Contre la guerre, les états de guerre et les impérialismes.
Pour le droit à l’autodéfense.
Beaucoup de choses ont été dites sur la guerre en Ukraine. Et comme souvent en période de guerre, les prises de position, même les plus nuancées, engendrent des réactions binaires et disproportionnées. Dans ce climat d’incompréhension et alors que nous sommes sujets à des manipulations médiatiques de tous les côtés, ce texte a pour objectif d’éclaircir notre position sur ce conflit.
Oui, le poids de la domination mondiale américaine est supérieur à celui du reste du monde, notamment par son complexe militaro-industriel. Oui, l’armée américaine, c’est plus de 800 bases dans le monde, 35% des dépenses militaires mondiales à elle seule et c’est le modèle impérialiste américain qui semble le plus diffusé partout sur la planète et par tous les moyens possibles.
Oui, l’impérialisme de l’Occident et ses alliés est, de loin, celui qui a le plus déstabilisé le monde et qui provoque la majorité des catastrophes sur cette planète. Oui, le poids et la présence de l’OTAN n’est comparable avec aucune autre armée, ni la Chine, ni la Russie. Enfin, oui, les États-Unis ont participé à une ingérence à Maïdan puis par la suite sous fond de guerre énergétique et d’hégémonie militaire, et cette guerre en est une conséquence directe.
Cependant, c’est le président russe qui a fait le choix délibéré d’envahir militairement un pays souverain dans son intégralité. Les civils sont les victimes et il n’y a absolument pas de justification à trouver à cette invasion criminelle décidée par Poutine. La population ukrainienne dans son intégralité en paye le prix. Elle subit les bombardements, ses habitants peuvent mourir qu’ils soient dehors ou chez eux. Nous les soutenons de manière inconditionnelle.
Aussi, nous sommes solidaires des Russes victimes de la répression du Kremlin sur son sol, à l’image des mobilisations anti-guerre partout en Russie. Mais également à l’étranger, par son ingérence dans certains pays comme le Kazakhstan et la Biélorussie, où les hommes de Poutine ont participé à mater des mouvements sociaux.
Soyons clairs : le régime de Poutine n’a pas de leçons à donner concernant l’extrême-droite vu les liens qu’il entretient au niveau international avec cette mouvance, allant jusqu’à son financement et à confier des missions au groupe Wagner. Les fascistes sont très divisés sur la question ukrainienne et se trouvent des deux côtés.
Le régime du parti Russie Unie est celui des oligarques mafieux, et même s’il a su redresser économiquement un pays humilié par la présidence de Boris Eltsine, son fondement demeure capitaliste et très autoritaire. Nous n’oublions pas non plus les nombreux crimes de guerre dans le Caucase en Tchétchénie, Ingouchie ou encore au Daghestan durant les années 90/2000.
Ceci est dit, maintenant, il ne s’agit pas de tomber dans le “ni, ni” simpliste, ou à l’inverse dans le campisme. Tâchons donc de voir plus loin et d’essayer de saisir quelques enjeux de ce conflit et leurs conséquences.
État de guerre depuis 2014
Le conflit ukraino-russe tient aussi ses racines du découpage hasardeux durant l’époque soviétique, puis au moment de l’indépendance de l’Ukraine en 1991. L’Est du pays est très russophone et possède des communautés russes très importantes. L’Ukraine est en proie à des luttes entre russophiles et pro-europe depuis longtemps.
Les premières tensions entre les axes pro-russes et atlantistes prennent de l’ampleur durant la révolution orange en 2004 après l’élection contestée de Viktor Ianoukovitch, successeur de Léonid Kouchma (ex président pro russe) face à Viktor Louchtchenko (pro-Europe soutenu massivement par l’occident), qui sera finalement élu. Ce dernier perdra à son tour en 2010 contre le candidat pro-russe. Contrairement à 2004, les élections de 2010 se seraient déroulés sans irrégularités, Ianoukovitch en sort vainqueur.
En 2013, peu avant Maïdan, le pays peine à se développer économiquement, criblé de dettes et en récession.
La Russie, qui représente une part forte de son endettement, lui accorde un prêt de 15 milliards d’euros et baisse le tarif de son énergie, l’Union Européenne lui ayant refusé la somme de 20 milliards mais lui aurait elle aussi proposé une aide conséquente. Les deux camps possèdent des accords importants avec l’Ukraine, notamment dans le secteur agricole.
L’hiver 2013/2014, un mouvement pro-européen devient populaire pour une partie de la population lassée du régime Ianoukovitch après la rupture brutale d’un accord économique facilitant des échanges avec l’Union Européenne. Le président ukrainien annonce renforcer ses relations économiques avec la Russie.
Ce mouvement social s’amplifie et sera soutenu par toutes les branches du libéralisme, ainsi que par toutes les franges de l’extrême-droite. On ne peut cependant résumer et essentialiser le profil des manifestants. Il s’agissait aussi d’un ras le bol général des conditions sociales contre un régime corrompu qui agirait dans l’intérêt de la Russie, du désir de sortir de cette crise, et bien sûr du leurre libéral agité par l’Europe censée être libératrice. Des faits graves de la part des nationalistes ukrainiens sont constatés durant l’occupation de la place Maïdan, épicentre de la contestation.
De son côté, le régime pro-russe a aussi agi avec la manière forte, jusqu’à envoyer sa police anti-émeute, la Berkout, tirer à balles réelles sur les manifestants. Le régime emploie des miliciens, la répression est inouïe : 103 manifestants seront tués ainsi que 17 policiers. Les deux camps s’accusent mutuellement d’avoir commencé ces tirs, et la situation devient hors de contrôle. Le président finira par s’enfuir et sera condamné par contumace. Il est accusé d’avoir détourné plus d’un milliard d’euros pendant son mandat.
Un premier gouvernement d’union nationale sera alors décrété en attendant des élections. Le parti de l’ancien président sera interdit d’élection ainsi que toutes les tendances communistes dont les symboles seront détruits. Les nationalistes obtiennent de fait des victoires idéologiques et des postes importants, mais s’effondrent par la suite électoralement au détriment des libéraux europhiles. Petro Poroshenko est élu en 2014 puis fragilisé par des scandales de corruption.
Volodymyr Zelensky lui succédera en 2019. Durant sa campagne électorale populiste, il joue son propre rôle dans un feuilleton télévisé, sous fond de lutte contre la corruption (son nom est depuis cité dans l’affaire Pandora Papers). Le président ukrainien tente de se rapprocher encore plus de l’Occident et de l’OTAN, mais dit aussi vouloir atténuer les tensions avec la Russie. Il ira même jusqu’à gracier d’anciens policiers de la Berkout.
Paradoxalement, les USA demeurent assez distants. Biden n’a proposé de rencontrer Zelensky qu’en Août 2021. Cette proposition intervenait dans un contexte, où Biden avait négocié la levée des sanctions économiques sur le Gazoduc North Stream 2 avec l’Allemagne. Zelensky évoquait alors « Une grave menace pour la sécurité » de son pays. « Nord Stream 2 va priver l’Ukraine de ses approvisionnements en gaz, ce qui signifie nous priver d’au moins 3 milliards de dollars par an… Nous n’aurons rien à verser à l’armée ukrainienne » (source le Monde). Rappelons qu’entre 2014 et 2019, Biden fils (Hunter), était membre du conseil d’administration de Burisma, le plus important exploitant de gaz du pays.
Parallèlement au changement de régime en 2014, la Russie intervient en Crimée, région composée majoritairement de Russes. Une partie importante de ses habitants semble revendiquer son rattachement à la Russie. Poutine accepte directement de la reconnaître en tant qu’état russe. Une autre région située également à l’Est où se trouvent de fortes populations russes, le Donbass, est en proie, depuis, à une situation de guerre civile avec des affrontements réguliers.
Le Donbass au cœur du conflit
Situé à l’extrême Est, le Donbass est composé de deux régions (Oblast de Donetsk et Lougansk). Environ 70% de la population y est russophone y compris parmi les ukrainiens. Sa population est russe à environ 38%, il existe d’importantes communautés musulmanes qui représentent 15 à 20% de la population suivant les zones, les ukrainiens constituant la majorité du reste de la population, environ 40%. Les terres agricoles y sont riches, ses ressources principales sont le charbon et le fer et le sud bénéficie d’un accès à la mer Noire.
Les accords du cessez-le-feu de Minsk II signés en Biélorussie en 2014 sont constamment violés par les deux camps. On dénombre près de 10 000 morts et un million et demi de déplacés en 2020 depuis le début du conflit (source Vice). Il est constaté des exactions extrêmement graves des deux côtés. La population subit une véritable guerre de tranchées, même si elle était jusqu’à présent considérée comme de “basse intensité”.
Il convient donc de rappeler que même si ce conflit armé a pris aujourd’hui des proportions inquiétantes et s’étend dorénavant à l’ensemble du sol ukrainien, l’état de guerre existe dans le Donbass depuis Euromaïdan et l’annexion de la Crimée. Certaines zones du sud ont connu des affrontements très violents à l’exemple de l’incendie criminel attribué aux nationalistes ukrainiens à Odessa, à l’encontre d’une maison syndicale communiste, qui a fait 42 morts asphyxiés ou brûlés vifs.
Les élections régionales du Donbass avaient donné pour résultat une victoire des séparatistes à plus de 60% mais il est très difficile d’évaluer la légitimité de ces résultats, sous la pression des milices. Cette zone est pratiquement impénétrable pour les ressortissants étrangers, y compris les journalistes. Nous préférons, par manque de sources fiables, éviter de spéculer sur la situation de ces deux régions clés. Nous retenons que des initiatives pour la paix existeraient de manière marginale, et que les informations sont difficiles à obtenir.
Un conflit sous fond de concurrence énergétique et militaire
L’Ukraine est un pays qui dispose de beaucoup de ressources agricoles dont le blé. C’est aussi le 7ème producteur de fer au monde, le 8ème de manganèse et d’uranium, le 6ème en titane. Elle se situe au milieu d’une zone de transit entre la Russie et l’Europe notamment des gazoducs. La Russie quant à elle est l’un des plus gros fournisseurs d’énergie de l’Europe. Même si cette tendance est à la baisse : le gaz russe ne représente que 25% de ses importations en 2021 contre 40% il y a peu (source think tank Bruegel).
Jusqu’à présent, bien que parfois tendues, les relations russo-européennes n’empêchent pas des accords énergétiques essentiels pour leurs économies respectives. L’Allemagne, qui dépend à 50% de la Russie pour son approvisionnement en charbon dans les centrales électriques et largement de son gaz, interrompt les livraisons énergétiques du gazoduc North Stream 2 sous la pression américaine qui a décidé d’appuyer cette décision par des sanctions contre le géant russe Gazprom, partenaire de ce projet. Pourtant, les livraisons de North Stream 1 continuent.
Il y a une certaine hypocrisie de l’Europe, la France en tête : son industrie est la plus présente parmi les pays étrangers en Russie. À peu près toute la classe politique européenne qui condamne son intervention n’a eu aucun problème à se prendre, auparavant, en photo avec Vladimir Poutine et parfois à le soutenir, notamment en France (Macron, Hidalgo, Les Républicains, Rassemblement National, Reconquête..). Cependant, il est évident que la Russie sera sanctionnée économiquement et que les répercussions sur le prix de l’énergie et du blé seront conséquentes.
Les Américains y voient probablement une opportunité pour affaiblir l’état russe de l’intérieur à moyen et long terme et exporter plus vers l’Union Européenne et l’Ukraine. Devenus des (sur)producteurs qui exportent leurs énergies : pétrole et surtout gaz de schiste. Ce dernier a du mal à se vendre, étant très polluant et plus coûteux que le gaz russe. Priver ou diminuer l’influence énergétique de la Russie s’avère une option financière viable. Pour autant, malgré quelques sanctions symboliques du soft power acquis à l’Occident (sport, eurovision..), la plupart des pays européens n’ont rompu aucun contrat économique avec la Russie.
Militairement, l’OTAN n’a cessé de repousser ses frontières en incluant tous les pays membres de l’Union Européenne à chaque fois en s’approchant de la zone frontalière russe depuis la fin du rideau de fer en y posant des bases militaires. Cette stratégie “dissuasive” amplifie la surenchère belliqueuse de Vladimir Poutine qui a pourtant, par le passé, proposé des accords de coopération militaire avec le camp occidental, qui ont toujours été refusés. L’attitude offensive de la Russie fait elle aussi réfléchir sur les raisons qui poussent ses pays à se positionner vers l’Ouest.
Démilitarisation et paix révolutionnaire, l’axe de sortie impossible
L’agression militaire russe est incontestable, indéfendable, mais elle était loin d’être imprévisible. On peut se demander à juste titre jusqu’où serait prêt à aller le Kremlin. L’Europe, binôme franco-allemand et Emmanuel Macron en tête, a encore prouvé ici son incapacité d’indépendance vis à vis des États-Unis, et son incompétence diplomatique totale. La seule chose que l’Europe propose est de fournir quelques armes, à l’image de l’Allemagne qui livre 4000 lance-missiles, comme si c’était une solution durable.
L’UE n’a pas su calmer les ardeurs de Poutine et a abandonné l’Ukraine. Elle dispose d’une marge de manœuvre pourtant réelle vis à vis de l’économie russe. Elle aurait pu s’interposer et tenter d’éviter le pourrissement de cette situation, y compris dans son intérêt économique, et donc éviter que l’Ukraine devienne le paillasson de la concurrence entre Moscou et Washington. La force dissuasive de l’OTAN n’a pas fonctionné.
Concernant la demande d’adhésion à l’Union Européenne par la président Zelensky “sans délai”, il n’existe légalement aucun moyen de ne pas passer par des milliers des textes, de recours et d’accords économiques qui le permettraient. Si elle se réalisait, cette adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne engagerait de facto le Kremlin dans une guerre contre l’Union Européenne, dont l’OTAN ne veut probablement pas. L’OTAN a rejeté l’idée d’une zone d’exclusion aérienne en Ukraine.
L’intervention russe, quant à elle, semble actuellement tenue en échec. Il est impossible de savoir combien de soldats et de civils ont été tués pour le moment. Malgré le poids de l’occupation militaire russe, la résistance ukrainienne est solide et a l’air de tenir le coup. C’est un courage et une détermination sans faille à laquelle est confrontée l’armée russe.
Si la Chine soutient discrètement Poutine, faute de quoi il n’aurait probablement jamais osé se lancer dans cette guerre, difficile de prévoir comment va se positionner et agir Pékin. Ce conflit semble parti pour s’éterniser, reste que la Russie paraît isolée sur le plan international. Après un vote à l’ONU sur une résolution pour la fin de son intervention Ukraine, la majorité de ses alliés traditionnels se sont abstenus et semblent souhaiter que ce conflit s’arrête.
Concernant la suite, nous lisons beaucoup de spéculations sur :
– Un enlisement et une surenchère qui auront des conséquences humaines et économiques désastreuses, sauf peut-être pour les marchands d’armes et les oligarques.
– Une amplification de cette situation de guerre froide malgré un éventuel cessez-le-feu, peu probable à l’heure actuelle.
– Une paix tactique purement libérale parce que financièrement cela pourrait être rentable, difficile tant que la Russie refuse de se plier aux exigences de Washington et qu’elle n’obtient pas le Donbass.
– L’adhésion ukrainienne à l’Union Européenne, peu probable, qui engagerait de facto une guerre mondiale.
Nous préférons éviter les pronostics, et soyons francs, la seule solution que nous défendons est impossible à l’heure actuelle : la paix révolutionnaire dans une perspective internationaliste et le droit à l’autodéfense. C’est-à-dire, la lutte contre tous l’impérialisme, les guerres et leurs états de guerre dans une logique révolutionnaire de démilitarisation globale. Nous devons ainsi nous attaquer aux causes de ces conflits, à l’image du mouvement contre la guerre au Vietnam en 1968.
Ces mouvements anti-guerre doivent trouver un renouveau : depuis la guerre en Irak de 2003, ils n’existent plus que de façon marginale. L’Ukraine nous en rappelle pourtant la nécessité. Cependant, cet eurocentrisme qui traduit un racisme inconscient doit aussi être dépassé. Nous ne devrions pas attendre qu’un conflit se rapproche de nous ou le « risque d’une guerre mondiale » pour nous sentir touchés, ni nous résigner aux indignations sélectives uniquement contre l’État russe.
D’autres peuples subissent ou ont connu récemment des situations de guerre, comprenant des occupations militaires, des massacres, des déplacements de population, des bombardements, des famines et nombre d’horreurs : Libye, Syrie, Yémen, Palestine, Tigré, Sud Soudan, Darfour, une partie importante du Sahel, Somalie, Syrie, Afghanistan, Est du Congo… Le Sud global n’attire jamais cette attention alors que bien souvent l’Occident participe à ces ingérences catastrophiques, ce qui ne lui donne aucun droit de donner des leçons.
Nos pensées vont vers toutes les victimes de ces conflits : nous sommes donc de tout cœur avec le peuple ukrainien, pour le retrait immédiat des troupes russes et le démantèlement de l’OTAN !