Initialement publié le 19 février 2019
Les semaines passent, et la situation n’évolue pas.
Le gouvernement campe sur ses positions. Aucune démission, aucun remaniement, aucune élection anticipée.
De l’autre côté, les Gilets Jaunes restent fortement mobilisés et déterminés. Trois mois de mobilisation tout azimut, et ce, malgré une vague répressive sans précédent :
– 8 400 interpellations
– 1 800 condamnations
– 2 000 blessés dont 400 gravement (ainsi qu’un décès que le gouvernement tente de faire oublier)
A cela s’ajoutent les blessures morales qu’infligent en permanence le pouvoir et les médias dominants aux Gilets Jaunes, tantôt accusés d’être insensibles aux questions écologiques, tantôt d’être racistes ou sexistes. Et en permanence, d’être des assoiffés de violence et de chaos.
Trois mois après le début du mouvement, malgré un tel bilan de blessés, d’interpellés et une telle campagne de discrédit, des dizaines de milliers de Gilets Jaunes continuent de lutter, avec dignité et courage. Qu’importe les risques physiques, judiciaires et d’images auprès de leurs proches.
Il s’agit d’une énorme victoire pour le mouvement. Une victoire qui semble difficile à saisir et à verbaliser puisqu’elle ne contient aucun recul du pouvoir, aucune démission, aucune concession. Mais elle est peut être plus importante qu’une victoire circonstancielle, dans le sens où elle permet de faire évoluer les mentalités et des dynamiques au sein des classes populaire et des laissés-pour-compte.
Les puissants se sont efforcés à présenter le mouvement comme une force réactionnaire, anti taxe, égoïste et portée sur la haine de l’autre. Sur le terrain, les Gilets Jaunes ont créé des maisons du peuple, des assemblées populaires, des groupes autonomes et autogérés. Ils ont construit des passerelles entre les laissés-pour-compte ruraux et ceux des banlieues défavorisées. Ils ont rejeté tous ceux qui ont tenté d’instrumentaliser le mouvement et d’en faire un parti politique. Ils rejettent également en masse l’idée de service d’ordre et même de déclaration des manifestations auprès de la préfecture. Les Gilets Jaunes ne deviendront ni un parti politique, ni un syndicat. Ils ne tomberont pas dans le piège du pouvoir qui, par le biais d’avantages et de postes, ont transformé des forces d’opposition en garde fou du système.
Jours après jours, semaines après semaines, mois après mois, entre chaque manifestation et occupation, des citoyens apprennent de nouvelles pratiques politiques et expérimentent un nouveau vivre ensemble. Une nouvelle façon de résister également.
Car c’est bien là l’essence du mouvement et sa force subversive : les Gilets Jaunes, en se rencontrant sur les ronds points, dans les assemblées ou en manifestation, se rendent compte que le système n’est fait que pour rendre les puissants encore plus puissants (et riches) et leur donnent les miettes nécessaires pour éviter un soulèvement. Se rendre compte de la situation est déjà éminemment subversif. Qu’importe comment le pouvoir va tenter de sortir de cette crise, ces dizaines de milliers de citoyens voient désormais clair dans le jeu des puissances (politiques, économiques et médiatiques).
Nous savons désormais que le pouvoir ne lâchera rien. Lâcher un petit peu, c’est donner raison aux Gilets Jaunes et prendre le risque de devoir lâcher plus.
Mais nous savons également que les Gilets Jaunes ne lâcheront rien non plus.
Nous sortons donc du contexte d’un « simple » mouvement social pour entrer dans une bataille au long court pour renverser le système en place. Une bataille avec des épisodes insurrectionnels mais aussi des moments moins spectaculaires mais tout aussi structurants de rencontres, de débats et de construction de nouveaux processus démocratiques.
Le printemps qui arrive sera celui de tous les possibles. Nous savons que le mouvement va perdurer jusqu’à l’été. A nous de profiter de ces moments de manifestations, d’AG, d’occupation, de blocage, pour créer des liens, pour lancer des initiatives, pour écrire l’histoire, notre histoire.
Les Gilets Jaunes ont bien compris que le pouvoir tente de nous faire croire que rien n’est possible en dehors du système libéral actuel. Que les seules alternatives sont celles de régimes autoritaires et réactionnaires. Mais nous savons que tout cela n’est qu’une illusion qui permet de maintenir leurs privilèges.
Ils nous veulent dociles et résignés. Nous serons farouches et rêveurs.
Ils nous veulent diviser et haineux. Nous serons solidaires et fraternels.
Ils nous veulent loosers. Nous serons victorieux.
Crédit photo : Samuel Boivin