Les leçons du 1er mai 2019

Initialement publié le 2 mai 2019

Ce premier mai 2019 fut la démonstration parfaite de la continuité et de la ténacité d’un mouvement populaire désormais historique. Historique par sa durée, car jamais en France, une révolte sociale n’aura tenu aussi longtemps, en dépit de toutes les stratégies visant à l’éteindre, 25 semaines, et aucun signe de faiblesse de la part de la rue, ou de la part du soutien de l’opinion à son égard. Historique par sa composition, car chaque manifestation semaine après semaine, échappe à tous les pronostics en termes de nombre, et d’aspect.

Traditionnellement, ce 1er Mai, fête des travailleurs, a toujours été la date phare pour les syndicats, organisateurs de marches partout en France, mais aussi à l’étranger.

Symbolique de la lutte des classes, elle est le moment ou tous ceux qui l’incarnent et se retrouvent en ce symbole, se regroupent afin de se reconnaître, de se mêler, de se souvenir et de montrer qu’ils sont bel et bien toujours conscients de cette nécessité de maintenir l’union face à l’autre camp, celui qui tire profit du contrôle de la masse ouvrière.

Pourtant depuis maintenant 2 ans, la configuration de ce 1er Mai, est en pleine mutation et retrouve même une inspiration révolutionnaire…

La lutte contre la loi travail en avait été le premier résultat, et on se souvient tout spécialement des manifestations offensives de 2016, 2017 et 2018, avec la naissance d’un cortège de tête extrêmement massif et soudé, qui avait abouti à une répression féroce, et un retrait du syndical totalement débordé par les évènements.

Ce 1er mai 2019, la tension était palpable depuis déjà quelques jours.

La multiplication d’appels à « l’émeute » sur les réseaux sociaux, montrait bien que la patience des gilets jaunes était à bout, face aux humiliations permanentes de l’État, et la réponse affolée du gouvernement avait semé une atmosphère anxiogène, certainement voulue.

A grand renfort de « fake news » de rumeurs incessantes, sur l’arrivée à Paris de milliers d’allemands décidés à « en découdre », et de l’imminence d’un danger émeutier, visant à dissuader les manifestants potentiels de sortir dans les rues.

Ce qui nous avait sauté aux yeux, c’était le nombre dès le matin, à Montparnasse, qui échappait totalement aux règles habituelles du format syndical, tant au niveau du timing, que de sa composition.

Alors que le cortège syndical devait s’ébranler à 14h, dès midi la foule s’élançait en direction de place d’Italie.

On connaît la suite, nassage, arrêt brutal du cortège dès le début, affrontements à Vavin, arrestations violentes et tout ce qui est désormais la tactique avérée du gouvernement, et de sa police.

Une angoisse, une tension, sourdes et palpables cependant, se sentaient dès le début, et le mot

« Révolution » avait une saveur toute particulière, scandé par une foule que l’on sentait prête à poursuivre sa route, non pas seulement pour des revendications sociales, mais bien pour l’ultime revendication, celle de la LIBERTÉ.

Nous nous demandions quel argument allait encore pouvoir trouver Castaner et toute sa clique, pour humilier, et tenter de rendre inaudibles les cris de souffrance d’un peuple en colère…

L’inventivité du gouvernement, en la matière, est de toute beauté.

Des vilains casseurs seraient entrés pour attaquer des malades en service de réanimation….

Au lendemain de cette journée, les syndicats et personnels de l’hôpital de la Pitié Salpétrière, démentent d’une seule voix la lecture médiatique et étatique de cet incident, très clairement provoqué par l’acharnement de la police sur des étudiants et autres manifestants, entrés dans un mouvement de panique dans les jardins de l’hôpital pour se protéger face au gazage incessant et aux charges policières .

Même les syndicats ont rencontré la violence aveugle de ces forces de « l’ordre » (ce n’était pourtant pas imprévisible, car, en 2018 déjà, le service d’ordre de la CGT s’était fait agresser par la police) avec exfiltration du secrétaire général Philippe Martinez, outré, un peu naïvement (?) par cette violence.

Doit on rappeler ici que cette violence est présente depuis longtemps, et qu’elle n’a pas plus à viser un cortège syndical que tout manifestant ?

Les syndicats, globalement, se retrouvèrent, ce 1er mai 2019, dans une situation inédite où (malgré eux?), la convergence populaire, tant évoquée depuis déjà 2 ans, se mit spontanément en place.

Un cortège de tête ? Non !

Des militants syndicaux à l’arrière ?

Non plus !

DES cortèges de tête, et un joli patchwork totalement inattendu de manifestants, qui telles des abeilles, s’organisaient spontanément, pour s’allier sur des temps forts ou plus calmes, à l’avant de la marche, au milieu, à l’arrière, et firent fonctionner une solidarité sans faille pour pouvoir exister tous ensemble jusqu’au terme de cette marche mémorable.

Les tentatives d’arrêt du mouvement par le gouvernement ne datent certes pas d’hier, elle avaient débuté dès le 1er décembre, ou la révolte avait pris un tour quasi insurrectionnel.

L’essentiel est d’en prendre rapidement conscience (souvent après une nuit de recul sur les événements), parce que ces soirs de manif, ou chacun a donné de toutes ses forces au nom de cette belle lutte, aboutissent souvent à des phases de spleen, quoi de plus humain et naturel?

Les « raisins de la colère » sont vivaces et tout est possible au travers de cet élan incroyable.

La force de l’action de groupe pourrait donc bien avoir raison de l’action de force de répression.

Affaire de temps ?

La suite aux prochains épisodes…

Crédit photo : Jocelyn Marques


Echec et nasse

Initialement publié le 2 mai 2019

Le 1er mai est donc passé. Et il ne s’est rien passé d’inquiétant pour le pouvoir, plus que jamais en place et sûr de son fait. Castaner et la préfecture ont parfaitement réussi leur coup de force consistant à terroriser et attaquer l’ensemble de la manifestation pour éviter le moindre débordement. La France est désormais tombée dans une doctrine du maintien de l’ordre par la terreur.

Jamais depuis le début du mouvement des GJ, mais peut-être même jamais depuis des décennies, nous n’avions assisté à une stratégie aussi ultra-offensive. Ce mercredi, les forces de l’ordre n’ont même pas cherché à prendre pour excuse des attaques de manifestants pour « répliquer ». Des milliers de personnes se sont retrouvées asphyxiées, étouffées, prises dans des mouvements de foule, matraquées…  Terrible vision de personnes âgées qui paniquent, d’enfants qui pleurent. Par moments, nous avions l’impression d’assister à des scènes de guerre. Avec des gens qui s’abritaient dans des ruelles et attendaient les street medics.

Ce qui est le plus inacceptable dans cette situation, c’est qu’elle a été provoquée et voulue par la préfecture, alors qu’il n’y a quasiment eu aucun « débordement » : une vitre de banque pétée et trois poubelles en feu ? Pour 50 000 manifestants dans les rues de Paris. Clairement, il faut se faire à l’idée aujourd’hui que les forces de l’ordre ne sont plus là pour « maintenir l’ordre » mais pour aider le pouvoir dans sa bataille face à la colère sociale. C’est dans cette logique que, plusieurs fois dans la journée, la police a chargé et gazé ultra violemment la manif pour la couper en plusieurs « sections ».

Deux heures avant le début officiel de la manif, les premières charges et gazages avaient lieu. Dès 10h du matin, toutes les zones à quelques kilomètres du trajet étaient plongées dans une atmosphère hallucinante et anxiogène, avec des patrouilles mobiles qui attrapent au hasard des groupes de manifestants pour les fouiller de façon hyper agressive. Le moindre masque de protection contre le gaz ou lunettes de natation sont saisis, comme du matériel de guerre. Certains masques à gaz sont même suffisants pour être embarqué en GAV.  L’objectif est clair : dissuader le maximum de personnes à se rendre sur la manifestation, et enlever le plus de protections possible contre le gaz lacrymo. Des centaines de gilets jaunes sont saisis par la police et confisqués aux manifestants. Là encore, pas pour maintenir l’ordre, mais pour minimiser l’impacte des GJ sur cette manif du 1er mai. France 2019.

Une fois la manifestation lancée, on se rend compte que le cortège de tête n’est plus vraiment un cortège de « tête » : les syndicats sont totalement noyés dans les milliers de GJ, Kway noirs et simples citoyens qui désirent manifester et lutter dans la rue. A l’avant bien sûr, mais également après le cortège syndical et même en plein milieu. Si l’an passé on pouvait parler d’un cortège de tête qui rivalisait en nombre avec le cortège syndical, aujourd’hui, on ne peut même plus parler en ces termes tant la majorité de la colère qui s’exprime dans la rue sort de tout cadre syndical.

Ce 1er mai est clairement une défaite pour les luttes sociales.  Il confirme que désormais, face à un pouvoir autoritaire et ultra-violent, il n’est plus possible de jouer la carte des manifestations déclarées et  concertées avec la préfecture. En effet, cette manif de mercredi aura été l’une des plus violentes pour les manifestants alors qu’elle a été l’une de celles qui ont connu le moins de dégradations. Le discours qui consiste à nous dire qu’il faut aller en manif déclarée pour rassembler un maximum de citoyens en colère qui ont peur des violences ne tient plus du tout.

Il va falloir également réfléchir à de nouvelles modalités d’actions et de manifestations, prenant acte des nouvelles stratégies des forces de l’ordre. Nous en avons les moyens et les forces. Car la seule victoire du 1er mai, c’est bien d’avoir vu autant de personnes descendre dans les rues de Paris et de toutes les villes de France, malgré le climat totalitaire et les menaces du pouvoir. Des personnes déterminées, joyeuses et qui ne laisseront pas des matraques ou des gaz les stopper dans leur lutte.


Message aux syndicats

Initialement publié le 29 avril 2019

Mercredi 1er mai, nous avons rendez-vous avec l’histoire. Nous avons également rendez-vous avec les syndicats. Tout autant qu’ils ont rendez-vous avec les Gilets Jaunes et tous les citoyens en lutte depuis des mois. Nous croyons fermement à l’idée que l’union fait la force. Et les cinq mois de lutte en jaune nous ont prouvé que la diversité et le respect des pratiques pouvaient être une vraie force. C’est dans cet état d’esprit que nous marcherons, le 1er mai, aux côtés des syndicats, associations et autres structures traditionnelles. Mais nous serons aussi, et surtout, attentifs à la manière dont ces structures se comporteront.

Il y a un mouvement de fond qui entraine des centaines de milliers de citoyens à s’engager et à lutter. Un engagement loin de toutes structures politiques ou syndicales. Ce mouvement est particulièrement visible depuis les Gilets Jaunes mais il existe également dans les luttes écolos et sociales. La montée en puissance des cortèges de tête depuis quelques années en est l’un des révélateurs. Ces personnes veulent changer profondément la société, libres de tous calculs stratégiques et jeux de pouvoir, leurs choix et leurs actes ne dépendent que de l’objectif. Ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter. Les structures de « contre-pouvoirs » doivent apprendre à composer avec. Sous peine de sombrer dans le côté obscur d’un faux contre-pouvoir, dont ils sont déjà accusés.

Mercredi, des milliers de personnes franchiront donc la ligne du service d’ordre des syndicats, pour se placer en tête de cortège. Des gilets jaunes, des k-way noirs mais surtout de nombreux citoyens sans étiquette si ce n’est celle de leur conviction. Ces personnes vont venir chercher, dans cet espace éphémère, un moment où la vitalité tient de la force de chaque individualité présente. Où, pour faire bloc, il faut faire front. Où, pour se faire vraiment entendre, il faut vraiment crier. Où, pour être vu, il faut s’exposer. Ici, pas d’énorme ballon gonflé à l’hélium, pas de sono crachant des slogans à plusieurs kilomètres. Dans ce cortège, tout le monde a le même poids. Et ce poids est minime, sauf lorsqu’il est mis en commun avec des centaines, voir des milliers d’autres personnes.

Vous pouvez ne pas partager cet amour pour l’horizontalité, pour l’idée que chaque militant a le même poids qu’un autre, ne pas partager l’idée que la cause passe avant les personnes et surtout avant les intérêts des structures.  En revanche, vous n’avez pas le droit de nier la sincérité et l’engagement de ces milliers de citoyens. Un engagement sur des lignes politiques et sociales qui sont profondément inscrites dans l’ADN de vos structures syndicales.

Mercredi, des milliers de personnes marcheront devant vos camions et vos sonos en chantant qu’ils veulent la révolution et qu’ils veulent combattre le capitalisme. Et nombre de ces manifestants seront prêts à mettre leur corps et leur vie en jeu pour cet espoir. En face, un pouvoir toujours plus répressif et totalitaire va frapper, mutiler et interpeller aveuglément toutes les personnes présentes dans cet espace « non maitrisé » et profondément subversif. En cinq mois, le pouvoir a déjà blessé 2 500 manifestants, tiré 5 000 grenades et 14 000 LBD et incarcéré 9 000 personnes. Des journalistes présents au plus près de ces dérives ont payé le prix cher. De nombreuses ONG dénoncent cette dérive totalitaire, tout comme l’ONU.

Mercredi donc, vous allez vous retrouver face à un choix simple mais qui impactera durablement le paysage de la lutte sociale en France : accompagner et aider les milliers de citoyens qui battront le pavé devant vous, qu’importent leurs origines et leurs pratiques. Ou faire le choix de les laisser prendre de la distance pour permettre à la police de les séparer de vous. Pour les « maitriser ». Ce choix marquera pour longtemps votre attitude et votre positionnement, tout autant face au pouvoir que face aux citoyens en lutte en dehors de vos structures.

Vos syndicats sont encore porteurs d’un espoir fort, celui de réussir à faire basculer le rapport de force du côté des précaires et des laissés pour compte, notamment grâce à une grève générale et des blocages. Des millions de Français gardent en tête les victoires des décennies passées. Mais les stratégies des dernières années sont également bien en mémoire, aussi bien dans la gestion des mouvements sociaux avec les différents gouvernements que dans la gestion des initiatives prises par vos bases syndicales, devenues aux yeux de vos dirigeants trop radicales et indisciplinées. Mais ce sont bien vos dirigeants qui ne sont plus assez radicaux et qui ne sont plus prêts à une vraie lutte de classes.

Mercredi donc, vos syndicats ont rendez-vous avec les GJ. Tout autant qu’ils ont rendez-vous avec l’Histoire. Avec leur histoire. Le monde évolue. Les luttes sociales aussi. Que certains dans leurs hautes sphères syndicales craignent ce changement pour leur poste bien confortable, c’est légitime. Mais cela ne doit pas vous empêcher de vous lancer dans la rencontre avec les autres  citoyens qui battront le pavé, selon des modalités nouvelles pour vous mais qui n’empêchent en rien l’échange et le respect. Faites quelques pas en avant, venez rencontrer ces personnes dans le cortège de tête. Venez leur parler. Venez même chanter et danser avec eux.  Et vous verrez à quel point on se sent plus vivant dans un cortège de milliers de personnes qui crient et qui chantent sans sono ni tambours.

L’autre option, c’est de refuser la différence et le changement, en laissant la police nasser les manifestants devant vous. Mais gageons que vous n’en sortirez pas gagnant. Le seul à sortir gagnant de cette stratégie serait le pouvoir politique et financier. Il serait alors difficile de continuer à croire que les syndicats luttent contre la finance et son monde.


A force d'être traité comme des animaux...

Initialement publié le 21 avril 2019

L’acte 23 laisse le goût amer de l’inachevé. Des milliers de GJ se sont une nouvelle fois déplacés à Paris, peut être plus que le 16 mars lors du premier ultimatum. Au delà du nombre, c’est la détermination qui frappe et qui trouble le pouvoir. Semaine après semaine, la population dans la rue semble déterminée à ne pas reculer. A ne plus reculer.  Pourtant, ce samedi 20 avril, la stratégie policière fut plus forte que la détermination de dizaines de milliers de citoyens. Mais à quel prix ? Et pour quels résultats dans les semaines et mois à venir ?

Dès le début de la matinée, nous comprenons que cette journée ne ressemblera en rien à celle de l’acte 18. Les premiers rassemblements non déclarés de 10h ne comptent pas assez de GJ pour empêcher les policiers présents de nasser puis de pousser tout le monde à se disperser (y compris dans le métro). La très grosse majorité des GJ se retrouve donc vers 12h pour le départ de la manif déclarée de Bercy.

Le monde est là. La détermination aussi. On sent une vraie dynamique.  Sauf qu’il s’agit d’une manif déclarée Bercy/Bastille/République. Le parcours ultra classique des manifs syndicales. Les forces de l’ordre ont donc préparé le terrain et savent exactement comment gérer la situation, au point de prendre l’initiative de couper le cortège en plusieurs groupes (au moins trois différents). Le tout, très loin des quartiers des ultras riches et des lieux de pouvoir. Surtout, elles arrivent à pousser tous les GJ sur la place de la République, lieu officiel de fin de manif. Il est 15h15, l’acte 23 parisien touche déjà à sa fin.

Car tous les Parisiens savent que terminer à République signifie désormais s’enfermer dans une nasse géante. S’enfermer au sens propre puisque, comme par le passé, la préfecture donne la consigne d’empercher toute sortie de la place, et ce pendant plus de 3 heures !

Non seulement il n’est plus possible de manifester. Non seulement plus personne sur la place ne peut sortir. Mais les forces de l’ordre se prêtent à un jeu totalement abject consistant à inonder la place de lacrymo. Pire : des groupes de 15 à 20 policiers font des incursions au centre même de la place, remplie de milliers de manifestants. Au moindre projectile, c’est la charge, avec comme but d’attraper (et de frapper) ceux qui ne seront pas assez rapides (rarement ceux ayant lancé des projectiles).

On est loin, très loin du maintien de l’ordre. S’il s’agissait de maintenir une situation sans débordement, il suffisait de laisser la place de la République ouverte et sans charge ni gaz. Non, l’objectif de la préfecture (et donc du pouvoir) était bien d’enfermer en plein soleil des milliers de personnes, de les nasser, de les compresser, de les gazer et de les charger. Dans quel but ? Probablement les terroriser et les dissuader de revenir manifester les actes suivants. Il s’agit bien d’une stratégie de la terreur.

Il y avait de nombreuses personnes âgées, de nombreux enfants. La plupart novices quant aux pratiques de manifestations, notamment de manif de GJ parisiennes. Plusieurs personnes ont perdu leurs nerfs, se sont mis à pleurer, à crier, à paniquer. Et forcément, certains se sont énervés aussi. Car c’est une sensation très bizarre de se sentir enfermé dans un espace rempli de milliers de personnes avec des mouvements de foule importants à chaque gazage et charge. De quoi vraiment paniquer et/ou devenir fou. Certains étaient prêts à se mettre en danger pour pouvoir sortir. D’autres, jusqu’ici pacifiques, rejoignaient les GJ les plus offensifs. Plus la journée passait, plus la panique se faisait sentir, plus la tension devenait palpable. Des centaines de citoyens voulaient absolument sortir, coûte que coûte. Plusieurs GJ ont alerté les forces de l’ordre que cela pouvait se terminer en drame. On sentait qu’à la moindre étincelle, une personne pouvait véritablement péter un plomb. Et ce n’était pas les GJ les plus offensifs qui étaient potentiellement ceux qui auraient pu totalement vriller sous le coup de la panique et d’une crise de nerfs.

Mais à force d’être traités comme des animaux, comment s’étonner que certains commencent à agir comme des bêtes féroces ? A une époque, lorsqu’on voulait se débarrasser d’un chien, on l’énervait pour qu’à son tour il s’énerve et morde. On pouvait alors l’accuser d’avoir la rage, d’être dangereux… et le piquer.

La grande leçon de cette journée, c’est qu’il n’est plus possible de composer avec le pouvoir et son bras armé. Dans un pays démocratique, protester de façon concertée avec les autorités, cela a du sens. Dans un pays qui bafoue jour après jour les libertés fondamentales, cela revient à capituler.

Aujourd’hui, tenter d’accepter les règles de manifestations du pouvoir revient simplement à lui faciliter la tache pour casser le mouvement et le meurtrir, y compris physiquement. D’autant que lui, ne se prive pas pour s’affranchir de ses propres « règles » :  Les GJ qui avaient déclaré la manif (jusqu’à 22h) se sont fait insulter et gazer. Ce 20 avril a d’ailleurs fait monter d’un cran la violence aveugle et gratuite de la part des forces de l’ordre, avec des passages à tabac et des GAV totalement abusives, y compris de journalistes. Jamais, depuis 5 mois, les reporters qui suivent le mouvement n’avaient autant été la cible de la répression.

Face à cette situation, il apparait de plus en plus évident que la stratégie des manifestations déclarées ne peut aboutir à autre chose que faire mourir le mouvement : elles n’empêchent en rien les violences, les gaz et les arrestations abusives.  Mais elle permet au pouvoir de contenir la colère. Agir en primitif, prévoir en stratège. Cette maxime du poète résistant René Char est plus que jamais d’actualité.

Car l’espoir reste là, la flamme brûle plus que jamais : samedi, au milieu des lacrymos et des charges successives, des centaines de GJ se sont mis à chanter « Nous on est là », tout en avançant face aux CRS. Charge de la police, matraquage, gazage. Et rebelote : les GJ revenaient, chantaient et avançaient.  Si la démarche peut sembler vouée à l’échec, c’est la dynamique créée qui importe. Et cette dynamique résiste au gaz et aux matraques.

Crédits photos : Gianni Giardinelli 


(Se) préparer (à) la tempête.

Initialement publié le 11 avril 2019

Il y a deux façons d’analyser la période actuelle du mouvement des Gilets Jaunes : la première, celle du gouvernement et des médias, consiste à se convaincre que la mobilisation s’essouffle de samedi en samedi et que le mouvement va petit à petit prendre fin, notamment grâce au miracle du grand débat.

L’autre façon d’analyser cette séquence est beaucoup plus enthousiasmante :  depuis quelques jours, une effervescence presque souterraine traverse le mouvement. Au-delà des mobilisations du samedi, de nombreux citoyens se réunissent et lancent des initiatives : l’appel de Saint-Nazaire, la semaine jaune, le front populaire à partir du 27 avril, des propositions de jonction entre mouvement écolo et GJ, l’occupation des ronds-points avec des banquets à partir du 04 mai, l’appel pour un 1er mai offensif et solidaire…

Nous pourrions donc être dans cette fameuse période de « calme avant la tempête ».  Avec l’idée que la tempête débuterait le 20 avril avec le deuxième ultimatum sur Paris. A partir de cette date, un enchainement d’actions et d’initiatives pourrait lancer une dynamique de lutte quasi permanente, afin de rompre avec les deux aspects les plus décriés du mouvement : les manifs déclarées et inoffensives et le fait d’agir uniquement le samedi.

Si cette prévision se révèle juste, il importe à tous ceux qui aspirent à un changement radical du système d’utiliser les derniers jours de calme pour préparer au mieux cette tempête.

1/ Se préparer personnellement, pour savoir jusqu’où l’on est prêt à engager son corps et sa vie personnelle/professionnelle dans cette lutte. En cela, il est assez étonnant de voir que malgré les menaces et la répression aveugle que subit le mouvement, plus de 40 000 personnes se sont inscrits sur les divers événements du 20 avril. Encore plus surprenant, plus de 10 000 personnes sont inscrites sur l’événement facebook du 1er mai « Acte Ultime, Paris Capitale de l’émeute » ! C’est un signe fort qu’une partie de plus en plus grande de la population ne supporte plus d’être écrasée et humiliée par quelques puissants, et qu’aucune carotte ni aucun bâton ne pourra calmer cette colère.

L’ampleur des mobilisations du 20 avril, du 27 avril, du 1er mai et des jours suivants sera ultra déterminante. Le mouvement s’approche en effet d’un seuil critique de personnes présentes et offensives. Un seuil qui pourrait transformer la révolte en véritable remise en cause du système. Mais, en plus d’une mobilisation massive et encore supérieure à celle du 16 mars, il faudra également avoir préparé le terrain pour construire des espaces de luttes avant et après les manifestations de rue.

2/ Se préparer collectivement donc. Car les différentes mobilisations auront beau être massives et déterminées, il faudra être en mesure de proposer aux Gilets Jaunes et autres citoyens en colère des lieux pour se réunir dans la durée. Des lieux pour débattre. Des lieux pour initier des propositions politiques et sociales. Des lieux également pour rencontrer les citoyens qui ne seraient pas encore entrés dans la lutte mais qui pourraient le faire : occupations de rond-points, création de cabanes de GJ, occupations de bâtiments, de places… Reprenons ce qui est à nous, et reprenons le pour lutter et pour se rencontrer. De nombreuses autres idées peuvent (et doivent) sûrement voir le jour. La chance du mouvement, et sa force, se trouve dans son horizontalité et dans le fait que chacun peut lancer une idée, et que celle-ci se verra réalisée si assez de GJ la trouve intéressante et souhaitent la mettre en œuvre. Que ces jours soient donc la période où fleurissent les idées et les propositions. Pour que dans quelques jours puissent éclore les fleurs de la révolte.

Crédit photos  : Le Désastre / Jérémie Rozier

Gilets Jaunes - Une Stratégie pour la victoire

Initialement publié le 11 avril 2019

[APPEL DE LILLE INSURGÉE]

– Au vu de notre constat, des rendez-vous déjà présent sur notre calendrier, et des propositions de l’assemblée des assemblées qui a eu lieu ce week-end à St-Nazaire, nous proposons ici une stratégie afin que la lutte des gilets jaunes se relance, continue et gagne. Cette stratégie en 7 actes commence le 20 avril et s’étend jusqu’au 11 mai. –

🔶 Le constat 🔶

Le mouvement des gilets jaunes est au départ, un mouvement de proximité. Le 17 novembre, un rond-point était occupé à quelques dizaines de kilomètres de chez soi, au maximum, peu importe où nous habitons. Pourtant, aujourd’hui, les appels à manifester sont des appels régionaux (à l’image de Lille chaque semaine) ou nationaux (à l’image de Rouen lors de l’acte 21). Ces appels, pour des raisons sans doute de fatigue, de temps, et d’argent ne mobilisent que quelques milliers de personnes. Beaucoup ne peuvent plus se permettre de faire plusieurs dizaines, voir centaines de kilomètres de route chaque samedi sans que celui-ci n’amène à la révolution. C’est pourquoi nous pensons, qu’il faut conserver des appels nationaux à Paris (une fois par mois par exemple) mais que, en dehors de ce temps, nous devons décentraliser nos manifestations et nos actions.

🔶 Stratégie en 7 actes 🔶

Acte 1 : Samedi 20 avril, maintenir la pression à Paris avec l’ Acte 23 : Paris Ultimatum Et Révolte Du Peuple !

Acte 2 : Samedi 27 avril, décentralisation des manifestations.
– Nous proposons qu’il y ait plusieurs gros appels, dans des villes stratégiques de chaque région.
– Dans les hauts de France, cela se traduirait par de gros appels à Dunkerque, Béthune, Douai, Cambrai par exemple. (Pas forcément de manifestation à Lille)
A noté : Une marche nocturne est déjà prévu à Cambrai la veille au soir – Marche Nocturne Cambrai

Acte 3 : Mercredi 1er Mai – Acte Ultime : Paris, capitale de l’émeute – Le but est de faire une convergence entre les chasubles rouges, les gilets jaunes et les k-ways noirs et ainsi mettre un gros coup de pression sur la capitale et sur le pouvoir.

Acte 4 : A partir du 1er Mai – Semaine jaune d’action. Sous propositions de l’assemblée des assemblées, une semaine jaune d’action s’organise du 1er au 8 mai (et après ?). L’appel à cette semaine jaune doit, selon nous, se traduire par un retour massif sur les rond-points, sur les blocages. Nous devons retrouver la force qui nous avait fait bloquer le pays le 17 novembre. Laissons place aux initiatives. Tu veux bloquer le rond-point en bas de chez toi ? Contact tes potes, partage l’info sur les groupes Facebook et go !

Acte 5 : Samedi 4 mai, pour l’acte 25, décentralisons au MAXIMUM les manifestations. Quitte à ce qu’il n’y ai personne sur les grosses villes. Peut importe, le mouvement n’est pas parti d’ici.
Dans la région, le samedi 4 mai, organisons des grosses manifestations à Dunkerque, Cambrai, Béthune, Douai, Valencienne, Boulogne sur mer, Arras etc.
Le but est ici de remobiliser les personnes qui ont pu quitter le mouvement et de ne pas avoir à se déplacer pour manifester.

Acte 6 : Jeudi 9 mai – convergence (nécessaire) avec l’appel unitaire de tous les syndicats de la fonction publique. Actions de blocage et manifestations sont prévu.

Acte 7 : Samedi 11 mai, victoire. Par tous les moyens nécessaires. Car 6 mois de luttes ne peuvent être aussi peu considéré par le pouvoir.

Si cela ne suffit pas, nous vous laissons écrire la suite.

Vous l’aurez compris, après plus d’une vingtaine d’acte, Nous entrons dans un nouveau volet de ce mouvement. Celui du printemps.

Ahou !


On peut tromper une fois mille GJ...

Initialement publié le 3 avril 2019

Le mouvement des Gilets Jaunes, malgré son aspect imprévisible et horizontal, subit la loi des cycles et de la ritualisation.

La séquence actuelle, faite de mobilisations massives mais assez calmes partout en France, de manifs déclarées et fortement encadrées par les forces de l’ordre, nous rappellent ce qui s’est déjà passé trois fois, après des séquences offensives qui avaient secoué le pouvoir et les médias. Petit rappel avec la situation parisienne :

Mi-décembre après plusieurs actes massifs et insurrectionnels, le mouvement connaît plusieurs actes assez « tranquilles ». L’occasion pour les médias et le pouvoir de crier à la fin du mouvement.

Puis, dès le premier samedi de janvier, pour l’acte 8, Paris connaît une énorme mobilisation, aussi bien en nombre de GJ présents qu’en détermination. C’était, notamment, l’épisode Dettinger et du transpalette. Les quatre samedis suivants furent particulièrement encadrés, avec l’arrivée des premières manifestations déclarées sur la capitale.

Puis, lors de l’acte 13, lassés par des manifs de plus en plus inoffensives pour le pouvoir, des centaines de GJ lancent une manif sauvage de plusieurs heures dans Paris, occasionnant de nombreux dégâts matériels autour de la Tour Eiffel.

Les deux weekends suivants sont l’occasion de vivre des nasses géantes et mobiles pendant lesquelles les forces de l’ordre marchent « tranquillement » autour des GJ pour empêcher toute tentative de sauvage.

Et puis, il y eut l’acte 16.

Crédit photo : Jules Le Moal

Et nous voici, à l’aube de l’acte 21, dans une situation assez proche des précédentes : la préfecture durcit encore plus les dispositifs et les interdictions. Les mobilisations restent massives. Mais le pouvoir, bien aidé par les médias, continue de minimiser cette mobilisation et fait tout pour l’invisibiliser.

A ce jeu-là, les chiffres du ministère de l’intérieur sont devenus totalement ridicules, et viennent même en contradiction avec les chiffres de contrôles supérieurs à ceux de la mobilisation.

Mais les GJ ne sont plus dupes et ne se soucient même plus de ces annonces. Ni des médias qui relaient sans remettre en cause ces chiffres. Ces médias de masse se rendent complices d’une communication devenue propagande d’état. Il ne faudra pas s’étonner ensuite d’une défiance grandissante envers ces médias.

Reste la question stratégique de la suite à donner : les manifestations déclarées et où aucun débordement n’est possible sont totalement invisibilisées et ne posent aucun rapport de forces réel au pouvoir. Les séquences plus insurrectionnelles ont le mérite d’obliger le pouvoir et les médias à remettre la question des GJ sur la table, mais uniquement par le biais de la question sécuritaire.

Les GJ, après avoir été méprisés et violentés par le pouvoir, ne sont plus dupes de la réalité des rapports de forces politiques et financières. Ils ne seront plus trompés par un grand débat, pas plus que par des annonces de perlimpinpin. Ils ne seront pas non plus découragés par les chiffres ridiculement bas de mobilisation annoncés chaque semaine par le ministère de l’intérieur.

Ces milliers de GJ ne peuvent plus être dupés. Mais reste à réussir à ce que les tous les Français, qui devraient légitimement se lever et se révolter, ne soient plus dupés/trompés par ces mécanismes,

Il faut donc réussir à toucher et à parler à ces millions de citoyens qui peuvent être solidaires de près ou du loin du mouvement et de ses revendications. Mais comment les toucher sans passer par les médias de masse, qui ne relaient le mouvement qu’à travers le prisme de la violence ? Cela passe peut-être par la création de nouveaux espaces de discussions et par une visibilité du mouvement dans les lieux de vie des Français : travail, écoles, transports mais aussi les espaces de loisirs (cinémas, stades, théâtres…). Cela passe aussi par la reprise de nos fameux ronds-point. Par la construction de nouvelles cabanes. Par l’occupation de lieux.

Bref, ne tombons pas dans le piège des actions/réactions où il n’y aurait que des séquences qui se reproduisent de façon ritualisée, que ce soit dans des manifs déclarées ou dans des manifs sauvages plus offensives. Tentons des choses que le pouvoir n’attend pas. Ouvrons des brèches, même l’espace de quelques minutes, pour créer une autre réalité et un autre possible. Trompons le système pour qu’il ne puisse plus nous tromper.


Gilets Jaunes Zwick

Ode à l'horizontalité

Initialement publié le 27 mars 2019

L’une des composantes essentielle, et hautement subversive, du mouvement des Gilets Jaunes se situe dans sa construction totalement horizontale : pas de chef, pas de leader, pas d’organe de direction.

Le pouvoir et les médias ont bien tenté de faire croire l’inverse en portant certaines figures du mouvement en haut de l’affiche, accentuant ainsi leur visibilité publique. Mais cela n’a pas suffit pour rendre ces personnes représentatives d’autre chose que d’eux-mêmes. Et c’est déjà bien suffisant.

Car il n’y a rien qui dérange plus le système que de ne pas avoir d’interlocuteur identifié; de personnes à cibler pour apaiser la grogne, que ce soit par la menace ou par la séduction.

L’acte 18 est en cela révélateur de cette horizontalité. Aucune « figure médiatique » des GJ n’est à l’origine de cet appel national à converger sur Paris. Certains ont décidé de soutenir l’appel, d’autres non. Mais ils n’étaient en aucun cas à la manœuvre. Pas plus qu’une fantasmatique organisation de black bloc qui aurait décidé de manière centralisée de détruire les Champs-Élysées ce jour-là.

Non, la réalité est que certains GJ ont lancé dans leurs groupes locaux l’idée d’organiser à nouveau un acte centralisé sur Paris. Plusieurs dates circulaient même sur les réseaux sociaux dès le mois de janvier. Et personne n’était en mesure de décider pour tous d’une date. Finalement le 16 mars s’est imposé collectivement par le simple jeu des décisions individuelles : décision de participer aux événements facebook parisiens (et à ceux des régions), décision d’en parler et d’inviter ses amis, décision de lancer des groupes de covoiturage ou d’aide au logement. Ce sont des milliers de décisions prises par des milliers de citoyens qui ont abouti à cet acte 18.

Manif déclarée, manif sauvage, occupation d’un lieux, blocage de rond point, sit-in, barricades… Chaque Gilet Jaune a l’autonomie de prendre part ou non à une action, tout comme il peut lancer une initiative, IRL et/ou virtuelle. Libre ensuite à chacun de s’y associer ou de s’en dissocier.

Si cette organisation totalement horizontale peut, de prime abord, sembler moins efficace qu’une organisation très hiérarchisée avec un organe de direction et des responsables par pôles (communication, juridique, action…), elle est beaucoup plus forte sur le long terme. Car elle évite les jeux de pouvoirs inhérents à toute organisation (y compris celle les plus libertaires).

Elle permet également d’expérimenter les notions d’autonomie et d’autogestion, offrant l’occasion de comprendre que ne pas avoir de chef ne signifie pas vivre dans le chaos.

Le mouvement permet enfin de mettre à mal l’adage selon lequel ce mode de vie serait individualiste puisque refusant l’organisation collective. Prôner l’horizontalité et l’autonomie est, au contraire, un acte éminemment altruiste. Cela signifie se battre pour garder son autonomie de décision mais également, et surtout, se battre pour que les autres gardent cette autonomie, et la respecter. C’est croire en l’humain et en sa capacité à décider par lui-même.

En fait, n’en déplaise aux professionnels de la politique, les Gilets Jaunes représentent un superbe élan démocratique. Au sens le plus noble de ce terme. Il s’agit de remettre le peuple dans les décisions collectives. Ne plus confier la gestion de nos vies à quelques centaines de personnes.

Nous encourageons donc tous les GJ, et globalement tous les citoyens désireux de changer cette société, à lancer des initiatives. A oser. A ne pas se dire que cela ne marchera jamais ou que cela est trop ambitieux, trop dangereux. Car personne ne sait à l’avance comment une situation évoluera. Mais le plus important, le plus précieux, c’est de créer les conditions de cette situation. De ces situations.

Le pouvoir veut nous faire croire que nous n’avons pas de pouvoir. Mais nous pouvons au contraire beaucoup. Nous pouvons détruire, nous pouvons créer, nous pouvons haïr, nous pouvons aimer. Nous pouvons être sages. Nous pouvons être subversifs et indisciplinés.

Et sûrement devons-nous être tout ça.

Crédits photos : Mathias Zwick


Le mouvement venu

Initialement publié le 24 mars 2019

L’un des repères pour comprendre l’ampleur du changement d’une société, c’est la vitesse à laquelle les lignes bougent. En ce sens, le mouvement des Gilets Jaunes est clairement porteur d’un changement radical que le rouleau répressif ne pourra contenir bien longtemps.

Tout va très vite depuis quatre mois. Les mentalités évoluent. De nombreux Gilets Jaunes totalement hostiles à des actions offensives ont désormais fait le choix de ne plus condamner ce type d’opération, voire même d’y participer.

Le côté le plus subversif de ce changement de mentalité n’est pas l’acceptation des modalités d’actions « violentes » mais bien le fait de ne plus considérer la question de la légalité comme supérieure à celle de la légitimité.

Et ce changement ne vient pas uniquement des échanges avec les GJ les plus « radicaux ». C’est aussi, voir surtout, l’attitude du pouvoir, son mutisme social, son arrogance politique et son escalade autoritaire qui ont poussé des milliers de citoyens à se dire que non, cela n’avait plus aucun sens de « respecter toutes les règles » lorsque ces règles sont faites par des personnes immorales ne pensant qu’à protéger leurs privilèges.

La dernière illustration en date est la déclaration indécente et abjecte de Macron concernant Geneviève Légat, 73 ans, militante d’Attac, gravement blessé samedi dernier à Nice.

La situation de Geneviève résume parfaitement le danger actuel en France :
1 – Le pouvoir n’arrive pas à calmer une colère sociale.
2 – Il estime donc de son devoir de modifier la loi et de restreindre les libertés fondamentales pour réussir à retrouver l’ordre.
3 – Une personne décide de s’opposer, pacifiquement, à ces mesures liberticides. Elle en paye le prix fort, physiquement.
4 – Le pouvoir estime que l’erreur vient de cette personne et qu’elle n’avait qu’à respecter les nouvelles « règles ».

Le principe d’un état de droit, d’une démocratie, c’est d’utiliser les mêmes outils (judiciaires et répressifs) qu’importe la situation. D’appliquer une justice et d’accorder la liberté et la présomption d’innocence, même à ceux qui dénigrent ces principes.

Le pouvoir commet donc une erreur grave et historique en modifiant les règles démocratiques pour son propre intérêt.

Lorsqu’un citoyen est accusé d’un vol, d’un crime ou d’un viol mais n’est finalement pas condamné pour diverses raisons judiciaires ou policières, change-t-on ces règles ? Non, et on explique aux victimes, légitimement en colère, que le système ne peut pas toujours répondre à leurs attentes. Mais qu’il faut faire avec. Que c’est le jeu de la démocratie et de nos sociétés modernes.

Mais lorsque le pouvoir n’arrive pas à faire arrêter ou condamner des personnes commettant des violences et des actes légalement répréhensibles, celui-ci aurait le droit de changer les règles ? Et de porter atteinte aux libertés de l’ensemble de la population ?

A vrai dire, l’un des points positifs des actions les plus offensives de certains Gilets Jaunes réside dans le fait d’obliger le pouvoir à montrer son vrai visage. Le principe d’une démocratie, c’est de pouvoir gérer les opposants, y compris les plus violents, dans un cadre démocratique. En France en 2019, une voiture brulée ou un Fouquet’s défoncé suffisent à briser ce pacte essentiel et justifie l’usage de mesures clairement liberticides et autoritaires.

Face à une contestation radicale et déterminée, Macron et son monde ont donc préféré abandonner leur cape démocratique pour préserver l’essentiel : le système économique, ultra libéral. D’ailleurs, il est assez amusant de constater que le pouvoir politique et médiatique ne cesse de dénigrer les GJ en les affublant du qualificatif « ultra »… tantôt de gauche, tantôt de droite. Tantôt ultra-violents.

Mais au final, la chose qui est la plus « ultra » dans notre société, et qui est totalement acceptée par les puissances politiques et médiatiques, c’est le système économique : ultra libéral. Pour le coup, cela ne pose pas de problème et n’est jamais associé à la violence.

Pourtant, la première des violences, celle qui génère toutes les autres, c’est cette violence libérale qui provoque l’injustice sociale et qui brise des vies.

Macron ne veut pas en entendre parler.
Nous n’écouterons donc plus ses leçons de morale et de sagesse.

La sagesse, c’est celle de Geneviève . C’est celle de Commercy. C’est celle de St Nazaire. La sagesse, c’est nous. Et elle sait aussi se faire colère.

Crédit Photo : Le Désastre / Jérémie Rozier


Et maintenant !

Initialement publié le 20 mars 2019

La force d’un mouvement, c’est d’être toujours en mouvement. Ne pas répéter les mêmes pratiques et modalités jours après jours.

C’est en partie pour cette raison que le mouvement syndical a énormément perdu de son attrait et de sa force, notamment sur les actions collectives et dans la rue. C’est pour cela que le cortège de tête a eu un tel attrait pendant plusieurs mois, jusqu’à devenir un rituel qui se singe lui-même, et donc tombe dans les travers d’un mouvement qui ne répète que ses réussites passées.

En ce sens, les Gilets Jaunes ont apporté un souffle nouveau et puissant dans le paysage des luttes. Des occupations de ronds points en passant par les manifs sauvages, les barricades, les blocages de dépôts pétroliers, les cabanes jaunes ou les ouvertures de péages, les GJ ont montré qu’ils n’étaient pas enfermés dans une pratique ritualisée et codifiée de la lutte.

Tout simplement parce que la grande majorité de ces GJ ne sont pas des « professionnels » de l’agitation sociale. Et c’est tant mieux. Et c’est ce qui dérange autant le pouvoir car son caractère imprévisible rend la riposte plus difficile.

Aujourd’hui, le mouvement se trouve à un moment crucial. L’acte 18 a été une réussite dans le sens où la question des Gilets Jaunes a été remise très frontalement dans l’agenda politique et médiatique. Mais, cela peut aussi être vu comme un échec, dans la mesure où cette question n’est abordée par le pouvoir (et les principaux médias) que par le biais des violences et de la façon de les contenir. Les questions sociales, économiques et sociétales n’ont quasiment pas été abordées ces derniers jours.

Face à une répression qui s’annonce encore plus indistincte et aveugle (le pouvoir ne s’en cache même plus), face à un rouleau compresseur médiatique d’indignation face aux vitrines cassées et magasins brulés, il apparaît important de ne pas tomber dans le piège d’une escalade inutile.

Encore une fois, la question n’est pas de savoir s’il faut casser une banque ou le Fouquet’s. La question reste de trouver des moyens de lutter radicalement contre un pouvoir et un système politique qui a pour lui tout l’arsenal policier, judiciaire et même médiatique.

Nous savons que les manifs déclarées et totalement nassées du début à la fin par la police n’ont aucun intérêt. Discuter avec la préfecture pour définir comment la journée « se passera bien », c’est accepter que le pouvoir puisse dormir sur ses deux oreilles. Chose impensable dans cette société qui laisse crever de faim des dizaines de milliers de laissés-pour-compte.

Pour les empêcher de dormir tranquillement, mais aussi d’aller dans leurs restaurants de luxe ou sur les pistes de ski, nous n’avons pas énormément d’outils. Mais nous ne sommes pas démunis. Nous savons ce qui compte pour eux : leur portefeuille, leur confort, leur intérêt et leur image médiatique. A nous de trouver comment nuire à ces aspects.

A nous également de remettre les questions de fond sur le devant de la scène : l’injustice sociale, climatique, économique. Cela parait presque évident, et nous pensons que tous les Français sont au courant. Mais il est nécessaire de rappeler sans cesse les conséquences quotidiennes des politiques ultra-libérales sur notre société et sur les laissés-pour-compte, que ce soient ceux des campagnes ou ceux des banlieues.

Le pouvoir espère que le 16 mars était le chant du cygne des Gilets Jaunes, leur dernier baroud d’honneur. Il l’espère tellement qu’il le crie sur tous les toits.

Mais nous savons que les GJ ont encore de la ressource et vont de nouveau surprendre. Reste à savoir quand et comment.

Nous ne sommes plus une classe bien sage. Nous n’avons pas peur d’être hors la loi dans une société où les lois deviennent liberticides et antidémocratiques. Nous n’avons pas peur d’être (mal) jugés par un pouvoir cynique et violent, tout autant que par ses chiens de garde médiatique. Dans plusieurs décennies, l’histoire jugera qui aura été du bon côté.

En attendant, soyons inventifs et motivés. Essayons de faire dérailler le système tout en proposant des actions non violentes. Que la ligne de démarcation ne soit plus celle des gentils manifestants et des méchants casseurs mais de ceux qui veulent changer le système et ceux qui acceptent de vivre dans une société qui laisse crever ses plus faibles.

Ne nous soucions pas du jugement de ceux que l’on combat mais essayons de faire comprendre au plus grand nombre la justesse de notre cause et l’injustice de cette société. Cela passe peut-être par des actions moins clivantes sur l’aspect de la violence. Mais cela ne doit en aucun cas enlever la radicalité du mouvement. Sous peine de le voir devenir docile et indolore pour les puissants.