manifestation 17 décembre grève générale contre la réforme des retraites et son monde

Ni derrière ni devant, au milieu

Et si la meilleure tactique qu’on pouvait apporter à la manif nationale de mardi c’était de n’être ni devant ni derrière, mais au milieu. Toutes et tous dans le même bateau. Faire bloc commun plutôt que cortège de tête, pour que puissent jaillir toutes les potentialités. Voici une contribution qu’on publie volontiers, un appel à renouveler la configuration des manifs et qui sait, permettrait de créer la surprise qui saura faire reculer l’Etat sur sa réforme phare tous ensemble, d’un même pas, d’un même bloc.

Ni derrière ni devant, au milieu

Dans l’histoire des manifs, les plus radicaux étaient normalement relégués en queue de cortège. Depuis 2016, en France, lassés de suivre des ballons-rond-ronron, des travailleurs, des précaires, des chômeurs, des étudiants ont inventé le cortège de tête. A savoir, casser les codes établis par les Centrales Syndicales et leurs services d’ordre, rompre avec le rituel des manifs encadrées, gnangnan et aux slogans surannés.

Cette idée, cette dynamique collective a eu de l’effet et s’est démontrée gagnante au printemps 2016, comme elle a connu quelques succès dans certains moments de lutte dans les années suivantes. Mais elle a aussi montré ses limites : face à un cortège de tête déterminé, l’Etat déploie désormais un arsenal répressif absolument démesuré, impossible à contrecarrer dans un face-à-face ou un côte-à-côte. Surtout sur des avenues vidées de voitures et de passants, les commerces fermés, laissant face à face dans ce désert urbain policiers et manifestants.

Alors, que faire ? Dans l’histoire des mouvements populaires insurrectionnels, il apparaît que ce sont les masses qui font l’histoire. Les personnes qui prennent conscience des grands enjeux de société, qui s’organisent entre eux, qui prônent et mènent le combat ne peuvent pas gagner sans un soutien massif de la population, y compris dans la rue.

Ni derrière ni devant, au milieu, fondus parmi les masses. Politiquement, stratégiquement, pratiquement. Depuis 2016 en France, c’est quand des masses, des foules, des milliers et des milliers de grévistes et de manifestants se sont exprimés pour dire leur ras-le-bol de cette société classiste, sexiste, raciste, que le Pouvoir a vacillé. C’est quand des milliers et des milliers de personnes n’ont pas reculé devant les CRS au printemps 2016 contre la réforme du droit des travailleurs que le Pouvoir a pris peur. C’est quand des milliers de Gilets Jaunes ont envahi les Champs Elysées et les beaux-quartiers en décembre 2018, parmi les bourgeois résidants et les touristes ahuris, que le Pouvoir a paniqué. C’est quand des milliers et des milliers de Gilets Jaunes, le 16 mars 2019, ont fait bouclier face aux CRS pour les empêcher d’attraper les « casseurs » que le Peuple a triomphé. Aussi, c’est quand des perturbateurs se sont fondus dans la foule des Halles, le 16 novembre et le 7 décembre 2019 derniers, que le dispositif policier a été dépassé (mais pas le jeudi 12 décembre, téléphoné).

La surprise. Quand les révolutionnaires arrivent à niquer le Pouvoir, c’est quand les salopards n’ont pas vu venir précisément. Un constat et peut-être une règle de comportement : se fondre dans la masse, agir avec les masses. De toute façon, ce sont les ouvriers de la RATP, de la SNCF, des transports, des raffineries, des hôpitaux, des plateformes de distribution, et tous les précaires, étudiants et chômeurs qui peuvent faire plier ce Gouvernement et abattre le système capitaliste et inhumain que nous subissons. Comme avec le mouvement des Gilets Jaunes, il faut être dedans, intérieur au mouvement, au milieu des manifestants.

Le mardi 17 décembre, comme depuis le 5 décembre et la grève illimitée déclenchée par les ouvriers RATP, SNCF, Education Nationale et autres travailleuses et travailleurs en lutte, ce n’est pas seulement pour défendre un régime de retraite juste et digne qu’il s’agit de lutter, mais pour un autre système social, d’autres temps et formes de vie désirables.

Soyons parmi nos collègues, nos amis, nos camarades, pour revendiquer « un monde meilleur pour l’honneur des travailleurs ». Et si des groupes plus déter que d’autres feront de l’autodéfense anticapitaliste et antiautoritaire, le Peuple pourra les protéger.

Venez comme vous êtes, en jaune, en rouge, en mauve, en noir ou en vert. Des slogans, des regards, des sifflotements, des connaissances nous rassembleront.

Un grève qui rêve déjà grave de son Noël...

Sur Paris le rdv est donné mardi à 11H30 à République, départ 13H30


la révolte domestiquée ?

LA RÉVOLTE DOMESTIQUÉE ?

Mardi dans Paris, le mouvement social a connu une journée très étrange. Bien que plus faible que la journée historique du 05 décembre, la mobilisation était encore exceptionnellement forte (plus de 100 000 personnes dans la capitale). La détermination plus que jamais présente. L'espoir aussi. Un cortège de tête de plusieurs milliers de personnes. Et pourtant.... mardi, le pouvoir n'a pas tremblé. Il n'a même pas semblé sous pression. En témoigne la réponse d'Edouard Phillipe le lendemain, qui, non seulement confirme la réforme mais va même encore plus loin.

Mardi, pour la première fois, on a vu un black bloc de plusieurs centaines de manifestants marchant tranquillement de Montparnasse à Denfert en étant constamment entouré de policiers. Une nasse mobile. Si la tactique avait déjà été éprouvée sur la fin des manif contre la loi Travail en 2016, c'est la première fois qu'elle a été aussi imposante et qu'elle s'est passée sans la moindre contestation. Un an plus tôt, pour l'acte 3, les Gilets Jaunes étaient deux fois moins nombreux dans Paris (8 000 selon la préfecture mais probablement 30 à 40 000). Mais ce jour là, le gouvernement était en alerte maximale. Voire en panique.

On se rappelle que c'est entre autre le fait de n'avoir pas voulu se faire fouiller aux check points de la police qui avait permis de sortir du cadre prévu par la préfecture et de regrouper puis d'éparpiller ainsi plein de groupes révoltés dans les quartiers bourgeois.

Ce n'est pas tant le degré de violence qui interroge que le respect bien sage des règles édictées par le pouvoir pour exprimer sa contestation. Car ces règles sont évidemment faites pour que le pouvoir ne soit pas dérangé. Or, depuis plusieurs mois, l'envie est claire de déranger le système, de le faire dérailler, de le changer. De plus en plus de personnes se lèvent face à ce monde abject qui se construit pour le compte de quelques privilégiés au détriment des autres et de la planète.

Gj, écolos, étudiants et même syndicalistes : rarement il n'y avait eu en France et dans le monde autant d'appel à la rébellion. Difficile dans ce paysage là de comprendre l'apathie de la manif parisienne du 10 décembre.

Bien sûr, la répression ultra violente et aveugle du pouvoir peut être une des raisons. Bien sûr que le cordon de policiers qui entoure tout le cortège de tête a dû refroidir certains manifestants. Aussi, deux éléments clés ont fait récemment leur entrée du coté de la répression : La reconstitution des équipes de voltigeurs (appelés les bravm) qui avaient été dissouts après le meurtre de Malik Oussekine et la promulgation de la loi dite "anti-casseur" qui punit le simple fait d'avoir sur soi un masque de protection pour les gaz. D'un coté une tactique meurtrière offensive et de l'autre la soustraction des moyens de défense des manifestants face aux attaques de la police.

Il n’empêche : être des dizaines de milliers ensemble, dans la rue, et dans une colère commune, devrait donner la force de refuser d'être traités comme des moutons qu'on amène d'un point A à un point B. Laisser la police entourer et guider les manifestants, c'est leur accorder une ascendance sur nos vies et nos luttes.

Comment un cortège qui combat l'oppression et la répression policière peut se laisser guider par ces mêmes policiers qui ont autant mutilé, blessé et tué ?

On l'a encore vu mercredi avec les annonces d'Edouard Phillipe, ce pouvoir ne jure que par et pour les plus forts. Ils ne donnera rien au plus faible.

Ce que les plus faibles obtiendront, ce sera en le prenant et non en le réclamant gentiment. Au Chili ou à Hong Kong, les manifestants ne suivent pas les ordres de la police qui leur dirait quelle rue emprunter et à quel rythme marcher. Si nous laissons ces agressions permanentes faire loi et les bottes policières s'essuyer sur nos libertés fondamentales le futur sera terrible.

En tout cas, si cette pratique de la nasse mobile du cortège de tête persiste, c'est probablement la fin même du cortège de tête. Car mardi, il y avait souvent plus de vie et de joie à l'arrière du cortège de tête, voir même au début du cortège syndical, là où il n'y avait pas de policiers. Et c'est assez logique : comment être léger et joyeux quand on marche juste à côté de policiers ultra armés et menaçants. Ces mêmes policiers ayant blessés et mutilés des manifestants depuis des mois. On ne peut pas manifester dignement en étant en permanence menacé de leur LBD et lacrymo.

A travers ce constat, l'idée n'est pas d'inciter à la violence. Mais c'est un constat : ce cortège de tête était l'un des plus apathique et triste de l'histoire. Et la présence proche et intrusive de la police y est sans aucun doute pour beaucoup. La préfecture a été totalement satisfaite de cette journée du 10 décembre. Il y a donc fort à parier qu'elle reconduira cette technique. Manif après manif, le cortège de tête pourrait devenir de moins en moins un espace de liberté et d'expression, mais l'endroit où on marche entouré de policiers. Jusqu'à n'être plus assez massif pour exister.

Mardi, il y aurait pourtant eu des espaces d'expressions et de rebellions possibles pour empêcher cette marche mortifère : refuser d'avancer tant que la police ne se retire pas, ou encore entourer les policiers de manifestants les mains levés, comme l'ont fait les pompiers le 05 décembre, décider de repartir en sens inverse ou même refuser de rentrer dans le parcours et continuer à manifester par groupe tout autour... En bref, trouver un moyen de faire l'inverse de ce que le dispositif attendait des manifestants.

Qu'on se le dise. Ce gouvernement n'est pas impressionné par les manifestations de masse. Il peut très bien attendre qu'elles se tassent, que les gens s'épuisent et qu'ils n'aient plus suffisamment d'argent pour continuer les jours de grève. Nous vivons un moment historique de convergence des ras le bol. Nous avons le nombre, nous tenons la grève, nous ne pouvons pas tout laisser filer dans le calme et l'apathie. Le moment est idéal pour libérer nos passions, pour faire exploser nos désirs qui sont jour après jour gommés par le mode de vie capitaliste. Réinventer ce monde ne se fera pas sans exulter, pas sans se laisser la place pour rêver et pas sans détruire le système garant de l'ordre bourgeois.

Nous entendions récemment un gréviste dire au secrétaire d’Etat aux Transports venu sur un piquet de grève : "Vous bossez pour le CAC 40, et ceux qui produisent les richesses vous les laissez crever". Sauf que si l'on continue de produire des richesses ainsi tels des machines, si nous continuons tranquillement à revendiquer des améliorations de travail ou de retraite, nous n'obtiendrons rien, car nous continueront à jouer à la table de ceux qui ont les cartes en mains. Afin de rebattre le jeu, nous devons avoir un coup d'avance, être là où on ne nous attend pas. Ce mouvement social doit dépasser la simple question de la sauvegarde du système de retraite. Honnêtement... Si nous sommes là c'est pour un tas de raisons, et la réforme n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Comme la taxe carburant en novembre dernier qui entraina le mouvement des gilets jaunes. Alors débordons, sinon nous coulerons.

"Il n'y aura pas de retour à la normale car la normalité était le problème". (Slogan vu au Chili, où la contestation sociale et la répression barbare a complétement changé les mentalités)


Pendant la grève, réenchantons nos vies !

Cette grève s'annonce énorme. Et nous avons tous intérêt à ce qu'elle fasse plier le gouvernement pour ne pas finir plus pauvre qu'au départ. Une grève, massive et reconductible, c'est aussi notre quotidien qui est totalement chamboulé. Nos vies professionnelles et personnelles vont forcément être bousculées, qu'on soit gréviste ou non. On peut le subir. Mais on peut surtout en profiter pour vivre autrement, faire de ces prochains jours un terrain de jeux, de rencontres, d'amour. Transformer le quotidien banal en actes de solidarité, se remettre à parler avec les gens qu'on ne fait que croiser dans les gares...

 

Tout reste à écrire. Tout reste à faire. Mais voici déjà quelques pistes pour que ce mouvement dépasse le simple cadre de la grève et des manif, pour tenter de changer nos vies et de faire durer le mouvement :

 

- organiser des garderies dans les gares avec les cheminots
- Mettre un stand de café dans les gares le matin fait par des usagers pour les usagers pour discuter
- Faire des concerts gratuits et surprises
- Organiser une cantine en mode nuit debout
- Faire un pique nique sur les rails
- faire des ateliers de défense numérique dans les gares
- Faire des petits blocages partout comme au début des GJ pour déstabiliser le pouvoir dans sa gestion de crise
- introduire des bugs dans la matrice, perturber le fonctionnement normal du trafic et des échanges (de flux, de marchandises, de personnes).

 

Ce n'est qu'une toute petite liste qui ne demande qu'à être complétée, et surtout, mise en pratique. Et cela peut commencer dans les prochaines heures !


Au delà de la grève. Au delà des clivages.

Les prochains jours vont être déterminants pour l'avenir de notre société. Ce qu'il va se jouer dépasse largement le cadre, déjà important, de la réforme des retraites. Ce qui se joue dans les prochaines semaines, c'est le paysage politique et social du pays. C'est la possibilité d'un changement radical. D'une révolte. Voire au delà.

Mais même si la mobilisation de jeudi sera, sans aucun doute, massive. Même si le pays sera en grande partie bloqué. Même si les grèves seront reconduites les jours suivants : il va falloir bien plus pour renverser le système.

Car ce qu'il risque de se passer, c'est que tous ceux qui ont des intérêts au statut quo du système politique actuel vont avancer leurs pions en ce sens.

Ainsi, nul doute que le pouvoir va tenter de présenter la grève comme un mouvement de gauche, d'en faire une énième grogne dans un rapport de force classique face aux syndicats et aux partis de gauche.

Si le pouvoir réussit, avec l'aide des médias, à faire croire cela au plus grand nombre, il aura gagné ! Car les puissants seront alors face à des rapports de force qu'ils savent gérer. Les syndicats aussi pourraient tirer leur épingle du jeu et en profiter à titre "individuels". Les vrais perdants seraient ceux qui se battent depuis des mois pour une société plus juste et n'ont que faire des partis politiques, de gauche comme de droite.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Macron incarne cet éclatement du schéma ancestral "gauche / droite". Il a été élu président grâce à cet éclatement. Au final, il représente froidement la réalité politique du moment : ni de gauche, ni de droite, simplement au service des puissants. Mais, en stratège qu'il est, Macron va tenter de faire renaitre artificiellement ce clivage uniquement pour diviser la colère des Français, et espérer qu'une partie de ceux qui ne se sont jamais sentis "de gauche" ne rejoignent pas les différentes "actions" liées à la grève générale et illimité.

Plus que jamais, il est donc vital de réaffirmer que la révolte sociale qui secoue le pays depuis plus d'un an est une révolte qui n'est pas le fait de partis (ni de gauche, ni de droite) ni de syndicats. Qu'au sein de cette révolte, certains GJ se sentent de gauche, d'autre de droite. Que certains sont syndiqués. Mais que tous se retrouvent dans l'envie de renverser un pouvoir qui méprise les citoyens de seconde zone, ceux qui, aux yeux de la Macronie, ne sont rien et n'ont rien réussi. Ces millions de personnes en ont marre et ont pris conscience de leur force collective, qui s'exprime notamment dans leur différence et dans le respect de ces différences. Ces millions de personne ont pris conscience qu'une autre vie était possible. Que l'horizon gris et morose qu'on nous présente comme inévitable n'est plus une fatalité.

A travers la réforme des retraites, c'est un choix de société qui se profile. Ce pouvoir (et ceux d'avant) précarise nos vies à toutes leurs étapes : naissance, études, travail, retraite... Lutter pour une retraite digne, c'est lutter pour la dignité. Comme lutter pour des études dans la dignité. Pour un travail dans la dignité.

L’épouvantail du manque d'argent de notre pays qui courrait à sa perte n'est qu'une vaste blague dans un monde où les milliardaires ne font qu'augmenter (et devenir eux même de plus en plus riches). L'argent, on sait tous où il est. Et on sait tous comment mieux le répartir. Ce ne sont pas aux retraités ou aux enseignants de se serrer la ceinture quand quelques milliers de privilégiés se gavent sur le dos des peuples et de la planète.

Pour toutes ces raisons, il est crucial que dès le 5 décembre, tous les citoyens en colère, tous ceux qui sont descendus au moins une fois dans les rue depuis un an, toutes ces forces vives se retrouvent pour lutter. En manif déclarée, en manif sauvage, en blocage, en occupation. Qu'importe.

Dans un second temps, le samedi 07 décembre, il faut que toutes les forces en lutte convergent dans les différentes manif de Gilets Jaunes dans toute la France : étudiants, retraités, pompiers, cheminots... les GJ, qu'importe leur profession et leur statut, ont toujours accompagné les luttes depuis un an. Aujourd'hui, c'est ensemble qu'il faut lutter. Jeudi, les GJ seront dans la rues aux côtés des syndicats. Samedi, c'est à tous ceux qui luttent de rejoindre les GJ. Car GJ n'est ni une profession ni un parti ni un syndicat, simplement un signe de ralliement pour tous ceux qui ont décidé de refuser la fatalité de la précarité. Et refuser les anciens cadres de luttes qui ont été totalement mis en échec par un gouvernement qui en connait trop bien les rouages.

Plus que jamais, sachons dépasser les clivages du vieux monde, sachons déborder, sachons lutter avec nos différences.


On va faire simple !

« Giletjauner la grève, c’est en finir avec les finasseries. »

Tout est très simple. C’est ça l’esprit gilet jaune. Macron dit de venir le chercher ; on va le chercher à l’Elysée. L’État nous rackette sur les routes ; on pète les radars. On en a marre de tourner en rond chez soi ; on occupe les ronds points. BFM ment ; BFM s’en mange une. On veut se rendre visibles ; on met le gilet fluo. On veut se fondre à nouveau dans la masse ; on l’enlève. Les gilets jaunes, c’est le retour de l’esprit de simplicité en politique, la fin des faux-semblants, la dissolution du cynisme.

Comme on entre dans la grève, on en sort. Qui entre frileux dans la grève, sans trop y croire ou en spéculant à la baisse sur le mouvement, comme le font toujours les centrales même lorsqu’elles font mine d’y appeler, en sort défait. Qui y entre de manière fracassante a quelque chance de fracasser l’adversaire.

La grève qui vient - cela se sent dans la tension qu’elle suscite avant même d’avoir commencé - contient un élément magnétique. Depuis des mois, elle ne cesse d’attirer à elle plus de gens. Ça bouillonne dans les têtes, dans les corps, dans les boîtes. Ça craque de partout, et tout le monde craque.

C’est que les choses sont simples, en fait : cette société est un train qui fonce au gouffre en accélérant. Plus les étés deviennent caniculaires, plus on brûle de pétrole ; plus les insectes disparaissent, plus on y va sur les pesticides ; plus les océans se meurent dans une marée de plastique, plus on en produit ; plus les gens crèvent la gueule ouverte, plus les rues regorgent de publicité pour des marques de luxe ; plus la police éborgne, plus elle se victimise.

Au bout de ce processus de renversement de toute vérité, il y a des Trump, des Bolsonaro, des Poutine, des malins génies de l’inversion de tout, des pantins du carbofascisme. Il faut donc arrêter le train. La grève est le frein d’urgence. Arrêter le train non pas pour le redémarrer après trois vagues concessions gouvernementales. Arrêter le train pour en sortir, pour reprendre pied sur terre ; on verra bien si on reconstruit des rails qui ne passent pas, cette fois, à l’aplomb du gouffre.

C’est de ça que nous aurons à discuter dans les AG, de la suite du monde pas de l’avancée des négociations. Dans chaque métier, dans chaque secteur, en médecine, dans l’agriculture, l’éducation ou la construction, quantité de gens inventent ces dernières années des techniques et des savoirs pour rendre possible une vie matérielle sur de tout autre bases. Le foisonnement des expérimentations est à la mesure de l’universel constat du désastre. L’interruption du cours réglé du monde ne signifie panique et pénurie que pour ceux qui n’ont jamais manqué de rien.

En avril 1970, quelques jours avant le première journée de la Terre, le patron de Coca Cola déclarait : « Les jeunes de ce pays sont conscients des enjeux, ils sont indignés par notre insouciance apparente. Des masses d’étudiants s’engagent et manifestent. Je félicite nos jeunes pour leur conscience et leur perspicacité. Ils nous ont rendu service à tous en tirant la sonnette d’alarme. » C’était il y a cinquante ans. Aujourd’hui, la fille d’Edouard Philippe est dans Extinction Rébellion.

C’est par de tels discours, entre autres, que les capitalistes, d’année en année, ont gagné du temps, et donc de l’argent ; à la fin, ils ont gagné un demi-siècle, et nous l’avons perdu. Un demi-siècle à surseoir à la sentence que ce système a déjà prononcé contre lui-même. A un moment, il faut bien que quelqu’un l’exécute. Il faut bien que quelqu’un commence. Pourquoi pas nous, en France, en ce mois de décembre 2019 ?

Giletjauner la grève, c’est en finir avec les finasseries. La grève part du hold-up planifié sur les retraites ; elle ne s’y arrête pas. A quoi ressemblera ta retraite si ton compte en banque est plein, mais la terre en feu ? Où iras-tu à la pêche lorsqu’il n’y aura plus de poissons ? On parle d’une réforme qui s’étale sur vingt-trente ans : juste le temps qu’il faut pour que ce monde soit devenu invivable. « Pour l’avenir de nos enfants », disaient les GJ depuis le départ.

Cette grève n’est pas un temps d’arrêt avant de reprendre le traintrain, c’est l’entrée dans une nouvelle temporalité, ou rien. Elle n’est pas un moyen en vue d’obtenir un recul de l’adversaire, mais la décision de s’en débarrasser et la joie de se retrouver dans l’action ou autour d’un brasero. Partout dans le monde, en ce moment, des insurrections expriment cette évidence devenue enfin consciente : les gouvernements sont le problème, et non les détenteurs des solutions.

Depuis le temps qu’on nous bassine avec « les bons gestes et les bonnes pratiques » pour sauver la planète, tous les gens sensés en sont arrivés à la même conclusion: les bons gestes, c’est dépouiller Total, c’est prendre le contrôle des dépôts de carburants, c’est occuper Radio France et s’approprier l’antenne, c’est exproprier tous les bétonneurs. Les bonnes pratiques, c’est assiéger les télés, c’est couler les bâtiments des pêcheries industrielles, c’est reboucher le trou des Halles, c’est tout bloquer et reprendre en main ce qui mérite de l’être.

C’est la seule solution, il n’y en a pas d’autre : ni la trottinette électrique, ni la voiture à hydrogène, ni la géo-ingénierie, ni la croissance verte et les drones-abeilles ne tempéreront la catastrophe. Il n’y aura pas de transition, il y aura une révolution, ou plus rien. C’est tout le cadre qu’il faut d’abord envoyer balader si nous voulons trouver des « solutions ». Il faut briser la machine si l’on veut commencer à réparer le monde. Nous sommes enfermés dans un mode de vie insoutenable. Nous nous regardons vivre d’une manière que nous savons absurde. Nous vivons d’une manière suicidaire dans un monde qui n’est pas le nôtre.

Jamais on ne nous a demandé notre avis sur aucun des aspects tangibles de la vie que nous menons : ni pour les centrales nucléaires, ni pour les centres commerciaux, ni pour les grands ensembles, ni pour l’embourgeoisement des centres-villes, ni pour la surveillance de masse, ni pour la BAC et les LBD, ni pour l’instauration du salariat, ni pour son démantèlement par Uber & co., ni d’ailleurs pour la 5G à venir. Nous nous trouvons pris en otage dans leur désastre, dans leur cauchemar, dont nous sommes en train de nous réveiller.

Plus les choses vont et plus un schisme s’approfondit entre deux réalités. La réalité des gouvernants, des medias, des macronistes fanatisés, des métropolitains satisfaits ; et celle des « gens », de notre réalité vécue. Ce sont deux continents qui s’écartent de mois en mois. La grève qui vient sonne l’heure du divorce. Nous n’avons plus rien à faire ensemble. Nous n’allons pas nous laisser crever pour vos beaux yeux, pour vos belles histoires, pour vos belles maisons. Nous allons bloquer la machine et en reprendre le contrôle point par point. Nous sommes soixante millions et nous n’allons pas nous laisser mourir de faim.

Vos jours sont comptés ; vos raisons et vos mérites ont été pesés, et trouvés légers ; à présent, nous voulons que vous disparaissiez. Ça fait quarante ans que nous positivons ; on a vu le résultat. Vous vous êtes enrichis sur notre dos comme producteurs puis comme consommateurs. Et vous avez tout salopé.

Pour finir, nous avons compris que la destruction des conditions de la vie sur terre n'est pas un effet malheureux et involontaire de votre règne, mais une partie de votre programme. Pour vendre de l’eau en bouteille, il faut d’abord que celle du robinet cesse d’être potable. Pour que l’air pur devienne précieux, il faut le rendre rare.

Depuis le temps que les écologistes disent qu’une bifurcation est urgente, qu’il faut changer de paradigme, que nous allons dans le mur, il faut se rendre à l’évidence : cette grève est l’occasion, qui ne s’est pas présentée en 25 ans, d’engager la nécessaire bifurcation. Le moyen sérieux d’en finir avec la misère et la dévastation.

La seule décroissance soutenable. Seul un pays totalement à l’arrêt a quelque chance d’afficher un bilan carbone compatible avec les recommandations du GIEC. La seule ville redevenue un peu vivable, c’est celle où les flâneurs refleurissent sur les trottoirs parce que le métro est à l’arrêt. La seule bagnole admissible, c’est celle où l’on s’entasse à six à force de prendre des autostoppeurs.

« Il n’y aura pas de retour à la normale ; car la normalité était le problème »

Texte à retrouver sur Lundi Matin


Flics black bloc : A qui profite l'intox?

La mécanique avait déjà été actionnée après l'acte 45. Mais cela va aujourd'hui bien plus loin. De nombreuses personnalités, des médias alternatifs, des soutiens aux GJ et des GJ eux mêmes clament depuis dimanche que la police serait responsable de nombreuses dégradations de la Place d'Italie et/ou que celle-ci laisserait volontairement faire des manifestants casseurs.Deux séquences ont été très largement utilisées pour valider cette thèse. Les deux sont fausses :

Sur une vidéo, on voit trois hommes en noir passer à travers un cordon policier, en criant "C'est la BAC" . En fait, il s'agissait de deux policiers en civil (donc effectivement en tenue type BB), qui venaient d'interpeller un manifestant (celui du milieu). Des vidéos le prouvent.

L'autre séquence prétend que la personne ayant détruit la stèle du maréchal Juin serait un gendarme. Avec comme preuve, des photos de ce même manifestant posant à côté d'une personne avec un bouclier "Gendarmerie". Là encore, c'est totalement faux : ce bouclier est tombé suite à la confusion lorsque des manifestant ont réussi à sortir de la nasse en forçant un barrage. Ce bouclier s'est retrouvé dans une manif sauvage, et plusieurs manifestants ont posé avec.

Sur ces deux cas, CheckNews (de Libération) a fourni un gros travail de vérification qui ne laisse aucune place au doute. Les liens en commentaires.

Au final rien de bien nouveau ici : oui, il y avait probablement des flics infiltrés samedi à place d'Italie, il y en a toujours eu. Oui, il est très probablement arrivé que des flics cassent en manif. Mais non, ce ne sont pas eux qui sont responsables de la majorité des dégradations.

On se demande alors qui a intérêt a propager ce discours et cette suspicion. Et c'est là que toute cette déferlante anti BB/flics infiltrés devient très dangereuse pour le mouvement. Car les seuls à avoir intérêt à ce que la plupart des manifestants pensent que les BB sont des flics, c'est le pouvoir. Car la casse est l’une des expression de la colère sociale. Faut-il rappeler que sur les actes GJ ayant vu le plus de dégradations (vitrines brisées, voitures incendiées, police attaquée) ont été les premiers actes, alors qu'il n'y avait aucun manifestant en kway noir ? C'est à ce moment là que le pouvoir a vraiment tremblé. Il a aussi été inquiété le 16 mars, lorsque des milliers de manifestants en jaune ont exprimé leur colère sur les Champs avec des centaines de personnes en noir. Le pouvoir ne redoute rien de moins qu'une solidarité entre tous les citoyens en colère. Pour éviter cette jonction, il faut stigmatiser la frange la plus offensive. Et puisque le côté "violent" ne marche plus, de nombreux citoyens comprenant que la vraie violence est sociale, que la précarité tue, alors, le pouvoir n'a plus comme carte que celle de faire passer ces manifestants pour des "agents infiltrés".

De Hong Kong au Chili en passant par l’Iran, ce sont les mêmes gestes émeutiers destinés à ébranler le pouvoir et son ordre inégalitaire. L’intrusion de flic dans cette histoire n’est qu’anecdotique, sensationnaliste et a pour but de créer de la confusion dans les rangs de ceux qui ont intérêt à destituer le pouvoir pour un avenir meilleur.

Aussi, au delà du fait que cela soit faux, prétendre que toutes les dégradations sont le fait de policiers, c'est nier les milliers de personnes qui depuis des mois ont mis leur corps en jeu dans cette révolte. Ceux qui en ont payé le prix fort, aussi bien juridiquement que physiquement. Christophe Dettinger n'était pas un flic infiltré. Ceux qui ont défoncé la porte d'un ministère avec un transpalette non plus. Bref, participer à cette construction fantasmatique, c'est invisibiliser ceux qui ont fait le choix de se battre pour une société plus juste, y compris par des moyens offensifs et dangereux pour eux.

On l’a bien vu dans les soulèvements aux quatre coins du monde. C’est bien en partie la destruction des symboles d’un système en place, banques, grandes surfaces, assurance, statues du pouvoir, etc, qui a permis de stopper les réformes neo libérales.

Le fait qu’elle se fasse masquée est une emmerde pour les enquêtes policières. D'ailleurs, les GJ l'ont bien compris. Face aux nombreuses images qui circulent après chaque manif, face aux arrestations massives et aux condamnations (parfois pour simple fait d'avoir été présent sur une manif sauvage), de plus en plus de manifestants font le choix de s'anonymiser au plus possible. Et pour cela, rien de mieux que de s'habiller en noir et de se couvrir le visage. C'est une simple tactique. Cela ne veut pas dire que des GJ sont devenus BB. Ou que les BB ont infiltré les GJ. Et s'il y a moins de gilets jaunes dans les manifs, surtout à Paris, c'est tout simplement parce qu'il y a eu des centaines (milliers) de GAV pour simple port d'un GJ (ou même l'avoir dans son sac à dos). Certains ont même reçu des amendes ! Donc oui, quand on criminalise à ce point la contestation sociale, il ne faut pas s'étonner que de plus en plus de personnes adopte les techniques minimisant les risques d'être victimes d'arrestations et de condamnations !

Aussi le masque permet de projeter les pires fantasmes. Et la police ne s’en prive pas pour transformer l’expression d’une colère sociale en acte soit disant barbare et non assumé, donnant ainsi les éléments de langage à la pensée bourgeoise qui n’imagine pas qu’on puisse vouloir s’en prendre à la société inégalitaire qu’elle a construite. On le sait, le masque est à double tranchant. A la fois fantasme pour véhiculer une détestation et en même temps véritable tactique efficace pour ne pas être identifiable par la police de l’ordre bourgeois.

Plus que jamais, il convient donc de casser cette construction de flic BB et cette opposition entre bon manifestant et mauvais. Ce qui est mauvais, c'est cette société. Ce qui est bon, c'est notre solidarité et le respect de nos différences. Et c'est seulement cela qui pourra faire vaciller le système.


Amer Anniversaire

Une sorte de brouillard plane en ce début de semaine. Difficile d'y voir clair sur ces trois jours de festivités et de luttes. De savoir s'il s'agit d'une victoire pour les GJ ou pour le pouvoir. Sûrement aucune des deux. En tout cas, du côté des défaites, on peut clairement y mettre la démocratie et la liberté.

Si le pouvoir nous a habitué a pousser toujours plus loin la violence et l'arbitraire, ce weekend d'anniversaire est encore allé plus loin dans le délire totalitaire qui se met en place, insidieusement. Liste non exhaustive en fin d'article.

Le pouvoir et les médias ne parlent que des événements de la place d'Italie, et ce, uniquement sous le prisme des fameux "débordements". La belle affaire. Sauf que le pouvoir a tout fait pour empêcher tout autre événement : concerts, maison du peuple, happening... Tout a été sauvagement réprimé, et pas seulement les actions dites "offensives". Macron et Castaner poussent les citoyens à un choix particulièrement dangereux : accepter d'exprimer sa colère dans des manifestations totalement inoffensives et que le pouvoir n'écoute pas, ou entrer dans le "camp" adverse (selon les mots du préfet Lallement). Tout opposant sortant du cadre imposé par les puissants est désormais considéré comme un ennemi d'Etat (à l'image des prélèvements ADN à la Maison du Peuple).

Cette nouvelle doctrine trouve son illustration Place d'Italie, entre 12h et 14H : la préfecture, totalement débordée et surprise des actions offensives du matin, décide d'annuler la manifestation. Mais elle force des centaines de manifestants arrivés dans le quartier (et qui n'avaient pas l'info de l'interdiction) à entrer sur la place. Pour ensuite les empêcher d'en sortir, pendant plusieurs heures, le tout sous des centaines de lacrymo, de grenades de désencerclement et de charges ultra violentes.

Le message est clair : "Vous venez sur une place où il y a des GJ qui cassent ou brûlent. Vous êtes donc solidaire de cette violence inacceptable. Et vous allez en payer le prix. Vous êtes les ennemis de la France. Et nous allons vous traiter de la sorte."

Avec un double objectif : dissuader les manifestants de revenir à de futures manif GJ (car il y en aura encore et encore). Et casser la popularité du mouvement auprès des citoyens encore solidaires de cette révolte sociale.

Qu'on se le dise : la préfecture n'a pas planifié tout cela à l'avance comme certains ont pu le prétendre. Les autorités ne pensaient pas que les éléments les plus déterminés viendraient à cette manif. Personne ne l'avait vraiment prévu. Pas même une fantasmatique "internationale des Blacks Blocs". Non, ce qu'il s'est passé, c'est que plusieurs GJ, notamment de province, sont arrivés assez tôt sur Paris. Les Champs étant totalement barricadés, et vu l'expérience du 21 septembre, certains ont décidé d'aller sur le lieu de la manif déclarée, plusieurs heures en avance. Parmi ces GJ, quelques uns ont commencé à monter des barricades sur une place remplie d'objets de chantier. Un petit feu a été allumé. Les images ont très rapidement tourné. Et donc les GJ les plus déterminés ont eu la tentation de venir rejoindre la place. Le temps que la préfecture s'en rende compte, plus de 3 000 manifestants étaient Place d'Italie, plus d'une heure avant le début de la manif. Des barricades, des feux, des voitures renversées. Tout cela sans que la police ne soit en mesure d'intervenir.

En revanche, une fois que les forces de police étaient arrivées en force place d'Italie, les manifestants se sont retrouvés nassés et il n'y a quasiment plus eu de dégradation. Pourtant, c'est seulement à ce moment là que le carnage a commencé. Pendant des heures, la police a littéralement agressé les manifestants présents sur la place, et totalement coincés. Sans aucun discernement, sans même chercher à arrêter ceux qui avaient commis des dégradations. Non, il s'agissait de terroriser et punir ceux qui étaient présents. La terreur. On pourra noter d'ailleurs que ceux qui auront le plus souffert de cette terrible décision des autorités sont les personnes venues sans protection (et donc, logiquement, celles les moins à même d'avoir commis d'actes offensifs).

Cette attitude n'est pas une surprise pour ceux qui suivent et vivent les luttes sociales en France depuis plusieurs mois. Il n’empêche, un nouveau cap a été franchi. Les médias mainstream, comme prévu, n'en ont eu que pour des feux de poubelles, des bris de vitrines et une statue d'un maréchal pétainiste et partisan de l'Algérie française détériorée. L'Histoire n'est amère qu'à ceux qui l'attendent sucrée !

Du côté GJ, on peut se réjouir du nombre d'initiatives lancées sur ce weekend, même si beaucoup ont été rapidement réprimées (et parfois étouffées dans l’œuf) : des occupations, des ronds points, des blocages, des happenings, des concerts, des maisons du peuple... Réussite également au vu du nombre de manifs sauvages toute la journée de samedi, mais aussi le soir et le dimanche, dont beaucoup ont réussi à déborder le dispositif ultra sécuritaire.

On peut en revanche regretter le nombre quelque peu décevant de GJ descendus dans la rue. Si on est bien au dessus des chiffres annoncés par la pref et les médias, on pouvait tout de même espérer beaucoup plus. Aussi bien sur Paris qu'en Région. Alors que le mouvement reste apprécié et compris par une majorité de la population, alors que des centaines de milliers de Français sont déjà descendus dans la rue en jaune au moins une fois fin 2018, il n'a pas été possible de ramener à la lutte ces personnes. Il faut le prendre en compte et ne pas se voiler la face. Car ceux qui crient "révolution" dans les rues depuis des mois, et qui le veulent vraiment, doivent savoir que cet horizon ne sera possible qu'avec une adhésion très forte des autres citoyens, et leur participation active. Comme on peut le voir au Chili ou à Hong Kong.

Cela ne veut pas dire que ces GJ qui ne lâchent rien sont dans l'erreur. Bien au contraire. Mais il faut essayer de comprendre pourquoi les autres, bien que solidaires dans la pensée, ne descendent plus sur les ronds points, dans les manif, sur les occupations. Bien sûr que la terreur d'état est un des éléments importants. Mais pas que.

Samedi, Place d'Italie, la détermination était là. La colère aussi. Mais il manquait peut être de la folie, de la joie, de la fraternité. De la musique et de la danse aussi. La beauté du mouvement GJ, ce sont ces instants improbables, où dans la cruauté du monde libéral, quelques personnes arrivent à créer du lien, du beau, de l'amour.

Il a peut-être aussi manqué de stratégie et d'idées sur cette place d'Italie, qui fut un terrain de révolte pendant deux heures avant de devenir une énorme prison et une salle de torture. Des milliers de personnes étaient présentes. Toutes voulaient sortir de cet endroit, pour vraiment manifester (en déclarée ou en sauvage). Mais il n'y a pas eu suffisamment d'échanges et de propositions pour réussir à sortir de cette nasse. La lutte doit être aussi le moment d'expérimenter des actions collectives constituées de plusieurs actions individuelles. Il faut discuter, il faut proposer, il faut agir. Il faut également redonner du sens aux actions et clamer/afficher les objectifs de cette révolte sociale, d'autant qu'ils sont partagés par des millions de citoyens.

En cela, la mobilisation de ce week-end a parfois été décevante. Décevante mais pas décourageante. Car le feu est toujours là. L'envie de vivre et de connaitre un monde nouveau. L'envie de voir leur monde s'effondrer. De ne plus laisser cette précarité systémique nous tuer.

Pour cela, il faudra dépasser les limites rencontrées ce weekend. Ce ne sera pas facile. Mais existe-til une révolution facile ? Et n'oublions pas quil ne s'agissait que du premier anniversaire.

Annexes - Résumé de trois jours de totalitarisme en France :
- Le vendredi, une soirée concert sur les quais de Seine, totalement pacifique et ne gênant personne, est expulsée. Les deux musiciens sont embarqués et passent la nuit au poste. Les instruments sont gardés par la police tout le weekend

- Une maison des peuples est ouverte dans un lieu désaffecté depuis plus de 3 ans dans Paris. Elle est violemment expulsée par la police dès le lendemain. Avec de nombreuses interpellations.

- Plusieurs journalistes sont tabassés, au moins deux recevoient des grenades aux visages, dont un blessé gravement

- Des milliers de manifestants sont nassés pendant des heures Place d'Italie et interdits de sortir alors que la place est gazée et chargée en permanence. Une véritable boucherie.

- Des manifestants qui font une action totalement pacifique dans les Galeries Lafayette sont violemment arrêtés et embarqués au poste, y compris des personnes dans la rue qui soutenaient les GJ sur place.


Ode à la déraison

Dans un pays où le champs des possibles est rendu de plus en plus exsangue par un pouvoir fascisant, il ne reste plus que la folie pour sortir de l’impasse. Et depuis un an, combien d’actes complétement inconsidérés, déraisonnables, sont restés dans nos mémoires comme des moments de bravoure et de beauté absolue. Alors, oui, à toi qui refuse la raison du plus fort et qui préfère la déraison du plus faible, nous te dédions cette lettre d’amour.

A toi qui a défoncé la porte d’un ministère avec un transpalette
A toi qui te rends tous les samedis en manif alors que tu es en fauteuil roulant
A toi qui a occupé un rond point pendant des mois, sans jamais rien lâcher
A toi, Geneviève, qui est retournée manifester dès ta sortie d’hôpital
A toi qui es allé sur les Champs le 21 septembre malgré le dispositif ultra guerrier, et a réussi à y manifester !
A toi qui joue de la musique dans les manifs malgré la pluie de lacrymos et les coups de matraques
A toi qui a forcé un barrage policier pour partir en manif sauvage
A toi qui est allé dans la manif des policiers pour crier ta colère face à l’impunité de ces derniers
A toi Christophe, qui t’es battu à mains nues face à des policiers protégés et armés
A toi qui a continué de chanter et de manifester alors que tu étais dans une nasse policière
A toi qui est allé sur les Champs le 14 juillet, en plein défilé militaire, pour défier le pouvoir et son bras armé
A toi qui continuera à nous surprendre par ton audace et ta déraison

Tu es fou. Et c’est ce qui te rend si beau.


GJ, il n'y aura pas d'après !

Novembre 2019 est arrivé, avec dans son sillage l'anniversaire des GJ. Ceux qui parlaient d'essoufflement en janvier, puis au printemps, puis pendant l'été, n'ont toujours pas compris l'essence du mouvement, qui, de part son ADN, ne peut se terminer. 
A chaque mouvement social sa temporalité, sa spécificité et sa façon de se terminer. Quelques mois après une grosse grève, des manifestations massives ou des soulèvements populaires, les experts médiatiques et politiques enveloppent la séquence dans du papier journal et la rangent dans les archives de l'Histoire. On en reparle alors au passé, en en analysant les conséquences. 
Avec les Gilets Jaunes, il ne sera pas possible d'en faire autant. Car analyser l'après GJ signifierait que le mouvement GJ est terminé. Hors, nous sommes des milliers, des dizaines de milliers même, à savoir qu'il ne sera jamais terminé. 
Pourquoi ? Parce que les Gilets Jaunes ne sont pas un énième mouvement de grève ou de manifestations. Les personnes qui se sont impliquées depuis 11 mois dans cette dynamique ne retourneront jamais à leur vie d'avant. 
Les Gilets Jaunes n'ont pas vécu un mouvement social mais ont vécu une rupture dans leur vie. Une rupture du train train quotidien imposé par la société de consommation. Une rupture dans la façon de se voir par rapport aux autres. L'idée que des liens autres que professionnels ou familiaux sont possibles. Que l'atomisation voulue et forcée de cette société ultra libérale n'est pas une fatalité. 
Une rupture également face aux pouvoirs : politique, économique et policier. Des milliers de personnes ont été blessées, arrêtées, condamnées, insultées et méprisées. Toutes ces personnes ont vu les mécanismes en place pour sauver les intérêts de quelques uns. Mécanismes de stigmatisation, d'exclusion et de terreur permanente. Pour beaucoup, la police n'est plus cette institution censée protéger les citoyens. La justice n'est plus cette institution censée punir les personnes malhonnêtes. 
Les Gilets Jaunes ont compris, parce qu'ils ont du l'expérimenter dans leur corps et dans leur vie, que les institutions sont désormais utilisées par les puissants pour protéger leurs acquis et leurs richesses, pour empêcher tout changement radical de la société. 
Cette prise de conscience, ce changement de regard, il ne pourra plus jamais disparaitre. On ne retourne pas dans l'obscurité d'une caverne après en être sorti et avoir vu la lumière du soleil. 
Il n'y a pas d'après. Car il n'y a pas de fin. 
Les Gilets Jaunes sont en perpétuel mouvement. Une dynamique des corps et des esprits. Sur les rond points, dans les cabanes, lors des blocages, dans les manifestations, les GJ se rencontrent et se découvrent. Ils ne sont pas figés sur des principes théorisés par d'autres. Chaque rencontre, chaque discussion, chaque action fait évoluer ces personnes. 
Il n'y aura pas d'après. Car les Gilets Jaunes sont dans le présent. Car les Gilets Jaunes font le présent. 

LETTRE A EXTINCTION REBELLION

Nous co-signons cette lettre ouverte rédigée par Désobéissance Ecolo Paris qui adresse à Extinction Rebellion les critiques sans concession et néanmoins porteuses d'alliances futures que les deux occupations, celle d'Italie 2 et celle de Place du Châtelet, n'auront pas manqué de soulever.

LETTRE A EXTINCTION REBELLION

Ami-e-s, camarades,

Lorsqu’une branche indépendante de XR s’est formée en France, nous avions quelques doutes vis-à-vis de votre mouvement.

Bien évidemment, nous avons été impressionné-e-s par l’ampleur des actions de désobéissance civile au Royaume-Uni, notamment les blocages spectaculaires et joyeux de monts à Londres. Nous avons observé l’enthousiasme naissant parmi les jeunes et les moins jeunes, ayant pris la décision de reprendre leur avenir, et celui de toutes les espèces vivantes, en main, afin de recréer du lien social là où il n’y avait auparavant que l’aliénation du monde marchand.

Toutefois, l’appel à se faire arrêter en masse—alors que la détention n’implique pas les mêmes risques pour tou-te-s—et la hiérarchie rigide du mouvement au Royaume-Uni nous interpellaient à juste titre et mettaient à mal nos convictions, ainsi que notre croyance en une horizontalité, inclusivité et intransigeance nécessaires pour un mouvement de révolte.

Cela n’empêche qu’au cours des derniers mois, vous ayant vu-e-s garder votre calme même lorsque vous avez été aspergé-e-s de gaz lacrymogène au visage, en étant assis-e-s tranquillement sur le Pont de Sully ; vous ayant côtoyé-e-s sur les lieux de nombreuses actions (et au camp d’été de XR*) ; et ayant lutté à vos côtés lors de la « Dernière occupation avant la fin du monde »: nous étions heureux-ses de devenir vos camarades.

Ce n’est donc pas en tant qu’adversaires, ou critiques acerbes tirant un plaisir particulier du fait de dénigrer tout ce qui ne leur paraît pas être assez radical, que nous nous adressons à vous aujourd’hui.

C’est plutôt en tant que celles et ceux, qui ayant noué des liens avec vous, sommes préoccupé-e-s par la tournure que pourrait prendre votre mouvement et qui, nous le craignons fort, enterrerait toute convergence réelle entre les divers mouvements sociaux se battant pour un monde plus juste et le mouvement écolo en France. Pourquoi des paroles si alarmantes, demanderez-vous ?

Malgré l’atmosphère festive des premiers jours de la Rébellion Internationale d’Octobre, certaines des attitudes militantes et de leursmodes de fonctionnement nous interpellent, voire nous indignent. Nous considérons essentiel que ces questions précises puissent être réglées sincèrement et de bonne foi, pour nous permettre de continuer à nous allier de plein gré et sans sacrifier nos principes contre la morbidité omniprésente.

Les voici :

Banalisation des violences policières
Commençons par ce qui nous semble être le plus grave.

Le week-end dernier, Ibrahima, un jeune de Villiers-le-Bel a trouvé la mort en percutant un poteau près du site d’une interpellation policière. Tous les faits entourant cette tragédie ne sont pas encore connus, mais des témoins parlent d’un camion de police lui barrant la route, ce qui l’aurait mené à perdre le contrôle de son véhicule.

Les jeunes des quartiers populaires et des banlieues ont profondément intégré la peur des forces de l’ordre. En effet, l’État (capable d’humilier en forçant à s’agenouiller 200 collégiens de Mantes-la-Jolie ; effectuant régulièrement des contrôles au faciès ; brutalisant des personnes racisé-e-s ;menant des rafles contre les sans-papiers) voit dans les populations non-blanches une catégorie dispensable contre laquelle toute violence est légitime, car elles sont considérées a priori coupables. Si les témoignages des jeunes de banlieue et des quartiers populaires ne suffisent pas, l’enquête anthropologique de Didier Fassin (« La Force de l’ordre ») montre que la violence des forces de l’ordre contre les habitant-e-s des banlieues s’exerce quotidiennement.

La police est donc une institution intrinsèquement violente. On ne peut même pas imaginer un début de convergence avec nos camarades racisé-e-s (Gilets Noirs, Comité Adama, ou autres collectifs ripostant à la violence raciste et xénophobe de l’État français) sans mettre en avant cette problématique.

A la suite des quartiers populaires, depuis 2016, c’est tout le mouvement social qui subit systématiquement cette répression armée. Rappelez-vous la loi Travail ; rappelez-vous les Gilets Jaunes ; rappelez-vous la dernière marche Climat. Les images d’une police déchainée, lançant grenades et flashballs au hasard dans la foule, ont fait et continuent de faire le tour du monde.

Pourtant, quelques jours après le puissant discours d’Assa Traoré devant l’Italie 2 occupé samedi dernier, après avoir vécu 17 heures avec des GiletsJaunes dans le centre commercial, nous étions profondément choqué-e-s, mardi matin, en découvrant l’image d’une banderole « uni-e-s contre toutes les violences » ; un soi-disant compromis entre la condamnation des violences policières et le deuil des policiers tués à la Préfecture la semaine dernière.

Dès qu’un policier décède, toute la France est en deuil. Dès qu’un-e jeune meurt sous les coups de la police, dès qu’un-e manifestant-e perd un œil, l’État sort des communiqués expliquant qu’il n’est jamais responsable. Et de la part d’un mouvement écologiste qui a trop vite oublié Rémi Fraisse tué sur la ZAD de Sivens par la gendarmerie en 2014 (dont le procès se tient à Toulouse ce 10 octobre 2019, avec la présence d’une cinquantaine de militant-e-s), un mouvement se voulant socialement inclusif mais qui refuse de reconnaître la souffrance et la rage des quartiers populaires, ou de se souvenir que certain-e-s ont été mutilé-e-s et incarcéré-e-s pour s’être rebellé-e-s pendant les Gilets Jaunes : pas même un mot, pas une pancarte commémorant Ibrahima et les autres victimes des violences policières ?

Plus généralement, se revendiquer « uni-e-s contre toutes les violences » est indécent et profondément violent.

Parce que, en mettant toutes les violences sur le même plan, vous affirmez (sans même forcément le vouloir) un principe d’équivalence entre toutes les utilisations de la violence. Ainsi, la « violence » que vous imputez aux autres méthodes d’action militante peut être comparée, en droit, selon vos dires, à celle d’une personne par quatre fois meurtrière.

Vitrines brisées et couteaux tirés sont donc mis en fin de compte dans le même panier. Ce qui est fort dommageable, en plus d’être fallacieux, vous en conviendrez. D’autre part, vous refusez d’observer des différences entre les utilisateurs de la violence. Violences conjugales et une femme accablée qui tue son compagnon abusif ? Même chose selon cette logique. La BAC qui matraque ; les CRS qui gazent ; la police qui embarque ; les gendarmes qui contrôlent au faciès ; qui frappent au faciès ; qui tuent au faciès ; et les habitant-e-s des quartiers dits « populaires » ou les manifestant-e-s qui se défendent ; qui ripostent ; qui s’énervent ; qui frappent : toutes ces formes de violence sont à évaluer strictement de la même manière ?

Violence invisible de la non-violence dogmatique
Il y a, dans le dogmatisme non-violent, une violence insidieuse – parce qu’inaperçue – qui se loge. Il s’agit de la même violence que celle qu’on oppose quotidiennement à tou-te-s les opprimé-e-s, celle qui se pense légitime. S’il semble aller de soi maintenant que l’État et ses structures de contrôle ont le « monopole de la violence légitime », il faudrait compléter ainsi ce lieu commun : les privilégiés et les dominants étendent sans cesse ce monopole en désignant – c’est-à-dire en dénonçant – ce qu’est la violence, à leurs yeux. Elle est le propre des « casseurs », des « agitateurs professionnels », de toutes ces personnes qui font tout sauf ce qu’on exige d’elles. Fondamentalement, est jugé « violent » tout ce qui échappe aux structures de contrôle.

C’est pourquoi la non-violence jusqu’au-boutiste et intolérante peut être dangereuse. Comme ce qu’elle prétend combattre, elle est excluante, méprisante, produite dans un environnement privilégié qui n’a pas affaire directement à la menace policière et à la machine infernale du monde social ; bref : elle en devient violente. Elle ne se renverse pas dans son contraire ; elle est son contraire, par nature, et ce sans le vouloir ni s’en rendre compte.

Et n’oublions pas que derrière chaque affirmation générale de ce genre,diluant les revendications de celles et ceux qui subissent des oppressions quotidiennes, se cache une invisibilisation des luttes : un faux compromis bâti sur la nécessité des opprimé-e-s de se taire à propos de leurs expériences vécues. Un « All Lives Matter » qui sert à taire « Black Lives Matter »; qui oublie que pour nos institutions sociales certaines vies comptent déjà plus que d’autres.

Et comment expliquer l’effacement du tag « Castaner m’a éborgné », sinon comme un crachat à la figure des classes populaires sortant dans la rue, depuis des mois, en gilet jaune ?

Le manque d’inclusivité du cadre d’action envers les classes populaires
Bien que l’on sache que les militant-e-s XR sont nombreux-ses et divers-es, certaines pratiques militantes paradoxales desservent radicalement la lutte. D’une part, il y a l’interdiction d’apporter de l’alcool sur les lieux des occupations prévues pendant la RIO. De l’autre, comme on a pu l’observer à celle du Châtelet, certain-e-s membres de XR boivent des coups, pendant la journée ou la soirée, aux terrasses des bars entourant la place. Loin de nous la volonté de chercher la petite bête, de décrédibiliser l’occupation ou de crier au loup.

On entend la difficulté de la tâche consistant à apaiser et à prévenir les tensions pouvant naître de l’ébriété. Cependant, honnêtement, comment voir dans cette dissonance autre chose que du mépris de classe ? Le consensus incluait-il aussi la mention « faites ce qu’on dit, mais pas ce qu’on fait » ? Ce sont ces petits détails, pouvant paraître insignifiants, qui creusent les écarts entre les êtres vivants et discriminent. Il ne s’agit pas là, il est important de le redire, de condamner, mais d’alerter. Les gilets oranges (c’est-à-dire les « peacekeepers ») de l’occupation, assurément, s’occupent plus souvent des propriétaires de canettes de bière que des autres consommateur-rice-s. À nouveau, c’est sourdement que la violence s’immisce.

De plus, un mouvement opposé à la marchandisation du vivant semble exercer dans ce cas précis une forme de privatisation symbolique d’une place auparavant publique : on nous interdit désormais d’amener ne serait-ce qu’une canette de bière sur la place du Châtelet, de la même manière qu’on nous y interdit de faire des tags.

Massification ou apolitisme ?
La question des tags (des inscriptions à caractère politique sur des murs, vitrines, ponts ou toute autre surface susceptible de devenir un espace d’expression libre lors de toute manifestation, même aux revendications modestes) en cache une autre : celle des écolos qui deviennent volontiers des policier-e-s au sein de leur propre lutte.

Sinon comment expliquer qu’on amène de l’acétone dès que quelqu’un ose marquer au feutre un message anti-police ? Comment expliquer que toute banderole faisant mention d’une écologie radicale ou de l’anticapitalisme se fasse censurer sous prétexte qu’il faille inclure tout le monde ?

Cher-e-s ami-e-s, on ne vous demandera jamais de remettre en question vos principes, d’abandonner des luttes non-violentes ou de remplacer vos mots d’ordre par les nôtres. Nous sommes aussi conscient-e-s de votre volonté explicite de convaincre le maximum de passant-e-s pouvant s’intéresser à votre mouvement et de parler à chacun-e se préoccupant de l’extinction en cours du monde vivant.

Cependant, ne pas accepter que lors de toute occupation joviale une diversité de paroles puisse foisonner, c’est refuser une liberté d’expérimentation politique en lui préférant une image policée, médiatiquement acceptable, au service d’une stratégie de com’.

Chacun des tags, chacune des banderoles qui ne comporte pas de logo, s’exprime en son nom propre. La place du Châtelet revit enfin et, même si vous êtes personnellement en désaccord avec les messages exprimés par certain-e-s, il est peu souhaitable de réduire la portée et l’ampleur de certains des slogans en les jugeant trop radicaux pour un-e citoyen-ne »lambda ». Aucune des paroles existantes ne peut être totalement inclusive. L’idée même de croire que nos revendications puissent être satisfaites par unÉtat exclut tout un pan de mouvements politiques. Ce n’est pas pour autant que nous allons remettre en question votre droit d’exposer publiquement vos revendications.

Car faire de la politique sans devenir politicien, c’est aussi accepter que, dès que l’on reprend collectivement le pouvoir en mains, certaines choses puissent déranger et certaines autres évoluer.

Une écologie du non-dérangement ?
Quelle révolte n’a pas dérangé les puissants ? Et quelle rébellion a déjà pu s’excuser auprès des grands pour avoir revendiqué certains droits ?

Loin d’encourager au « débordement » aveugle voire automatique, nous aimerions vous inviter à l’ouverture. En effet, quel est le sens d’une action de désobéissance civile, si – précisément – désobéissance il n’y a pas ? Concernant l’occupation de Châtelet, mis à part les travailleur-euse-s qui doivent contourner le pont, et peut-être quelques camions de livraison ou réapprovisionnement, il ne nous semble pas que les représentants de la puissance capitaliste auront aucun mal à dormir sur leurs deux oreilles cette nuit – et les nuits qui suivront.

Encore une fois, cette remarque n’appelle pas de ses vœux une utilisation aveugle et impensée des débordements énergiques, mais invite à remettre en question la façon dont le « consensus » non-violent veille à son propre respect – parfois de manière autoritaire. Cette autorité imposée, il est vraisemblable qu’elle protège les institutions du pouvoir capitaliste davantage qu’elle ne les inquiète. Plus encore, elle contrôle, règle et supervise ce qui est au départ pensé comme un acte de rébellion. Or, la rébellion – dans son sens le plus originaire – nécessite une belle dose de spontanéité, de créativité, de liberté. Des bals populaires, mais aussi des barricades. Des assemblées générales et des tags. Des rassemblements fixes et des manifestations spontanées.

Malheureusement, les cadres d’action consensuels entravent et répriment bien souvent la spontanéité de la révolte dans son élan sincère. (Chose amusante : le dictionnaire en ligne des synonymes indique, comme synonyme de « spontané », le terme « violent ».) Essentiellement, un « consensus » est consensuel, mou, couru d’avance. Passons déjà le fait que parler de « consensus non violent », ce n’est pas parler d’un consensus réel des gens sur place (sinon nous n’écririons pas ce texte), mais d’un « consensus » décidé en petit comité par les organisateurs.

La rue appartient à celles et ceux qui, dans toute leur diversité, la prennent. Il y a un risque qu’on doit prendre ensemble, celui d’une lutte vraiment anti-autoritaire où la vie collective n’est pas garantie par des « peacekeepers » (« gardiens de la paix » en français), mais s’élabore à tâtons, par expérimentations, par constructions de communs. Cela sera d’autant plus beau et intense pour celles et ceux qui se laisseront embarquer dans l’aventure. Plus qu’un mot ou un spectacle médiatique, la rébellion commence peut-être par changer les façons de vivre ensemble, ici et maintenant, sur la place du Châtelet.

Cabane gilet jaune place du Châtelet.
Quelques propositions pour fuir les lignes toutes tracées
Nous sommes loin d’être pessimistes. C’est précisément parce qu’on s’est nourri-e-s, ces derniers mois, des échanges qu’on a pu avoir avec vous, que nous nous adressons à vous aujourd’hui. Parce que nous croyons en la fluidité de votre mouvement, qui n’a pas acquis (et, nous osons l’espérer, n’acquerra jamais) les réflexes bureaucratiques permettant aux grosses organisations d’asseoir leur domination sur les luttes sociales et écologistes.

En plus, la place du Châtelet semble se populariser de plus en plus ces derniers jours, et la cabane nouvellement créée par des Gilets Jaunes en témoigne. C’est aussi pour cette raison que nous avons vu comme une urgence le fait de rendre ce texte public : nous croyons que ce n’est pas uniquement aux mouvements sociaux de faire un pas vers les écolos.

Sans compromettre vos actions menées jusque là, sans briser votre vœu de ne jamais devenir violent, nous voyons une convergence de luttes possible. Nous vous proposons qu’elle passe par : – Des occupations plus durables et plus spontanées ; ensemble, nous aurons peut-être les forces nécessaires pour prolonger nos actions au-delà de la temporalité stricte de la RIO et du périmètre un peu trop fixe auquel les forces de l’ordre ont l’air de s’être habituées : à nous tou-te-s d’essayer ! L’occupation d’Italie 2 le 5 octobre était un excellent début.

– Des actions de dénonciation des violences policières et carcérales ; le retrait de la banderole plus que maladroite « uni-e-s contre toutes les violences » ; et un appel au rassemblement en solidarité avec Ibrahima de Villiers-le-Bel et avec d’autres jeunes terrorisé-e-s par la violence étatique.

– Des invitations à d’autres mouvements sociaux pour qu’ils viennent vous rejoindre de manière plus durable sur place ; des réflexions concernant une ouverture des logements (squats) pendant la RIO, par exemple pour les personnes précarisées, les sans-abri ou les migrant-e-s.

– Regagner en bienveillance envers les personnes pouvant se sentir exclu-e-s par les règles d’action très strictes ; être plus flexible envers celles et ceux pouvant consommer de l’alcool sans poser de problèmes à soi ou à autrui.

– L’acceptation des militant-e-s souhaitant apporter leur pierre à l’édifice de la rébellion, à travers des modes d’action qui pourraient vous être étrangers, mais qui n’en sont pas moins légitimes : les barricades et les tags sont-ils réellement « violents », ou les concevoir ainsi ne serait-il pas une internalisation d’un discours d’État, qui souhaite incriminer notre contestation ? Encore une fois, vous n’avez pas à partager ces choix, mais uniquement à tolérer leur présence.

Bien amicalement,

Désobéissance Ecolo Paris

Co-signataires :

ACTA
Cerveaux non disponibles
La vérité pour Adama
Comité de Libération et d’Autonomie Queer