Chili : après deux ans de lutte une victoire plus que symbolique

Le combat continue

Après deux ans de situation insurrectionnelle, une page semble progressivement se tourner au Chili. Aussi il nous paraît important de tenter un décryptage à chaud, au-delà de l'aspect symbolique de cette victoire électorale, par les perspectives qui s’ouvrent dans ce pays du Sud Global, le plus riche d’Amérique latine. Rappelons que le Chili a été l’un des pays sur lesquels s’est expérimenté le néolibéralisme et l’impérialisme américain sous sa forme la plus brutale par la doctrine des Chicago Boys. Cette élection est probablement la date politique la plus importante depuis la fin de la dictature en 1990 et sûrement l’une des plus marquantes depuis l’assassinat de Salvador Allende et le putsh soutenu par la CIA de Septembre 1973.

Ancienne figure du mouvement étudiant, Gabriel Boric, 35 ans seulement, remporte l'élection présidentielle soutenu par une large coalition de gauche avec 56% des voix, contre le candidat d'extrême droite José Antonio Kast. La participation de 55% peut paraître faible, c'est pourtant la plus forte mobilisation aux urnes depuis la fin du vote obligatoire en 2012.

 

 

Portant un discours hostile au néolibéralisme et un programme au contenu social engagé dans la lutte contre les inégalités, Boric met en échec un homme d’affaires multimillionnaire, fils de SS, se réclamant ouvertement de l'ancienne dictature de Pinochet, dont la campagne a été faite uniquement sur le "rétablissement de l'ordre", le maintien du régime, et évidemment la peur et la haine envers le communisme, les minorités ou les communautés LGBTQI+.

Mais cette victoire est aussi celle de l'esprit de la révolte qui porte des millions de Chiliens depuis plus de deux ans.

Retour en 2019 : de base, c'est la hausse du prix du ticket de métro à Santiago, capitale du pays qui aura été le détonateur d’un mouvement social explosif et hors du commun dans lequel se retrouvent mêlés un rejet massif des inégalités sociales amplifiées par la pandémie, la dénonciation de l'état calamiteux des services publics, de la corruption endémique, du sort des minorités ethniques du pays, de la lutte contre le patriarcat ou pour l’écologie. Impossible également de faire l’impasse sur la répression à l’encontre de ce mouvement et un présent perçu comme la continuité d’un passé mal digéré alors que Pinochet n’a jamais été jugé et que sa constitution restait en place dans un pays alors dirigé par un milliardaire de droite : Sebastian Piñera.

Le bilan de ce soulèvement est lourd : des milliers de blessés, une trentaine de morts ? (chiffre très difficile à évaluer). On ne sait pas réellement combien de manifestants ont été arrêtés arbitrairement, on évoque des cas de tortures, et de femmes qui auraient été violées par les policiers ou les militaires.

Le dialogue rompu par l'ancien président Piñera, incapable de rétablir l'ordre qu'il promettait à sa base électorale s'est finalement retourné contre lui, même si il aura enfanté un candidat encore plus dangereux qui lui ressemble beaucoup. Sa base électorale a montré son vrai visage en affirmant son identité à travers le vote pour Antonio Kast, dernier cri des forces réactionnaires mises à mal par la fin du mandat de l’ancien président.

Après un revers aux élections municipales en mai dernier, alors que le pays reste en ébullition, le régime de Piñera complètement acculé s'est finalement résolu à faire une concession de taille, espérant une sortie de crise : un référendum sur un changement de constitution est proposé.

Le 4 Juillet 2021, le pays mettait un terme à la constitution mise en place par l'ancien dictateur Augusto Pinochet, inchangée jusqu'à présent.

Représentée par 155 personnes, cette constituante paritaire garantissait aussi une place réservée et permanente aux minorités indigènes pour la première fois dans l'histoire du Chili. Très majoritairement composée de personnalités indépendantes aux idées de gauche avec des profils divers (professeurs, avocats, femmes au foyer, militants écologistes...). Aucun parti politique n'a obtenu le tiers nécessaire pour y siéger en tant que groupe parlementaire pour y opposer un véto. L'abstention y est assez importante, y compris dans le camp révolutionnaire. Cependant toute la base électorale des appareils politiques de droite comme de gauche s’étaient mobilisés et n’ont pas réussi à former un groupe.

La droite alliée à l’extrême droite n’a pas pu maintenir l’ancienne constitution libérale et les partis de gauche se retrouvent en minorité, face à une gauche indépendante globalement plus radicale et issue de la société civile.

Cinq mois plus tard, c'est finalement un ancien porte-parole des mouvements étudiants qui remporte la présidentielle à seulement 35 ans. Alors oui, ce n’est pas encore le municipalisme libertaire appliquée à l’échelle nationale, mais cela reste deux victoires consécutives de taille après deux ans de luttes.

Ce soulèvement a permis de mettre fin à la constitution en place depuis la dictature, de redonner une conscience politique massive y compris sur sa propre histoire liée à l’indigénisme, en particulier chez les jeunes. Il aura réussi à renverser le bipartisme incarné par la droite pinochiste faussement plus acceptable et le centre-gauche représentée notamment par Michelle Bachelet qui estimait en 2006 que le processus démocratique était terminé.

Néanmoins, sans relativiser la tournure historique du résultat de cette élection, il nous paraît très important de souligner que globalement, le camp révolutionnaire semble rester plutôt sceptique et ne se résigne probablement pas à se contenter de cette victoire par les urnes.

Si le sentiment de satisfaction est logiquement fort dans l'immédiat, c'est maintenant que tout commence. La gauche va être confrontée à ses propres limites en tant que réformiste et on se doute qu’elle devra faire des concessions dans le rapport de force qui l'oppose de fait au poids de la bourgeoisie et de l’impérialisme américain qui doit être inquiet de la situation.

De plus, la radicalisation de la droite qui a choisi un gouvernement ouvertement fasciste qui rappelle Bolsonaro et dont le score dépasse les 45% demeure inquiétante.

Dans tous les cas, la lutte paye. Espérons que ce processus révolutionnaire s'affirme sur la durée par tous les moyens possibles sur le sol chilien et continue d'inspirer le reste du monde.

Le Chili a été berceau du néolibéralisme, nous lui souhaitons d'en devenir le tombeau.


Témoignage : l'État réprime des familles à la rue

Étudiant en sciences humaines, je suis bénévole chez Utopia 56 Paris depuis un an maintenant. L’association vient en aide de manière inconditionnelle aux personnes à la rue, majoritairement exilées, et gère surtout des situations d’urgence. Fin 2020, je consacrais mes deux premiers billets pour raconter 31h et 32h dans ma vie militante, à propos de la violence institutionnalisée de l’État et par extension de la police à l’égard des personnes sans domicile fixe et exilées notamment. En région parisienne, elles sont des milliers chaque année à subir les conséquences de ces politiques anti-immigration agressives, exclusives et férocement décomplexées.

Il y a un peu plus de deux semaines, le jeudi 28 octobre 2021 s’est tenue sur la place de l’Hôtel de Ville à Paris une action revendicative réclamant aux pouvoirs publics des hébergements pour des familles et mineurs à la rue. Environ 250 personnes exilées étaient présentes sur place pour demander à l’État de respecter la loi, car l’accès à un hébergement pour tou·tes est une obligation légale. Cette action a été violemment réprimée par la police.

J’ai été témoin direct de scènes plus qu’alarmantes. Rien n’a changé depuis l’année dernière. Ou alors cela s’est empiré. Triste et révoltante nécessité, je ne me vois pas ne pas à nouveau témoigner des faits profondément choquants dont j’ai été témoin, et parfois victime.

VOICI MON TÉMOIGNAGE.

◼️10h.

L’action est prévue aux alentours de midi. Je retrouve une partie des familles et des bénévoles à un des différents points de rendez-vous qui ont été donnés. Au moment où j’arrive, une mère épuisée par la nuit passée part prendre un café pour se réchauffer et se préparer pour la journée qui nécessitera beaucoup d’énergie. Elle nous confie son bébé assis sagement dans sa poussette. Paniqué au bout de trente secondes par l’absence de sa mère, l’enfant se met à pleurer. Même après être passé dans les bras de plusieurs mères et bénévoles, inconsolable, ses larmes ne s’arrêteront pas de couler avant que sa mère ne revienne, une dizaine de minutes plus tard.

Le soleil du matin éclaire faiblement les silhouettes, il fait froid. Une femme m’explique en pointant du doigt son mari, assis sur un banc et emmitouflé dans sa doudoune, qu’il est très malade et qu’il ne dort pas de la nuit. Elle s’inquiète beaucoup pour lui. En France, l’accès aux soins pour les personnes exilées est rendu très compliqué. Avant tout, elles ne sont pas toutes au courant qu’elles y ont droit, ou n’y vont pas par peur d’être arrêtées par la police. Surtout, les suivis médicaux de qualité sont très difficiles (voire impossibles) à mettre en place tant les moyens alloués à cet effet sont insuffisants.

◼️11h.

Nous partons du point de rendez-vous pour prendre le bus. Nous expliquons avec une amie à un père de famille qu’il est très risqué pour lui de prendre part à l’action en vue de son statut administratif (procédure Dublin). Il risquerait d’être intercepté par la police et d’être expulsé hors de France. Il fait donc le choix de ne pas participer, quittant ainsi sa femme et ses enfants. Elle/eux peuvent espérer obtenir une mise à l’abri si l’action réussit.

Une fois arrivé.e.s devant l’abribus, le père s’en va brusquement en tournant le dos au groupe et part à gauche au coin de rue. Nous le perdons de vue rapidement. Cinq minutes plus tard, le bus arrive. Le groupe composé d’enfants, de pères, de mères dont certaines enceintes, monte à l’intérieur.

◼️11h45.

Nous descendons du bus et nous rendons sur le lieu en question. Dans la minute, nous apprenons que le lieu originel de l’action est impossible d’accès. L’information a fuité : alors que le lieu était tenu secret, la police a appris où l'action devait se tenir. De nombreux groupes sont suivis par des policier.e.s infiltré.e.s (des renseignements généraux). Des familles sont bloquées par la police à Stalingrad. Des camions de CRS circulent dans le nord-est parisien pour l’occasion.

Tout semble déjà savamment mis en place pour empêcher à tout prix des familles et mineurs vivant à la rue d’obtenir un toit pour l’hiver. Après avoir discuté de la situation avec les familles, nous nous répartissons en petits groupes autour d’un carrefour dans le 11e arrondissement. Nous proposons aux familles de patienter et d’attendre un peu de temps dans la rue avant de nous diriger vers un nouveau lieu. L’attente et le harcèlement policier sont des situations discriminantes qui se reproduisent quotidiennement pour les personnes exilées.

◼️12h30.

Je discute avec François*, parent avec sa femme Isabelle d’une famille de quatre enfants, le plus petit encore bébé. Il m’explique à quel point leur vie est difficile. Il y a quelques années de cela, il fuyait la Côte d’Ivoire en espérant pouvoir reconstruire sa vie en France. Aujourd’hui, après avoir trimé pour obtenir un titre de séjour, il subit encore et toujours le mépris des autorités françaises. Ce mépris se répercute sur sa famille : ces derniers mois, ils/elles ont enchaîné galères sur galères, jusqu’à ce qu’ils/elles se fassent expulser de leur logement. Maintenant, ils/elles sont SDF. Pourtant, François a obtenu un CDD dans une boîte d’intérim récemment, mais il ne peut pas laisser sa femme seule s’occuper des quatre enfants, encore très jeunes. Il n’a d’autre choix que de mettre de côté son travail pour l’instant. Il ressent une tristesse et une désillusion profondes. Pourtant, il/elle font preuve d’une féroce détermination, plus qu’inspirante, à l’image de l’association qu’il/elle ont créé il y a peu de temps. Elle a pour objectif d’envoyer des jouets aux enfants précaires en Côte d’Ivoire.

Cette discussion réveille en moi une fervente colère envers ces politiques étatiques qui rendent la vie des personnes exilées impossible, même pour celles qui parviennent à obtenir un statut administratif « stable » ; et elles sont rares.

◼️13h.

Nous apprenons le nouveau lieu où doit se tenir l’action : ce sera sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris.

Une fois des bouteilles d’eau distribuées au groupe, nous empruntons le métro en direction du lieu dit. Les poussettes sont nombreuses à rouler sur le bitume des tunnels piétons du métro. Les changements de lignes sont éprouvants pour les familles. Chaque escalier est un calvaire en plus, il faut porter ensemble les poussettes une à une. Nous attendons à plusieurs reprises une mère enceinte qui reprend sous souffle, épuisée.

◼️13h30.

Nous sortons enfin des méandres métropolitains. Je discute avec une mère, ses deux enfants lui tiennent la main. Comme elle est encore assurée d’avoir un hébergement d’urgence pour encore trois jours, si elle est contrôlée par les services administratifs sur le lieu de l’action, elle pourrait se voir retirer la garde de ses enfants. Elle serait en effet considérée comme une mère maltraitante pour avoir remis à la rue ses enfants alors qu’ils/elle ont accès à un logement. Depuis ce matin, nous essayons de lui faire prendre conscience du risque qu’elle encourt. Elle a beaucoup de mal à comprendre, moi aussi d’ailleurs. Comment peut-on infliger cela à une mère en détresse, qui sait pertinemment la difficulté que représente l’obtention d’un logement et le temps que cela peut prendre ? Elle souhaite simplement offrir une vie décente à ses enfants, mais l’administration française ne veut pas l’accepter. Livide, elle est contrainte à cause de ce fonctionnement de reprendre le métro avec ses enfants. Elle retourne donc dans leur hébergement temporaire du 115 (Samu social) à 1h30 de l’école où ses enfants sont scolarisés. François l’aide à descendre la poussette.

◼️13h35.

Nous ne sommes pas encore arrivé.e.s sur le lieu de l’action lorsqu’elle commence. En présence de quelques journalistes, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, soutiens, familles à la rue et mineurs isolés déplient des tentes en nombre. Un campement spontané se dresse pour exiger des logements pour l’hiver aux familles et mineurs participants à l’action. Nous pressons le pas, je prends la poussette d’une mère enceinte pour faciliter son avancée. Il faut arriver avant que la police ne bloque tout accès à la place.

◼️13h40.

Lorsque nous arrivons, deux rangées d’une dizaine de camions de CRS chacune sont garées en face de la place. Des CRS encerclent le campement. Par chance, nous parvenons à entrer à l’intérieur. L’ambiance est très tendue, les forces de l’ordre ont réagi violemment très rapidement. Dès la première tente dépliée, elles sont intervenues. Elles raflent les tentes du campement, puis les entassent sur un côté du parvis, solidement gardées par des policier.e.s. Peu importe que des personnes se trouvent à l’intérieur des habitats de toile : une policière en tire et en soulève un froidement, sans se soucier de la femme qui l’occupe, contrainte d’en sortir brutalement. D’autres de ses collègues l’imitent. Une amie est sauvagement jetée à terre par un agent de police alors qu’elle tentait de l’empêcher de saisir une tente. Nous apprenons qu’un soutien s’est fait embarquer sèchement par les CRS après s’être interposé devant une scène semblable, cinq minutes seulement après que l’action ait débuté. Des personnes crient sous la pression virulente de nos prétendu.e.s gardien.ne.s de la paix. La police est là pour intimider, pour apeurer, pour traumatiser.

Je me trouve auprès des familles que j’ai accompagné au lieu de l’action et nous assistons à ces scènes. François se tient à côté de sa famille et m’interpelle. Il est scandalisé et se sent impuissant. Sans savoir où vraiment poser son regard, essuyant vivement les larmes naissantes dans ses yeux, il me dit ce qu’il ressent : un dégoût profond envers ces policier.e.s, un désir sincère d’être accepté tel qu’il est et de pouvoir enfin, avec sa femme, offrir une vie tranquille à sa famille. Sa détermination et sa rage de vivre me bouleversent, je ne sais quoi faire d’autre que de l’écouter avec la plus grande attention. Ce moment est d’une puissance sans nom. Par respect, je ne me laisse pas submerger par les émotions, et dépose ma main contre son dos en guise de soutien. Soutien forcément insuffisant compte tenu des souffrances qu’il a accumulées depuis de nombreuses années. Je me sens totalement impuissant.

La honte. Jamais nous n’aurions pu imaginer que la Préfecture de Police puisse se comporter ouvertement ainsi à l’égard de familles et de mineurs vulnérables. La honte. Ce mot tourne en boucle dans ma tête. La honte. La police, impunie, agit en roue libre totale. L’État français brise des vies.

◼️14h15.

La police se replie légèrement et marque un temps de pause, fière du succès de sa première opération : une grande partie des tentes ont déjà été saisies, entassées et désormais bien gardées. Nous sommes maintenant nassé.e.s, encerclé.e.s par les forces de l’ordre : plus personne ne peut entrer, mais n’importe qui peut sortir. Pour les personnes exilées, sortir signifie abandonner la possibilité de pouvoir dormir au chaud ce soir, et pendant l’hiver. Pour les bénévoles et militant.e.s, sortir signifie se soumettre une nouvelle fois à la politique de non-accueil de l’État et laisser tomber les personnes qu’elles/ils se sont engagé.e.s à soutenir. Aucun individu ne souhaite sortir, donc.

Sur la place, des gens s’agglutinent autour du rassemblement et observent la scène. Ils/elles se mélangent aux personnes exilées qui n’ont pas pu arriver à temps sur le lieu de l’action, ou qui ont décidé sous la pression de sortir de la nasse. En effet, un certain nombre de personnes, notamment des mineurs isolés, ont préféré abandonner l’idée d’obtenir un logement, angoissées et apeurées par la violence de l’organe répressif de l’État.

L’atmosphère est très tendue, personne ne s’attendait à ce que les agents en bleu soient aussi violent.e.s. Le silence criant qui se répand sur le parvis est significatif de l’état de choc et de stupéfaction dans lequel nous sommes. A cet instant, une seule personne a la force et la rage suffisantes pour exhaler son ahurissement et sa colère. Debout et au bord des larmes, François invective les femmes et hommes en bleu qui nous encerclent. Forte et tremblante, sa voix résonne et brise le silence. Ses trois enfants sont assis juste derrière lui, à l’intérieur d’une des tentes encore restantes. Leurs six yeux écarquillés suivent intensément leur père du regard. Ses mots sont lourds et sensés, puissants et assumés. Il exprime tout le mépris et la colère qu’il ressent à l’égard de l’État français et de sa police qui rejettent violemment sa communauté, comme il dit, elles, personnes exilées et ultra-vulnérables.

Entouré de dizaines de ses subalternes qui nous encerclent, un gradé empoigne un microphone. Première, deuxième et troisième sommations. Ils/elles vont faire usage de la force si nous ne daignons pas partir et rentrer chez nous, car notre manifestation est illégale. Chez nous ? La majorité des personnes présentes dorment à la rue et sont justement là pour réclamer un chez soi. Ses propos sont absurdes, d’une indécence sans nom. En fin de journée, une amie me racontera qu’à ce moment, sous la pression, un père de famille s’est taillé les veines. Sa femme était en panique. Ils/elles ont été sorti.e.s du rassemblement.

Suite à ces annonces, François se retourne, dos aux forces de l’ordre. Il encourage ardemment les quelques 180 personnes encore présentes à tenir tête, jusqu’à ce que nos revendications soient entendues. Son intervention est saisissante ; elle me remotive.

◼️14h30.

Les CRS commencent à intervenir et s’immiscent au milieu du camp en file indienne et le scindent en deux. Nous sommes sur le qui-vive, la tension est à son comble. Les soutiens tentent de constituer une chaîne humaine, fragile, entre le camp et la police. Un bénévole se fait prendre par le bras par deux policiers qui le sortent hargneusement de la nasse. Il semble que les forces de l’ordre aient pour objectif d’expulser un à un les soutiens avant les personnes exilées. Nous avons le réflexe de nous asseoir afin de rendre plus difficile à la police de nous éjecter.

Assis juste devant des familles et quelques tentes avec un bénévole, Alexis, nous nous serrons les coudes. Une petite dizaine de CRS se dirige vers nous. Ils nous demandent de nous lever. Nous refusons. Ils réitèrent leur demande. Nous la rejetons à nouveau. Très vite, ils s’avancent vers nous et empoignent énergiquement avec leurs gants coqués nos bras et nos jambes.

Nous sommes rapidement séparés. Trois CRS me soulèvent et me portent. Mon sac traine au sol. Mon téléphone tombe par terre. Celui qui me tient les bras avance que je suis trop lourd et me lâche les poignets la seconde suivante. Je me retrouve soudainement vulgairement traîné au sol en toute illégalité par ses deux collègues, indifférents, qui me tirent par les chevilles en direction de l’entrée de métro la plus proche. Cela me vaudra plusieurs écorchures au dos et aux bras. Cinq mètres plus loin, le même policier me reprend les poignets pour me soulever à nouveau. Arrivé devant l’entrée de métro, ils me menacent de me jeter dans les escaliers si je ne daigne pas me lever. Même si j’accepte de me lever, cela n’empêche pas l’un d’eux de me pousser droit vers les escaliers. Je manque de tomber. Alexis a lui aussi été emmené de force au même endroit. Trois policiers restent devant les escaliers pour nous empêcher de revenir sur le lieu de l’action. Nous refusons de partir malgré leur insistance.

A peine levé et un peu sonné, j’entends à quelques dizaines de mètres plusieurs cris venant du rassemblement. Alors que nous en avons été évincés, les policie.re.s entrent en confrontation : ils/elles font des percées dans le campement pour secouer, récupérer des tentes, pour attraper de manière arbitraire de nombreuses personnes et les extraire de la nasse. Ces interventions produisent systématiquement une montée en pression et frappent les esprits. Plusieurs personnes sont blessées. Lors d’une percée, des policiers attrapent vigoureusement une femme exilée atteinte d’un handicap moteur. Une amie me racontera que, dès que la mère a vu les hommes en bleu s’avancer vers elle, elle a poussé par réflexe sa fille pour la protéger et l’écarter du danger. Sa fille a vu sa mère se faire agresser à deux mètres d’elle. D’après beaucoup de soutiens, ses pleurs et ses cris furent terrifiants. Les policiers finirent par relâcher la femme et poursuivirent mécaniquement leur intervention. Dans la cohue, une autre amie me rapportera qu’un policier s’était emparé du portefeuille d’un homme exilé. Cet agent finit finalement par rendre le portefeuille à son propriétaire lorsqu’il se rendit compte qu’il avait été pris en flagrant délit par la caméra de mon amie.

Les cas de violences physiques et psychologiques ne font que s’accumuler par dizaines depuis ce matin. Que nous en soyons victimes ou spectateur.rice.s, nous sommes injustement impuissant.e.s face à ces scènes abjectes. Nous ne pouvons que compter sur les nombreuses caméras de bénévoles et celles de quelques journalistes qui saisissent sur le vif ces images. C’est tout ce qui semble nous rester.

◼️15h.

Peu de temps après, d’autres agents de police ramènent un mineur isolé à la bouche de métro où nous sommes toujours bloqués avec Alexis. Ils lui ont enlevé sont haut pour faciliter le fait de le porter. Celui-ci se retrouve torse nu, humilié pour avoir tenté calmement d’entrer au sein de la nasse et espérer une mise à l’abri. Arrivés devant l’entrée du métro, les CRS nous le jettent sèchement dessus, acte qui manque de nous faire tomber tous les trois dans les escaliers. Furieux, nous les invectivons. Le jeune, anglophone, est particulièrement remonté contre les policiers : il les insulte vigoureusement, laissant sa colère s’exprimer. Les policiers tentent de le faire taire, l’un d’eux déclare : « On est en France ici ! On parle Français ! Ok ? ». Ils finissent par nous demander éhontément de le faire taire.

Alors que l’on nous retient dans les escaliers de l’entrée de la bouche de métro, ma tête se trouve à la même hauteur que le sol du parvis. J’observe à travers les grilles de l’escalier les jambes des passant.e.s empruntant chacun.e des trajet différents. Certaines jambes passent leur chemin, d’autres s’arrêtent devant la scène, puis repartent. D’autres interrompent leur trajet ; les jambes s’immobilisent. Je lève la tête. Accompagnée de deux jeunes enfants, une femme nous dépose un regard bienveillant puis tourne la tête vers les policiers et se met à les interpeller. Cernés par les critiques exprimées par de nombreuses bouches qui les entourent, les trois agents de police peinent à rester de marbre. Ils sont déstabilisés mais font mine de ne pas l’être. Accoudée à la barrière juste au-dessus de moi, la femme me propose avec un sourire complice une cigarette que j’accepte volontiers. Son attitude confère un soutien rassurant et éloquent.

Un député de Seine Saint Denis, Eric Coquerel, vient à peine d’arriver. Il nous adresse un mot de soutien, appuyé sur la rambarde de la barrière de la bouche de métro. Il se dirige par la suite vers le rassemblement rejoindre le peu d’élu.e.s présent.e.s sur place pour tenter de raisonner le commissaire chargé de l’opération de répression. Cela ne changera malheureusement pas grand-chose. D’autres soutiens sont amené.e.s dans l’escalier métropolitain, une femme et un homme exilé.e.s y sont aussi dirigé.e.s sous les ordres des policiers. Alors que nous sommes maintenant nombreux.ses à y être entassé.e.s, l’un d’eux nous ordonne de faire attention car elle est enceinte. Quel cynisme.

Depuis le début de l’action, beaucoup de femmes enceintes ont été violentées par ses collègues. Plusieurs d’entre elles ont fait des crises de panique du fait de l’atmosphère ultra anxiogène créée de toute pièce par les forces de l’ordre. Deux ont fait un malaise et ont dû être évacuées, prises en charge par les secours. En tant que témoin de plusieurs scènes affligeantes, une amie me rapportera d’ailleurs que les propos déplacés tenus par ce policier devant l’escalier n’étaient pas un cas à part. Lors de leurs interventions, un CRS a demandé à ses collègues de ne pas toucher aux femmes enceintes ; en guise de réponse, un autre lui a ri au nez en levant les yeux au ciel. Un autre a scandé en riant à un de ses collègues en regardant les femmes exilées : « Qu’est-ce qu’elles pondent celles-là ! ».

◼️15h30.

Sachant que la station de métro Hôtel de Ville comporte plusieurs accès, nous décidons d’emprunter un.e à un.e ou en petits groupes le tunnel souterrain pour prendre un autre escalier et nous libérer enfin du blocage policier pour rejoindre à l’extérieur le rassemblement. Lorsque je descends à mon tour dans le tunnel, vide, j’entends derrière moi le cris puissant d’une bénévole en pleure ; il résonne dans tout le souterrain. Elle arbore un énorme bleu sur la pommette. Elle court se réfugier dans la rame de métro. Elle reviendra quelques minutes plus tard à l’extérieur, le visage fermé.

Dehors, pratiquement l’entièreté des soutiens a été évincée du rassemblement. En face de l’Hôtel de Ville, nous sommes une quarantaine réuni.e.s en bloc devant les forces de l’ordre qui encerclent le rassemblement, composé d’une grosse centaine de personnes exilées et d’une dizaine de bénévoles affichant une détermination certaine. On peut apercevoir encore quelques tentes qui ont échappées aux mains des CRS, sous lesquelles des enfants s’abritent. A l’extérieur de la nasse, nous discutons entre bénévoles : nous sommes sidéré.e.s, outré.e.s par ce qu’il se passe.

Sur notre droite, nous apercevons des policer.e.s suréquipé.e.s se diriger de manière flegmatique vers le rassemblement. Cagoulé.e.s et revêtant des casques intégrales, les BRAV-M (Brigades de Répression de l’Action Violente Motocycliste) ont été mobilisées par la Préfecture de Police. Les BRAV-M sont les brigades créées en mars 2019 par Didier Lallement, alors fraîchement nommé préfet de Paris, afin de réprimer le mouvement des Gilets Jaunes (et les années suivantes contre les mobilisations opposées à la réforme des retraites, la loi de Sécurité globale et à la réforme du chômage). Ces brigades motorisées sont très largement critiquées : elles sont là pour surprendre, pour faire peur, pour réprimer la contestation. Qualifiées par beaucoup d’ultra-violentes, elles rappellent pour maintes personnes les pelotons de « voltigeurs » des années 1980 à l’origine de la mort de Malik Oussekine en 1986 (qui furent dissous suite à cette affaire).

Pour la majorité des membres de la brigade, leur RIO (Référentiel d’Identité et de l'Organisation) est illisible ou absent de leur équipement, ce qui est illégal. Ce matricule permet de les identifier individuellement : le fait de ne pas le porter ou de le rendre illisible leur permet d’être beaucoup plus difficilement reconnaissable, et donc d’éviter d’être identifié.e si une enquête pour violences policières est ouverte. L’un d’entre eux/elles a même osé rayer vulgairement au feutre noir les deux tiers de son matricule. Le sentiment d’impunité est total.

Nous sommes indigné.e.s, apeuré.e.s et révolté.e.s de les voir poser pied à terre et se diriger vers les personnes nassées. La préfecture de Paris a fait le choix de les faire intervenir sur place pour réprimer une action pacifique, composé d’individus ultra-vulnérables et non violents. Certain.e.s d’entre eux/elles remplacent une partie des CRS près du rassemblement. D’autres s’arrêtent près de nous.

◼️15h40.

Un gros camion de CRS avance vers la place et s’arrête juste devant le tas de tentes précieusement gardé par les BRAV-M. Des CRS ouvrent les portes du véhicule, vide. D’autres commencent à s’activer en empoignant les tentes une à une puis en les chargeant dans le camion. Le matériel de survie est stocké au fur et à mesure dans le camion, de manière assez désordonnée. Les tentes ‘’3 secondes’’ sont en effet difficiles à plier… Cette scène nous rappelle exactement celle qui s’était déroulée le 24 novembre 2020 où l’installation d’un camp d’hommes exilés sur la place de la République à Paris avait été lourdement réprimée. La police avait là aussi saisie les tentes, appartenant pourtant aux SDF. Une plainte collective encore en cours avait été déposée notamment pour "vol en bande organisée" contre les préfets de police de Paris, de Seine-Saint-Denis et d’Île-de-France (1).

L’État est plus rapide à mobiliser un véhicule pour transporter des tentes plutôt que pour transporter des familles et mineurs à la rue vers un lieu de mise à l’abri. Non seulement il les violente mais il leur confisque en plus leur matériel de survie. Comment peut-on ne pas avoir honte d’effectuer ce genre de mission ? Avec d’autres soutiens, c’est la question que nous posons aux agents sur place. Aucun d’entre eux/elles ne semble prêter attention à ce que nous leur disons.

Les CRS nous ordonnent de reculer et de passer de l’autre côté de la rue afin de toujours plus nous écarter des personnes encerclées, qui peuvent encore espérer une mise à l’abri. Ils interviennent en même temps à l’intérieur de la nasse pour récupérer des tentes et expulser certains individus. Une femme exilée est évincée du rassemblement et ramenée vers nous. Elle explique paniquée aux CRS qu’elle veut retrouver sa fille qui est toute seule à l’intérieur de la nasse. Ils refusent. Témoins de cette nouvelle scène abjecte, nous appuyons sa demande avec d’autres soutiens. Malgré un léger instant de flottement, les policier.e.s refusent à nouveau froidement. Ils sont en train de provoquer en direct de lourds traumatismes, en pleine état de conscience.

Suite à cela, un CRS me fixe d’un regard noir. Il défend le fait que c’est ainsi que cela doit se passer. Je lui tiens tête. Il n’aime pas ça, et me répond sèchement mots pour mots qu’il a « hâte de me fumer ». Bien qu’ils/elles se trouvent à côté de lui, ses collègues ne bougent pas d’un iota, se rendant de fait complices de sa menace outrancière.

Nous nous retrouvons maintenant à une soixantaine de mètres du rassemblement. De loin, nous distinguons difficilement les dizaines de silhouettes cachées pour la plupart par les corps alignés des policier.e.s. D’un seul coup, malgré la violence de ces dernières heures, les personnes exilées nassées scandent haut et fort des messages de soutien et d’encouragement dans note direction. Elles chantent aussi ensemble leur souhait d’obtenir des maisons. Cela redonne de la force, et nous leur renvoyons les encouragements en prononçant fièrement notre solidarité avec les personnes exilées.

◼️16h.

Les forces de l’ordre finissent de boucler le secteur autour du parvis de l’Hôtel de Ville. Tous les soutiens sont éloignés du rassemblement, tout comme les quelques journalistes présent.e.s sur place. Indépendant.e.s ou pas, les CRS les mettent à l’écart : c’est par exemple le cas de Rémy Buisine, journaliste chez Brut, ou encore de NnoMan, photoreporter.

Cela fait désormais plusieurs heures que l’action dure, aucune personne encerclée n’a pu sortir de la nasse. Interdites de sortir de la nasse, des personnes sont contraintes d’uriner dans des bouteilles en plastiques vide. Des enfants se font réprimander par un CRS car ils jouent au football. A nouveau, une femme enceinte fait un malaise. L’attente, toujours l’attente. Et le harcèlement policier qui n’en finit pas, humiliant et traumatisant.

Il ne reste plus qu’un îlot composé d’une grosse centaine de personnes au milieu de la place vide, défendue par des rangées de policier.e.s qui y bloquent l’accès. D’autres CRS persistent à nasser le groupe au milieu de la place. Technique de maintien de l’ordre très largement utilisée depuis le mouvement des Gilets Jaunes, la nasse a pourtant été interdite en juin dernier par le Conseil d’Etat. D’après le communiqué de cet organe étatique, elle porte notamment « atteinte à la liberté d’aller et venir » et « rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances » (2). Seulement, Didier Lallement laisse faire volontairement, et nos gouvernant.e.s ferment consciemment les yeux. Cela amène donc à des situations comme celle qui se déroule depuis ce début d’après-midi : des nourrissons, bébés, enfants, hommes et femmes vulnérables victimes de violences psychologiques et physiques par l’Etat via la police.

Familles, mineurs isolés et soutiens, nous sommes une centaine posté.e.s sur le trottoir rue de Rivoli à quelques dizaines de mètres du rassemblement, retenu.e.s par la police. Les familles et les mineurs avec nous ne peuvent pas espérer une mise à l’abris par l’Etat ce soir, seules celles nassées ont ce droit. A côté de moi, quatre enfants âgés de 5 à 8 ans jouent à la balle devant un policier tout en observant le rassemblement. L’un d’entre eux reconnaît au loin deux camarades de jeux dans la nasse, qu’il avait l’habitude de voir aux maraudes d’Utopia 56. Il lance un regard envieux à ses camarades et dit aux trois autres enfants à côté de lui : « Ils ont trop de la chance ! J’aimerais trop pouvoir avoir une maison moi aussi ! ». Ses copains acquiescent ses propos avec enthousiasme, puis ils se remettent à jouer, sous les yeux du jeune CRS.

◼️16h30.

Comme beaucoup de personnes encerclées n’ont pas pu manger ni s’hydrater aujourd’hui, nous décidons avec des ami.e.s d’aller acheter des biscuits et des bouteilles d’eau afin de les leur distribuer. Quelques minutes plus tard, nous revenons avec un caddie de supérette rempli et nous nous arrêtons devant la rangée de CRS. Ils refusent de nous laisser passer. Leur gradé, intrigué par la scène, intervient. Il finit par accepter qu’une seule personne ramène le cadi au centre de la place. Je suis désigné pour y aller. Jamais nous n’aurions pensé que nous devrions négocier pour distribuer de l’eau et des gâteaux. Je traverse le no man’s land en poussant le caddie jusqu’au rassemblement. En m’apercevant arriver, les personnes exilées se lèvent, crient de joie et entonnent des slogans. Je lève le point en l’air, mais je me sens profondément mal à l’aise. Comment est-il possible que l’on acclame la venue de ce caddie alors que j’amène simplement des bouteilles d’eau et des biscuits ? Cette scène en dit long sur les innombrables privations matérielles dont les personnes exilées sont victimes. Préméditée, violente et systémique, la politique de non-accueil les empêche d’accéder à une existence digne.

Les vivres leur sont distribuées. Les enfants s’agglutinent autour du caddie pour demander une madeleine et une bouteille d’eau. Une fois le caddie vidé, je ramène le caddie et retrouve mes ami.e.s qui observaient la scène depuis la rue de Rivoli.

◼️17h.

Les cars doivent bientôt arriver et prendre en charge l'ensemble des personnes exilées retenues par les CRS au centre de la place depuis des heures. Les familles et les mineurs se lèvent pour constituer une file d’attente. Elle s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Familles et mineurs devront attendre deux heures dans cette position avant de pouvoir monter dans les cars.

◼️19h30.

Après des heures d’attentes, les 126 personnes rassemblées jusqu’au bout s’installent enfin dans des cars. Elles seront emmenées dans la soirée dans un gymnase réquisitionné à l’occasion par la mairie de Paris pour les loger en attendant une solution pérenne d’hébergement. Pendant ce temps, la maraude du soir de mise à l’abri des familles et des mineurs isolés d’Utopia 56 s’organise de l’autre côté de la place, gérée par des bénévoles qui viennent d’arriver. Sur le trottoir, une grosse centaine de personnes à la rue est présente et réclame de l’aide. En effet, seulement la moitié des personnes ayant participé à l’action bénéficie ce soir d’une mise à l’abri.

La fracture entre les personnes exilées assises dans les cars et celles réunies dehors dans le froid sous la lumière blafarde des lampadaires est profondément déstabilisante et déroutante. Ce soir, ces personnes à la rue dormiront soit sous tentes, soit dans un des hébergements du réseaux solidaires d’Utopia 56.

◼️19h30.

Lorsque les cars partent, les policier.e.s lèvent leur dispositif. De nouveau accessible, la place redevient soudainement un lieu de passage emprunté par des dizaines de personnes à la minute. Nous retrouvons des ami.e.s qui ont passé toute l’après-midi nassé.e.s. Nous prenons le temps d’échanger au sujet de ce qu’il s’est passé aujourd’hui avant dans rentrer chacun.e chez nous, choqué.e.s et épuisé.e.s.

Je ne me voyais pas ne pas témoigner tant ce dont j’ai été témoin me semble alarmant. Alors que nous subissions le climat politico-médiatique plus qu’inquiétant, donnons-nous la possibilité de revendiquer et de défendre la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

Pour beaucoup de soutiens, beaucoup de scènes lors de cette action étaient similaires à la très dure répression policière qui s’était tenue en fin novembre 2020 contre l’installation d’un campement spontanée, sur la place de la République à Paris. C’était il y a un an. Politiquement, rien ne semble changer, si cela ne s’est pas empiré. Cette journée et la façon dont les pouvoirs publics ont géré la situation est représentative et symptomatique de la période dans laquelle nous vivons actuellement.

Ces actes de violence déshumanisants ne sont pas des cas isolés. Ils répondent à une stratégie politique de harcèlement en France et jusqu’aux frontières de l’Europe qui vise à briser la vie des personnes exilées, à les dissuader de se penser comme des êtres égaux/égales en droit avec le reste de la population. Ces stratégies politiques rejettent en bloc de manière décomplexée les droits fondamentaux des personnes exilées et les accords internationaux que la France a pourtant signé en ce sens (Droits de l’Homme, de l’Enfant et Droit d’Asile).

Depuis jeudi 28 octobre et la mise à l’abri des 126 personnes, l’association Utopia 56 accueille quotidiennement une cinquantaine de famille à la rue. Chaque soir, une dizaine de familles et plusieurs dizaines de mineurs isolés accompagné.e.s par Utopia 56 sont contraint.e.s de dormir dehors, dans nos rues. Le réseau d’hébergement citoyen de l’association ne permet pas de loger à la nuitée toutes les personnes vulnérables. Le 115 ne répond pas aux demandes constantes des familles car les Centres d’Hébergement d’Urgence sont saturés.

A l’heure où l’on peut se demander librement sur une chaîne d’information en continu sans trop se faire de soucis si il faudrait « tirer sur les migrants » (3) ou bien « les laisser crever dans le froid » (4) ; à l’heure où notre Président ignore la grève de la faim de militant.e.s à Calais (5), affirmant de manière éhontée qu’à chaque expulsion les personnes exilées sont mises à l’abri (6) ; à l’heure où un maire peut ordonner l’expulsion d’un refuge d’accueil d’exilé.e.s dans les montagnes au début de l’hiver (7) ; à l’heure où des milliers de personnes survivent dans les rues en bas de chez nous alors que l’on recense plus de 3 millions de logements vacants en France (😎 ; il y a urgence.

Pour les personnes qui sont en mesure de le faire, mobilisons-nous ! Ne nous laissons pas dépasser par les élections présidentielles et une grande partie de la classe politique qui ne nous écoute pas. Faisons valoir nos choix de sociétés de manière collective contre la montée des idées d’extrêmes droite. Luttons contre la dystopie autoritaire et institutionnalisée.

Je vous remercie très sincèrement de m’avoir lu.

Je remercie également Pauline Tournier d’avoir accepté que je diffuse ses photographies, particulièrement parlantes, à retrouver sur https://blogs.mediapart.fr/emile-rabreau/blog/151121/un-jour-dans-ma-vie-militante-l-etat-reprime-impunement-des-familles-la-rue

~ Emile R.

* : L’identité des personnes a été volontairement modifiée afin de respecter leur anonymat.


Des acteurs du mouvement Hip-hop se mobilisent contre Rachel Kahn

Au centre culturel Hip-hop La Place, des acteurs du mouvement se mobilisent contre Rachel Kahn, co-directrice du lieu qui revendique idéologiquement un universalisme proche de l'extrême droite.

Cofondé par la mairie de Paris et le Conseil départemental de la Seine Saint Denis, La Place est le premier centre culturel en France voué au hip-hop (rap, djing, beatbox, graffiti, danse, mode...). Situé au nord de la canopée du forum des Halles, il accueille des événements, met à disposition des espaces destinés à la création artistique, la production d'événements et également le développement entrepreneurial et associatif.

La création du centre engendre déjà quelques polémiques concernant l'institutionnalisation d'une culture populaire, autant sur sa présidente d'honneur, la styliste Agnès B, que sur la gestion et les objectifs du lieu qui paraissent tous deux assez éloignés de la réalité de terrain des actrices et acteurs du mouvement.

Pour autant, la vie suit son cours et La Place se développe.

Reste qu'en Janvier 2020, la nomination de Rachel Kahn passe mal. Dès le début, se pose la question de sa légitimité, car sa nomination ressemble à un parachutage plus ou moins forcé de l'équipe municipale de Madame Hidalgo. La mairie de Paris est censée siéger au Conseil d'administration au même titre que les bénévoles.

A ce moment, son livre n'est pas encore publié, elle ne préside pas encore la commission sport de la LICRA et elle n'affirme pas encore vraiment ses engagements au sein du Printemps Républicain et son penchant politique vers l'extrême droite.

En mars 2021 , le conseil d'administration de La Place publiera le communiqué suivant : "Les propos actuellement tenus par Mlle Rachel Khan dans les médias dans le cadre de la promotion de son livre n'engagent qu'elle, et ne reflètent en aucun cas les opinions des membres du conseil d'administration de La Place - Centre Culturel Hip-Hop de la Ville de Paris." Son ancienne amie Agnès B fera parti des signataires et se désolidarisera finalement, après l'avoir quand même félicité pour la sortie de son livre. La mairie de Paris s'énerve et demande la convocation d'un CA exceptionnel, d'après le Figaro)... Une grande partie du CA démissionnera quelques mois plus tard alors qu'elle promotionne son livre "Racée" félicitée depuis par Marine Le Pen. Reste Bruno Laforestie, ancien président de l'association Hip-Hop citoyens qui organise le festival Paris Hip-hop, également directeur de la radio Mouv', dont la soeur était par ailleurs agente artistique de Rachel Kahn, qui choisit de garder son siège.

Depuis, Rachel a fait du chemin, vomissant l'antiracisme au sens large quitte à instrumentaliser l'antisémitisme, elle siège notamment au think-thank de Jean Michel Blanquer dont le but est d'observer les militants antiracistes. Mieux encore, elle fait la promotion d'Alain Finkelkraut, reprenant une citation d'un de ses textes sur une instru d'Eminem durant une émission de radio où elle prétend "rapper". Oui c'est grotesque à lire mais encore plus pathétique à regarder.

Une dernière précision : selon des sources proches du CA, Rachel Kahn serait quasi toujours absente des lieux, avec un salaire de 3500 euros mensuel cumulant déjà de nombreux postes.

Face à elle, un groupe de passionné-e-s rassemblant des actifs dans les milieux du rap, du graffiti, de la danse, de simples amateurs et amatrices ainsi que des journalistes spécialisé-e-s ont décidé de sensibiliser l'opinion publique pour présenter leur pétition dont vous trouverez le lien en commentaire.

Cette pétition a été distribuée samedi dernier, pour la première fois avant le concert de Benjamin Epps et The Alchimist à un public amateur de rap globalement stupéfait se demandant "Comment c'est possible ? ".

Ce n'est pas pour le hip-hop que l'on connaît Rachel Kahn mais bien les idées politiques qu'elle véhicule.

Chez Cerveaux non Disponibles, vous êtes nombreux à aimer tout ce qui touche cette culture, certains d'entre v(n)ous la vivent depuis toujours, aussi le message est clair : casse-toi Rachel, tu as le droit de faire la coupole sur le discours de Zemmour mais garde le pour tes fachos admirateurs !

Le lien de la pétition : https://www.mesopinions.com/petition/art-culture/communaute-hip-hop-se-mobilise/161939


☀️ Du soleil en automne ☀️

Pourquoi il n'y aura pas de saison 2 du mouvement des gilets jaunes, mais bien une nouvelle série, au scénario complètement différent. Un blockbuster qui scotchera tout le monde.

Depuis environ 48h, les appels circulent partout pour un retour massif des gilets jaunes trois ans après le début du mouvement. Des appels à l'aide de certain.e.s, des envies d'y retourner pour d'autres. Le gilet jaune est depuis deux jours devenu la cape du héros déchu qu'il doit revêtir au plus vite. En quelques heures la machine de guerre s'est emballée. Le #GiletsJaunesSaison2 en tendance Twitter, des figures du mouvement invitées sur des plateaux télés, des articles se multipliant dans les médias.

Mais disons le clairement, une « saison 2 » des gilets jaunes n'est ni possible, ni souhaitable.

🔶 PLUS RIEN NE SERA JAMAIS COMME AVANT

Depuis le mouvement des gilets jaunes, et dans un régime sanitaire écrasant, les mouvements se sont multipliés dès qu’ils le pouvaient, comme ils le pouvaient. En 3 ans nous avons connu pas moins de 6 mouvements massifs, aux formes et aspirations diverses. Du jamais vu.

▶️ Les mouvements antiracistes (islamophobie et négrophobie) et contre les lois liberticides ont ramené dans la rue des dizaines de milliers de jeunes, manifestant parfois pour la première fois et avec une détermination rare contre le racisme, la police et la surveillance de masse. Qui ne se souvient pas de cette foule devant le tribunal de grande instance, ou cette manifestation terminant place de la bastille, quand la BRAV-M fut complètement acculée.

▶️ Le mouvement contre la réforme des retraites a réussi a réactiver les machines syndicales et à les réinscrire dans la volonté du mouvement de masse. Bien que celui-ci fut stoppé avec l’arrivée inévitable du confinement, il a été une période où beaucoup ont renoué avec la grève, les blocages, les démonstrations de force. Tous les corps de métiers y étaient représentés. On se souvient notamment des pompiers en grève, des mois durant en première ligne, et dont la détermination a permis de dévoiler le vrai visage de leur corporation voisine : les flics.

▶️ Le mouvement des occupations de théâtres qui a eu lieu partout en France, jusque dans les théâtres les plus reculés de la Drome, il a permis de mettre en évidence la nécessité d’avoir des espaces où s’organiser. Les théâtres ont essayé de devenir les ronds-points de 2018. Des lieux où l’on se retrouve, où l’on mange, où l’on s’organise, où l’on échange, où l’on crée du commun. Des lieux désirables où l’on se confronte au réel.

▶️ Le mouvement contre le pass-sanitaire lui, a réussi à mettre dans le mouvement tout un tas de gens que personne n’attendait. Parfois des indésirables disons-le clairement. Mais aussi beaucoup de confusions qui auraient le mérite d’être clarifiées. Le pass-sanitaire comme dispositif de contrôle, comme outil de précarisation de beaucoup de professions. C’est ce que nous devons retenir.

▶️ Les derniers rapports du GIEC n’ont fait que grossir les rangs des militant.e.s défendant le vivant. Contre l’artificialisation des terres, les projet écocides à l’image des aménagements pour les JO 2024.

▶️ Les luttes féministes n'ont cessé de s'opposer au système patriarcal, aux violences sexistes et sexuelles dont la nomination du ministre de l'intérieur, Darmanin en a été le visage le plus exacerbé.

▶️ Les luttes LGBTQ ont continué de se diffuser, dans des prides radicales et sur les réseaux sociaux.

Toutes ces luttes se font échos entre elles, elles s'entremêlent et font face à un état et une police qui perpétue et accentue aussi bien les oppressions racistes, sexistes, LGBTophobes et précarise une population déjà à genoux

🔶 TENIR ENSEMBLE

Ces mouvements ont tous eu lieu en temps de pandémie, d'état d'urgence, de confinement, de couvre-feu. Alors que nos vies sont dictées par les discours napoléoniens d’un Macron plus arrogant encore que n’importe quelle star d’Hollywood.

Nous avons tenu la pandémie, maintenu et consolidé les liens sociaux là où le pouvoir cherchait à nous isoler.

Alliant la réalité du risque sanitaire et la nécessité de résister aux attaques anti-sociales et liberticides. Nous avons tenu, il est désormais temps de déborder.

A ce stade du texte, vous devez sûrement voir ou je veux en venir. Il serait inutile et prétentieux de croire que le mouvement des gilets jaunes reviendraient comme ça, en claquant des doigts, à l’appel de quelques figures et quelques comptes Twitter. Il ne peut y avoir de saison 2, car les suites sont toujours plus fades. Même si le gilet reviendra sur les épaules de nombreuses personnes dans le mouvement qui vient. Même si les ronds-points redeviennent les points centraux de la mobilisation, celle-ci ne pourra être « le mouvement des gilets jaunes ». Il sera et doit être plus vaste, plus diversifié, sans doute plus déterminé.

Il y aura les gilets verts, les gilets noirs, les gilets rouges dans un mouvement arc-en-ciel, ingouvernable. Il y aura du partage de pratiques, de modes d’actions. Certain.e.s occuperont quand d’autres bloqueront. Certain.e.s feront de grandes cantines et de délicieux barbecues ravitaillant les émeutiers fatigués. Tout ce que nous avons appris ces dernières années, qui que nous soyons, nous en tirerons profit. Nous avons tissé des liens. Faisons-en des nœuds.

L'économiste Frédéric Lordon disait déjà au printemps 2018, quelques mois avant le mouvement des gilets jaunes et pendant la grève des cheminots et l'occupation des universités :

💬 « Il faut que tous sachent qu’ils ont les moyens de faire dérailler le convoi. Ce que nous voulons ? C’est le mouvement de masse. Si l’offensive est générale, nous voulons le débordement général. Il faut dire à tous ceux qui se sentent dans le malheur qu'il y a une issue. Luttez, luttons, c'est le moment. »

🔶 MOURIR PEUT ATTENDRE

Les raisons du mouvement qui s’annonce sont multiples, et recoupent les raisons des différents mouvements sociaux de ces trois dernières années. Pour beaucoup, pris à la gorge par l’austérité, la précarité, les multiples oppressions systémiques ou la destruction des libertés, il s’agit bien de prendre la rue ou de mourir. Et comme nous le dit si bien le dernier 007, Mourir peut attendre, alors prenons la rue.

▶️ Les augmentations des carburants, du gaz, de l’électricité, mais également du blé et des matériaux comme le bois ou l’acier.

▶️ Les réformes anti-sociales, précarisant d’avantage. (Assurance chômage / Retraites)

▶️ Les lois liberticides : séparatisme, sécurité globale, état d’urgence et pass sanitaire

▶️ Les pleins pouvoir à une police et un Etat de toute les répressions, de toutes les oppressions

▶️ La multiplication des projets d’artificialisation des terres (JO 2024, Port du Carnet, Triangle de Gonesse)

A qui ne voit pas du commun dans le combat à mener contre les gestes du pouvoir devrait lui être offert une consultation chez l’ophtalmo. Le simple fait que ce soit les mêmes qui aient le pouvoir de décision sur l’ensemble de ce qui vient d’être évoqué devrait suffire. Mais il y a bien du commun entre le social, le vivant, et les libertés. Tryptique interconnectée. Car affectant directement nos corps.

🔶 EN FINIR AVEC LA MASCARADE

Pour couronner le tout, nous rentrons dans la grande mascarade de 2022 et soyons en assurés, il n’y a à chercher en aucun.e des candidat.e.s une alternative désirable à ce que nous vivons.

La classe politique est à bout de souffle, elle gesticule. Regardons-la de loin, pour pouffer de rire de temps en temps lors d’un débat folklorique entre un Zemmour et un Mélenchon.

Mais ne tombons pas dans le piège qu’imposent ces moments de bouffonnerie. La seule chose qui peut nous sortir d’une telle situation, c’est Nous, ensemble et dans la rue.

💬 « L’évidence a changé de camp – on se demande comment on a pu y croire. Ils n’ont plus pour eux que le vacarme de la télé et les bottes des CRS. Presque rien n’a changé, mais ce n’est plus comme avant. […]

Ce n’est qu’à partir de l’intelligence de ta situation que tu trouveras les prises pour t’emparer de 2022, pour inventer les milles agencements insoupçonnables, intimes, collectifs, langagiers, un souffle, un refus, une foule, qui tenteront d’enrailler effectivement cette mauvaise farce. Si c’est pas pour cette fois-ci, ce sera pour l’après, ou pour la prochaine. Tu ne seras pas seul, car l’évidence que cette mauvaise farce en est bien une rend infiniment plus partageables toutes les tentatives pour la déjouer. Frappe au hasard, tu trouveras. », En finir avec 2022, Lundi Matin

Il n'y aura pas de saison 2 des gilets jaunes. Il y a une nouvelle série qui va sortir, au scénario complètement différent. Un blockbuster qui scotchera tout le monde. Pour y prendre part, il va falloir arrêter de regarder Squid Game et foncer sur le plateau de tournage le plus proche de chez toi. En bas de chez toi. Dans la rue.

Nous n'avons pas la date de sortie précise. Certaines disent que c'est mieux de garder la surprise. Tenons nous prêts, il y aura peut-être un beau soleil cet automne ou cet hiver.


Prisons iraniennes : la pandémie de la torture

Le 22 août, des médias iraniens basés à l’étranger ont diffusé des images de la plus sinistre prison d’Iran, Evin, où sont incarcérés et torturés les prisonniers politiques et les étrangers retenus en otage.

Ces images ont été piratées par un groupe de hackers se nommant Edalate Ali (la Justice d’Ali). Chaque jour de nouvelles vidéos montrant des prisonniers battus, inconscients, humiliés par les gardiens, des images de cellules bondées où les prisonniers dorment à même le sol, sont diffusées publiquement, mettant encore plus dans l’embarras ce régime fasciste sur la scène internationale.

Un régime qui arrive en fin de cycle et qui, sous la pression de tout un peuple aspirant à une révolution, joue aujourd’hui sa dernière carte pour se maintenir malgré tout au pouvoir.

Focus sur ce qui pourrait être les derniers jours d’une dictature vieille de 42 ans.

Mardi 3 août, l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi est intronisé président d’Iran par le guide suprême du régime l’ayatollah Khamenei, qui a comme toujours lui-même téléguidé une mascarade d’élections où toute opposition au régime est bannie afin de mettre son poulain au pouvoir. Le peuple iranien n’étant pas dupe, il a massivement boycotté cette mise en scène électorale.

19 jours avant, le 15 Juillet 2021, d’énormes manifestations éclatent dans la province du Khouzestan, au sud-ouest de l’Iran. La population locale, qui subit de plein fouet une montée des températures atteignant 52 degrés à l’ombre doit vivre avec des coupures d’eau de plus en plus incessantes et soudaines pouvant durer plusieurs jours. En cause un réseau hydraulique mal géré et laissé à l’abandon par l’Etat. La population qui ne demande que de l’eau, le premier besoin vital de l’être humain, reçoit en échange des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles, faisant en 10 jours 13 morts identifiés parmi les manifestants.

Cette répression brutale ne s’arrête pas là, 361 personnes ont été identifiées comme détenues par les pasdarans (la milice du régime iranien) selon Human Rights News Agency.

En 2019 déjà, nous vous parlions d’une révolte qui avait embrasé le pays suite à l'annonce d'une hausse des prix du carburant.

Révolte matée dans le sang, faisant 1500 morts selon l’agence Reuters, un tiers des victimes étant des femmes.

Mais la population n’ayant plus rien à perdre, continue son combat contre ce régime sanguinaire, des centaines de manifestations sont comptées chaque mois partout dans le pays, des étudiants aux professeurs en passant par des infirmiers et des ouvriers qui ne sont plus payés depuis des mois, et des retraités qui ne reçoivent plus de retraites.

Tous exigent le respect de leurs droits les plus élémentaires.

L’inflation de la monnaie iranienne ayant explosé, la plupart des Iraniens ne peuvent plus manger à leur faim. Avoir un peu de viande dans un repas devient un grand luxe…

Pendant que de l’autre côté, le régime dépense des centaines de milliards de dollars dans la course à la bombe atomique et exporte le terrorisme dans le monde (plus particulièrement en Iraq, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Palestine) en soutenant les fondamentalistes religieux, faisant encore plus de victimes dans les populations civiles du monde entier, et laissant mourir de faim sa propre population à l'agonie.

Mais encore une fois, le peuple iranien fait plus que résister. Depuis le début de l’été une « Campagne de grève 1400 », en référence à l’année en cours dans le calendrier iranien, se coordonne dans tous les pans de la société.

Lancée par des ouvriers de la pétrochimie, cette grève s’est répandue comme une traînée de poudre dans d’autres branches ouvrières. Jusqu’à aujourd’hui des dizaines de milliers de travailleurs en grève continuent le combat au slogan « les ouvriers mourront mais n’accepteront pas l’humiliation ».

De plus, l’Iran n’est pas épargné par le coronavirus. Subissant les décisions suicidaires du guide suprême de bannir les vaccins britanniques et américains, ne donnant aucun moyen décent aux hôpitaux surchargés et décidant de maintenir des fêtes religieuses rassemblant des milliers de personnes sans aucune protection, le peuple iranien paye aujourd’hui un lourd tribut.

Selon le Conseil national de la résistance iranienne, principale opposition au régime des mollahs, on compte aujourd’hui plus de 382.600 décès liés au coronavirus. Une véritable hécatombe. Un crime contre l’humanité, qui arrange bien le régime qui par tous les moyens, veut étouffer les contestations populaires qui ne cessent de gronder.

En mettant au pouvoir un personnage comme Raïssi, le régime utilise sa dernière carte et veut faire passer un message aux Iraniens ; à partir de maintenant, la répression violente sera le seul mot d’ordre des mollahs.

Ebrahim Raïssi, appelé le « Eichmann de 1988 » par la population iranienne, en référence au nazi SS qui était chargé de la logistique pour l’extermination des Juifs, a fait partie de la commission de la mort durant l’été 1988, se chargeant de massacrer plus de 30 000 opposants politiques en quelques semaines dans les prisons d’Evin et de Gohardasht, principalement des membres et sympathisants des moudjahidines du peuples, un groupe politique de gauche, une résistance armée à cette époque et farouchement opposée aux mollahs, qui fait aujourd’hui partie du Conseil national de la résistance iranienne.

Des milliers de corps ont été enfouis dans des fosses communes, dont les emplacements sont gardés secrets par le régime jusqu’à maintenant, refusant aux familles des victimes de faire le deuil de leurs proches.

Mais le mardi 10 août, s’est ouvert en Suède le procès d’Hamid Noury, arrêté le 9 novembre 2019, à sa descente d’avion à l’aéroport de Stockholm par la police suédoise. Hamid Noury, aujourd’hui sexagénaire, était membre de la « commission de la mort », qui a décidé en 1988 de l’exécution de plusieurs centaines de prisonniers politiques dans la prison de Gohardasht. Il sera jugé par la justice suédoise pour crime de guerre, meurtre et crime contre l’humanité.

Ce procès est un véritable coup de massue pour le régime, et plus particulièrement pour Raïssi, fraîchement arrivé au pouvoir, et dont l’implication certaine dans les massacres de 1988 va être mise en lumière au monde entier. Plus aucun pays voulant collaborer avec ces fascistes ne pourra dire qu’il ne savait pas que ce régime est un régime criminel, isolant encore plus les mollahs et les rangeant dans la catégorie des dictatures les plus infâmes que le monde n’ait jamais connu…

Un isolement international qui ne fait qu’affaiblir ce régime, couplé à un peuple qui n'ayant plus rien à perdre, n'aspire qu'à la chute de ce fascisme religieux, et ce malgré la peur toujours présente, révèle une évidence : le vent s’est levé en Iran.

Le vent du printemps de la révolution, puissant et inarrêtable, prêt à balayer l’oppresseur, laissant enfin place à la liberté du peuple joyeux de construire un monde meilleur.


💉 Macron, la dose de trop 💉

Pas besoin de nier l'existence et la gravité du Covid pour être révolté par le dernier discours de Macron. Pas besoin d'être antivax pour être scandalisé par la façon dont le pouvoir décide d'imposer cette vaccination. Imposer aux soignants sous peine de ne plus être payé (mais seront-ils encore applaudis?), imposer pour aller au restaurant, au ciné, pour prendre le train... C'est bien une obligation qui ne dit pas son nom !

Nous avons toujours été du côté des soignants, du côté de la vie. Nous avons à plusieurs reprises pris position pour la mise à disposition de masques, au moment où le pouvoir disait qu'ils ne servaient à rien (avant de l'imposer de façon autoritaire). Nous avons appelé à manifester pour soutenir l'hôpital public, financièrement et humainement. Nous savons que le vaccin peut aider à freiner le virus, et sauver des vies. Mais nous comprenons les doutes sur les risques potentiels d'un vaccin créé aussi rapidement (même si la recherche sur le sujet date d'une dizaine d'années,) grâce aux fonds colossaux apportés par la finance, sans recul, et dans un monde pharmaceutique régi par le profit.

La France compte déjà plus de 35 millions de vaccinés. Plus de la moitié de la population, dont la très grande majorité des populations les plus fragiles face au virus. Sans que le le vaccin soit imposé, la majorité des Français ont fait le choix de la vaccination. La plupart avec des doutes et craintes, à juste titre, sur les éventuels effets secondaires.

Le « gain sanitaire » des nouvelles mesures liberticides du pouvoir sera très faible. En revanche, la perte en terme démocratique et social est énorme.

Dans quelques jours, nous allons ainsi « accepter » de devoir montrer patte blanche pour aller au restaurant, au cinéma, pour prendre le train...

Nos esprits vont accepter que notre vie privée, et notamment notre santé, soit accessible à des sociétés pour pouvoir accéder à des services. Aujourd'hui c'est le Covid qui est tracé et contrôlé. Mais demain ? La grippe ? Un nouveau virus ? C'est une brèche dans notre paradigme de vie en société, qui peut très rapidement aboutir à d'autres dérives, peut être encore plus graves.

Que fera un gouvernement encore plus autoritaire qu'actuellement de cette arme du pass sanitaire ? On a vu les dérives du contrôle en Chine ou en Israël. Et, à la vitesse où vont les choses, cela peut très vite déraper. La France semble être totalement prête...

Nous vivons depuis plusieurs années dans l'état d'urgence sécuritaire (risque d'attentat) puis d'urgence sanitaire (risque épidémique). Ces états d'urgence ont pour conséquence de détruire les garde fous de nos libertés individuelles et collectives, sous l'autel de la « sécurité ».

Pourtant, ce sont des moyens dans l’hôpital public et dans la recherche qui vont sauver des vies. Bien plus que l'état d'urgence. Bien plus qu'un pass sanitaire.

Le discours de Macron est d'ailleurs une triple dose d'horreur sociale puisqu'en plus de ces mesures liberticides, le président des riches en a profité, discrètement, pour détruire la vie des plus précaires. D'une part en affirmant que la réforme de l'assurance chômage serait appliquée, malgré les mises en garde du Conseil d'Etat et l'opposition des syndicats. Une réforme qui s'annonce catastrophique pour les chômeurs, notamment les plus précaires. Une réforme qui va clairement faire plonger des dizaines de milliers de Français dans la pauvreté.

D'autre part sur la réforme des retraites avec la volonté affichée de Macron de reculer l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Parce que bon « puisqu'on vit plus longtemps, il faut bien travailler plus longtemps ! »

Sauf que les pauvres vivent en moyenne 13 ans de moins que les plus riches. Et que de plus en plus de Français vont tomber dans la pauvreté/précarité, notamment grâce aux mesures de ce même Macron !

Ce n'est pas un hasard si le pouvoir a décidé de glisser ces deux mesures de guerre aux pauvres, dans le même discours que celui des mesures liberticides pour lutter contre le covid.

Les ultra riches savent en effet qu'ils peuvent profiter de la « crise » pour asseoir leur domination sociale et économique, en terrorisant la population et en imposant des mesures « d'urgence face à la situation dramatique ». Des mesures toujours dirigées dans le sens d'un autoritarisme en terme de libertés individuelles et d'un libéralisme économique.

C'est une guerre qui est menée. Et elle est en train d'être gagnée. Par la classe dominante. Par la classe dirigeante.

Seul un séisme social pourra contrer cette course mortifère vers leur monde d'après.

 


Colombie : la France complice

"Les entreprises françaises bénéficient en Colombie d’une excellente image. Outre les actions de fondations d’entreprise françaises sur le plan social, les filiales françaises apparaissent année après année comme le premier employeur étranger en Colombie (environ 100 000 emplois directs). De nombreuses entreprises françaises ont connu de beaux succès en Colombie." (source Site Officiel du Medef)

A l'heure où les massacres de la police colombienne et des paras menés par le binôme Uribe/Duque continuent, il nous paraissait important de souligner la complicité de la présence française en Colombie par son silence.

Cette présence c'est plus de 210 entreprises (source chambre du commerce), 130 accords de coopération universitaire, 12 Alliances françaises, des échanges culturels récurrents, une coopération avec la police française qui ne se cantonnerait pas qu'à la lutte contre le narcotrafic (comme un peu partout dans le monde). La Colombie est le premier bénéficiaire de l’aide publique du développement français sur le continent américain, et donc la France contribue à accroître les inégalités sur place. Dans tous les cas, le silence est accablant alors que la situation dans le pays se dégrade.

En effet : ni les dizaines de morts, ni les centaines de disparus, les milliers de blessés, les militants arrêtés arbitrairement, torturés, violés, frappés ne semblent peser sur la conscience morale des industriels venus faire fortune sur le sol colombien. Aucune condamnation réelle y compris de la part des associations d'échanges universitaires qui semblent peu soucieuses du sort réservé aux étudiants et enseignants colombiens au front pour défendre leurs droits depuis 2019.

Il nous paraît légitime et important de préciser que par le passé, dans presque toute l'Amérique du Sud, la France a participé de manière concrète à aider les dictatures et à la formation des groupes paramilitaires d'extrême droite, invitée à exporter son savoir-faire en matière de contre-révolutions pratiqué durant la guerre d'Indochine et surtout d'Algérie (Opération Phénix) mené par Paul Aussaresses. Sur ce sujet, on pourra citer le documentaire de Marie Monique Robin "Escadrons de la mort, l'école française 24". La France était seule à collaborer aussi étroitement avec les USA durant l'Opération Condor, elle avait une présence militaire plus ou moins secrète en Argentine, mais aussi en Colombie, Chili, Brésil et au Vénézuela, d'après Pierre Messmer ministre des armées sous De Gaulle. Dans les années 70, le président Giscard d'Estaing a appuyé les juntes de Videla en Argentine et de Pinochet au Chili. L'héritage diplomatique et industriel paraît assez logique. Nous savons aussi que la police française participe à aider la police colombienne, ici aux côtés de la DEA et du FBI.

 

Les entreprises françaises, numéro 1 parmi les étrangères sur le sol colombien

Nous avons choisi de lister ci-dessous quelques unes des plus grosses entreprises françaises présentes sur le sol colombien, estimant qu'elles se rendent complices des massacres d'état par leur silence :

Groupe Éxito ( groupe Casino), Sanofi-Genfar, Axa-Colpatria, Renault-Sofasa, Groupe Seb-Imusa, L’Oréal-Vogue, Teleperformance-Teledatos, Schneider Electric, Sodexo, Lactalis, EDF, Legrand, Veolia, BNP Paribas, Airbus, Nexans, Mersen, April, Vinci, Alcatel, Thalès, Suez, l'Occitane, Saint-Gobain, Natixis, Crédit Agricole, Accorhôtels (gros projet d'investissement en cours), Royal Canin, Servier, Bolloré, Total, Arcelor-Mital, Air Liquide etc.

Liste détaillée et un peu plus complète des entreprises françaises recensées sur le sol colombien, classées par secteurs comprenant l'adresse du siège social

 

EXITO, filiale du groupe Casino, main dans la main avec l'ESMAD

Premier fait établi, une filiale du groupe Casino : Exito a fait des dons à la police anti-émeute ESMAD ( qui correspond à un mélange de ce que sont nos BRAV et CRS). On doit à ces unités de police la responsabilité de nombreux morts, de cas de tortures et d'exactions très graves sur les manifestants.

Dans cette vidéo, EXITO félicite l'ESMAD et justifie son don félicitant son travail, en présence de Diego Molano (ministre de la défense depuis février 2021). Le représentant d'EXITO, explique que les entreprises privées sont là pour soutenir la force publique. Il remet une carte cadeau de 40 millions de Pesos (plus de 9000euros) au ministre pour les agents et leurs famille qui se seraient battus pour "la démocratie".

 

 

 

De plus, à Cali, épicentre des révoltes, un supermarché EXITO, aurait peut être servi de centre de détention provisoire où des manifestants auraient été torturés d'après cet article et de nombreux témoignages (le groupe nie). Il aurait fallu 24 heures pour que des représentants de l'exécutif et des défenseurs des droits humains puissent y entrer après ces révélations, de nombreuses informations contradictoires en sortie de commission sont décrites par des parlementaires et n'auraient pas été prises en compte dans le rapport officiel (nettoyage par des produits ménagers, emplacement des traces de sang...)

Le groupe français Casino ne serait-ce que par ce don, participe plus ou moins directement à la répression en cours. On se doute qu'il n'est pas seul, ce pourquoi nous espérons que des journalistes ouvriront des investigations.

Si vous avez des informations vérifiées ou vérifiables sur le rôle de la présence française : n'hésitez pas à nous transmettre tout ce qui concernerait cette porosité ou collaboration avec le régime de Duque/Uribe, mais aussi concernant les blocages ou grèves en cours dans ces entreprises.

Nous ferons de notre mieux pour que l'information circule.

 

Que pouvons nous faire ici ?

Nous ne nous faisons aucune illusion sur le fait que ni la diplomatie, ni les entreprises françaises, ni le gouvernement Macron, ni les organisations politiques ne prendront leurs responsabilités et bougeront le petit doigt à moins d'une très forte pression interne. Tout au plus un appel démagogique au "calme" ou "à calmer les tensions des deux cotés".

C'est donc aussi sur notre territoire que nous devons appeler à se mobiliser le plus massivement possible pour soutenir les révoltes actuellement en cours, et mobiliser la presse pour qu'elle enquête afin que la France et ses entreprises prennent leurs responsabilités. C'est un devoir non seulement pour le continent américain, mais aussi pour l'ensemble du sud global et donc pour l'avenir du monde.

Après deux ans de mobilisation, le Chili, pays le plus riche d'Amérique latine et l'un des plus à droite va finalement se débarrasser de la constitution mise en place depuis Pinochet, infligeant un sérieux revers au président Piñera, en sachant qu'une partie des manifestants a pourtant préféré s'abstenir méfiante à l'égard de la démocratie représentative. L'un des terreaux d'expérimentation le plus caricaturales du néo-libéralisme imposé par les USA en tête est donc en train de s'écrouler.

C'est aussi ce qui se joue en Colombie actuellement dont l'influence économique pèse dans de nombreux secteurs économiques de taille : portuaire, numérique, touristique, pétrole et hydrocarbures ou même le narcotrafic. Cinquième pays le plus riche d'Amérique du sud, chasse gardée des USA, prise en tenaille par les paras, l'extrême-droite et les narcos, elle est un exemple concret de tous les travers engendrés par le capitalisme.

L'épicentre révolutionnaire, Cali, n'est pas un symbole mais un exemple à suivre pour tous les révolutionnaires du monde incluant une lutte dans son ensemble : place des minorités, points de blocages, organisation autonome supervisée par les premières lignes, programme de démocratie directe etc.

N'importe quelle victoire remportée par les insurgé-e-s colombiens peut contribuer à l'effet château de cartes à l'échelle d'un continent gangrené par la corruption et par les déstabilisations venues de l'Oncle Sam pour défendre "son" territoire par tous les moyens du soutien à une gauche libérale (Equateur) en allant jusqu'à des coups d'états d'extrême droite échoués ou réussis ces dernières années (Honduras, Venezuela, Bolivie...).

Depuis la France : nous insurgés appelons à soutenir le peuple colombien de toutes les manières possibles.

Nous reviendrons très rapidement sur les événements en cours pour faire un point plus détaillé de la situation sur place avec l'appui de correspondants,

En attendant, toutes nos pensées et tout notre amour révolutionnaire accompagnent les victimes de la répression du régime Duque/Uribe et tou-te-s les manifestant-e-s colombiens.


Réforme de l'assurance chômage : la fabrique à pauvreté du gouvernement

Annoncée comme une lutte contre la précarité et la permittence (novlangue désignant l’alternance de contrats et de chômage) par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, la réforme de l’assurance chômage dite « universelle » était une mesure phare de son programme.

Mais derrière cette belle opération de séduction pré-électorale se cache surtout une économie à venir de 2.3 milliards d’euros par an selon les prévisions de l’Unédic.

Et depuis fin 2019, avec le début de sa mise en place en 3 phases, la réforme se révèle bien moins sociale que ce que le gouvernement voulait nous faire croire : sous couvert de lutter contre l’abus des contrats courts, elle permet en réalité de taper sur ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’accepter ce type de contrats.

Un rapport édifiant de l’Unédic, l’association chargée de la gestion de l’assurance chômage en coopération avec Pôle Emploi, alerte sur les effets de cette réforme.

 

⏳ Sur la phase 1 mise en place au 1er Novembre 2019, la période de travail nécessaire au rechargement des droits au chômage d’un demandeur d’emploi a été rallongée. Elle est passée de 1 à 6 mois, puis généreusement revue à 4 mois le temps de la crise sanitaire.

En allongeant les délais et en durcissant les conditions pour être indemnisé, la mesure a fait ses premières victimes. Ce sont les salariés en CDD, les intérimaires, les extras, les saisonniers… qui doivent additionner les contrats courts renouvelables afin de pouvoir recharger leurs droits et continuer à toucher les allocations chômage.

Mais elle a également fait ses premières économies, car en retardant le rechargement de leurs droits, c’est autant de mois d’indemnisations non versées par le gouvernement.

Pour faire mine de respecter les promesses de campagne, l’assurance chômage a toutefois été ouverte à des catégories qui n’y avaient pas droit jusque-là, à des conditions à la limite du ridicule tant elles sont peu atteignables :

Pour les salariés démissionnaires

Avoir au minimum 5 ans d'ancienneté, dans la même entreprise, et présenter un projet de reconversion dont la faisabilité doit être validée par une commission.

Pour les travailleurs indépendants

Être impérativement en liquidation judiciaire après au moins 2 années d'exploitation et avoir eu un revenu annuel minimum de 10.000 euros sur ces 2 dernières années. Conditions pour pouvoir toucher une indemnisation fixée à 800 euros mensuels pendant 6 mois.

 

⏳ Sur la phase 2 qui sera mise en place au 1er Juillet, le montant de l’allocation chômage sera calculé selon de nouvelles règles. Le salaire journalier de référence, qui permet de définir le montant de l’indemnisation versée à un demandeur d’emploi, ne sera plus basé uniquement sur les jours travaillés d’une période, mais prendra également en compte les jours non travaillés de cette même période.

Le résultat de ce changement, une baisse pouvant aller jusqu’à 43% du salaire journalier de référence, qui entraînera donc une baisse d’indemnisation pour 1.15 million de chômeurs la première année.

Selon une étude de l’Unédic, si l’allocation augmentera pour 23% des allocataires de quelques dizaines d’euros, elle baissera de plusieurs centaines d’euros pour 63% d’entre eux, une perte énorme sur un budget.

Objectif assumé du gouvernement : faire en sorte que le travail paye plus que l'inactivité. Et s’il met en avant la durée d’indemnisation allongée par la réforme, passant de 11 à 14 mois en moyenne, il oublie de préciser que 27% des indemnisés reprendront une activité avant la fin de leurs droits, autant d’argent qui ne sera pas versé donc là aussi économisé.

 

⏳ Sur la phase 3 dont la date de mise en place devrait avoir lieu à partir de l’automne 2021, les conditions d’ouverture des droits seront durcies. Il faudra avoir travaillé 6 mois sur les 24 mois qui précèdent l’inscription pour avoir droit à une indemnisation, contre 4 mois sur les 28 précédents actuellement.

Une petite exception pour les plus de 53 ans qui auront eux 36 mois pour effectuer leurs 6 mois, soit 130 jours ou 910 heures.

Près de 500.000 chômeurs, selon l’Unédic, seront lourdement impactés par cet allongement du temps de cotisation qui retardera l’ouverture de leurs droits et repoussera de plusieurs mois leur indemnisation.

Et si dans cette réforme le gouvernement annonce mettre en place un bonus-malus sur les cotisations patronales de certaines entreprises pour les inciter à embaucher en CDI, nous ne sommes pas dupes, ça n’est pas là que se trouvent les 2.3 milliards d’économies annuelles.

Après 15 mois de crise sanitaire, alors que le taux de chômage est déjà élevé (9% en 2020) et qu’on note une augmentation des CDD (87% des embauches en 2019 contre 76% en 2000), la fabrique à précaires ne chôme pas. Et l’Unédic prévoit déjà 2.8 millions de personnes supplémentaires qui ouvriront un droit à l’allocation chômage entre juillet 2021 et juin 2022.

💥 Combien de demandeurs d’emploi déjà précaires basculeront dans la pauvreté ?

Ça l’Unédic ne le dit pas...

Lien source Unédic 📊 https://www.unedic.org/publications/etude-dimpact-de-levolution-des-regles-dassurance-chomage-au-1er-juillet-2021

Lien source embauches 📊 https://partageonsleco.com/2020/10/26/evolution-de-la-part-des-cdi-cdd-1993-a-2019-graphique/


FAIRE SÉCESSION

La manif policière devant l'Assemblée Nationale n'est pas qu'un épiphénomène. Elle révèle l'état de notre société et donne une idée assez précise de son évolution dans les prochaines années.

Alors que le pays a traversé une crise sanitaire catastrophique (plus de 100 000 morts, des hôpitaux et des soignants débordés) et qu'il entame une crise économique tout aussi dévastatrice (des millions de personnes au chômage, tombant dans la pauvreté, des faillites à la chaîne), il paraît que les deux "problèmes" majeurs sont :

- Le danger de l'islam et de l'étranger

- La police qui n'est pas assez reconnue et protégée

On pourrait presque en rire. Si tout cela n'allait pas aussi loin comme on l'a vu hier avec le ministre de l'Intérieur, le préfet et toute une partie de la classe politique (du PCF au RN) qui ont participé à un rassemblement putschiste prônant ouvertement la fin de l'indépendance de la justice...

Au passage, le même jour, après 200 jours de couvre-feu inédit dans l'histoire de la 5e République, des terrasses ont été évacuées avec des gaz lacrymogènes (à Rennes) et des policiers armés de mitraillettes automatiques (à Paris).

2022 est déjà perdue. La 5e République est déjà foutue.

On peut se lamenter, mais il faut surtout en prendre acte.

Acter qu'il n'y a plus rien à espérer du système, et de tous ceux qui composent avec. Partis politiques, syndicats, assos, collectifs... Tous ceux qui continuent de jouer "le jeu" de notre société actuelle en font partie et ne font que retarder sa chute. Sauf qu'avant de chuter, le système va mettre tout en œuvre pour vivre le plus longtemps possible, y compris des politiques racistes, inhumaines et meurtrières. Il sera prêt à tous les "sacrifices" pour peu que cela lui donne quelques années de plus.

Cela fait des décennies que les riches deviennent plus riches, de façon indécente et totalement déconnectée de toute réalité macro économique. Pendant ce temps, la planète se meurt, tout comme les classes les plus précaires. Les classes moyennes, elles, sont paupérisées, sur l'autel de la crise et de sacrifice... permettant aux ultras riches de gagner encore plus d'argent.

Alors oui, face à ce terrible constat, une seule issue : faire sécession.

Cesser de tenter de "réformer" le système de l'intérieur. Cesser de jouer le jeu de la "démocratie" en exprimant nos colères par des pétitions, par les élections ou par des manif/nasses. Cesser de composer avec des personnes et structures qui affirment vouloir changer le monde mais sans changer les règles. Cesser d'écouter et de regarder les médias des ultras riches. Cesser de participer à leur simulacre démocratique. Cesser de leur donner de l'importance.

Car au final, nous sommes des millions à en avoir clairement ras le cul de ce monde, de cette société. A vouloir tenter de tout renverser pour tout changer. Des millions à ne pas considérer l'étranger ou l'autre comme la cause de nos malheurs. Des millions à savoir que c'est le puissant, l'ultra riche, qui en est responsable.

Mais le système est si bien fait que les espaces médiatiques, politiques, publiques sont occupés par des personnes et des débats qui laissent à penser que les thématiques imposées par les puissants sont vraiment celles qui préoccupent le plus grand nombre.

Cessons d'être en réaction. Construisons à côté. Construisons sans eux. Détruisons aussi. Émancipons nous de nos chaînes, de nos maîtres, de nos peurs.

Quand une société nous parait si affreuse et inhumaine, et qu'elle prétend vouloir/devoir aller encore plus loin dans l'inhumanité, nous n'avons qu'une option : faire sécession.


Que jeunesse se lâche !

Le monde a plus que jamais besoin que la jeunesse désobéisse, qu'elle renverse la table et ne suive plus les règles de ce vieux monde. Et qu'elle emmerde ceux qui lui reprocheront d'agir avec autant de désinvolture. Car c'est de désinvolture et d'audace dont le monde a cruellement besoin.

Les adultes veulent une jeunesse raisonnable, enfermée, docile. Parce qu’ils ont peur. Et qu'ils ne savent pas vivre autrement.

Sauf que le pire arrivera justement si rien ne change. Le monde court littéralement à sa perte : écologiquement, socialement, moralement. Et ce sont ces mêmes adultes qui en sont responsables. Suivre leurs conseils ne serait pas seulement un échec de jeunesse mais une faute pour la nature et le vivant.

Dans l'histoire, les générations dont on se souvient sont celles où la jeunesse a clairement désobéi et refusé le monde qu'on leur imposait. Ils ont détruit les règles et les cadres dans lesquels leurs parents et grands parents vivaient. Pour leur propre bien, mais surtout pour le bien des générations d'après.

Les adultes de 2021 ont clairement échoué. Ils le savent. Mais il ne savent pas comment sortir de cette spirale et de ce monde qui nous étouffe. Seule la jeunesse pourra trouver l'issue, et cela se fera forcément de façon subversive, déraisonnable, insensée...

Alors oui, mille fois oui : soyez ivres. Ivres de vie, ivres d'alcool, ivres de sexe, ivres d'amour, ivres de musique. N'essayez pas d'être mesurés, de tenter de vous faire plaisir tout en ayant l'approbation du système. Faites vous plaisir. Point barre.

Et ouvrez des brèches. Tentez tout. L'erreur peut même être superbe.

Notre société est à détruire. De plus en plus de personnes en sont convaincues. Mais la plupart restent enchaînées par des années de constructions sociales. Constructions qui n'ont rien de naturelles et qui sont entretenues par les puissants de ce vieux monde.

Il faudra donc réussir à faire le deuil de ce système, de ce monde, de cette société, pour comprendre ce qu'il est possible de créer, le monde qui peut nous attendre. On pourra alors danser sur la tombe du vieux monde. Et tant pis si cela choque.

« Si je ne peux pas danser à la révolution, je n’irai pas à la révolution » Emma Goldman

 

Crédit photo DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY