politiques, des choix de société. Cela ne veut pas dire faire campagne pour un parti, mais simplement se battre pour faire tomber ce pouvoir et tout le système qui lui est lié. Exactement comme les GJ qui ont pu se retrouver sur des ronds points et dans des manifestations sans avoir voté pareil mais qui ont décidé d’unir leur force pour mettre fin à cette époque dont plus personne ne veut.

Une seule police, un seul pouvoir, une seule bataille.
Et elle commence le 14 mars à Paris. Ultras français, nous vous attendons à Paris.


Que vive la violence !

Initialement publié le 9 février 2020

On nous parle de combat politique et de lutte des classes. Mais aujourd’hui, en 2020, il faudrait combattre et lutter sans aucune violence. Foutaises.
Cette injonction permanente à la non-violence la plus absolue n’est qu’une ruse des puissants pour conserver pouvoir et argent.

Les ultras riches ne changeront jamais le système actuel qui leur profite tant. Ces gens-là se cognent complètement des tribunes, manifestations pacifiques, grèves et autres pétitions.

Mettons-nous à leur place : pourquoi changeraient-ils une société qui a été bâtie pour eux, pour leurs profits, pour leurs intérêts ? A quel moment peut-on penser qu’il y aurait une « prise de conscience » de ces personnes ?

La grande réussite de ce système, c’est d’avoir réussi à rendre totalement inacceptable l’usage de la violence dans nos sociétés. Sauf bien sûr pour les forces policières, qui elles, n’ont jamais été aussi violentes. Le peuple n’a jamais été autant désarmé et docile alors que la police n’a jamais été aussi armée et violente. Drôle d’époque.

Nos cerveaux ont été formatés pour s’indigner d’une poubelle qui brûle ou d’une vitre de banque brisée… tout en acceptant de chevaucher un SDF qui dort contre une bouche d’aération. On pourrait dérouler les exemples à n’en plus finir. Nous avons tous intégré l’ultra-violence de la société libérale qui blesse, tue et humilie chaque jour des millions de personnes.
Écrire cela, ce n’est pas regretter les sociétés passées, plus violentes au quotidien ! Bien sûr que c’est un progrès que les violences diminuent dans une société, notamment les violences conjugales, sexistes, racistes ou homophobes. Bref, les violences d’individu à individu.

Mais cela ne doit pas pour autant rendre illégitime tout usage d’actions « violentes » dans des luttes sociales, surtout quand celles-ci ont clairement un objectif révolutionnaire.

On va nous ressortir l’éternel exemple de Gandhi et de la possibilité d’une révolution non violente. Évidemment que cela a existé. Mais si l’on regarde avec honnêteté la liste des révolutions ces dernières décennies, la grande majorité a connu des épisodes de violence.

Et c’est tout à fait compréhensible : un pouvoir, surtout s’il est autoritaire, ne se laisse pas déposséder de son trône sans se battre. Physiquement, violemment. Et donc, souvent, pour gagner, il faut pouvoir répliquer. Physiquement, violemment.

Autre schéma à détruire de nos constructions mentales : l’idée que ceux qui, en manif, peuvent se prêter à des actions offensives sont des sauvages, des barbares, des animaux assoiffés de sang.

Bien sûr qu’il y a des montées d’adrénaline lors d’affrontements, lors de feux de joie. Quel GJ présent sur les Champs lors des premiers actes n’a pas connu une certaine euphorie du moment, en partie liée à des actions dites « violentes ». Il n’y a pas à avoir honte de ces sentiments. Ceux qui cherchent à faire culpabiliser de ces émotions sont ceux qui ont intérêt à ce que la population s’autocensure sur de telles actions.

Mais les personnes présentes dans les actions offensives ne rêvent pas d’égorger un policier ou de brûler un riche. Ils rêvent d’une société plus juste, plus humaine, plus égalitaire, plus soucieuse de l’environnement. Ils prennent du plaisir à chanter et danser sur un rond point autant qu’à construire une barricade. C’est peut-être moins vendeur pour BFM et LCI, mais que ce soit en noir ou en jaune, les manifestants se prétendant révolutionnaires ont surtout soif d’amour et de fraternité.

Les réduire à la violence n’est pas anodin. C’est une technique pour les isoler, les stigmatiser puis les disqualifier. Mais ce cirque marche de moins en moins. Ceux qui sont allé sur le terrain pour se battre lors des centaines de manifestations et d’actions qui ont eu lieu en France depuis 14 mois savent que les plus deter sont tout sauf des barbares.

Les barbares sont aujourd’hui en costards et au pouvoir. Sous leur vernis civilisé, il y a le sang de millions de laissés pour compte, mais aussi de toute la planète qui se meurt. Ils le savent. Et ils s’en tapent. Tant qu’ils peuvent profiter de leurs yachts et de leurs villas à la montage. Ces gens-là sont d’une violence ultime, meurtrière. Ils ne lâcheront rien sans qu’ils y soient forcés.
Sachant cela, on peut disqualifier totalement la violence du champ des luttes sociales. Mais dans ce cas là, acceptons que le système ne changera jamais profondément. A chacun de choisir.

“Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai la violence.” Gandhi
“La violence aux mains du peuple n’est pas la violence, mais la justice.” Eva Peron-
“Celui qui rend violence pour violence ne viole que la loi, et non l’homme.” Francis Bacon


DÉFIER L'INTERDIT. MONTRER L’ILLÉGITIME 

Initialement publié le 2 février 2020

Qu’est-ce que nous dit un Etat qui tient une contestation démocratique à l’écart des lieux de pouvoir et qui enferme 3 lycéens pendant 36 heures de garde à vue pour les punir d’avoir bloqué leur lycée contre les réformes Blanquer ? Peut-être tout simplement qu’il a peur… Peur au point de vouloir intimider le mouvement lycéen et peur au point d’interdire la moitié de Paris à une manifestation de gilets jaunes.

Vu de loin, cet acte 64 des GJ à Paris pourrait être considéré comme un échec : aucune manif sauvage n’a pu avoir lieu et de nombreux manifestants ont été interpellés/verbalisés de façon totalement arbitraire. 403 verbalisations rien qu’à Paris ! Et 3 gardes à vue.

Sauf que ce qui s’est passé à Paris samedi est nettement plus fort qu’une manif déclarée et totalement nassée de bout en bout par la police, qui ne dérange absolument pas le pouvoir.

Ce samedi, plusieurs centaines de Gilets Jaunes (sans leur gilet) ont bravé l’arrêté préfectoral grotesque qui leur interdisait d’être « présents » dans une bonne partie de la capitale (tous les lieux de pouvoirs et touristiques). Malgré les menaces du préfet, ils se sont retrouvés au lieu de départ de la manif refusée par la préfecture, devant le Conseil d’Etat. Le dispositif policier était énorme, démesuré, comme depuis plusieurs mois. Et pourtant, ces citoyens ont décidé de venir dans la gueule du loup, non pour être victime, mais pour tenir la dragée haute à l’intimidation d’un pouvoir qui n’a plus que la surenchère de ses muscles pour empêcher une simple manifestation. Rapidement nassés (comme prévu), ils ont été rejoints par d’autres manifestants qui se sont payés le luxe de nasser la nasse policière. Une dérision délectable qui a pour quelques instants désorganisé le dispositif. Un peu gênée aux entournures dans ce quartier touristique, la police a ensuite desserré les dents et les gilets jaunes ont pu rester manifester devant le conseil d’état ou marcher dans le quartier puis se rendre sur un plan B.

Pendant plusieurs heures, les GJ ont continué à défier le pouvoir et son bras armé (les BRAV), sûrs de leur légitimé à manifester et à se battre pour une société plus juste et plus humaine.

La réponse du pouvoir apparait dès lors forcément disproportionnée et illégitime. Et c’est tout l’intérêt de cette action !

Car un pouvoir autoritaire et de plus en plus fascisant peut tout à fait se faire passer pour démocratique tant que tout le monde respecte ses « conditions » et feint d’accepter le consentement forcé. Mais lorsqu’on l’oblige à montrer son vrai visage, simplement en décidant d’aller manifester où bon nous semble, la part sombre et dangereuse du pouvoir apparait au grand jour.

En cela, les 500 GJ parisiens présents ce samedi ont été bien plus subversifs et utiles à la lutte que s’ils avaient été 3000 dans une manif totalement « encagée », dans une nasse policière mobile.

Et si, samedi prochain, ils sont plus nombreux, le pouvoir aura de plus en plus de mal à contenir la colère légitime. Et il n’aura d’autre solution que de montrer encore plus son visage fascisant.

Revenons maintenant sur l’arrestation des 4 lycéens.Vendredi matin, ils sont arrêtés dans le cadre de la mobilisation contre les épreuves de contrôle continu du nouveau bac (une des réformes de Blanquer). On leur reproche d’avoir bloqué le lycée Ravel avec une poubelle en feu. La mise en garde à vue de 4 mineurs pour des faits de la sorte est exceptionnelle. Alors qu’un des lycéens a été libéré sans suite au bout de 24h, les 3 autres ont été déférés au tribunal et leur garde à vue a été prolongée.

Mais coup de théâtre samedi, le parquet se rend compte que le dossier ne permet pas de faire passer les lycéens devant un juge pour la poubelle brulée par manque de preuves et des irrégularités dans la procédure. Il décide donc de leur notifier une mesure alternative. Ainsi le parquet garde la face dans une affaire qui aurait pu lui couter cher : se faire désavouer par un juge.

C’est la même technique qui est employée contre les gilets jaunes rappelle Lucie Simon, l’avocate des jeunes lycéens. En sommes une technique qui consiste à arrêter arbitrairement, et, fautes d’éléments tangibles, coller un rappel à la loi.

Macron et son monde ne tiennent plus que par sa police et sa justice à deux vitesses. Plus la contestation sociale augmente, plus les moyens répressifs sont démesurés pour terroriser tous ceux qui osent résister. Cette débauche de moyens a un but : faire peur aux autres, à ceux qui ne s’organisent pas encore face à cela et qui pourraient rejoindre le mouvement. Dans le cas du lycée Ravel comme dans le cas de la manif gilets jaunes, le procédé est le même : envoyer un message de terreur. Ainsi l’État dit aux parents que leurs enfants pourront souffrir dans les mains de la police s’ils s’opposent aux reformes. Que même si les accusations ne sont pas fondées, il aura malgré tout les moyens de punir dans les interstices. Voilà ce qu’on appelle une manière de faire de la police politique. Les gilets jaunes ne connaissent que trop bien cette rengaine. Les lycéens de Mantes la Jolie qui avaient été mis à genoux l’année dernière sur ordre de flics armés aussi.

Face à cela, il n’y a pas d’autre choix que de résister et de déranger. Au risque de se faire arrêter, interpeller, verbaliser.

Même si cela fait mal, n’oublions pas que cela est juste. Légitime. Et que c’est ce qu’il faut faire.

Alors disons le clairement : bravo à celles et ceux qui ont tenté de changer les choses ce samedi à Paris avec la manif gilets jaunes. Et bravo aussi aux lycéens et lycéennes qui s’organisent pour bloquer l’application de réformes injustes. Et bravo à tout celles et ceux qui ont le courage d’accompagner les révoltes en cours.

A trop montrer les muscles de son autoritarisme, l’Etat est en train de s’effondrer par le propre poids de sa force, en se délégitimant. Et si nous poussons tous, il tombera