14 juillet - Défaite Nationale

Malgré le dispositif ultra sécuritaire, malgré la venue de "figurants en marche" sur les champs, malgré les centaines d'arrestations arbitraires du matin, Macron a raté son pari d'avoir un 14 juillet en mode "carte postale" !

Très tôt le matin, des centaines (voir milliers) de Gilets jaunes sans gilets jaunes arrivent à entrer de façon individuelle sur les champs, comme tout citoyen voulant assister au défilé. La préfecture est au courant et tente tant bien que mal d'embarquer un maximum de manifestants. Près de 200 arrestations seront signalées sur Paris, la plupart avant même le début du défilé, et pour simple possession d'un gilet jaune dans le sac (ou pour avoir chanter un chant anti Macron). Le pouvoir décide également de frapper fort dès le début de cette journée en arrêtant les "figures" du mouvement (Rodrigues, Drouet, Nicolle), là encore sans aucune raison légale.

Qu'importe, les GJ sont trop nombreux et trop "discrets" pour que la police puisse tous les empêcher d'accéder au défilé. Le résultat est impressionnant : Emmanuel Macron est sifflé et hué sur l'ensemble de la très grande avenue des Champs Élysées. L'image est forte. Et même les médias de masse n'arrivent pas à masquer la réalité de ce président sifflé le jour de la fête nationale !

Une autre image forte, c'est celle de ce commissaire de police perdant totalement son contrôle (au point d'être retenu par un de ses policiers). Le commissaire violente une femme absolument pas agressive mais qui avait eu le tort de lui demander "Ou est Steve ?"

Le pouvoir montre plus que jamais qu'il ne tolère aucune remise en cause, et que, violents ou non, les résistants seront tous traités comme des criminels. Pour preuve, ces images de manifestants blessés (dont une femme qui risque de perdre un œil) aux abords des champs.

L'autre échec du pouvoir, c'est la prise de la Bastille... mais surtout des Champs Elysées par les Gilets Jaunes ! Si le début de l'après midi voit plusieurs petites manifs sauvages partir des alentours des Champs, très vite nassées ou dispersées par une tactique très agressive de la police (notamment avec les voltigeurs et la BAC), les GJ arrivent finalement à investir les Champs Elysées, notamment grâce à des barricades composées de dizaines de barrières (présentes pour le défilé). Là encore, l'image est forte. Le préfet Lallemand et sa stratégie de la terreur (voltigeurs, chiens, attaques de la moindre manif non déclarée) n'ont pas réussi à empêcher une partie du peuple en colère de revenir sur ces Champs Élysées devenus le symbole de la lutte des laissés pour compte face aux Fouquet's et au Homard !

Impossible de chiffrer le nombre de GJ présents sur Paris en ce 14 juillet tant la dispersion était forte en raison de la tactique des forces de l'ordre mais aussi des différents points de rdv tout au long de la journée. Il y a peut être eu moins de monde que lors des deux premiers ultimatums de 2019 (16 mars et 20 avril) mais ce qui est sûr, c'est que plusieurs milliers de GJ ont répondu à l'appel.
Que la détermination, la motivation et la joie étaient intacts chez tous ces manifestants.
Et que malgré l'énorme dispositif de sécurité, ces GJ ont réussi à faire dérailler le système et empêcher que Macron puisse fanfaronner et nier la réalité sociale et le mouvement contestataire toujours bien présent.

C'est sa défaite nationale.
Et c'est déjà une bien belle victoire pour tous ceux qui continuent de résister.

Crédit photo : https://stuvpic.me/


Jaunes, vertes, noires et rouges : les graines de la révolution sont plantées

L'histoire n'est jamais écrite à l'avance. Ceux qui tentent de convaincre du contraire sont ceux qui ont le plus à perdre dans l'idée d'un horizon différent et rempli de changements, voire de révolutions. Sept mois après le début du mouvement des Gilets Jaunes, le pouvoir et les médias dominants s'en donnent à cœur joie pour parler de cette révolte inédite au passé, pour faire comme si tout ce qui concerne les GJ se trouve uniquement derrière nous... Et pourtant ! On n'arrête pas une forêt en piétinant sa végétation, en l'enterrant. Car il y a les graines. Et les graines, cela pousse.

En sept mois, on peut raisonnablement estimer qu'entre 300 000 et 500 000 personnes ont participé au moins à une action Gilets Jaunes. C'est énorme et c'est potentiellement autant de graines révolutionnaires. Car la quasi-totalité de ces personnes reste convaincue que le pouvoir actuel ne sert que les plus riches et les plus puissants. Si elles ne viennent plus aux manifs, ce n'est pas parce que Macron les a convaincues. C'est plutôt parce qu’elles pensent que ces rassemblements ne peuvent aboutir réellement à un changement radical. Mais cela fait des décennies que l'envie de révolution n'a pas été aussi présente dans la population française !

Plus de 10 000 personnes ont été arrêtées au cours de ce mouvement historique. Plus de 800 peines de prison ferme prononcées. Des milliers de personnes blessées, dont plusieurs centaines très grièvement. On peut légitimement chiffrer à plus de 15 000 le nombre de personnes frappées par la répression policière et/ou judiciaire. Un chiffre vertigineux, qui prouve que le mouvement n'est pas un simple "mouvement social" mais qu'il porte en lui un ADN insurrectionnel, voire révolutionnaire. Le pouvoir ne tient que par la force, la menace et la peur. Peur d'être condamné à de la prison pour simple présence à des rassemblements non déclarés, peur de perdre un œil ou une main... voire pire.

Pourtant, malgré ces 15 000 victimes de la répression, malgré ces menaces, des milliers de personnes continuent de manifester, de bloquer, d'organiser des actions et des concertations. Cela tient presque de l’irrationnel quand on voit le mutisme du pouvoir qui ne sait répondre que par la violence et le mépris. Surtout, même parmi ceux qui ne manifestent plus, les mentalités ont évolué, notamment le regard face à la légitimité du pouvoir et de son bras armé.

Si Macron a réussi à maintenir l'ordre économique et politique en place, il l'a fait en dévoilant son vrai visage : autoritaire et ultra-violent. Le vernis démocratique, égalitaire et républicain de notre société a totalement volé en éclat face à la contestation. Notre société n'est démocratique que lorsqu'on ne la remet pas en cause. Drôle de démocratie...

Le résultat ? Des milliers de manifestants ont changé de regard sur la police, sur la légitimité du pouvoir mais aussi sur la légitimité d'actions de désobéissance et de résistance, y compris physique. Les médias ont parlé d'ultra jaunes ou d'infiltration des extrêmes pour analyser ce phénomène. Malheureusement pour eux, le phénomène est bien plus complexe et profond qu'une simple "infiltration". De plus en plus de personnes comprennent qu'un changement profond du système ne pourra avoir lieu sans déjouer les règles de ce système. Puisque les règles ont été faite pour le maintenir en place, ce système.

La question n'est même pas de savoir s'il faut ou non de la violence dans un mouvement. Il s'agit simplement de comprendre, et d'accepter que le système qui nous a été présenté depuis notre enfance comme ce qui se faisait de plus juste et d'égalitaire n'est désormais qu'une façade pour servir les plus puissants qui se gavent sur le dos des plus pauvres et de la planète.

Car la "radicalisation" comme voudrait l'appeler les médias dominants ne touche pas que les Gilets Jaunes. Les différentes mobilisations écologistes ont également connu ce phénomène. Car les mobilisations massives des derniers mois n'ont strictement rien changé à l'attitude des dirigeants politiques face à l'urgence climatique. Et si la répression a été moins violente, c'est uniquement parce que la mobilisation était moins gênante pour le pouvoir (si massive soit-elle). Dès que des militants écolos ont tenté des actions hors du cadre légal, même de façon totalement pacifique, le pouvoir a réprimé sans la moindre hésitation, à l'image de l'action récente d'Extinction Rébellion sur le Pont Sully.

Des graines vertes en plus des graines jaunes donc. Auxquelles nous pouvons rajouter des graines noires. Celles de Gilets Noirs, ces travailleurs sans papiers qui luttent avec courage et détermination depuis plusieurs mois pour des conditions de travail dignes et la liberté de circulation et d'installation. Des graines rouges également avec tous ces travailleurs syndiqués (ou non) qui ont décidé de se battre et de ne rien lâcher, malgré les trahisons des principales directions syndicales. A l'image des postiers du 92 ou des salariés et intérimaires de Géodis. Le monde de l'éducation mais aussi celui de la santé ont également compris que la lutte ne se gagnerait que de façon globale et radicale.

Si l'on prend un peu de recul, le mouvement contre la loi Travail de 2016 est lui aussi porteur de cette dynamique hautement subversive, avec l'apparition de cortèges de tête solidaires des black blocs, avec des pratiques de plus en plus offensives et alternatives. L'occupation de place pour échanger et réfléchir à une nouvelle société était également présente dans l'esprit de Nuit Debout. En trois ans, la société française a ainsi connu plusieurs mouvements sociaux aux visées clairement révolutionnaires et menés de façon totalement décentralisés et horizontales. Prendre conscience de cette situation, malgré les échecs à court terme de chacune des mobilisations, c'est cerner la puissance et le potentiel insurrectionnel de la société actuelle.

Ce mouvement de fond qui pousse des militants (ou simples citoyens) à penser la lutte de façon globale et radicale, le pouvoir n'a pas réussi à l'endiguer. Bien au contraire. Et si la fameuse "convergence des luttes" n'est aujourd'hui que parcellaire et ponctuelle, il y a une vraie convergence d'état d'esprit et de détermination. Une idée de l'urgence climatique et sociale. Une volonté de justice et d'égalité. De vivre dans la dignité et de ne plus survivre.

Personne ne peut prédire l'avenir. Mais nous savons que ceux qui nous présentent un avenir où la contestation radicale du système n'a plus lieu d'être sont uniquement ceux qui craignent cette contestation. Et nous savons que semaines après semaines, mois après mois, le rang des résistants et des effrontés grossit. Avec ou sans gilets jaunes. Avec ou sans Kway noirs.

Plusieurs centaines de milliers de graines jaunes, rouges, noires et vertes sont en train de germer et de grandir sous le sol. Personne ne sait quand et comment elles sortiront de terre mais cela arrivera, n'en déplaise aux adeptes du conservatisme.


OÙ EN SOMMES NOUS FACE A L’INCOMPÉTENCE DE LA POLITIQUE ?

Aujourd’hui, 2 juin, Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’intérieur annonce qu’il n’est pas question de supprimer le LBD. Que cela soit pour les Gilets Jaunes où dans les quartiers la lecture est la même : Aveu d'une incompétence à régler les problèmes sociaux et préférer la brutalité pour que rien ne change.

La réalité de la politique des gouvernements c'est qu'ils n'ont plus besoin de caresser les classes moyennes dans le sens du poil comme avant. Le choix est guerrier. Comme il l'a toujours été dans les quartiers, comme il l'a toujours été quand ils n'ont plus rien à vendre et quand ils peuvent nous faire acheter de force. L'échiquier est tel que de toute façon la rentabilité est assurée. De gré ou de force. Nous paierons les augmentations le flashball sur la tempe s'il le faut, nous irons au travail la boule au ventre ou serons poussés au suicide s'il le faut. Les grèves, blocages et toutes autres contestations sérieuses seront réprimées brutalement. L'Etat n'apparait alors plus que comme une seule chose : une armée d’occupation.

Jamais nous n'avons voté pour régler les problèmes à coups de flashball, jamais nous n'avons voté pour être en permanence surveillés, que ce soit par les caméras qui pullulent dans nos villes ou par les algorithmes qui décortiquent nos conversations et nos habitudes. Jamais nous n'avons voté pour qu'il n'y ait plus de rétrocontrôle une fois un président élu. Jamais nous n'avons voté pour être éborgné lorsqu'on proteste pour de la justice sociale, de la justice fiscale et de la justice écologique.

Cette politique n'est qu'une vaste capture du vivant et nous sommes comme des animaux dans un zoo. Parqués, contrôlés et réprimés.

Face à cette incompétence, face à cette trahison de l'Etat qui modèle un avenir détestable en osant encore s'appeler démocratie, nous sommes beaucoup à avoir pris acte qu'il n'y avait plus rien à attendre de ce coté. Et à l’heure actuelle, l’Etat est un étouffoir qu’on aimerait voir reculer. C'est pourquoi du plus petit village à la plus grande ville nous nous sommes soulevés pour au final deux choses : Abolir ce pouvoir autoritaire et inventer une nouvelle forme de vie en commun.

Qu'on l'appelle RIC ou assemblée des assemblées, c'est une démocratie directe qu'on est en train de construire. La phase dans laquelle nous sommes pourrait se résumer de la sorte: nous n'avons pas renversé le trône et nous n'avons pas encore construit la nouvelle démocratie. Par contre nous sommes à la tâche. Aujourd'hui peut apparaitre comme un coup de fatigue, nous avons en effet été assommés par les milliers de blessures, d'arrestations et d'emprisonnements. Il y a moins de monde en manif. Par contre nous sommes partout. Si aujourd'hui nous sommes moins visibles c'est que nous sommes un peuple de fourmis, à la tâche dans tous les recoins du territoire. Nous travaillons à la base pour bâtir un monde plus habitable. Respectueux de la nature et de l'humain. Partout les assemblées continuent, les cabanes sont construites, des outils de communications indépendants développés, des actions entreprises, et parfois même une maison du peuple est inaugurée. Nous sommes bien en train de bâtir les bases d’un monde désirable.

Ces 6 mois de luttes ont profondément changé notre rapport au monde et aux autres. Des dizaines de milliers de personnes ne retourneront plus dans leur vie d’avant qui leur apparait désormais comme un tapis roulant de centre commercial où tous les choix sont déjà faits à notre place. Grâce aux Gilets Jaunes, les gens ont retrouvé de leur libre arbitre, ont imaginé des utopies, ont expérimenté l’auto gestion et l’horizontalité, savent qu’on peut vivre sans chef et que ce qu’ils ont fait depuis 6 mois avait d’ailleurs beaucoup plus de poids et responsabilités que n’en n’aura jamais leur patron.

Nous avons livré une bataille contre le pouvoir qui a définitivement révélé son vrai visage, révélé les pires bassesses et brutalités qu’il est prêt a assumer pour préserver les inégalités. Maintenant, c’est le temps de poursuivre ce qu’on fait depuis 6 mois en s’organisant sur les ronds points ou partout ailleurs : Bâtir ! Je me risquerais à une métaphore hasardeuse. Celle de l'extinction des dinosaures : en surface, les Macronosaures, les Trumposaures, les Salviniosaures, les Poutinosaures, les Erdoganosaures, les Bolsonarosaures et plus généralement tous les capitalosaures sont en train de fanfaronner, de se tailler des parts aussi énormes que honteuses du gâteau. Mais ils sont aussi en train de créer les conditions de leur propre cataclysme tout autant écologique que social. Pendant que leurs mains se resserrent sur nos cous, leur météorite arrive. Et nous, nous sommes les petits mammifères oeuvrant en souterrain et qui leur survivront. Modestement, lentement, mais sûrement.

Photo : William Wartel


"Perdons patience, positivement. Ayons plus confiance en nos intuitions et notre feu"

Tribune de Evguénia Markon

Qui a dit : « ll faut rester patient et les choses bougeront. Même en six mois, ça ne peut pas changer comme ça. Si on reste mobilisés, unis, à mon avis les choses changeront »? Cette petite musique, on l'entend régulièrement chez des soutiens médiatiques des Gilets Jaunes ou les gnangnans. Ceux qui organisent ou encouragent depuis janvier de longues marches déclarées et encadrées par des forces de l’ordre qui nous matent, nous imposent leur rythme et leur scénario sadique, inlassablement, et au terme desquelles on nous somme de rentrer gentiment chez nous (alors qu’on était là pour aller chez Macron chez lui, non?). Ceux qui nous demandent d’endurer les gaz, les blessures, nos blessés graves et de comprendre que les procédures pénales contre les violences policières sont longues (en fait, elles n’aboutissent quasiment jamais !). Ceux qui nous disent depuis des mois que les forces de l’ordre sont fatiguées, prêtes à déposer les armes là, demain. Ceux qui nous assurent qu’on gagnera la bataille par la conquête de l’espace médiatique et la sacro-sainte opinion publique, que ces (autoproclamés) leaders d’opinion occupent gentiment pour nous. Ce sont les François Boulo, François Ruffin, Philippe De Veulle, les conférenciers du RIC, les petits soldats socdem des politiciens locaux, parmi d'autres. Ils sont de gauche (pour les deux premiers) ou de droite dure (pour le troisième), qu’importe, c’est la même chanson. Ils rappellent les députés du Tiers état, avocats, médecins, professions libérales, gens d'affaire qui ont pris dès le début le pouvoir dans les assemblées populaires de la Révolution française, et ont mis de côté le monde paysan et le petit peuple des villes. Ils ont imposé un langage démocratique et des codes (comme aujourd'hui le RIC) pour exclure des tribunes ceux qui « parlent mal » et leurs expériences. Ils ont été les vainqueurs de la Révolution.

Admettons, que ces soutiens veulent le bien du mouvement des Gilets jaunes. Quoique qu’on ne peut pas s’empêcher de penser que Ruffin y joue aussi des ambitions politiques de moyen terme et que De Veulle, habituellement avocat de flics, travaille aussi ici pour les dossiers de ses clients, et qu’il n’a pas perdu par enchantement dans le mouvement sa conception sécuritaire de la société. Soit, admettons qu’ils ont été eux aussi séduits par le mouvement. Il ne s’agit pas ici de diviser, de remettre en question leur engagement et leurs apports. Mais apprenons de l’histoire. Perdons patience, positivement. Ayons plus confiance en nos intuitions et notre feu, ce feu qu’on sent quand on se parle en face-à-face, aux ronds-points et en manifs. Toutes ces heures où l'on se parle, se rencontre, échange nos idées, nos joies et nos galères. Notre communauté jaune du quotidien.

Ces soutiens peuvent se permettre de faire preuve de patience et nous demander d’être patients. On leur enseigne cela dans les classes sup. Quelque soit le résultat du mouvement, ils gagneront de toute façon en popularité, ils nourriront leurs réseaux. Ils sèment maintenant pour des campagnes qu’ils conduiront plus tard. De leur côté, les Gilets jaunes lambda, qui n’ont rien à gratter en terme de popularité (à part les quelques figures influentes et éphémères sur Facebook), ni de business politique ou de carrière à rôtir sous le soleil jaune, se prennent la répression policière et judiciaire en pleine gueule, physiquement et avec des répercutions à long terme dans leur vie sociale et pro. Je pense aux 2000 GJ condamnés par la justice, aux 800 qui ont pris du ferme et aux 1800 en attente de leur jugement. Je pense aux 600 blessés et aux 24 éborgnés. Ils sacrifient tout, santé, temps, argent. On entend d'ailleurs beaucoup moins parler des incarcérés que des blessés par ces soutiens. Or, il n’y a pas de mauvais ou bons manifestants, notre mouvement est un tout. Nous soutenons tous les jaunes. Nous sommes une famille, comme on aime à le dire.

Le système tire sa force de sa patience, de sa régularité dans sa surdité et sa violence. Ils nous livrent une guerre d’usure. Notre force n’est pas la patience et la routine. Nous ne sommes pas des boeufs de trait, de la chair à LBD. Nous ne sommes pas des victimes ni des martyrs. Notre force est dans nos expériences partagées, notre réflexivité tactique, notre spontanéité, notre capacité à s’entendre entre impulsifs-persévérants, nos fulgurances. Tout ce qu'on n’obtiendra pas maintenant, on ne l'aura jamais. On ne lâche rien.

Crédit Photo : Le Désastre / Jérémie Rozier


GJ, vous êtes si beaux !

Depuis le début du mouvement, les médias et le pouvoir ne cessent de salir et d'insulter les Gilets Jaunes : racistes, assoiffés de violence, homophobes, sexistes, vulgaires...  Même si de plus en plus de monde se rend compte de la malhonnêteté de ces manœuvres, à l'image des 1 400 artistes et de l'appel "nous ne sommes pas dupes", ce travail quotidien de discrédit depuis six mois laisse des traces. A tel point que certains citoyens n'osent pas sortir en centre-ville le samedi, ou que des personnes en lutte (enseignants, hospitaliers...) ne veulent pas se joindre à des actions de GJ de peur que cela soit trop violent. Bien sûr, il y a la peur des gaz et des charges policières. Mais pas que.  Quelque chose reste dans l’inconscient collectif.

Et pourtant. Si violence il y a eu lors de quelques actes depuis 6 mois, cela ne reflète clairement pas l'essence du mouvement. Un mouvement avec tellement de belles choses, de belles personnes et de beaux moments. Alors, même si ce texte ne pourra pas rééquilibrer la balance générale, voici une déclaration d'amour aux Gilets Jaunes et à leur beauté !

Que c'est beau de voir des personnes si différentes se réunir dans la rue. Jamais nous n'avions vu une telle diversité dans un mouvement social. Que c'est beau de voir des juifs manifester avec des musulmans, des catholiques et pleins d’athée. Beau de voir un mouvement social avec autant de femmes dans les rues, dans les assemblées, sur les ronds-points.

Si beau de voir des personnes ne pas reculer face aux armes de terreur de la police : canon à eau, gaz, flashball. Des personnes en fauteuil roulant ou en béquilles, qui reviennent, acte après acte, malgré la violence de la police. Des personnes pour qui chanter "révolution" ou "ça va péter" n'est pas du folklore syndical mais bien une menace face à un pouvoir abject. Des gens pour qui construire une France Insoumise n'est pas qu'un slogan politique.

Tellement sublime de voir des milliers de personnes chanter sous les lacrymo ou dans une nasse, avec la joie de vivre et d'exister.  Voir des personnes âgées échanger avec les plus jeunes générations, et nous surprendre par leur rage et leur courage, que certains prennent pour un manque de sagesse !

Quel plaisir de voir se créer des assemblées. Puis des assemblées des assemblées. Sans que ces groupes ne tentent de parler au nom de tous, et sans qu'aucun individu ne soit mis en avant. C'est une première de voir un mouvement national, rassemblement de dizaines de milliers de citoyens, avancer et créer de façon totalement décentralisée et horizontale. En 26 semaines, les GJ ont réalisé bien plus d'actions, d'occupations, de débats, de manifestations que les structures de l'époque d'avant, et ce, sans leader ni organe centralisé. Putain que c'est beau.

Que c'est beau de voir tant d'ingéniosité pour réinventer la lutte, semaine après semaine : actions sur les péages, occupations de ronds-points, manifestations sauvages, fanfares, créations de cabanes, blocages d'entreprises et d'institutions, barbecues, sit-in...

Que c’est beau une vitrine de magasin de luxe défoncée avec écrit « on prend l’isf à la source ». Que c’est beau un 1er décembre qui fait vraiment flipper Macron, le Medef et tous les "puissants". Que c’est beau une manif sauvage qui fait enfin revivre une ville et qui nous fait sentir puissamment réel.

Et bien sûr, que c'est surprenant et vivifiant de voir qu'autant de GJ ne lâchent pas, malgré 6 mois de mobilisation et un pouvoir toujours aussi muet et méprisant. Une telle endurance dépasse tous les schémas connus des luttes sociales "classiques". Et c'est déjà une victoire extrêmement importante. Une victoire qui ne se voit pas et qui portera ses fruits dans quelques mois, et ce, pour plusieurs années. Des dizaines de milliers de citoyens se sont éveillés et ont construit de nouveaux modes de pensée, de luttes et d'existence. Qu'importe comment se terminera ce mouvement, il ne se terminera finalement pas vraiment. Pas de retour à la normale possible pour ceux qui se sont réveillés et qui voient désormais le pouvoir politique comme l'instrument de domination des plus riches, et la police comme un instrument de contrôle de ce pouvoir.

Enfin, la beauté première de ce mouvement, c'est l'amour qui se dégage chez ces milliers de Gilets Jaunes. L'amour pour la lutte. L'amour pour la vie. L'amour pour les autres. Les rencontres lors des AG ou des manifestations. Les fous rires. Les amitiés naissantes. Tellement d'amour. Tellement de vie.

Alors oui, mille fois oui, vous êtes tellement beaux ! Ne l'oubliez jamais.

Crédits photos : Julien Gidoin


Artistes : nous n'en sommes plus là !

Réponse de quelques Gilets Jaunes à l'appel des artistes :

Artistes, nous avons lu avec attention et espoir votre appel "Nous ne sommes pas dupes".  Si certains ne manquent pas de rappeler qu'il est un peu tard pour se réveiller, 25 semaines après le début du mouvement, nous pensons que la situation est trop grave pour se permettre ce genre de critique. Toutes les bonnes volontés sont aujourd'hui précieuses pour éviter de perdre cette bataille.

Car votre constat est le bon : aussi bien sur les revendications des GJ que sur les méthodes abjectes et mortifères employées par le pouvoir. Votre texte se termine par le fait que vous continuerez à vous indigner et à utiliser votre pouvoir, celui des mots, de la musique et de l'art, pour soutenir le mouvement des Gilets Jaunes.

Cela est louable. Mais tellement insuffisant face à l'urgence et la gravité de la situation. Si la dérive totalitaire vous inquiète, il vous faut entrer en résistance. Le pouvoir sait que les revendications des GJ sont éminemment révolutionnaires dans le sens où elle ne trouveront pas de solution dans ce monde actuel, le monde ultra-libéral. L'ensemble des pouvoirs qui tient ce monde travaille donc à détruire cette résistance. Par tous les moyens possibles.

Depuis plus de cinq mois, des citoyens "ordinaires" ont mis une partie de leur vie (personnelle et professionnelle) entre parenthèse pour tenter de changer les choses. Des milliers en ont payé le prix fort : arrestations, agressions,mutilations, insultes, dénigrements, amendes, licenciement... Et pourtant, ils continuent. Avec dignité, courage et allégresse. Dans ce combat, le soutien d'artistes, connus ou non, pourrait apporter une force incroyable à la lutte.

Le mouvement des GJ a toujours refusé l'idée même de leader ou de porte-parole. Prônant l'horizontalité, les GJ mettent l'action individuelle au centre de l'engagement collectif. Mais si chaque citoyen a le pouvoir d'agir, nous savons aussi que certains ont accès à des leviers de pression que la plupart n'ont pas. Nous sommes conscients de la société dans laquelle nous vivons. La société du spectacle du regretté Guy Debord. A ce titre, le combat se mène aussi sur le front de l'image. Face à des médias de masse qui stigmatisent (volontairement ou non) les GJ, il est particulièrement important de réussir à toucher le plus grand nombre pour espérer leur faire comprendre que ce mouvement est porteur d'espoir d'une société plus juste et plus humaine.

C'est dans cette optique que nous vous proposons quelques pistes pour, qu'à votre niveau, vous puissiez aller au-delà de la signature d'un texte :

- Venez sur les actions, pour nous rencontrer et pour lutter à nos côtés (manif, blocage, banquet, occupation de ronds-points...) ;
- Mettez le gilet jaune lors d'une de vos représentations (par exemple à la fin d'une pièce de théâtre ou d'un concert). Ou même sur les plateaux TV où vous êtes invités ;
- Publiez votre soutien au mouvement sur vos propres réseaux sociaux ;
- Participez en donnant aux caisses de grèves ou de soutien ;
- Initiez des grèves dans le secteur de la culture (théâtre, musique, audiovisuel, cinéma...) ;
- Tentez de bloquer, ou au moins de perturber, des festivals (Cannes, Avignon...) ;
- Organisez des soirées de soutien aux GJ (concerts, spectacles...).

Si chacun des 1 500 signataires ne réalise qu'une seule de ces propositions, nous parions que le mouvement sortira particulièrement renforcé de cette période et que le pouvoir en ressortira profondément affaibli.

Alors, pour que votre signature sur cette tribune ne soit pas une fin en soi dans votre engagement mais bien le début d'un mouvement plus profond, nous vous le demandons tout simplement : passez de l'indignation à la révolte. Des milliers de citoyens anonymes l'ont déjà fait depuis des mois, rejoignez-les !

Pour signer cet appel, CLIQUEZ ICI !


Le Black bloc a-t-il assagi le Gilet Jaune ?

A Paris, il n'y a jamais eu autant de k-ways noirs dans les manifs des Gilets Jaunes que lors du 20 avril et du 1er mai. Et pourtant, les débordements ont été largement moins importants que lors des actes de novembre et décembre, voire même de certains actes de janvier ou du fameux 16 mars.

Depuis plusieurs semaines, le récit qu'on cherche à nous imposer est le suivant : le mouvement GJ a été infiltré par les anarchistes et l'ultra-gauche, et notamment par LE black bloc. Qui a intérêt à accréditer cette thèse en dehors du pouvoir qui ne craint rien de plus qu'un mouvement pluriel et massif ?

On rappelle que black bloc n'est pas un "groupe" mais une technique visant à se masquer et se regrouper dans une manifestation, afin de se protéger et de réaliser des actions offensives en minimisant les risques d'interpellations. Un black bloc est donc une formation éphémère, constituée de personnes très différentes et ne se connaissant pas forcément.

On rappelle également que de nombreux Gilets Jaunes n'ayant aucune sympathie pour la gauche (et encore moins la gauche radicale) sont toujours massivement présents dans les rues.

Ceci étant dit, les rassemblements de Gilets Jaunes comptent effectivement de plus en plus de K-way noirs dans leurs rangs. Cela ne veut pas forcément dire qu'il s'agit de "nouvelles" personnes venant aux actes GJ. Certains venaient aux actes précédents mais habillés "normalement", d'autres en jaune.

Comment expliquer le manque relatif d'actions offensives et subversives alors que les cortèges n'ont jamais été aussi noirs et déterminés ?

La première explication vient évidemment de la stratégie de la préfecture et des forces de l'ordre : semaine après semaine, le pouvoir durcit le ton et ajoute des techniques de "maintien de l'ordre" : BRAV, drones, voltigeurs et bien sûr toujours plus de gaz et de charges. La technique de la nasse "préventive" également. A cela, il faut ajouter le bilan terrible de la répression : des milliers de blessés et d'interpellés. Forcément, cela impacte acte après acte la force du mouvement dans sa composante la plus radicale (puisque la plus exposée).

Mais cela n'explique pas tout. L'autre phénomène qui pourrait expliquer la baisse d'actions offensives des rassemblements GJ vient justement de la présence de Black bloc. En effet, cette présence désormais acceptée et même souhaitée par une grande partie des manifestants, tend à décharger tout le poids et la responsabilité des débordements à ceux habillés en noir. Le 1er mai, de nombreux manifestants se demandaient "pourquoi le BB n'avait pas forcé le passage pour partir en sauvage" ou encore pourquoi le BB "n'avait pas répliqué à une charge abusive de la police". Se poser ce genre de questions revient à attendre des autres que les choses se fassent.

C'est tout l'inverse de l'essence du mouvement GJ, qui a toujours promu la responsabilité individuelle dans le cadre d'actions collectives. En novembre ou en décembre, c'est grâce à des actions individuelles mais réalisées par un grand nombre que tant de manifs ont pu déborder. C'est parce que chaque Gilet Jaune a décidé d'avancer face aux barrages policiers que les Champs Élysées ont été repris plusieurs fois de suite.  C'est parce qu'une personne a pris un transpalette qu'une porte de ministère a été défoncée.

Le risque aujourd'hui, c'est d'assister à une montée des idées et volontés radicales en même temps qu'une baisse des prises d'initiatives. C'est de voir des manifestants poussant à l'action mais sans y prendre part. En regardant, voir en filmant. Cela ne ferait que fragiliser le mouvement et exposer inutilement ceux qui prendraient les initiatives les plus radicales.

Il importe aujourd'hui de réfléchir à ce que chacun est prêt à apporter à la lutte. D'autant que radicalité et subversion ne signifient pas forcément actions violentes et dangereuses. Chacun dispose d'une multitude d'actions possibles pour fragiliser le pouvoir et pour faire progresser la lutte.  Mais l'idée d'être spectateur du mouvement et d'assister à un show émeutier atteint ses limites. L'enjeu nous impose de dépasser ce stade au plus vite.

 

Crédit photo : Mathias Zwick


Les leçons du 1er mai 2019

Ce premier mai 2019 fut la démonstration parfaite de la continuité et de la ténacité d’un mouvement populaire désormais historique. Historique par sa durée, car jamais en France, une révolte sociale n’aura tenu aussi longtemps, en dépit de toutes les stratégies visant à l’éteindre, 25 semaines, et aucun signe de faiblesse de la part de la rue, ou de la part du soutien de l’opinion à son égard. Historique par sa composition, car chaque manifestation semaine après semaine, échappe à tous les pronostics en termes de nombre, et d’aspect.

Traditionnellement, ce 1er Mai, fête des travailleurs, a toujours été la date phare pour les syndicats, organisateurs de marches partout en France, mais aussi à l’étranger.

Symbolique de la lutte des classes, elle est le moment ou tous ceux qui l’incarnent et se retrouvent en ce symbole, se regroupent afin de se reconnaître, de se mêler, de se souvenir et de montrer qu’ils sont bel et bien toujours conscients de cette nécessité de maintenir l’union face à l’autre camp, celui qui tire profit du contrôle de la masse ouvrière.

Pourtant depuis maintenant 2 ans, la configuration de ce 1er Mai, est en pleine mutation et retrouve même une inspiration révolutionnaire...

La lutte contre la loi travail en avait été le premier résultat, et on se souvient tout spécialement des manifestations offensives de 2016, 2017 et 2018, avec la naissance d’un cortège de tête extrêmement massif et soudé, qui avait abouti à une répression féroce, et un retrait du syndical totalement débordé par les évènements.

Ce 1er mai 2019, la tension était palpable depuis déjà quelques jours.

La multiplication d’appels à « l’émeute » sur les réseaux sociaux, montrait bien que la patience des gilets jaunes était à bout, face aux humiliations permanentes de l’État, et la réponse affolée du gouvernement avait semé une atmosphère anxiogène, certainement voulue.

A grand renfort de « fake news » de rumeurs incessantes, sur l’arrivée à Paris de milliers d’allemands décidés à « en découdre », et de l’imminence d’un danger émeutier, visant à dissuader les manifestants potentiels de sortir dans les rues.

Ce qui nous avait sauté aux yeux, c’était le nombre dès le matin, à Montparnasse, qui échappait totalement aux règles habituelles du format syndical, tant au niveau du timing, que de sa composition.

Alors que le cortège syndical devait s’ébranler à 14h, dès midi la foule s’élançait en direction de place d’Italie.

On connaît la suite, nassage, arrêt brutal du cortège dès le début, affrontements à Vavin, arrestations violentes et tout ce qui est désormais la tactique avérée du gouvernement, et de sa police.

Une angoisse, une tension, sourdes et palpables cependant, se sentaient dès le début, et le mot

« Révolution » avait une saveur toute particulière, scandé par une foule que l’on sentait prête à poursuivre sa route, non pas seulement pour des revendications sociales, mais bien pour l’ultime revendication, celle de la LIBERTÉ.

Nous nous demandions quel argument allait encore pouvoir trouver Castaner et toute sa clique, pour humilier, et tenter de rendre inaudibles les cris de souffrance d’un peuple en colère...

L’inventivité du gouvernement, en la matière, est de toute beauté.

Des vilains casseurs seraient entrés pour attaquer des malades en service de réanimation....

Au lendemain de cette journée, les syndicats et personnels de l’hôpital de la Pitié Salpétrière, démentent d’une seule voix la lecture médiatique et étatique de cet incident, très clairement provoqué par l’acharnement de la police sur des étudiants et autres manifestants, entrés dans un mouvement de panique dans les jardins de l’hôpital pour se protéger face au gazage incessant et aux charges policières .

Même les syndicats ont rencontré la violence aveugle de ces forces de « l’ordre » (ce n’était pourtant pas imprévisible, car, en 2018 déjà, le service d’ordre de la CGT s’était fait agresser par la police) avec exfiltration du secrétaire général Philippe Martinez, outré, un peu naïvement (?) par cette violence.

Doit on rappeler ici que cette violence est présente depuis longtemps, et qu’elle n’a pas plus à viser un cortège syndical que tout manifestant ?

Les syndicats, globalement, se retrouvèrent, ce 1er mai 2019, dans une situation inédite où (malgré eux?), la convergence populaire, tant évoquée depuis déjà 2 ans, se mit spontanément en place.

Un cortège de tête ? Non !

Des militants syndicaux à l’arrière ?

Non plus !

DES cortèges de tête, et un joli patchwork totalement inattendu de manifestants, qui telles des abeilles, s’organisaient spontanément, pour s’allier sur des temps forts ou plus calmes, à l’avant de la marche, au milieu, à l’arrière, et firent fonctionner une solidarité sans faille pour pouvoir exister tous ensemble jusqu’au terme de cette marche mémorable.

Les tentatives d’arrêt du mouvement par le gouvernement ne datent certes pas d’hier, elle avaient débuté dès le 1er décembre, ou la révolte avait pris un tour quasi insurrectionnel.

L’essentiel est d’en prendre rapidement conscience (souvent après une nuit de recul sur les événements), parce que ces soirs de manif, ou chacun a donné de toutes ses forces au nom de cette belle lutte, aboutissent souvent à des phases de spleen, quoi de plus humain et naturel?

Les « raisins de la colère » sont vivaces et tout est possible au travers de cet élan incroyable.

La force de l’action de groupe pourrait donc bien avoir raison de l’action de force de répression.

Affaire de temps ?

La suite aux prochains épisodes...

 

Crédit photo : Jocelyn Marques


Echec et nasse

Le 1er mai est donc passé. Et il ne s'est rien passé d'inquiétant pour le pouvoir, plus que jamais en place et sûr de son fait. Castaner et la préfecture ont parfaitement réussi leur coup de force consistant à terroriser et attaquer l'ensemble de la manifestation pour éviter le moindre débordement. La France est désormais tombée dans une doctrine du maintien de l'ordre par la terreur.

Jamais depuis le début du mouvement des GJ, mais peut-être même jamais depuis des décennies, nous n'avions assisté à une stratégie aussi ultra-offensive. Ce mercredi, les forces de l'ordre n'ont même pas cherché à prendre pour excuse des attaques de manifestants pour "répliquer". Des milliers de personnes se sont retrouvées asphyxiées, étouffées, prises dans des mouvements de foule, matraquées...  Terrible vision de personnes âgées qui paniquent, d'enfants qui pleurent. Par moments, nous avions l'impression d'assister à des scènes de guerre. Avec des gens qui s'abritaient dans des ruelles et attendaient les street medics.

Ce qui est le plus inacceptable dans cette situation, c'est qu'elle a été provoquée et voulue par la préfecture, alors qu'il n'y a quasiment eu aucun "débordement" : une vitre de banque pétée et trois poubelles en feu ? Pour 50 000 manifestants dans les rues de Paris. Clairement, il faut se faire à l'idée aujourd'hui que les forces de l'ordre ne sont plus là pour "maintenir l'ordre" mais pour aider le pouvoir dans sa bataille face à la colère sociale. C'est dans cette logique que, plusieurs fois dans la journée, la police a chargé et gazé ultra violemment la manif pour la couper en plusieurs "sections".

Deux heures avant le début officiel de la manif, les premières charges et gazages avaient lieu. Dès 10h du matin, toutes les zones à quelques kilomètres du trajet étaient plongées dans une atmosphère hallucinante et anxiogène, avec des patrouilles mobiles qui attrapent au hasard des groupes de manifestants pour les fouiller de façon hyper agressive. Le moindre masque de protection contre le gaz ou lunettes de natation sont saisis, comme du matériel de guerre. Certains masques à gaz sont même suffisants pour être embarqué en GAV.  L'objectif est clair : dissuader le maximum de personnes à se rendre sur la manifestation, et enlever le plus de protections possible contre le gaz lacrymo. Des centaines de gilets jaunes sont saisis par la police et confisqués aux manifestants. Là encore, pas pour maintenir l'ordre, mais pour minimiser l'impacte des GJ sur cette manif du 1er mai. France 2019.

Une fois la manifestation lancée, on se rend compte que le cortège de tête n'est plus vraiment un cortège de "tête" : les syndicats sont totalement noyés dans les milliers de GJ, Kway noirs et simples citoyens qui désirent manifester et lutter dans la rue. A l'avant bien sûr, mais également après le cortège syndical et même en plein milieu. Si l'an passé on pouvait parler d'un cortège de tête qui rivalisait en nombre avec le cortège syndical, aujourd'hui, on ne peut même plus parler en ces termes tant la majorité de la colère qui s'exprime dans la rue sort de tout cadre syndical.

Ce 1er mai est clairement une défaite pour les luttes sociales.  Il confirme que désormais, face à un pouvoir autoritaire et ultra-violent, il n'est plus possible de jouer la carte des manifestations déclarées et  concertées avec la préfecture. En effet, cette manif de mercredi aura été l'une des plus violentes pour les manifestants alors qu'elle a été l'une de celles qui ont connu le moins de dégradations. Le discours qui consiste à nous dire qu'il faut aller en manif déclarée pour rassembler un maximum de citoyens en colère qui ont peur des violences ne tient plus du tout.

Il va falloir également réfléchir à de nouvelles modalités d'actions et de manifestations, prenant acte des nouvelles stratégies des forces de l'ordre. Nous en avons les moyens et les forces. Car la seule victoire du 1er mai, c'est bien d'avoir vu autant de personnes descendre dans les rues de Paris et de toutes les villes de France, malgré le climat totalitaire et les menaces du pouvoir. Des personnes déterminées, joyeuses et qui ne laisseront pas des matraques ou des gaz les stopper dans leur lutte.


Message aux syndicats

Mercredi 1er mai, nous avons rendez-vous avec l'histoire. Nous avons également rendez-vous avec les syndicats. Tout autant qu'ils ont rendez-vous avec les Gilets Jaunes et tous les citoyens en lutte depuis des mois. Nous croyons fermement à l'idée que l'union fait la force. Et les cinq mois de lutte en jaune nous ont prouvé que la diversité et le respect des pratiques pouvaient être une vraie force. C'est dans cet état d'esprit que nous marcherons, le 1er mai, aux côtés des syndicats, associations et autres structures traditionnelles. Mais nous serons aussi, et surtout, attentifs à la manière dont ces structures se comporteront.

Il y a un mouvement de fond qui entraine des centaines de milliers de citoyens à s'engager et à lutter. Un engagement loin de toutes structures politiques ou syndicales. Ce mouvement est particulièrement visible depuis les Gilets Jaunes mais il existe également dans les luttes écolos et sociales. La montée en puissance des cortèges de tête depuis quelques années en est l'un des révélateurs. Ces personnes veulent changer profondément la société, libres de tous calculs stratégiques et jeux de pouvoir, leurs choix et leurs actes ne dépendent que de l'objectif. Ce phénomène n'est pas prêt de s'arrêter. Les structures de "contre-pouvoirs" doivent apprendre à composer avec. Sous peine de sombrer dans le côté obscur d'un faux contre-pouvoir, dont ils sont déjà accusés.

Mercredi, des milliers de personnes franchiront donc la ligne du service d'ordre des syndicats, pour se placer en tête de cortège. Des gilets jaunes, des k-way noirs mais surtout de nombreux citoyens sans étiquette si ce n'est celle de leur conviction. Ces personnes vont venir chercher, dans cet espace éphémère, un moment où la vitalité tient de la force de chaque individualité présente. Où, pour faire bloc, il faut faire front. Où, pour se faire vraiment entendre, il faut vraiment crier. Où, pour être vu, il faut s'exposer. Ici, pas d'énorme ballon gonflé à l’hélium, pas de sono crachant des slogans à plusieurs kilomètres. Dans ce cortège, tout le monde a le même poids. Et ce poids est minime, sauf lorsqu'il est mis en commun avec des centaines, voir des milliers d'autres personnes.

Vous pouvez ne pas partager cet amour pour l'horizontalité, pour l'idée que chaque militant a le même poids qu'un autre, ne pas partager l'idée que la cause passe avant les personnes et surtout avant les intérêts des structures.  En revanche, vous n'avez pas le droit de nier la sincérité et l'engagement de ces milliers de citoyens. Un engagement sur des lignes politiques et sociales qui sont profondément inscrites dans l'ADN de vos structures syndicales.

Mercredi, des milliers de personnes marcheront devant vos camions et vos sonos en chantant qu'ils veulent la révolution et qu'ils veulent combattre le capitalisme. Et nombre de ces manifestants seront prêts à mettre leur corps et leur vie en jeu pour cet espoir. En face, un pouvoir toujours plus répressif et totalitaire va frapper, mutiler et interpeller aveuglément toutes les personnes présentes dans cet espace "non maitrisé" et profondément subversif. En cinq mois, le pouvoir a déjà blessé 2 500 manifestants, tiré 5 000 grenades et 14 000 LBD et incarcéré 9 000 personnes. Des journalistes présents au plus près de ces dérives ont payé le prix cher. De nombreuses ONG dénoncent cette dérive totalitaire, tout comme l'ONU.

Mercredi donc, vous allez vous retrouver face à un choix simple mais qui impactera durablement le paysage de la lutte sociale en France : accompagner et aider les milliers de citoyens qui battront le pavé devant vous, qu'importent leurs origines et leurs pratiques. Ou faire le choix de les laisser prendre de la distance pour permettre à la police de les séparer de vous. Pour les "maitriser". Ce choix marquera pour longtemps votre attitude et votre positionnement, tout autant face au pouvoir que face aux citoyens en lutte en dehors de vos structures.

Vos syndicats sont encore porteurs d'un espoir fort, celui de réussir à faire basculer le rapport de force du côté des précaires et des laissés pour compte, notamment grâce à une grève générale et des blocages. Des millions de Français gardent en tête les victoires des décennies passées. Mais les stratégies des dernières années sont également bien en mémoire, aussi bien dans la gestion des mouvements sociaux avec les différents gouvernements que dans la gestion des initiatives prises par vos bases syndicales, devenues aux yeux de vos dirigeants trop radicales et indisciplinées. Mais ce sont bien vos dirigeants qui ne sont plus assez radicaux et qui ne sont plus prêts à une vraie lutte de classes.

Mercredi donc, vos syndicats ont rendez-vous avec les GJ. Tout autant qu'ils ont rendez-vous avec l'Histoire. Avec leur histoire. Le monde évolue. Les luttes sociales aussi. Que certains dans leurs hautes sphères syndicales craignent ce changement pour leur poste bien confortable, c'est légitime. Mais cela ne doit pas vous empêcher de vous lancer dans la rencontre avec les autres  citoyens qui battront le pavé, selon des modalités nouvelles pour vous mais qui n’empêchent en rien l'échange et le respect. Faites quelques pas en avant, venez rencontrer ces personnes dans le cortège de tête. Venez leur parler. Venez même chanter et danser avec eux.  Et vous verrez à quel point on se sent plus vivant dans un cortège de milliers de personnes qui crient et qui chantent sans sono ni tambours.

L'autre option, c'est de refuser la différence et le changement, en laissant la police nasser les manifestants devant vous. Mais gageons que vous n'en sortirez pas gagnant. Le seul à sortir gagnant de cette stratégie serait le pouvoir politique et financier. Il serait alors difficile de continuer à croire que les syndicats luttent contre la finance et son monde.

Crédit photos : Le Désastre / Jérémie Rozier

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