Faut-il soutenir toutes les révoltes ?
Initialement publié le 13 août 2019
Depuis quelques jours, nous constatons une montée en puissance d’un discours condamnant ceux qui soutiennent de près ou de loin la révolte actuelle à Hong Kong. Pour ces personnes, soutenir les révolutionnaires de Hong Kong revient à soutenir les USA et toutes les puissances capitalistes. Face à cette équation basique et dangereuse, voici notre réponse.
Nous contestons l’adage selon lequel les ennemis de nos ennemis sont nos amis, qui se décline sur les amis de nos amis sont nos amis ou encore les ennemis de nos amis sont nos ennemis… L’histoire a montré que des puissances très différentes pouvaient s’allier ou s’affronter de façon opportuniste et stratégique. Se ranger au côté de toutes ces puissances (ou à l’inverse s’y opposer) n’a donc pas de sens.
Être contre le système ultra libéral en place aux USA (mais aussi en Europe) ne signifie pas prendre le parti inverse à chacune de leurs prises de positions. Il ne faut pas non plus penser que tout soulèvement qui a le soutien (ou juste la sympathie) des USA (ou même de la Russie, de la Chine ou de la Turquie) est un soulèvement réalisé par des personnes souhaitant adopter le mode de vie de ces pays. D’une part, c’est nier la diversité et la complexité de ces mouvements. Les révolutions les plus importantes surgissent souvent parce qu’elles embrassent une partie importante de la population, des franges aux intérêts et aux modes de vie très différents, réunis pour renverser le pouvoir en place. A Hong Kong, dans les manifestations de ces dernières semaines, des cadres très libéraux côtoient des anarchistes très loin des idéaux américains. D’autre part, si certains de ces révoltés acceptent des aides (logistiques, financières, de communication) de puissances étrangères, cela ne doit pas être pris pour une allégeance à ces pays. La plupart des fois, il s’agit de prendre l’aide là où elle se trouve. Certains militants attirent l’attention sur le fait que le mouvement à Hong Kong ne remet pas en cause la propriété privée ni les dominations capitalistes. Si cela est grandement vrai, il y a tout de même une autonomie inventive qui décoiffe les révolutionnaires avec des techniques inédites qui se répandent dans la population. Comme pour les GJ, il y a là une base émancipatrice très intéressante avec de chaque côté, des bornes, dont certaines sont des lignes rouges et représentent un réel danger de contre-révolution qu’il convient de décrire et de combattre.
Il faut aussi garder à l’esprit que les prises de position des dirigeants politiques sur des révoltes dans d’autres pays ne sont parfois que des stratégies diplomatiques et médiatiques. Qu’un président chante les louanges d’une révolte à 10 000km de chez lui ne doit pas nous laisser penser qu’il en a la paternité ou qu’il y a contribué. Sinon, il faudrait considérer que Poutine et la Russie ont joué un rôle important dans le mouvement des Gilets Jaunes, discours qui a été utilisé en France par certaines personnes voulant discréditer le mouvement. Or tous ceux qui ont vécu de l’intérieur la révolte GJ savent que la Russie n’a aucun mérite à tirer de ce soulèvement.
Enfin, peut-être le plus important : qu’importe le nom du régime en place, un peuple qui se soulève et tente de renverser un pouvoir autoritaire qui musèle l’opposition et toutes formes de contestations a toute légitimité et doit être soutenu, dès lors qu’il ne constitue pas lui-même un autre autoritarisme. La lutte pour l’émancipation des peuples passe par la liberté d’expression. Un système, si social et ouvert soit-il, n’a pas de légitimité s’il empêche ceux qui le contestent de s’exprimer. Or, au-delà des différences idéologiques, l’histoire nous montre que très souvent, c’est l’exercice du pouvoir qui corrompt et c’est l’envie de rester au pouvoir qui pousse les dirigeants en place à devenir de plus en plus autoritaires, voire totalitaires. En Tunisie, Ben Ali avait beau se targuer de progrès sur différents aspects de la société, il n’en demeure pas moins qu’il était impossible de le critiquer. La révolution était donc légitime et nécessaire. Même si la situation aujourd’hui n’est pas idéale, faire chuter un tyran est toujours une victoire. Et il ne faut rien regretter. Tant que des tyrans dirigeront des pays, il faudra des révolutionnaires pour les destituer et leur faire payer le prix de leurs années d’oppression.
De l’extérieur, il ne nous appartient pas de distribuer les bons points et de dire quelle révolte est légitime et laquelle n’est qu’une récupération d’une puissance étrangère. Quand des milliers de personnes mettent leur corps en jeu, leur vie en jeu, pour renverser un pouvoir que l’on sait autoritaire, il nous incombe de soutenir, au moins moralement, cette quête de liberté et d’émancipation.
Alors oui, nous soutenons les manifestants à Hong Kong comme nous soutenons la révolte au Soudan, en Algérie ou même en Russie. Oui, nous avons soutenu les révolutions en Tunisie, en Égypte ou au Yémen. Nous n’y voyons aucune incohérence ni aucun renoncement à nos idéaux. Bien au contraire.
Réelle rébellion ou réelle extinction ?
Initialement publié le 11 août 2019
Il y a des promesses qu’il est important de tenir. Des espoirs qu’il ne faut pas décevoir. Le « nouveau » mouvement climat entre aujourd’hui dans une période clé de son existence. Le moment de tenir ses promesses et son ambition. Ou de disparaitre, en même temps que la planète !
Depuis plusieurs mois, le paysage des luttes écologiques dans le monde a totalement été bouleversé par l’arrivée de nouvelles têtes, très jeunes, et de nouveaux groupes tout aussi jeunes ( notamment Youth For Climat et Extinction Rebellion). Lancée il y a tout juste un an, la première « grève étudiante pour le climat » a, depuis, été reprise partout dans le monde. Le 15 mars 2019, plus de 2 000 manifestations ont été organisées partout dans le monde, avec plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues.
« Urgence climatique », « rébellion internationale », « ultimatum »… au-delà de l’ampleur des mobilisations, on retient aussi le caractère offensif et radical de plusieurs slogans, discours, tracts et prises de positions publiques. Face à la situation extrêmement critique, XR et YFC veulent rompre avec les pratiques trop tièdes du militantisme à papa. Défendant une structure horizontale, XR promeut même les initiatives locales prises par n’importe lequel de ses membres.
De là à y voir les bases d’une écologie radicale prônant l’autogestion et l’horizontalité, il n’y a donc qu’un pas.
Oui mais voilà, depuis la création de XR France il y a quelques mois, les actions radicales et réellement bloquantes pour le pouvoir et les entreprises polluantes se font toujours attendre. Des actions coup de poing (et médiatiques) ont bien été menées (avec succès) : déversement de faux sang au Trocadéro, blocage du pont de Sully, ralentissement du périph en vélo, cercueils déambulant dans les rues…
XR a énormément gagné en notoriété et a vu de nombreux jeunes (et moins jeunes) rejoindre ses rangs. La couverture médiatique du mouvement a été énorme, aussi bien en France qu’à l’étranger. A Londres, XR a même fait son entrée au Victoria & Albert Museum. C’est donc une stratégie gagnante. Mais pas suffisante. Car il est évident que pour organiser des actions radicales de grande envergure, il faut de nombreux militants. Mais désormais que ce seuil est atteint (tout comme la notoriété), il ne faudrait pas que la structure reste sur ce type d’actions symboliques, médiatiquement fortes, mais sans réel impact sur le système.
Car il est désormais clair que les puissants de ce monde (politiques et économiques) ne changeront pas profondément le système. Sauf s’ils y sont obligés. Et nous ne pourront les obliger qu’en leur opposant un rapport de forces radical et puissant. Pour y parvenir, il faudra se décider à réaliser des opérations réellement bloquantes pour le système.
Le mouvement climat nous annonce une rentrée très chaude, avec deux temps forts : la grève du 20 septembre et une action internationale de XR le 07 octobre. Nous espérons les rassemblements massifs. Mais nous espérons aussi que les actions seront clairement offensives, radicales et porteuses d’une réelle insurrection climatique.
L’autre aspect sur lequel nous attendons XR et toute la nouvelle génération climat, c’est son positionnement face au système libéral. Nous voyons en effet deux tendances se détacher : celle qui cherche à lutter contre le réchauffement climatique en adaptant le système capitaliste, et celle qui cherche à détruire ce système, principal responsable de cette folle envolée climatique de ces dernières décennies.
Il ne s’agit même pas de parler de « convergence des luttes » mais simplement d’acter le fait que ceux qui se sont enrichis de façon indécente depuis plus de 40 ans l’ont fait au détriment de la planète, et qu’il n’y a pas lieu de penser qu’un cercle vertueux permettrait de continuer de vivre dans une société ultra libérale qui serait totalement écologique et respectueuse des autres espèces vivantes.
Il y a quelques jours, suite au nouveau rapport de GIEC, toujours aussi pessimiste, le journal Le Monde titrait « L’humanité épuise la terre ». Sous ses airs innocents et préoccupés, ce titre résume à lui seul le danger actuel du mouvement climat : laisser penser que chacun de nous est autant responsable de la catastrophe climatique actuelle. Penser qu’un pays comme le Soudan doit autant contribuer à l’effort climatique que la France. Penser qu’un ouvrier doit autant faire d’efforts qu’un patron d’une multinationale prenant l’avion 4 fois par semaine et allant tous les weekends profiter de son yatch en Méditerranée.
Pour rappel, si le monde entier vivait comme les USA, il faudrait actuellement cinq planètes pour vivre. Il en faudrait trois si tout le monde vivait comme la France, et seulement 0,6 si tout le monde vivait comme l’Inde.
Envisager que la responsabilité soit partagée et égale, c’est dédouaner les principaux responsables de la situation, ceux qui se sont enrichis sur ce système. C’est aussi s’empêcher de changer profondément la situation puisque laisser le système économique et financier intact. Les entreprises tenues par ces ultra-riches polluent de façon indécente par leur simple recherche du profit le plus important et le plus immédiat. Et ce n’est pas leur Greenwashing, devenu nouvelle source de profits et de marketing, qui changera la donne.
S’il est louable et souhaitable que de plus en plus de citoyens décident de boire dans une gourde, de ne plus prendre de sac plastique dans les magasins ou de consommer en circuit court, il ne faudrait pas penser que ces gestes seront suffisants face à l’urgence climatique. Surtout, il ne faudrait pas que cela « suffise » à la majorité de la population dans leur geste environnemental. Les puissances politiques et économiques sont les principaux responsables et sont surtout ceux qui pourraient faire rapidement et profondément changer la donne. Il est intolérable que les mêmes qui ont voté les accords de Paris et qui se sont engagés dans les recommandations du GIEC puissent aujourd’hui voter le CETA, l’accord de libre-échange qui va augmenter le flux des containers polluants qui traversent les océans.
Il y a donc une double urgence : celle d’agir enfin de façon radicale et bloquante pour le système, et celle d’assumer clairement que le changement climatique ne passera que par un changement du système économique et social. Face à ces deux enjeux, nous espérons que XR et d’autres structures feront les bons choix et prendront les bonnes décisions. Il en va de l’avenir de leur mouvement, mais surtout, de la planète.
"Soyez comme l'eau !" : sept tactiques gagnantes dans la révolution de Hong Kong
Initialement publié le 9 août 2019
Ceci est une traduction d’un article du journal britannique « New Statesman »
Lien de l’article initial
Traduction réalisée par Nena Lonavill
Depuis bientôt deux mois, une vague de manifestations anti-gouvernemental secoue Hong-Kong. Initialement provoquées par une proposition du gouvernement d’introduire une loi qui permettrait l’extradition de suspects d’affaires criminelles vers la Chine afin qu’ils puissent y être jugés, les manifestations se sont transformées en un large mouvement pro-démocratique, demandant la transparence du gouvernement et le suffrage universel. Ces manifestations ont largement été menées par de jeunes activistes qui, au fur et à mesure des manifestations hebdomadaires et frictions avec la polices, ont adapté et développé leurs stratégies, offrant un cours magistral pour les activistes du monde entier. Voici certaines de leurs tactiques clés.
Fini l’occupation – « Soyez comme l’eau! »
Le mouvement international « Occupy » (ndt: équivalent des Nuits Debout en France), en réaction à la crise financière de 2008, a servi d’inspiration pour les précédents actes de désobéissance civile à Hong Kong – une série de manifestations connues sous les noms d’ « Occupy Central » ou du « Mouvement Parapluie » – durant l’année 2014. Ces manifestations ont adopté la logique d’occupation des mouvements précédents, les manifestants occupant les principales voies de circulation durant 79 jours dans l’espoir que les perturbations occasionnées forceraient le gouvernement à la table des négociations. Le gouvernement refusant de bouger, le mouvement échoua.
En ce moment, les manifestants d’Hong Kong prennent leur inspiration d’une source plus proche d’eux: le héros local, star du cinéma de kung-fu, Bruce Lee, qui professa : « Soyez comme l’eau »
Les jeunes manifestants évitent les anciennes stratégies, rigides et peu mobiles, en faveur d’un type de manifestation hautement mobile et agile. Un rassemblement peut se changer en marche; une marche peut commencer dans une direction pour brusquement en changer; l’objectif d’une action en particulier peut devenir apparente durant le cours même de la marche. Lors de récentes manifestations, de petits sous-groupes de manifestants se sont soudainement détachés pour mener des actions ciblées appelées « chats sauvages » sur un bâtiment du gouvernement, envahissant les entrées, escalators et ascenseurs. Lorsque le gouvernement déclara le bâtiment fermé et renvoya les employés pour la journée, les manifestants se dispersèrent pour bouger vers leur prochaine cible. Comme le disait Bruce Lee « L’eau peut couler, comme elle peut fracasser ».
(ADDENDUM de la traduction: Vus sur autres sources, utilisation de lasers pointés en nombre vers les caméras afin d’éviter d’être identifiés.)
Manifestation Open-Source
La vague actuelle de manifestation Hong Kongaise est sans leader. C’est en partie une réponse aux poursuites agressives du gouvernement à l’encontre des anciens meneurs: la figure du Mouvement Parapluie Joshua Wong n’as que récemment été libéré de prison, tandis que de nombreux autres leaders incluant les initiateurs du plan Occupy Central, Benny Tai et Chan Kin-Man, restent à ce jour derrière les barreaux. Sans leader évident, il n’y a personne à emprisonner.
De même, l’absence d’un leadership centralisé est un résultat de l’usage de tactiques online, en cela très organiques. Les manifestants utilisent des forums tels que LIHKG – une sorte de version local et lo-fi de Reddit avec possibilité de commenter et voter sur des posts – de même que des groupes chats Telegram (le plus grand d’entre eux en est à 10’000 membres), où la fonction sondage permet aux participants de décider des prochaines étapes: doivent-ils rester ou se disperser? Les manifestants votent sur l’instant et agissent en fonction.
Le professeur Francis Lee de l’Université Chinoise de Hong Kong a nommé de phénomène « la manifestation Open-Source ». Les volontaires dotés de mégaphones ou de talkies-walkies aident aux annonces et à la coordination, mais ne sont pas des meneurs à proprement dit. Les manifestants ont également expliqué que cette absence de leadership encourage tout le monde à s’investir et contribuer au mouvement. De cette manière, les manifestants promulguent le type de démocratie participative qu’ils veulent voir appliquée.
AirDrop
L’usage de Telegram des manifestants est bien connu, alors ce n’était peut-être pas une surprise que lorsque les premiers clash les plus intense entre manifestants et forces de l’ordre subvinrent, l’application reporta avoir été sujette à une attaque DDOS depuis la Chine continentale. Ajoutez à cela la surcharge massive du réseau mobile quand des centaines de milliers de gens se tiennent dans le même périmètre réduit tout en utilisant leurs appareils simultanément, la communication devient rapidement incertaine et très peu fiable. En réponse à cela, les manifestants se sont tournés vers les technologies « peer-to-peer » en alternatives, en particulier la fonction « AirDrop » dont sont équipés tous les appareils Apple (AirDrop permet aux utilisateurs d’iPhone de s’envoyer des images les uns aux autres par connection Bluetooth en se passant d’une connection mobile).
Les manifestants ont utilisé AirDrop dans deux objectifs: partager des messages avec les autres participants durant le déroulement de la manifestation, puis pour passer le mot au plus grand nombre. Les journaliers du métro Hong Kongais peuvent se retrouver à recevoir des slogans promouvant la cause ou même des informations sur les prochains rassemblements. Avant les manifestations, les groupes Telegram passent le message « Rappellez-vous d’activer AirDrop! ». Vers la fin d’une récente manifestation, alors que les manifestants se repréparaient à « être l’eau » et à se disperser, mon téléphone sonna soudain sous les notifications AirDrop, portant un simple message « Partez ensemble à 7:00 ».
Chaîne d’approvisionnement et langage des signes
L’expérience du Mouvement Parapluie et les récents affrontements avec la police ont appris aux manifestants quels équipements ils ont besoin en première ligne. Pour s’assurer que les nouvelles fournitures puissent arriver au front rapidement, les manifestants Hong Kongais ont développé un système de signaux de mains unique, afin d’envoyer des messages à travers la foule concernant quels équipements sont demandés.
Un signe est passé de l’avant, de main en main dans la foule, jusqu’aux dépôts d’équipements à l’arrière où les affaires ont été transportées près du site de la manifestation. Les objets demandés sont ensuite passés le long d’une chaîne humaine jusqu’à l’endroit d’où émane la demande. Ces chaînes humaines de ravitaillement se sont parfois vues étendues sur aussi loin qu’un kilomètre et sont un spectacle impressionnant.
Ce langage des signes est devenu tellement iconique que lors d’un récent rassemblement de « cheveux gris », des personnes âgées de Hong Kong marchant en support de la jeune génération, les anciens ont été vus apprenant et pratiquant le langage des jeunes en solidarité.
Neutraliser les gas lacrymogènes
Quand la police a lancé les gaz sur les manifestants au tout début des manifestations du Mouvement Parapluie début 2014, ça a causé une indignation générale à travers toute la communauté Hong Kongaise, motivant de surcroît les 79 jours d’occupation de la ville. Avancée rapide à 5 ans plus tard, et le déploiement des gaz lacrymogènes dans les rues de Hong Kong est devenu tristement courant. Bien-entendu, durant le seul week-end passé, la police a tiré ses gaz au sein de quartiers résidentiels densément peuplé Samedi et Dimanche, et durant toute la soirée du Dimanche quasiment constamment sur une période de 4 heures. Une partie du pourquoi d’un tir aussi soutenu est que les manifestants ont appris comment les neutraliser.
De petites troupes mobiles de « soldats du feu » attendent à l’arrière de la première ligne, équipés de cônes de signalisations. Quand une grenade lacrymogène atterri dans la foule, ils y courent afin de la couvrir avec le cône, créant une cheminée qui contient et canalise au loin la fumée. Un autre membre de l’équipe intervient alors pour verser de l’eau dans le cône afin d’asperger la grenade afin de l’éteindre. Quand il n’y a pas de cône à disposition, de l’eau ou des serviettes mouillées sont utilisées pour étouffer les grenades, ou alors un manifestant particulièrement agile équipé de gants ignifuge se saisira de la grenade pour la relancer, soit vers la police soit au loin sur les côtés.
Eviter de se faire piétiner
Un des plus grands risques de blessures ou de morts dans une foule vient du danger d’être piétinés. Cette menace est appuyée par la géographie urbaine de Hong Kong: les manifestations récentes ont eu lieu dans les ruelles étroites et sinueuses du vieux quartier de Sheung Wan, ou dans le labyrinthe de passages à niveau et de passerelles entrelacés dans Hong Kong. Quand la police tire des gaz lacrymogènes dans une foule dense, ou que les équipes policières à réponse rapide dites « Raptor » lancent une de leurs charges éclaires, le risque que la foule panique – et que des piétinements subviennent – est très élevé. Conscients de ces risques, les foules de manifestants scandent « 1… 2… 1… 2… » à l’unisson durant leurs retraites, marchant au rythmes du compte. Cela assure une retraite ordonnée et lui évite de se transformer en écrasement mortel.
La Révolution sera crowdfundée
Voyant que le sommet du G20 serait tenu à Osaka fin-juin, les activistes Hong Kongais y virent une opportunité pour attirer l’attention international sur leur cause. Bien qu’incapable d’entrer aux tables de conférences du G20, ils visèrent la table d’à côté : celle du petit-déjeuner. Les activistes sortirent une série de publicités en pleine-page dans les journaux à travers le monde pour rendre leur combat public. Ils crowdfundèrent les pages grâce à une campagne qui leva plus de £600,000 en quelques heures. Des volontaires préparèrent et corrigèrent les textes en plusieurs langues, réservèrent les espaces publicitaires et délivrèrent le tout aux journaux à travers le monde. Durant les jours précédents et pendant le sommet du G20, de frappantes pleine-pages en noir et blanc clamant « Levez vous pour Hong Kong au G20 » sont apparues dans les journaux du monde entier, du New York Times au The Guardian, Le Monde et Suddeutsche Zeitung, The Australian et le Asahi Shimbun, le Globe&Mail et le Seoul Daily.
(ADDENDUM de la traduction: Vus d’autres sources, ils déposent de l’argent devant les machine de métro afin d’éviter aux manifestants d’utiliser leurs cartes d’abonnés et d’être ainsi identifiés.)
14 juillet - Défaite Nationale
Initialement publié le 16 juillet 2019
Malgré le dispositif ultra sécuritaire, malgré la venue de « figurants en marche » sur les champs, malgré les centaines d’arrestations arbitraires du matin, Macron a raté son pari d’avoir un 14 juillet en mode « carte postale » !
Très tôt le matin, des centaines (voir milliers) de Gilets jaunes sans gilets jaunes arrivent à entrer de façon individuelle sur les champs, comme tout citoyen voulant assister au défilé. La préfecture est au courant et tente tant bien que mal d’embarquer un maximum de manifestants. Près de 200 arrestations seront signalées sur Paris, la plupart avant même le début du défilé, et pour simple possession d’un gilet jaune dans le sac (ou pour avoir chanter un chant anti Macron). Le pouvoir décide également de frapper fort dès le début de cette journée en arrêtant les « figures » du mouvement (Rodrigues, Drouet, Nicolle), là encore sans aucune raison légale.
Qu’importe, les GJ sont trop nombreux et trop « discrets » pour que la police puisse tous les empêcher d’accéder au défilé. Le résultat est impressionnant : Emmanuel Macron est sifflé et hué sur l’ensemble de la très grande avenue des Champs Élysées. L’image est forte. Et même les médias de masse n’arrivent pas à masquer la réalité de ce président sifflé le jour de la fête nationale !
Une autre image forte, c’est celle de ce commissaire de police perdant totalement son contrôle (au point d’être retenu par un de ses policiers). Le commissaire violente une femme absolument pas agressive mais qui avait eu le tort de lui demander « Ou est Steve ? »
Le pouvoir montre plus que jamais qu’il ne tolère aucune remise en cause, et que, violents ou non, les résistants seront tous traités comme des criminels. Pour preuve, ces images de manifestants blessés (dont une femme qui risque de perdre un œil) aux abords des champs.
L’autre échec du pouvoir, c’est la prise de la Bastille… mais surtout des Champs Elysées par les Gilets Jaunes ! Si le début de l’après midi voit plusieurs petites manifs sauvages partir des alentours des Champs, très vite nassées ou dispersées par une tactique très agressive de la police (notamment avec les voltigeurs et la BAC), les GJ arrivent finalement à investir les Champs Elysées, notamment grâce à des barricades composées de dizaines de barrières (présentes pour le défilé). Là encore, l’image est forte. Le préfet Lallemand et sa stratégie de la terreur (voltigeurs, chiens, attaques de la moindre manif non déclarée) n’ont pas réussi à empêcher une partie du peuple en colère de revenir sur ces Champs Élysées devenus le symbole de la lutte des laissés pour compte face aux Fouquet’s et au Homard !
Impossible de chiffrer le nombre de GJ présents sur Paris en ce 14 juillet tant la dispersion était forte en raison de la tactique des forces de l’ordre mais aussi des différents points de rdv tout au long de la journée. Il y a peut être eu moins de monde que lors des deux premiers ultimatums de 2019 (16 mars et 20 avril) mais ce qui est sûr, c’est que plusieurs milliers de GJ ont répondu à l’appel.
Que la détermination, la motivation et la joie étaient intacts chez tous ces manifestants.
Et que malgré l’énorme dispositif de sécurité, ces GJ ont réussi à faire dérailler le système et empêcher que Macron puisse fanfaronner et nier la réalité sociale et le mouvement contestataire toujours bien présent.
C’est sa défaite nationale.
Et c’est déjà une bien belle victoire pour tous ceux qui continuent de résister.
Interview : Yvan Le Bolloc'h
Initialement publié le 29 mai 2019
On a rencontré l’un des artistes qui s’est le plus rapidement impliqué et solidarisé du mouvement des GJ. L’occasion de faire un bilan des 6 mois de mobilisation et de découvrir à quel point ce mouvement reste plein de promesses et d’espoir.
https://www.youtube.com/watch?v=LLOiY5rARiU
GJ, vous êtes si beaux !
Initialement publié le 12 mai 2019
Depuis le début du mouvement, les médias et le pouvoir ne cessent de salir et d’insulter les Gilets Jaunes : racistes, assoiffés de violence, homophobes, sexistes, vulgaires… Même si de plus en plus de monde se rend compte de la malhonnêteté de ces manœuvres, à l’image des 1 400 artistes et de l’appel « nous ne sommes pas dupes », ce travail quotidien de discrédit depuis six mois laisse des traces. A tel point que certains citoyens n’osent pas sortir en centre-ville le samedi, ou que des personnes en lutte (enseignants, hospitaliers…) ne veulent pas se joindre à des actions de GJ de peur que cela soit trop violent. Bien sûr, il y a la peur des gaz et des charges policières. Mais pas que. Quelque chose reste dans l’inconscient collectif.
Et pourtant. Si violence il y a eu lors de quelques actes depuis 6 mois, cela ne reflète clairement pas l’essence du mouvement. Un mouvement avec tellement de belles choses, de belles personnes et de beaux moments. Alors, même si ce texte ne pourra pas rééquilibrer la balance générale, voici une déclaration d’amour aux Gilets Jaunes et à leur beauté !
Que c’est beau de voir des personnes si différentes se réunir dans la rue. Jamais nous n’avions vu une telle diversité dans un mouvement social. Que c’est beau de voir des juifs manifester avec des musulmans, des catholiques et pleins d’athée. Beau de voir un mouvement social avec autant de femmes dans les rues, dans les assemblées, sur les ronds-points.

Si beau de voir des personnes ne pas reculer face aux armes de terreur de la police : canon à eau, gaz, flashball. Des personnes en fauteuil roulant ou en béquilles, qui reviennent, acte après acte, malgré la violence de la police. Des personnes pour qui chanter « révolution » ou « ça va péter » n’est pas du folklore syndical mais bien une menace face à un pouvoir abject. Des gens pour qui construire une France Insoumise n’est pas qu’un slogan politique.
Tellement sublime de voir des milliers de personnes chanter sous les lacrymo ou dans une nasse, avec la joie de vivre et d’exister. Voir des personnes âgées échanger avec les plus jeunes générations, et nous surprendre par leur rage et leur courage, que certains prennent pour un manque de sagesse !
Quel plaisir de voir se créer des assemblées. Puis des assemblées des assemblées. Sans que ces groupes ne tentent de parler au nom de tous, et sans qu’aucun individu ne soit mis en avant. C’est une première de voir un mouvement national, rassemblement de dizaines de milliers de citoyens, avancer et créer de façon totalement décentralisée et horizontale. En 26 semaines, les GJ ont réalisé bien plus d’actions, d’occupations, de débats, de manifestations que les structures de l’époque d’avant, et ce, sans leader ni organe centralisé. Putain que c’est beau.
Que c’est beau de voir tant d’ingéniosité pour réinventer la lutte, semaine après semaine : actions sur les péages, occupations de ronds-points, manifestations sauvages, fanfares, créations de cabanes, blocages d’entreprises et d’institutions, barbecues, sit-in…
Que c’est beau une vitrine de magasin de luxe défoncée avec écrit « on prend l’isf à la source ». Que c’est beau un 1er décembre qui fait vraiment flipper Macron, le Medef et tous les « puissants ». Que c’est beau une manif sauvage qui fait enfin revivre une ville et qui nous fait sentir puissamment réel.
Et bien sûr, que c’est surprenant et vivifiant de voir qu’autant de GJ ne lâchent pas, malgré 6 mois de mobilisation et un pouvoir toujours aussi muet et méprisant. Une telle endurance dépasse tous les schémas connus des luttes sociales « classiques ». Et c’est déjà une victoire extrêmement importante. Une victoire qui ne se voit pas et qui portera ses fruits dans quelques mois, et ce, pour plusieurs années. Des dizaines de milliers de citoyens se sont éveillés et ont construit de nouveaux modes de pensée, de luttes et d’existence. Qu’importe comment se terminera ce mouvement, il ne se terminera finalement pas vraiment. Pas de retour à la normale possible pour ceux qui se sont réveillés et qui voient désormais le pouvoir politique comme l’instrument de domination des plus riches, et la police comme un instrument de contrôle de ce pouvoir.
Enfin, la beauté première de ce mouvement, c’est l’amour qui se dégage chez ces milliers de Gilets Jaunes. L’amour pour la lutte. L’amour pour la vie. L’amour pour les autres. Les rencontres lors des AG ou des manifestations. Les fous rires. Les amitiés naissantes. Tellement d’amour. Tellement de vie.
Alors oui, mille fois oui, vous êtes tellement beaux ! Ne l’oubliez jamais.
Crédits photos : Julien Gidoin



Les leçons du 1er mai 2019
Initialement publié le 2 mai 2019
Ce premier mai 2019 fut la démonstration parfaite de la continuité et de la ténacité d’un mouvement populaire désormais historique. Historique par sa durée, car jamais en France, une révolte sociale n’aura tenu aussi longtemps, en dépit de toutes les stratégies visant à l’éteindre, 25 semaines, et aucun signe de faiblesse de la part de la rue, ou de la part du soutien de l’opinion à son égard. Historique par sa composition, car chaque manifestation semaine après semaine, échappe à tous les pronostics en termes de nombre, et d’aspect.
Traditionnellement, ce 1er Mai, fête des travailleurs, a toujours été la date phare pour les syndicats, organisateurs de marches partout en France, mais aussi à l’étranger.
Symbolique de la lutte des classes, elle est le moment ou tous ceux qui l’incarnent et se retrouvent en ce symbole, se regroupent afin de se reconnaître, de se mêler, de se souvenir et de montrer qu’ils sont bel et bien toujours conscients de cette nécessité de maintenir l’union face à l’autre camp, celui qui tire profit du contrôle de la masse ouvrière.
Pourtant depuis maintenant 2 ans, la configuration de ce 1er Mai, est en pleine mutation et retrouve même une inspiration révolutionnaire…
La lutte contre la loi travail en avait été le premier résultat, et on se souvient tout spécialement des manifestations offensives de 2016, 2017 et 2018, avec la naissance d’un cortège de tête extrêmement massif et soudé, qui avait abouti à une répression féroce, et un retrait du syndical totalement débordé par les évènements.
Ce 1er mai 2019, la tension était palpable depuis déjà quelques jours.
La multiplication d’appels à « l’émeute » sur les réseaux sociaux, montrait bien que la patience des gilets jaunes était à bout, face aux humiliations permanentes de l’État, et la réponse affolée du gouvernement avait semé une atmosphère anxiogène, certainement voulue.
A grand renfort de « fake news » de rumeurs incessantes, sur l’arrivée à Paris de milliers d’allemands décidés à « en découdre », et de l’imminence d’un danger émeutier, visant à dissuader les manifestants potentiels de sortir dans les rues.
Ce qui nous avait sauté aux yeux, c’était le nombre dès le matin, à Montparnasse, qui échappait totalement aux règles habituelles du format syndical, tant au niveau du timing, que de sa composition.
Alors que le cortège syndical devait s’ébranler à 14h, dès midi la foule s’élançait en direction de place d’Italie.
On connaît la suite, nassage, arrêt brutal du cortège dès le début, affrontements à Vavin, arrestations violentes et tout ce qui est désormais la tactique avérée du gouvernement, et de sa police.
Une angoisse, une tension, sourdes et palpables cependant, se sentaient dès le début, et le mot
« Révolution » avait une saveur toute particulière, scandé par une foule que l’on sentait prête à poursuivre sa route, non pas seulement pour des revendications sociales, mais bien pour l’ultime revendication, celle de la LIBERTÉ.
Nous nous demandions quel argument allait encore pouvoir trouver Castaner et toute sa clique, pour humilier, et tenter de rendre inaudibles les cris de souffrance d’un peuple en colère…
L’inventivité du gouvernement, en la matière, est de toute beauté.
Des vilains casseurs seraient entrés pour attaquer des malades en service de réanimation….
Au lendemain de cette journée, les syndicats et personnels de l’hôpital de la Pitié Salpétrière, démentent d’une seule voix la lecture médiatique et étatique de cet incident, très clairement provoqué par l’acharnement de la police sur des étudiants et autres manifestants, entrés dans un mouvement de panique dans les jardins de l’hôpital pour se protéger face au gazage incessant et aux charges policières .
Même les syndicats ont rencontré la violence aveugle de ces forces de « l’ordre » (ce n’était pourtant pas imprévisible, car, en 2018 déjà, le service d’ordre de la CGT s’était fait agresser par la police) avec exfiltration du secrétaire général Philippe Martinez, outré, un peu naïvement (?) par cette violence.
Doit on rappeler ici que cette violence est présente depuis longtemps, et qu’elle n’a pas plus à viser un cortège syndical que tout manifestant ?
Les syndicats, globalement, se retrouvèrent, ce 1er mai 2019, dans une situation inédite où (malgré eux?), la convergence populaire, tant évoquée depuis déjà 2 ans, se mit spontanément en place.
Un cortège de tête ? Non !
Des militants syndicaux à l’arrière ?
Non plus !
DES cortèges de tête, et un joli patchwork totalement inattendu de manifestants, qui telles des abeilles, s’organisaient spontanément, pour s’allier sur des temps forts ou plus calmes, à l’avant de la marche, au milieu, à l’arrière, et firent fonctionner une solidarité sans faille pour pouvoir exister tous ensemble jusqu’au terme de cette marche mémorable.
Les tentatives d’arrêt du mouvement par le gouvernement ne datent certes pas d’hier, elle avaient débuté dès le 1er décembre, ou la révolte avait pris un tour quasi insurrectionnel.
L’essentiel est d’en prendre rapidement conscience (souvent après une nuit de recul sur les événements), parce que ces soirs de manif, ou chacun a donné de toutes ses forces au nom de cette belle lutte, aboutissent souvent à des phases de spleen, quoi de plus humain et naturel?
Les « raisins de la colère » sont vivaces et tout est possible au travers de cet élan incroyable.
La force de l’action de groupe pourrait donc bien avoir raison de l’action de force de répression.
Affaire de temps ?
La suite aux prochains épisodes…
Crédit photo : Jocelyn Marques
Echec et nasse
Initialement publié le 2 mai 2019
Le 1er mai est donc passé. Et il ne s’est rien passé d’inquiétant pour le pouvoir, plus que jamais en place et sûr de son fait. Castaner et la préfecture ont parfaitement réussi leur coup de force consistant à terroriser et attaquer l’ensemble de la manifestation pour éviter le moindre débordement. La France est désormais tombée dans une doctrine du maintien de l’ordre par la terreur.
Jamais depuis le début du mouvement des GJ, mais peut-être même jamais depuis des décennies, nous n’avions assisté à une stratégie aussi ultra-offensive. Ce mercredi, les forces de l’ordre n’ont même pas cherché à prendre pour excuse des attaques de manifestants pour « répliquer ». Des milliers de personnes se sont retrouvées asphyxiées, étouffées, prises dans des mouvements de foule, matraquées… Terrible vision de personnes âgées qui paniquent, d’enfants qui pleurent. Par moments, nous avions l’impression d’assister à des scènes de guerre. Avec des gens qui s’abritaient dans des ruelles et attendaient les street medics.
Ce qui est le plus inacceptable dans cette situation, c’est qu’elle a été provoquée et voulue par la préfecture, alors qu’il n’y a quasiment eu aucun « débordement » : une vitre de banque pétée et trois poubelles en feu ? Pour 50 000 manifestants dans les rues de Paris. Clairement, il faut se faire à l’idée aujourd’hui que les forces de l’ordre ne sont plus là pour « maintenir l’ordre » mais pour aider le pouvoir dans sa bataille face à la colère sociale. C’est dans cette logique que, plusieurs fois dans la journée, la police a chargé et gazé ultra violemment la manif pour la couper en plusieurs « sections ».
Deux heures avant le début officiel de la manif, les premières charges et gazages avaient lieu. Dès 10h du matin, toutes les zones à quelques kilomètres du trajet étaient plongées dans une atmosphère hallucinante et anxiogène, avec des patrouilles mobiles qui attrapent au hasard des groupes de manifestants pour les fouiller de façon hyper agressive. Le moindre masque de protection contre le gaz ou lunettes de natation sont saisis, comme du matériel de guerre. Certains masques à gaz sont même suffisants pour être embarqué en GAV. L’objectif est clair : dissuader le maximum de personnes à se rendre sur la manifestation, et enlever le plus de protections possible contre le gaz lacrymo. Des centaines de gilets jaunes sont saisis par la police et confisqués aux manifestants. Là encore, pas pour maintenir l’ordre, mais pour minimiser l’impacte des GJ sur cette manif du 1er mai. France 2019.
Une fois la manifestation lancée, on se rend compte que le cortège de tête n’est plus vraiment un cortège de « tête » : les syndicats sont totalement noyés dans les milliers de GJ, Kway noirs et simples citoyens qui désirent manifester et lutter dans la rue. A l’avant bien sûr, mais également après le cortège syndical et même en plein milieu. Si l’an passé on pouvait parler d’un cortège de tête qui rivalisait en nombre avec le cortège syndical, aujourd’hui, on ne peut même plus parler en ces termes tant la majorité de la colère qui s’exprime dans la rue sort de tout cadre syndical.
Ce 1er mai est clairement une défaite pour les luttes sociales. Il confirme que désormais, face à un pouvoir autoritaire et ultra-violent, il n’est plus possible de jouer la carte des manifestations déclarées et concertées avec la préfecture. En effet, cette manif de mercredi aura été l’une des plus violentes pour les manifestants alors qu’elle a été l’une de celles qui ont connu le moins de dégradations. Le discours qui consiste à nous dire qu’il faut aller en manif déclarée pour rassembler un maximum de citoyens en colère qui ont peur des violences ne tient plus du tout.
Il va falloir également réfléchir à de nouvelles modalités d’actions et de manifestations, prenant acte des nouvelles stratégies des forces de l’ordre. Nous en avons les moyens et les forces. Car la seule victoire du 1er mai, c’est bien d’avoir vu autant de personnes descendre dans les rues de Paris et de toutes les villes de France, malgré le climat totalitaire et les menaces du pouvoir. Des personnes déterminées, joyeuses et qui ne laisseront pas des matraques ou des gaz les stopper dans leur lutte.
Message aux syndicats
Initialement publié le 29 avril 2019
Mercredi 1er mai, nous avons rendez-vous avec l’histoire. Nous avons également rendez-vous avec les syndicats. Tout autant qu’ils ont rendez-vous avec les Gilets Jaunes et tous les citoyens en lutte depuis des mois. Nous croyons fermement à l’idée que l’union fait la force. Et les cinq mois de lutte en jaune nous ont prouvé que la diversité et le respect des pratiques pouvaient être une vraie force. C’est dans cet état d’esprit que nous marcherons, le 1er mai, aux côtés des syndicats, associations et autres structures traditionnelles. Mais nous serons aussi, et surtout, attentifs à la manière dont ces structures se comporteront.
Il y a un mouvement de fond qui entraine des centaines de milliers de citoyens à s’engager et à lutter. Un engagement loin de toutes structures politiques ou syndicales. Ce mouvement est particulièrement visible depuis les Gilets Jaunes mais il existe également dans les luttes écolos et sociales. La montée en puissance des cortèges de tête depuis quelques années en est l’un des révélateurs. Ces personnes veulent changer profondément la société, libres de tous calculs stratégiques et jeux de pouvoir, leurs choix et leurs actes ne dépendent que de l’objectif. Ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter. Les structures de « contre-pouvoirs » doivent apprendre à composer avec. Sous peine de sombrer dans le côté obscur d’un faux contre-pouvoir, dont ils sont déjà accusés.
Mercredi, des milliers de personnes franchiront donc la ligne du service d’ordre des syndicats, pour se placer en tête de cortège. Des gilets jaunes, des k-way noirs mais surtout de nombreux citoyens sans étiquette si ce n’est celle de leur conviction. Ces personnes vont venir chercher, dans cet espace éphémère, un moment où la vitalité tient de la force de chaque individualité présente. Où, pour faire bloc, il faut faire front. Où, pour se faire vraiment entendre, il faut vraiment crier. Où, pour être vu, il faut s’exposer. Ici, pas d’énorme ballon gonflé à l’hélium, pas de sono crachant des slogans à plusieurs kilomètres. Dans ce cortège, tout le monde a le même poids. Et ce poids est minime, sauf lorsqu’il est mis en commun avec des centaines, voir des milliers d’autres personnes.
Vous pouvez ne pas partager cet amour pour l’horizontalité, pour l’idée que chaque militant a le même poids qu’un autre, ne pas partager l’idée que la cause passe avant les personnes et surtout avant les intérêts des structures. En revanche, vous n’avez pas le droit de nier la sincérité et l’engagement de ces milliers de citoyens. Un engagement sur des lignes politiques et sociales qui sont profondément inscrites dans l’ADN de vos structures syndicales.
Mercredi, des milliers de personnes marcheront devant vos camions et vos sonos en chantant qu’ils veulent la révolution et qu’ils veulent combattre le capitalisme. Et nombre de ces manifestants seront prêts à mettre leur corps et leur vie en jeu pour cet espoir. En face, un pouvoir toujours plus répressif et totalitaire va frapper, mutiler et interpeller aveuglément toutes les personnes présentes dans cet espace « non maitrisé » et profondément subversif. En cinq mois, le pouvoir a déjà blessé 2 500 manifestants, tiré 5 000 grenades et 14 000 LBD et incarcéré 9 000 personnes. Des journalistes présents au plus près de ces dérives ont payé le prix cher. De nombreuses ONG dénoncent cette dérive totalitaire, tout comme l’ONU.
Mercredi donc, vous allez vous retrouver face à un choix simple mais qui impactera durablement le paysage de la lutte sociale en France : accompagner et aider les milliers de citoyens qui battront le pavé devant vous, qu’importent leurs origines et leurs pratiques. Ou faire le choix de les laisser prendre de la distance pour permettre à la police de les séparer de vous. Pour les « maitriser ». Ce choix marquera pour longtemps votre attitude et votre positionnement, tout autant face au pouvoir que face aux citoyens en lutte en dehors de vos structures.
Vos syndicats sont encore porteurs d’un espoir fort, celui de réussir à faire basculer le rapport de force du côté des précaires et des laissés pour compte, notamment grâce à une grève générale et des blocages. Des millions de Français gardent en tête les victoires des décennies passées. Mais les stratégies des dernières années sont également bien en mémoire, aussi bien dans la gestion des mouvements sociaux avec les différents gouvernements que dans la gestion des initiatives prises par vos bases syndicales, devenues aux yeux de vos dirigeants trop radicales et indisciplinées. Mais ce sont bien vos dirigeants qui ne sont plus assez radicaux et qui ne sont plus prêts à une vraie lutte de classes.
Mercredi donc, vos syndicats ont rendez-vous avec les GJ. Tout autant qu’ils ont rendez-vous avec l’Histoire. Avec leur histoire. Le monde évolue. Les luttes sociales aussi. Que certains dans leurs hautes sphères syndicales craignent ce changement pour leur poste bien confortable, c’est légitime. Mais cela ne doit pas vous empêcher de vous lancer dans la rencontre avec les autres citoyens qui battront le pavé, selon des modalités nouvelles pour vous mais qui n’empêchent en rien l’échange et le respect. Faites quelques pas en avant, venez rencontrer ces personnes dans le cortège de tête. Venez leur parler. Venez même chanter et danser avec eux. Et vous verrez à quel point on se sent plus vivant dans un cortège de milliers de personnes qui crient et qui chantent sans sono ni tambours.
L’autre option, c’est de refuser la différence et le changement, en laissant la police nasser les manifestants devant vous. Mais gageons que vous n’en sortirez pas gagnant. Le seul à sortir gagnant de cette stratégie serait le pouvoir politique et financier. Il serait alors difficile de continuer à croire que les syndicats luttent contre la finance et son monde.
A force d'être traité comme des animaux...
Initialement publié le 21 avril 2019
L’acte 23 laisse le goût amer de l’inachevé. Des milliers de GJ se sont une nouvelle fois déplacés à Paris, peut être plus que le 16 mars lors du premier ultimatum. Au delà du nombre, c’est la détermination qui frappe et qui trouble le pouvoir. Semaine après semaine, la population dans la rue semble déterminée à ne pas reculer. A ne plus reculer. Pourtant, ce samedi 20 avril, la stratégie policière fut plus forte que la détermination de dizaines de milliers de citoyens. Mais à quel prix ? Et pour quels résultats dans les semaines et mois à venir ?
Dès le début de la matinée, nous comprenons que cette journée ne ressemblera en rien à celle de l’acte 18. Les premiers rassemblements non déclarés de 10h ne comptent pas assez de GJ pour empêcher les policiers présents de nasser puis de pousser tout le monde à se disperser (y compris dans le métro). La très grosse majorité des GJ se retrouve donc vers 12h pour le départ de la manif déclarée de Bercy.
Le monde est là. La détermination aussi. On sent une vraie dynamique. Sauf qu’il s’agit d’une manif déclarée Bercy/Bastille/République. Le parcours ultra classique des manifs syndicales. Les forces de l’ordre ont donc préparé le terrain et savent exactement comment gérer la situation, au point de prendre l’initiative de couper le cortège en plusieurs groupes (au moins trois différents). Le tout, très loin des quartiers des ultras riches et des lieux de pouvoir. Surtout, elles arrivent à pousser tous les GJ sur la place de la République, lieu officiel de fin de manif. Il est 15h15, l’acte 23 parisien touche déjà à sa fin.
Car tous les Parisiens savent que terminer à République signifie désormais s’enfermer dans une nasse géante. S’enfermer au sens propre puisque, comme par le passé, la préfecture donne la consigne d’empercher toute sortie de la place, et ce pendant plus de 3 heures !
Non seulement il n’est plus possible de manifester. Non seulement plus personne sur la place ne peut sortir. Mais les forces de l’ordre se prêtent à un jeu totalement abject consistant à inonder la place de lacrymo. Pire : des groupes de 15 à 20 policiers font des incursions au centre même de la place, remplie de milliers de manifestants. Au moindre projectile, c’est la charge, avec comme but d’attraper (et de frapper) ceux qui ne seront pas assez rapides (rarement ceux ayant lancé des projectiles).

On est loin, très loin du maintien de l’ordre. S’il s’agissait de maintenir une situation sans débordement, il suffisait de laisser la place de la République ouverte et sans charge ni gaz. Non, l’objectif de la préfecture (et donc du pouvoir) était bien d’enfermer en plein soleil des milliers de personnes, de les nasser, de les compresser, de les gazer et de les charger. Dans quel but ? Probablement les terroriser et les dissuader de revenir manifester les actes suivants. Il s’agit bien d’une stratégie de la terreur.
Il y avait de nombreuses personnes âgées, de nombreux enfants. La plupart novices quant aux pratiques de manifestations, notamment de manif de GJ parisiennes. Plusieurs personnes ont perdu leurs nerfs, se sont mis à pleurer, à crier, à paniquer. Et forcément, certains se sont énervés aussi. Car c’est une sensation très bizarre de se sentir enfermé dans un espace rempli de milliers de personnes avec des mouvements de foule importants à chaque gazage et charge. De quoi vraiment paniquer et/ou devenir fou. Certains étaient prêts à se mettre en danger pour pouvoir sortir. D’autres, jusqu’ici pacifiques, rejoignaient les GJ les plus offensifs. Plus la journée passait, plus la panique se faisait sentir, plus la tension devenait palpable. Des centaines de citoyens voulaient absolument sortir, coûte que coûte. Plusieurs GJ ont alerté les forces de l’ordre que cela pouvait se terminer en drame. On sentait qu’à la moindre étincelle, une personne pouvait véritablement péter un plomb. Et ce n’était pas les GJ les plus offensifs qui étaient potentiellement ceux qui auraient pu totalement vriller sous le coup de la panique et d’une crise de nerfs.
Mais à force d’être traités comme des animaux, comment s’étonner que certains commencent à agir comme des bêtes féroces ? A une époque, lorsqu’on voulait se débarrasser d’un chien, on l’énervait pour qu’à son tour il s’énerve et morde. On pouvait alors l’accuser d’avoir la rage, d’être dangereux… et le piquer.
La grande leçon de cette journée, c’est qu’il n’est plus possible de composer avec le pouvoir et son bras armé. Dans un pays démocratique, protester de façon concertée avec les autorités, cela a du sens. Dans un pays qui bafoue jour après jour les libertés fondamentales, cela revient à capituler.
Aujourd’hui, tenter d’accepter les règles de manifestations du pouvoir revient simplement à lui faciliter la tache pour casser le mouvement et le meurtrir, y compris physiquement. D’autant que lui, ne se prive pas pour s’affranchir de ses propres « règles » : Les GJ qui avaient déclaré la manif (jusqu’à 22h) se sont fait insulter et gazer. Ce 20 avril a d’ailleurs fait monter d’un cran la violence aveugle et gratuite de la part des forces de l’ordre, avec des passages à tabac et des GAV totalement abusives, y compris de journalistes. Jamais, depuis 5 mois, les reporters qui suivent le mouvement n’avaient autant été la cible de la répression.
Face à cette situation, il apparait de plus en plus évident que la stratégie des manifestations déclarées ne peut aboutir à autre chose que faire mourir le mouvement : elles n’empêchent en rien les violences, les gaz et les arrestations abusives. Mais elle permet au pouvoir de contenir la colère. Agir en primitif, prévoir en stratège. Cette maxime du poète résistant René Char est plus que jamais d’actualité.
Car l’espoir reste là, la flamme brûle plus que jamais : samedi, au milieu des lacrymos et des charges successives, des centaines de GJ se sont mis à chanter « Nous on est là », tout en avançant face aux CRS. Charge de la police, matraquage, gazage. Et rebelote : les GJ revenaient, chantaient et avançaient. Si la démarche peut sembler vouée à l’échec, c’est la dynamique créée qui importe. Et cette dynamique résiste au gaz et aux matraques.

Crédits photos : Gianni Giardinelli