Message aux indignés des poubelles (brûlées)

Initialement publié le 21 janvier 2021

Face à la gravité de la situation, face à l’urgence sociale et climatique, nous pensons que vous n’êtes pas la hauteur. Vous, les partis, syndicats, organisations, coordinations. Vous, les personnalités, les représentants, figures, les têtes.

Nous sommes des millions à vouloir remettre l’Histoire en marche. On ne parle pas d’empêcher des réformes néolibérales ou pré-fascistes. Non, nous voulons démonter le système qui les produit, avant qu’il ne détruise toute la vie, toutes les vies. Nous savons que cela ne pourra se faire sans que l’ancien monde résiste, se batte, riposte.

En France, les Gilets Jaunes ont fait briller une lueur magnifique et entrouvert la porte de cet horizon, disons le, révolutionnaire. Mais la porte est restée fermée au prix d’une répression inouïe.

Feignant de rallier cet idéal, ou craignant de le porter pleinement, les structures qui ont depuis repris en main l’essentiel des luttes en cours ont trop souvent amené avec elle un jeu bien connu consistant à accepter les injonctions du pouvoir à se désolidariser des manifestants considérés comme violents.

Ça n’est pas nouveau, c’est même complètement périmé.

Dans un pays où des personnes se battent contre la montée d’un autoritarisme de plus en plus fou, contre le racisme, contre les violences policières, contre la violence sociale qui s’abat sur les plus faibles. Un pays où l’assassin de Zineb Redouane est toujours CRS, où la police entaille les tentes des migrants, où le gouvernement a pris tout le monde pour des cons en pleine pandémie. Vous, vous condamnez une infirmière parce qu’elle a jeté une pierre en direction de policiers en armure, vous condamnez un pompier parce qu’il a jeté un fumigène, un gilet jaune parce qu’il a lancé des feux d’artifice contre la BAC, et un black bloc parce qu’il a donné un coup de marteaux dans la vitrine d’un magasin de luxe.

Vous condamnez, vous condamnez, vous condamnez. Seulement chacune de vos condamnations légitime la prochaine réforme visant à nous empêcher de manifester. Prochaine réforme qui vous permettra de feindre de redécouvrir la dégueulasserie qui nous gouverne.

En réalité vous aidez le pouvoir.

Comme nous sommes alliés, nous allons être franc. C’est ça qui nous emmerde. Pas le fait que vous pensiez encore pouvoir réformer le système, de l’intérieur, peut-être en y tirant quelques intérêts pour vous et vos structures, ni le fait que vous n’ayez toujours pas compris qu’il n’y a plus de négociation possible à ce moment de la crise structurelle du capitalisme. Non. Le fait que bon gré mal gré vous participiez à la répression des luttes parce qu’après tout, une nasse de deux kilomètres à la place d’une manifestation, il faut bien ça pour empêcher les poubelles de bruler…

Ça ne fait pas de vous des ennemis. Mais sachez qu’à une époque où tout semble possible, et surtout le pire, nous sommes de ceux et celles qui ne comptent pas laisser l’espoir enterré par des jugements moralisateurs servis à des chaînes télé et des journaux propriétés d’oligarques.

Nous ne faisons pas de morale, nous faisons de la politique, dictée par notre envie de construire un autre pays, un autre monde. D’y vivre dignement et d’y être heureux.

Il semble que la question entre vous et nous n’est pas de savoir si nous sommes du même coté de la barricade. Si vous avez du temps et de l’énergie pour expliquer en quoi une BMW qui brule ne sert pas la cause alors que le monde brule, que des milices armées répriment toute les luttes sociales, que des millions de personnes crèvent en silence pendant que les milliardaires s’enrichissent de plus en plus… C’est objectivement que vous n’êtes pas sur la barricade.

Et c’est dommage car il nous semble que comme nous et des milliers d’autres, vous avez secrètement jubilé lors des actes Gilets Jaunes les plus insurrectionnels, quand Christophe Dettinger boxait et qu’une porte de ministère tombait sous les coups d’un Fenwick.

Assumez…

De notre coté nous le crions. C’était beau. C’était beau parce que ça avait la saveur de l’espoir. Et dire cela ne fait pas de nous des assoiffé.es de violence et de chaos. Dire cela c’est savoir où et quand le pouvoir vacille réellement, même de façon furtive et localisée, et c’est s’en réjouir.

Alors oui, assumons. Quand nous voyons de la révolte, notre cœur s’emballe, et quand nous voyons du feu, c’est notre corps qui brule de désir pour demain, parce que nous rêvons tous les jours d’un monde meilleur que celui qui ne tient plus que par la force. Un monde de liberté. Un monde solidaire. Un monde qui ne soit plus régi par le profit de quelques uns. Un monde où la nature est au centre de décisions prises collectivement. C’est pour cet horizon que nous nous battons. Que nous vibrons. Et c’est pour cet horizon que détruire l’ancien monde est notre désir le plus cher.

Vous le savez. Sous le vernis civilisé, c’est bien dans l’horreur et l’inhumanité sans nom que nous vivons. Le futur qui se dessine à la couleur de l’abîme. Soyons ensemble à la hauteur et faisons tout notre possible, maintenant, sans relâche et avec amour.


« C'est dur d'avoir 20 ans en 2020 » - Tribune

Initialement publié le 19 janvier 2021

Ce n’est pas dur d’avoir 20 ans en 2020. C’est humiliant. C’est violent. C’est affamant. C’est froid, glacial.

En 2021, c’est mortel.

Inutile de rappeler les mort·e·s. Celles et ceux qui ont sauté, pris des cachets, tranché leurs veines. Inutile de compter le nombre de ceux qui y ont pensé. Vous n’y arriverez pas.

On parle beaucoup de cette jeunesse en ce moment. Celle qui déprime de manière industrielle. Celle qui décroche, qui arrête les études, qui démissionne. Celle qui va en rave party un 31 décembre. Cette jeunesse qui ne vote pas. Cette jeunesse isolée, individualisée, cachée derrière son écran pour suivre les cours, le code de la route, le travail, pour voir ses camarades, ses collègues ses amis, et même pour prendre l’apéro.

Cette jeunesse désignée comme responsable de la propagation du virus, responsable des couvre-feux.

On en parle pas mal de cette jeunesse qui doute du vaccin. De son efficacité, et même de ce qu’il y a dedans.

On en parle vraiment beaucoup de cette jeunesse. Les vieux en parlent beaucoup.

La jeunesse ici décrite ne correspond pas à une tranche d’âge mais à un mode de vie, à des envies et des besoins. La jeunesse ici décrite désigne l’ensemble des personnes qui aspire à quelque chose de plus sensible, de plus désirable et vivant qu’un mortifère mode de vie « métro, boulot, dodo ». Qui n’a pas comme première préoccupation un crédit sur 20 ans ou des responsabilités. Ainsi, les vieux, ce ne sont pas ceux qui ont un certain âge, qui ont passé la crise de la quarantaine où qui sont à la retraite. Ce n’est pas ça un vieux. Un vieux c’est quelqu’un qui appartient à un autre temps. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, 31 ans est un vieux quand il annonce le couvre-feu à 18h. Quand il dit aux « vieux » d’attendre avant de pouvoir prendre rendez-vous pour le vaccin. Il appartient à ce vieux monde, plein de mépris, d’arrogance, de conservatisme puant, que chaque enfant qui sommeille en nous veut voir pourrir.

Et puis y’a l’autre vieux, 43 ans, qui nous a regardé droit dans les yeux, avec son air de chien battu. Sa voix tremblante, ses mains l’une dans l’autre, comme en prière, et la répétition des premiers mots de sa phrase pour appuyer le drama. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020… c’est dur. »

Avoir 20 ans c’est humiliant, car l’ensemble de notre vie est à l’arrêt. Elle se résume à un appart exigu, une visioconférence, et un allez retour chez Lidl. Parfois derrière le Lidl pour récupérer les denrées périmées. C’est humiliant car il y a de ces vieux qui nous humilient. Tous les jours à la télé, dans les discours, dans les repas de famille, sur les réseaux sociaux. Nous sommes inconscients, irresponsables, nous manquons de jugeote. Après un an, on a rien pigé. On est tenus pour responsables de tous les maux.

Avoir 20 ans c’est violent car nous n’avons quasiment plus rien à quoi nous raccrocher. Plus rien de désirable. Alors on arrête ce qu’il nous reste car ce qui nous reste n’a plus de sens. Le travail n’a pas de sens, les études n’ont pas de sens. Rien n’a de sens. On perd le goût et l’odorat. On perd l’envie. On perd nos partenaires, on oublie des amis qu’on n’a pas sélectionné dans le cercle de personnes qu’on a le droit de continuer de voir, on arrête nos études, on démissionne.

Avoir 20 ans c’est affamant. Littéralement. On n’a pas de thunes, pas de quoi manger. Des gens quittent leur appart et retournent chez leurs parents. D’autres squattent des colocations où il y a de la place pour une personne en plus. D’autres ouvrent des squats, d’autres encore ne paient plus leur loyer et attendent la procédure d’expulsion.

On récupère les légumes de fin de marché ou les périmés des supermarchés. On attend dans les interminables files des restos du cœur.

Avoir 20 ans, c’est glacial. On est congelé dans une bulle sociale si étroite qu’elle nous étouffe. Toute chaleur humaine a disparu. Une froide tension envahit nos corps et nos esprits. On est irrité en permanence. Rester dans son appart devient insupportable aux bout de quelques heures. Ce lieu, on l’associe désormais à une extrême solitude.

Dans cet espace exigu, on ronge notre frein. On regarde le velux, ou le tas de médocs dans l’armoire. On voit notre vieux compas du lycée. On réfléchit, on y pense. On va dormir car il n’y a que ça à faire pour passer l’idée noire.

« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 ». Par cette phrase, le vieux qui nous gouverne balaie d’un revers de main toutes responsabilités, les faisant reposer sur une année et un virus.

L’état catastrophique de la jeunesse ne date pourtant pas du Covid qui ne sert que de révélateur au mépris dont ces vieux font chaque jour la démonstration. La pandémie n’est qu’un amplificateur d’un mal-être connu et chiffré depuis des années.

Un mal-être voulu, organisé.

Il n’y a qu’à voir le nombre de psychologues par étudiant.e.s. 1 pour 30 000 étudiant.e.s. Le chiffre va doubler paraît-il. 1 pour 15 000. Remercions le roi. Un psychologue pour quelques dizaines d’étudiant.e.s ne suffirait pas à endiguer la catastrophe. Un numéro vert encore moins.

Il n’y a qu’à observer les nombreuses réformes de l’enseignement et les impacts qu’elles ont eu sur les concerné·e·s.

Il n’y a qu’à voir le Service National Universel qui a pour unique but de mettre la jeunesse au garde à vous, où encore la mise en place des Pôles universitaires avec les nombreuses fusions, qui déshumanisent les lieux d’études.

Il y aurait tant d’exemples à donner.

Ils organisent la mise au pas et la léthargie d’une jeunesse déjà sous Xanax, et cela semble magistralement fonctionner.

Nos conditions d’études et de vies, nos états psychiques, nos mort.e.s auraient dû faire déborder le vase il y a bien longtemps. Mais le vase ne déborde jamais. Il ne fait qu’augmenter sa capacité à mesure que nous acceptons tel ou tel coup de massue. Pendant ce temps, nous nous avérons de plus en plus incapables d’organiser une nuit de fête, de retrouvailles, de révolte alors que ce serait sans doute la chose la plus réconfortante, la plus intéressante, la plus vivante et la plus utile que nous aurions faite ces 12 derniers mois.

Il y a à coté de chez moi un grand bâtiment, une ancienne école je crois.

Je rêve d’y faire venir mes anciens profs et mes anciens camarades que j’ai – comme des milliers d’autres – arrêté de côtoyer par webcam interposée.

Je rêve de nous y retrouver, d’investir le lieu, de nous l’approprier. D’échanger, de faire cours, de faire une assemblée générale, d’en faire un lieu d’apprentissage physique, libre et accessible à tous et toutes. Je rêve de la pause café, d’une balle au prisonnier dans la cour, d’un banquet prix libre pour le midi. Je rêve de discuter du cours précédent avec une personne qui en fut passionnée.

Je rêve de tout ça, mais ça n’arrivera pas, car la jeunesse, sa force de création, sa capacité à se révolter, sa joie de vivre est à l’état végétatif.

C’est dommage, on aurait pu faire un truc mortel de toute cette grisaille!


Le pouvoir de la censure

Initialement publié le 12 janvier 2021

La puissance des GAFAM au service du pouvoir.

Depuis la prise du Capitole par des millitant·e·s pro-Trump à l’appel du futur ancien président des États-Unis lui-même, le débat public se cristallise autour de la censure dont Trump est victime sur les différents réseaux sociaux.

Facebook, Twitter, Instagram ont tous les trois mis un terme à la frénésie numérique de Donald Trump, amenant une question clivante. Faut-il le censurer ?

Pour lever toute ambiguïté sur notre position – il suffit de nous lire pour la connaître – Trump nous répugne. Sa ligne sexiste, raciste, identitaire, conservatrice, et son libéralisme autoritaire sont tout ce que nous combattons, chaque jour. Et, au plus profond de nous, nous nous réjouissons de voir un tel ennemi réduit au silence médiatique.

Pour autant, la censure nous interroge.

À qui profite-t-elle ? Que nous dit elle sur la puissance des Mark Zuckerberg & Co ? Faut-il laisser à des entreprises privées, au fonctionnement capitaliste et vertical la possibilité de brider l’expression ? Faut-il nous réjouir d’une telle décision ou nous en inquiéter ?

Qui est victime de la censure des réseaux sociaux ?

La censure sur les réseaux sociaux ne date pas d’aujourd’hui, et si elle est inédite dans son ampleur par le fait que le futur ex-président de la première puissance mondiale en soit victime, il y a des précédents inquiétants.

Rappelons-nous des censures et des baisses d’audience que les pages militantes proche du mouvement des gilets jaunes et du mouvement autonome – a l’instar de cerveaux non disponibles – ont connues au cours de l’été et de l’autonome 2019.

Des pages Facebook relayant les mobilisations et relatant des évènements du contre-sommet du G7 avaient été réduites au silence plusieurs semaines pour des raisons restant plus d’un an plus tard sans réponse.

Sur Twitter, plus récemment, divers compte de journalistes ou de militant.e.s ont été bloqués suite à des tweets. Le journaliste de « Là bas si j’y suis », Taha bouhafs en est l’une des plus fréquentes victimes. Révélateur de l’affaire Benalla, tweetos chevronné n’hésitant pas à révéler la présence de Macron dans une salle de théâtre, régulièrement contrôlé, fouillé, intimidé, parfois placé en garde-à-vue pendant l’exercice de sa profession, son compte Twitter est très certainement assidûment surveillé par les autorités politiques et du réseau social. Ses tweets examinés et parfois supprimés lorsque qu’il « ne respecte pas la charte ».

Autre exemple de censure Twitter ayant fait grand bruit : la suppression du compte de Marcel Aiphan, relayeur de toutes les infos des luttes sociales de plusieurs milliers d’abonnés. La raison ? Une photo parodique de couverture représentant Marianne en gilet jaune, frappée par la police.

La censure avait fait monter #RendezNousMarcel en top tweet, et avait provoqué une migration de nombreux comptes Twitter vers le réseau social indépendant, libre et décentralisé Mastodon.

Si la censure des comptes de Trump peut réchauffer le cœur de celles et ceux qui luttent contre ses idées, n’oublions pas que celle-ci ne touche pas que lui, que nous, opposants au pouvoir en place, en sommes également victimes.

Les réseaux sociaux du côté du pouvoir

Pourquoi Trump n’est-il censuré que maintenant ? Malgré ses innombrables fake news, ses propos racistes, sexistes, incitant parfois même au viol, Trump n’a jamais ou que très peu souvent été victime de censure par les réseaux sociaux lorsqu’il était président, bien que les raisons ne manquaient pas.

La réponse est peut être ici : Trump incarnait le pouvoir, il avait en ce sens une « immunité » que lui accordaient les réseaux sociaux. Le président élu remplacera le président déchu. Donald Trump est indéniablement relégué au rang de twittos, tout au plus un opposant politique à la nouvelle présidence qui se met en place.

Les réseaux sociaux s’écraseront désormais devant le pouvoir élu qu’ils considèrent comme étant légitime, et dans quatre ans, un autre… qu’importe sa couleur politique. À la manière de la police, ils seront aux ordres d’un pouvoir puis d’un autre.

Le pouvoir de censure que les décideurs de ces plateformes ont réussi à acquérir grâce à l’hégémonie de leurs réseaux sociaux ont de quoi nous inquiéter. Comme le souligne le New York Times :

« En retirant son mégaphone à Trump, Twitter montre où se tient maintenant le pouvoir – la capacité d’une poignée de gens à contrôler nos discours publics n’a jamais été aussi évidente. Pour finir, deux milliardaires californiens ont fait ce que des légions de politiciens, de procureurs et de critiques du pouvoir ont essayé en vain de faire pendant des années : ils ont débranché le Président Trump. »

Une extinction collégialement effectuée avec les autorités. Pour reprendre le cas de la France et des liens étroits entre le pouvoir et les dirigeants des réseaux sociaux, rappelons que, en mai 2019, Emmanuel Macron recevait Mark Zuckerberg à l’Elysée pour discuter de la régulation d’Internet, alors que le parlement français se préparait à examiner une proposition de loi pour modérer les plateformes de manière plus efficace. Le PDG de Facebook était même en « tour d’Europe » des dirigeants. Quelques mois plus tard, le Patron de Facebook rencontrait de manière tout à fait cordiale Trump, qui tweeta après leurs échanges : « Bonne rencontre avec Mark Zuckerberg de Facebook dans le Bureau ovale aujourd’hui »

Si l’on peut légitimement penser que les dirigeants des réseaux sociaux ont pris un pouvoir débridé, n’oublions pas qu’il l’ont eu, en coordination avec les autorités des pays. Les réseaux sociaux servent les pouvoirs en place et les pouvoirs en place servent les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux responsables de la perte de démocratie ?

La démocratie n’était pas en meilleure santé avant Twitter et Facebook. Or, des analyses ont voulu voir dans les GAFAM le bouc émissaire idéal pour expliquer la piteuse situation dans laquelle se trouvent les plus grandes démocraties du monde.

Même s’il n’est pas bon signe qu’une plateforme privée gérant plusieurs millions, voire milliards de comptes puisse décider unilatéralement et arbitrairement la censure de tel ou tel contenu politique, n’oublions pas que la perte de démocratie et la montée des périls fascistes sont avant tout les résultats d’un système économique inégalitaire et de choix politiques pour le maintenir coûte que coûte.

Si Trump se sert habilement de Twitter, son réel pouvoir est possible parce qu’il y a un désastre capitaliste qui déclassent des millions de gens et que lui leur promet de garder leur privilège à condition d’exclure les autres.

Effet Streisand

Voilà un des effets pervers qu’a eu la censure de Trump, une forme de « l’effet Streisand » : le fait de vouloir empêcher la divulgation d’informations aboutit à l’effet inverse, c’est-à-dire que tout le monde en parle.

Ici, Trump se fait censurer et le débat public international est monopolisé par la question de savoir si oui ou non il fallait le censurer (nous n’y échappons d’ailleurs pas).

La question fait débat sur l’ensemble de l’échiquier politique et de la presse française. Elle pose une question que ni la justice, ni les dirigeants ne s’étaient posé auparavant bien que la censure des réseaux sociaux existe depuis longtemps.

Quelques dirigeants du secteur privées peuvent-ils se permettent de telles censures sans cadre légal ?

Chacun aura sa réponse. Et doutons-nous bien que si beaucoup se réjouiront de cette mise à néant des tweets toujours plus abjects du futur ex-président, les pro-Trump se renforceront dans l’idée d’un complot contre leur leader, et opéreront une radicalisation. Car pour eux, c’est une guerre qui se joue.

Si nous pouvons nous réjouir de la mise à silence médiatique d’un Trump dangereux, inquiétons nous d’une censure contre tout ceux qui ne font pas où plus parti du pouvoir.

La nécessité de s’organiser en dehors des GAFAM

Nous devons sortir des géants numériques pour privilégier d’autres réseaux sociaux, navigateur, système d’exploitation, adresse mail. Privilégions l’internet libre, décentralisé, indépendant et sécurisé.

Utilisons Ubuntu (voire Tails) plutôt que Windows ou MacOS

Mozilla Firefox (voire Tor) plutôt que Chrome, Safari ou Internet explorer

DuckDuckGo plutôt que la recherche Google

Protonmail ou Riseup plutôt que Gmail

Mozilla Thunderbird plutôt qu’Outlook

Signal plutôt que WhatsApp

Peertube plutôt que Youtube

Mastodon plutôt que Twitter

Des outils qui remplacent l’ensemble des activités numériques du quotidien à la différence qu’elles sont libres, indépendantes et sécurisées. N’appartiennent ni à un milliardaire, ni à un état.


ARRESTATION ARBITRAIRE : Dissuader ceux qui remettent en cause l'ordre social et policier

Initialement publié le 14 décembre 2020

Mélanie fait partie des quelques 150 personnes qui ont été placées en garde à vue lors des violentes charges orchestrées par la préfecture de police de Paris contre les manifestant.es, lors de la manifestation « Contre les séparatismes » et « Sécurité globale » du samedi 12 décembre 2020. Au moment où nous écrivons, elle est toujours détenue au commissariat du 19e arrondissement.

Blessée le 20 avril 2019, au cours d’un des actes du mouvement des gilets jaunes, Mélanie a, comme beaucoup d’autres blessés, déposé plainte devant l’IGPN. Et comme pour tous les autres, cette plainte a été classée sans suite par le Parquet de Paris. Elle explique ici pourquoi :

Mélanie n’a pas l’intention d’en rester là et décide de porter plainte contre le commandant Dominique Caffin, le CRS réputé pour sa brutalité qui est l’auteur des coups reçus le 20 avril 2019 :

https://www.liberation.fr/france/2020/07/13/violences-policieres-un-chef-crs-jamais-inquiete_1794198

Défendue par Arié Alimi, son procès est prévu pour le 15 avril 2021.

L’arrestation de Mélanie lors de la manifestation du 12 décembre ressemble étrangement à une sanction pour « outrecuidance ». Comme d’autres gilets jaunes, Mélanie n’est pas du genre à accepter les verdicts de la justice lorsque ceux-ci entérinent purement et simplement l’impunité des forces de l’ordre. En témoignent son engagement constant depuis 2019 dans un certain nombre de collectifs de blessés par la police (Collectif vies volées, Les mutilé.es pour l’exemple), et sa participation à de très nombreuses rencontres ou émissions de radio aux côtés de l’Assemblée des blessés des Familles et des Collectifs contre les Violences Policières ou encore du collectif Désarmons-les, dont l’un des membres, Ian B, vient d’écoper de huit mois de prison ferme (soit une peine extrêmement lourde eu égard à la fragilité des preuves apportées). Sans compter l’investissement très important de Mélanie au sein du groupe des Réfractaires du 80, qui a été un des fers de lance de la lutte des gilets jaunes dans les Hauts de France. Le 4 décembre dernier, avec trois autres membres des Réfractaires du 80, Mélanie a assisté au procès d’Aurélien et de Jérémy, deux membres du groupe qui ont eux aussi pris très cher, en termes de mépris social et de peines infligées. Mélanie est alors photographiée à de nombreuses reprises par un gendarme, en dépit des protestations de ses camarades.

Si on accepte l’hypothèse que la police est venue « faire son marché » lors de la manifestation parisienne du 12 décembre, il est à parier que cette forte tête ait été délibérément ciblée, l’objectif étant d’intimider durablement, d’humilier, et finalement de dissuader ceux et celles qui ont eu l’audace de contester l’ordre social et policier et de s’opposer de toutes leurs forces aux dérives autoritaires qui caractérise aujourd’hui l’État français. L’acharnement dont Mélanie est l’objet est inacceptable : blessée une première fois dans son corps, elle est maintenant enfermée pour un temps indéterminé, le temps sans doute d’évaluer si elle ne pourrait pas, sur la base de faux en écriture publique, être inculpée.

EDIT Lundi 16H53 : Mélanie va passer une nouvelle nuit au dépôt. Elle ne passera que demain matin devant le juge des libertés. On ne connaît toujours pas le motif de l’inculpation. Cet acharnement vise à la détruire. (message de ses proches)


Marche des libertés à Paris - l'intention de briser

Initialement publié le 13 décembre 2020

Il est plus grave de casser une vitrine qu’une personne. Telle est la devise d’une République bourgeoise et de son bras armé qui n’ont pas hésité à blesser et arrêter des manifestants sans même savoir pour quelle raison.

Samedi 12 décembre a été une des manifestations les plus compliquées que nous ayons connues jusqu’alors. Une répression violente, une nouvelle stratégie offensive de la part de la préfecture difficilement comparable avec des évènements précédents. Les prémices d’une vie dans un pays totalitaire.

Plus de 3000 policiers (contre 2000 samedi dernier), entouraient une zone géographique entière, de Châtelet à République. Des dizaines de rues fermées pour y stocker les camions de CRS, les 6 canons à eau rien que place du Châtelet, les barrières anti-émeute et autres engins de maintien de l’ordre. Coté manifestants le nombre était d’au moins 10 000. Un nombre honorable au vu des défections d’organisations dites de gauche et des très nombreux contrôles policiers des manifestant.es visant clairement à les décourager de rejoindre le cortège, certains policiers allant jusqu’à déclarer que la manifestation était interdite alors qu’elle était autorisée. Mais le nombre est clairement insuffisant pour faire face à l’état policier.

Lors du mouvement des gilets jaunes, nous observions ces dispositifs d’ampleur (en particulier le 8 décembre 2018) sans pour autant pouvoir les comparer avec la manifestation de ce samedi : Une manifestation déclarée, rassemblant collectifs, associations, parti politique (le NPA ) descendus dans la rue contre la loi sécurité globale et la loi séparatisme, cette loi moins connue qui vise à établir une ségrégation islamophobe.

Nous avons, depuis la place de Châtelet jusqu’à la place de la République, subi de manière ininterrompue des charges policières violentes et frénétiques complètement incompréhensibles au vu du calme dont faisait preuve le cortège. Et pour cause. Une chose a changé dans le maintien de l’ordre. La police intervenait de façon « préventive » ! Une doctrine que Lallement affectionne et qui lui a en partie valu sa nomination à Paris.

Après avoir rongé son frein pendant quelques semaines, le préfet a pu revenir à sa méthode préférée, et même l’amplifier : les offensives policières se sont intégralement effectuées sur la base d’intentions et non d’actes ou de tentatives d’actes.
Les policiers ont multiplié les arrestations arbitraires sur le simple fait qu’ils estimaient que tel ou tel individu avait l’intention de commettre des dégradations. Ainsi, l’ensemble des personnes qui étaient venues à la manifestation habillées de manière un peu trop sombre, qui avaient combiné masque et capuche, étaient immédiatement prises en chasse par les voltigeurs ou les compagnies d’intervention puis interpellées. Si elles n’avaient pas été interpellées lors des fouilles préventives effectuées avant la manifestation.
Rappelons que l’intention ne peut pourtant aucunement faire l’objet de procédure pénale.
Principe de droit fondamental mais totalement ignoré par les donneurs d’ordre.

Ainsi, pour effectuer ces interpellations au cœur des cortèges sur les personnes qui avaient eu le malheur de mettre un pantalon et un sweat noir, la police chargeait et matraquait au passage des dizaines de personnes qui n’étaient même pas leurs cibles initiales. Souvent d’ailleurs, devant l’impossibilité d’interpeller de par la densité de la foule et le chaos que les charges ont créé, la personne vêtue de noir, la police changeait de cible pour interpeller la personne la plus proche.

Ce genre de charges, il y en a eu des dizaines. Les policiers disposés de chaque côté du cortège, effectuaient plusieurs charges consécutives, de chaque côté du cortège, à intervalle de 5 à 10 minutes. Les manifestant.e.s à minima déboussolé.es, tombaient, se poussaient, couraient, se faisaient matraquer, puis interpeller. Nous avons clairement observé une politique du chiffre et de la terreur ce samedi 12 décembre à Paris. Les policiers ont appliqué à la lettre les volontés de la Place Beauvau révélées dans le Canard Enchaîné du 9 décembre : prendre de gros risques. Assumer les dégâts collatéraux.

De l’avis de tous les témoignages, avec pour preuve les multiples vidéos, la violence a été inouïe, et les dégâts humains du côté des manifestant.e.s, colossaux. La soixantaine de street-medics, dont certains ont été interpellé.es, nous disent ne jamais avoir autant pris en charge de blessures à la tête. Les coups de matraques ont fait apparaître de multiples hématomes, ont ouvert des crânes.

Les interpellations elles, sont à l’image de l’absurdité de la répression. Deux gilets jaunes, mutilées pendant le mouvement et qui font partie du collectif « Les mutilé.es pour l’exemple » passeront une deuxième nuit en garde à vue. Un avocat du collectif « Black robe brigade » relâché plusieurs heures après. Un millitant du comité de sans papiers de Montreuil, interpellé en sortant du cortège. Des membres des Brigades de solidarité populaire qui avaient un cortège lors de la manif, prolongé.es également pour 24h de plus. Quatre journalistes et photos-reporters qui exerçaient leur metier dont un reporter du média QG, qui va passer sa deuxième nuit au poste. Des lycéen.ne.s mineur.e.s. Et beaucoup d’autres qui n’ont pour seul « tort » que de s’être habillé un peu trop en noir.

149 interpellations, 123 gardés à vue qu’on aura privés de liberté pendant 24 ou 48 heures et que pour beaucoup on libérera faute de pouvoir caractériser des faits qui n’ont pas eu lieu. 6 seront emmenés devant le tribunal en comparution immédiate pour des faits comme « groupement en vue », « outrage » ou « dissimulation du visage ». Des charges qui permettent de condamner sur la base de faux en écriture, d’intentions ou pour avoir simplement porter le masque obligatoire.

L’ensemble des médias « mainstreams » parlent de la réussite de cette manifestation en termes de maintien de l’ordre effectué. De cette nouvelle stratégie gagnante. Ils prennent pour exemple des images de la manifestation sans casse. En effet, la casse n’a pas été matérielle. Elle a été humaine.

Le pouvoir et les médias nous ont confirmé une chose que nous savions déjà depuis longtemps mais que le pouvoir refusait d’admettre de manière aussi explicite. La vie d’une vitrine vaut plus que celle d’un.e manifestant.e. La bourgeoisie capitaliste au pouvoir ne peut se permettre de voir ses privilèges menacés. Que ce soit par la grève ou la casse de ses symboles. Alors elle casse les grèves et les corps.

Samedi, non seulement nos libertés ont été bafouées mais des vies ont été brisées, dans l’indifférence générale.

Crédit photo : @ParisHS_ (twitter)


Loi séparatisme : le vrai séparatisme est celui des riches

Initialement publié le 11 décembre 2020

Au pays où on flashballe ceux qui réclament la devise « liberté égalité fraternité » une loi entend faire face « à ce qui malmène la cohésion nationale et la fraternité […] et bafoue les exigences minimales de vie en société et conforter les principes républicains »

Cohésion, fraternité, exigence de vie en société, principes républicains… La belle blague ! On pourrait en rire si derrière ces faux principes ne régnait pas l’horreur d’une situation qui vire à la surveillance de masse, au racisme d’état décomplexé, au fichage et à l’avènement d’un état policier.

Macron s’est employé méthodiquement à défoncer chaque petite brique de bien commun depuis qu’il est au pouvoir, à anéantir ce qui est utile à tout le monde, comme l’hôpital et a fait tout ce qui permettait de précariser les emplois. Comment croire une seule seconde que tout cela était dans l’intérêt de « la cohésion nationale et la fraternité » comme prétend le rappeler cette loi ? Le résultat du macronisme n’est que l’extension de l’atomisation des individus.

Il aura suffi d’une succession de sinistres de l’intérieur toujours plus fachos les uns que les autres et l’abjecte instrumentalisation d’un attentat sur un prof pour qu’enfin un gouvernement arrive à ses fins les plus crapuleuses : faire oublier un instant que sa politique est un désastre social, économique et affectif. Que sa théorie du ruissellement est une liquidation en règle de tous les pauvres de France qui n’en boiront pas une seule goutte.

Ceux qui nous pondent aujourd’hui une loi contre le séparatisme sont en vérité ceux qui sont le plus séparés des autres. Ils nous pointent du doigt en criant « séparatistes ! » comme jadis ils auraient crié « anarchistes ! » alors qu’en même temps ce sont eux qui sont en train de se barrer loin du monde en emportant la caisse sous le bras.

Ils voient la haine chez les autres mais sont bien souvent ceux qui en ont le plus pour tout le monde.

Regardez un spécimen comme Zemmour qui s’emploie toute la journée sur une télé poubelle à raconter sa panique de bourgeois dépassé par un monde qui l’ignore royalement et fait sa vie sans lui.

Le peuple pourrait bien demain, faire sa vie sans eux, les « puissants », ceux d’en haut. Leur faire une révolution, les dégager pour de bon et mettre la France en autogestion. Ils le savent et c’est en cela qu’ils ont besoin de nous designer comme des séparatistes. Pour nous jeter en premier à la figure le tort de ce qu’ils sont en train de faire eux mêmes.

Les histoires d’islam radical ne sont dans tout cela que des épouvantails et des amalgames racistes hérités du colonialisme pour faire avaler un package sécuritaire à une population meurtrie par les attentats et prête à se raccrocher au premier escroc qui vend de la solution. Ces escrocs, ce sont ceux qui arrivent avec le projet de loi sur le séparatisme, renommé en « projet de loi confortant le respect des principes de la République ».

Cette loi profite d’une situation de choc (épidémie, attentats) pour imposer un grand foutoir d’articles se superposant à du droit existant. Pèle mêle nous avons un bloc de lois contre le mariage forcé ou les propos terroristes…soit, même si ça existe déjà… mais aussi contre la haine en ligne façon grand retour de loi Avia qui ne manquera pas de mettre en taule les futurs gilets jaunes pour une photo de flic violent mise sur Twitter ou un nom d’oiseau contre un policier sur Facebook…

Cette loi, c’est la mise en scène d’une république faible contre un communautarisme fort qui serait coupable de tous les maux.

Mais la vraie communauté qui nous fait chier, ce n’est pas celle qui est liée à une religion. Le communautarisme qui nous pourrit la vie c’est celui des riches ! C’est contre leur séparatisme qu’il faut une loi car c’est ce communautarisme et son système qui tue et ravage pour se reproduire.

On tiendrait même notre article 1er : le délestage obligatoire de pognon excédentaire en vue d’une meilleure distribution générale. Sûr qu’avec les biens communs qu’on les empêcherait de vampiriser, ils l’obtiendraient leur foutue cohésion sociale. Mais qu’ils ne nous fassent pas croire que c’est ce qu’ils cherchent en nous divisant ainsi et en taillant une loi de stigmatisation qui met la liberté de pensée sous surveillance.

Alors Samedi manifestons nombreux et nombreuses contre le vrai séparatisme et exigeons la séparation de l’état et de la bourgeoisie ! 14h30 place du Châtelet pour Paris !


Marche des Libertés : le nombre et la force

Initialement publié le 29 novembre 2020

Le 28 novembre a eu lieu. Et il n’est pas passé inaperçu ! Entre 100 et 200 000 personnes à Paris, près de 500 000 sur toute la France. Au delà du nombre, il y a eu aussi la détermination. Face à une police volontairement en retrait et sur la défensive – pas pour autant en sous-effectif – une partie des manifestant·e·s ont fait bien plus que marcher.

« Est-ce que vous condamnez les violences des manifestants ? » la question des BFM, C-NEWS, TF1, etc.

Les images qui en découlent sont abondamment utilisées par les médias pour décrédibiliser la marche. Le pouvoir va essayer de légitimer la méthode « Lallement » en procédant à un inversement de la réalité pour donner l’illusion que la violence est du fait des manifestant·e·s barbares. Il n’en est rien, la violence est bien dans les politiques du pouvoir, dans le mépris des médias, dans les armes de la police. Rappelons-nous que c’est encore et toujours l’État qui fixe le niveau de violence en imposant cette loi qu’il défend ensuite par la force de son bras armé.

Évidemment, la dialectique du retournement de la violence n’a rien de nouveau. Et il y aura toujours les habituelles courroies de transmission du pouvoir pour se prêter à l’exercice. Il n’empêche, à l’heure d’une bascule très grave du pays dans un état post-fasciste, il convient de remettre les choses à leur place.

Quand la presse voit flou

Ce samedi, quelques voitures ont brûlé , des abris et des toilettes de chantier aussi. Une vitrine du concessionnaire BMW a volé en éclats. Un bâtiment de la banque de France a vu sa devanture s’enflammer. Et les policiers ont reçu énormément de jets de pavés, de fumigènes, de feux d’artifice et autres joyeusetés trouvées sur le chemin. Clairement, les ordres de la préfecture et du ministère de l’intérieur étaient de rester en retrait, d’intervenir le minimum possible. Pour éviter un maximum d’images de violences policières mais aussi pour mettre sur le banc des accusés les manifestants.e.s. Pour un temps, la police a préféré jouer aux victimes vu le contexte. Elle n’a pas hésité d’ailleurs à envoyer quelques uns de ses soldats en sous nombre pour se faire cartonner. Les ordres sont les ordres…

Quand les médias français pointent du doigt les « casseurs », de l’autre côté de la manche, The Guardian les appelle les « défenseurs des libertés de la Presse ». D’ailleurs, en France, on ne parle jamais de casseurs quand il s’agit des révoltes à Hong Kong, au Chili ou en Égypte. Ce sont des résistants. Des manifestants en première ligne qui affrontent le pouvoir autoritaire et sa police.

Que tout le monde ne veuille pas participer à ces actions est tout à fait compréhensible.

En revanche, ceux qui accuseront ces manifestant·e·s d’être responsables d’un éventuel échec du mouvement pour le retrait de la loi Sécurité Globale portent, pour le coup, une grave responsabilité dans ce qu’il risque de se passer dans les prochaines années. Quand un fascisme d’un nouveau genre frappe à nos portes, il est dangereux et même complice de vouloir trier entre les bons et les mauvais manifestants, entre les bons et les mauvais résistants. C’est une forme de régression vis à vis des mouvements sociaux précédents. Comme si nous n’avions rien appris du passé. S’il y a bien une leçon à tirer, c’est que la révolte populaire trouve une vraie puissance par la diversité des tactiques et le soutien inconditionnel des uns envers les autres, dans le respect des pratiques. Toutes. Violentes ou non violentes.

Ce que nous combattons en ce moment, ce n’est pas seulement l’article 24 de la loi Sécurité Globale. Ce n’est pas non plus uniquement la loi Sécurité Globale. C’est l’avènement d’une société post-fasciste qui se met en place. Une hybridation entre un état policier, une super structure technologique de surveillance et une ségrégation des musulmans que la prochaine loi Séparatisme entend écrire noir sur blanc.

Rarement dans l’histoire de la 5e république, la répression n’avait été aussi totale contre tous les mouvements sociaux (gilets jaunes, écolos, antiracistes, lycéens, féministes) mais aussi contre tous les corps de métiers : journalistes, avocat.ess, pompiers, profs, soignant.es, éboueurs, etc.

Rarement dans l’histoire de la 5e république, il n’y avait eu autant de mouvements sociaux massifs en si peu de temps. Depuis que Macron est président, des manifs à plus de 100 000 personnes ont eu lieu pour le climat, pour la justice sociale, contre le racisme, ou pour le droit des femmes. Aucun de ces combats n’a vu le pouvoir reculer, malgré l’ampleur des mobilisations. L’exemple le plus parlant reste la réforme des retraites, avec un passage en force via le 49.3.

La seule fois où Macron a reculé, très légèrement, c’était en décembre 2018, après les actes GJ les plus insurrectionnels. La fois où, rappelons-le, le roi s’était enfermé dans son Bunker par peur qu’une foule révolutionnaire ne vienne le chercher.

Il faut comprendre que ce pouvoir n’a rien de démocratique. Que le dialogue social n’existe pas et que les puissants sont en train de mettre en œuvre les outils légaux pour éviter que la contestation ne puisse s’exprimer, en dehors des contestations de salon et qui, au-delà du cirque médiatique, ne seront jamais prises en compte.

Comment le dogme de la non-violence protège l’État

Alors oui, ce samedi, ceux qui ont jeté des pavés l’ont fait pour changer de monde. Pour changer de société. Pour combattre le fascisme 2.0. Vous pourrez leur cracher dessus, les traiter de sauvages, les accuser d’être les idiots utiles du pouvoir. Mais c’est une illusion. Une illusion créée par ce pouvoir. (cf. « Comment la non-violence protège l’État : Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux » de Peter Gelderloos)

Nous préférons voir dans ces personnes la lueur et l’espoir face à l’obscur monde que Macron nous façonne. Qu’ils soient en noir, en jaune ou en rose, ceux qui ont participé aux actions offensives samedi à Paris (mais aussi dans de nombreuses autres villes) rêvent d’une société meilleure et moins violente.

Les « casseurs » et les « casseuses » ne sont rien de plus que des Farida – l’infirmière qui avait jeté un caillou à visage découvert le 16 juin dernier avant de se faire arrêter sauvagement. Ou des Christophe Dettinger – le boxer gilet jaune. La différence réside uniquement dans la tenue vestimentaire, écran de tous les fantasmes, alors qu’en réalité ce n’est qu’une tactique adoptée par une foule d’individus hétéroclites pour éviter l’identification policière.

Un tag populaire pendant les gilets jaunes disait : « On n’est pas des casseurs mais on va tout péter ». En vrai, le mot « casseur » est une étiquette saugrenue qui convient avant tout à la bourgeoisie pour décrédibiliser l’expression d’une violence légitime qui remet en cause son ordre inégalitaire. Les médias bourgeois aimeront parler de « haine anti-flic » aussi. Et ramener à une déviance un rapport de force. Les aspirations démocratiques qui se heurtent au bras armé du pouvoir ne sont pas des « haines anti-flic ».

Il faut ne jamais avoir été ces femmes et ces hommes qui se réveillent chaque matin la boule au ventre suite aux immondices de la veille. Ne jamais avoir eu le frigo vide et se battre pour que ça n’arrive plus. N’avoir jamais subit la ségrégation parce que pas les bons papiers français. N’avoir jamais eu envie de vomir lorsqu’un gilet jaune prend de la prison ferme pour une porte de ministère défoncée au fenwick alors qu’un policier meurtrier continuera à être en liberté.

Voir clair dans la tempête

A l’image d’un camion de syndicat qui passait avec son gros cortège après les affrontements et qui eut l’intelligence de passer dans sa sono « Mais qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu » de NTM, il s’agit maintenant de voir la suite et comment nous allons tenir ensemble avec nos diversités pour dégager cette loi et tout le projet post-fasciste qui vient derrière.

Les manifestations de ce 28 novembre sont une réussite : force numérique, actions offensives, but commun, organisation des colères et parfois déchainement de colère, comme pour rappeler qu’on n’est pas là que pour se représenter, mais pour agir. Mais ne soyons pas dupes et rappelons que toutes les luttes émancipatrices des derniers années ont un triste point commun : leur échec.

Les défaites des derniers mouvements sociaux nous ont prouvé qu’on ne peut continuer à se battre avec la naïveté du réformisme. C’est une impasse dangereuse qui ne fait qu’étouffer les chances de réel renversement en faisant croire à des milliers de gens qu’il suffira d’invoquer le droit et de voter aux prochaines élections. « il nous semble incroyablement naïf, ou alors d’une hypocrisie plus ou moins dissimulée, de croire que l’on nous remettra gentiment les rênes du pouvoir, l’argent du coffre ou les clés de la ville simplement par bonté d’âme. » (Peter Gelderloos)

La vérité c’est que les institutions jouent contre nous. Ceux qui ambitionnent de gérer des mouvements sociaux en ordre discipliné et convenable aux yeux du pouvoir ne travaillent qu’à la maintenance de ce système inégalitaire.

Nous sommes des millions à vouloir un changement profond et émancipateur. On crie sans cesse « ça va péter ». On reprend à tue-tête les chants du mouvement insurrectionnel des gilets jaunes. Il ne suffira pas de le dire pour le faire. Un jour, il faudra se remonter les manches et avoir le courage de regarder en face la violence et l’inventivité nécessaire qu’il faut pour faire tomber le monde qui nous opprime.

Tant qu’on se battra avec les modalités choisies par le pouvoir et le folklore qui est admis dans les médias bourgeois, nous ne serons que des figurants et les luttes ne seront que des illusions nous entrainant malgré nous dans un monde toujours plus fermé, autoritaire, ségrégationniste… Et sous surveillance.


La France à l'aube d'un état fasciste

Initialement publié le 27 novembre 2020

… même sans l’article 24 de la loi Sécurité globale

Cette semaine n’a pas été à la faveur de l’article 24. Avec l’évacuation de la République et le tabassage de Michel Zecler, le crash test est foiré, la réalité a parlé. Le fait qu’il légalise une pratique mafieuse empêchant la production de preuves de violences policières et qu’il touche à la liberté de la presse, chère à la corporation des journalistes le rend dur à avaler. Il est probablement déjà mort né. Sans compter que la colère qu’il suscite est en train de produire l’inverse de l’effet recherché.

Par contre, si jamais les autres dispositions de la Loi Sécurité globale et la future loi Séparatisme sont adoptées, Macron aura réussi à poser les piliers d’un état policier couplé à une ségrégation islamophobe légalisée. 

Une question : si l’article 24 saute, restera-t-il des journalistes et des organisations citoyennistes pour s’opposer à cette descente aux enfers ? 

Le maintien de l’article 24 est devenu intenable

En une semaine, pas moins de deux cas d’école viennent de prouver que l’article 24 de la loi sécurité globale est incompatible avec le besoin de vérité dans les affaires de violences policières. Lundi, l’évacuation inhumaine des réfugiés de la place de la République et jeudi le tabassage de Michel Zecler à son studio de musique ont véritablement plongé le gouvernement dans sa propre merde. Maintenant, on se demande plutôt combien de Michel sont actuellement derrière les barreaux pour faute d’images contredisant les mensonges policiers

Par ailleurs la défenseure des droits et de nombreux juristes ont montré que dans les faits, cet article 24 est inutile puisque des lois existent déjà pour réprimer les délits qu’il prétend cibler. Bref, politiquement, cet article 24 est probablement devenu un poids trop lourd à porter pour le gouvernement. Et la création par Castex d’une commission pour « une nouvelle écriture » de l’article, qui au final ne concernera pas l’article 24… ne fait que confirmer cette impression.

Il est probable que le gouvernement finira par lâcher l’article 24 ou le fera passer déplumé de toute sa substance afin de préserver les autres articles qui apparaissent bien plus juteux en terme d’intensification du contrôle sur la population. Au vu des conséquences de la pauvreté de masse qui s’annonce, nul doute qu’il a besoin au plus vite d’un cadre légal et de moyens répressifs surdimensionnés pour asseoir sa politique inégalitaire.

Loi Sécurité globale ou comment faire de la France le premier pays sécuritaire d’Europe

Deux aspects nous paraissent essentiels au delà de l’article 24 et il en a été très peu question dans les débats.

Des pouvoirs élargis pour toutes les forces armées intérieures : police nationale, municipale, privée

Il y a tout d’abord une extension de pouvoir, et donc de moyens, à la police municipale. « Les polices municipales placées sous l’autorité politique des maires se voient reconnaître avec cette loi des pouvoirs et des missions de plus en plus proches de ceux de la police nationale. » note une tribune parue dans le Monde aujourd’hui (Loi « sécurité globale » : « La France devient le premier pays sécuritaire de l’Union européenne »).

Grosso modo, il s’agirait pour les municipaux de faire le boulot de la police nationale pour libérer cette dernière pour le maintien de l’ordre. Elle serait également moins qu’avant, sous le contrôle des maires.

Ensuite, cette extension de pouvoir policier concerne aussi le secteur privé. La loi donne la possibilité aux policiers de pouvoir se reconvertir dans ces secteurs une fois la retraite arrivée ou lorsqu’ils décident de raccrocher le flashball républicain. Il faut aussi noter que la loi permet une extension des missions du privé qui pourrait désormais s’occuper de la sécurité publique et ce avec des prérogatives répressives étendues. Le cas concret qui s’annonce est clairement le déroulement des prochains jeux olympiques à Paris, cités comme exemple à l’Assemblée Nationale par un des rapporteurs de la loi, ancien policier du Raid, Jean Michel Fauvergue.

Voilà donc des aspects bien concrets de la loi qui comptent à la fois financièrement dans la vie d’un policier et qui donnent par dessus tout les possibilités à ce corps de métier d’une extension inédite du pouvoir répressif et du contrôle permanent de nos vies. Comme le dit le docteur en droit Yves Jeanclos « l’Etat pourrait avoir à sa disposition répressive, au quotidien, pas loin d’un demi million d’agents du maintien de l’ordre et de la sécurité intérieure, soit un potentiel ratio d’environ un fonctionnaire des forces intérieures pour 150 habitants (contre un pour 281 en 2018), la France devenant le premier pays sécuritaire de l’Union européenne. »

Après la phase test, la technopolice passe à l’échelle industrielle

Alors que la France se situe déjà dans le top des pays dits démocratiques par ses moyens juridiques et policiers de surveillance et de contrôle de sa population civile, le gouvernement semble lancé, sans aucun débat public, dans une course aveugle au déploiement de technologies de surveillance de masse. Le traitement en direct des images de drones dont l’usage serait largement étendu, de celles des caméras qu’elles soient policières, de rue, ou de hall d’immeuble et la reconnaissance faciale prévus par cette loi constitueraient un pas en avant immense vers une société où les moindres faits et gestes quotidiens des citoyens pourront être surveillés.

Loi Séparatisme ou la construction d’un ennemi intérieur

Il a beaucoup été question de la pratique journalistique à propos de cette loi. Mais au delà de la liberté de faire, il y a une liberté bien plus importante qui s’annonce ciblée, c’est celle d’être. Car ne l’oublions pas, cette loi s’inscrit dans un contexte où l’Etat profite du choc des attentats terroristes pour terroriser à son tour celles et ceux qu’il estime pouvoir jeter à la vindicte populaire. Avec la loi Séparatisme qui s’annonce, l’Etat se désigne son ennemi numéro un, car s’il est une règle de pouvoir cardinale c’est de se désigner un ennemi à combattre pour cacher les vrais problèmes. Les musulmans sont plus que jamais les cibles des fakenews et fantasmes de l’extrême droite avec qui le macronisme joue la concurrence.

Ce qui s’annonce avec ces deux projets de loi, Sécurité globale et Séparatisme, c’est une société de la surveillance, de la suppression des libertés publiques et de la suspicion généralisées construite sur la paranoïa islamophobe. Pour reprendre la formule de Guillaume Meurice, « on ne pourra pas dire qu’on a pas vu venir le fascisme. Il arrive en klaxonnant ! »

Là où les gens se connaissent, se font confiance et prennent le temps de penser et d’agir ensemble, nous pouvons faire échouer le gouvernement et la société de contrôle. Nous pouvons gagner ! 


Loi "Sécurité globale" – pistes pour l'avènement du mouvement offensif

Initialement publié le 23 novembre 2020

Nous proposons ici quelques pistes pour faire du mouvement s’opposant à la loi sécurité globale, un mouvement offensif, s’inscrivant dans la durée.

Les débats autours de la loi sécurité globale prennent fin à l’assemblée sans que nous puissions faire autre chose que de constater notre impuissance. Pourtant, le mouvement d’opposition rassemble très largement : de la ligue des droits de l’homme à Amnesty France. Des avocats aux magistrats. Des syndiqué.e.s aux gilets jaunes en passant par la jeunesse luttant depuis plusieurs mois contre le racisme d’État et les violences policières. Et évidemment les journalistes, indépendants ou non.

Mais malgré ce large rassemblement, nous devons faire un triste constat. Nous regardons passivement nos libertés s’effondrer. Pire encore, nous nous indignons et luttons pour simplement conserver le droit de filmer nos mutilations, nos arrestations, la barbarie policière quotidienne.

Alors comment faire ? Comment créer le mouvement offensif ?

1/ Se coordonner

Les organisations et collectifs, les 106 recensées par la Quadrature du net, celles et ceux qui ont organisé les premières manifestations doivent faire front commun. Se parler, se coordonner. Éviter à tout prix des initiatives individuelles risquant d’essouffler et tuer la mobilisation. Il faut qu’elles comprennent aussi qu’elles ne sont pas seules, et qu’elles ne sont pas les leaders d’un mouvement en réalité composé d’une multitude d’individus avec des volontés et des pratiques différentes. Les organisations ne doivent pas tenter de brider les corps qui manifestent.

2/ Revendiquer

Le mouvement doit abandonner sa position de réaction à la loi. Celui-ci ne doit pas dire stop à la loi sécurité globale, mais doit réclamer la reprise totale des libertés perdues.

« Le mouvement social est devenu une forme de réaction à la réaction et appelle gagner ce qui est ne pas perdre » Geoffroy de Lasganerie.

Le mouvement social offensif doit donc revendiquer un certain nombre de choses qui permettront de réunir les conditions nécessaires à la reprise de nos libertés perdues. Comme : la dissolution des polices les plus répressives et meurtrières (BAC, BRAV, CDI), de leurs syndicats qui harcèlent et menacent, de l’IGPN cultivant l’impunité générale de la police nationale. Réclamer le port du RIO en grand format sur les uniformes. Réclamer la fin des déclarations en préfecture. L’interdiction de la reconnaissance faciale à des fins de surveillance et de contrôle. Nous devons réclamer l’abolition des délits « d’outrage » et « de groupement en vue de » qui ont mis trop de gens en garde à vue, parfois en prison, pour rien. Nous devons demander l’abandon de toutes les peines pour l’ensemble des personnes condamnées durant les mouvements sociaux successifs depuis la COP21.

3/ Être offensif

L’offensivité se joue dans ce que nous réclamons d’une part, mais aussi dans nos modes d’actions. Il va falloir être offensif et radical. S’attaquer à la racine du problème. Il va falloir harceler le pouvoir, assiéger ses lieux. Chaque jour. Chaque nuit. Il va falloir contourner les interdictions de manifester, les restrictions de circulation, les barrages de police, les drones et les canons à eaux. Contourner les déclarations en préfecture en déclarant partout et tout le temps (par exemple). Multiplier les canards gonflables pour s’opposer aux canons à eau, multiplier les filets anti-drones. N’oublions pas que le propre d’une dictature moderne, c’est d’offrir l’apparence d’une démocratie, y compris dans les pseudo espaces d’opposition. Et qu’il n’y a rien de pire que de donner à ce pouvoir l’occasion de prétendre qu’il laisse les mouvements d’opposition s’exprimer librement. Pour montrer le vrai visage d’un pouvoir autoritaire, il est désormais nécessaire de le pousser dans ses retranchements.

4/ S’organiser

Nous ne pouvons nous retrouver à plusieurs dizaines de milliers, lors des appels aux manifestations, et entre temps être uniquement rythmé par les infos des médias indépendants. Le mouvement a besoin de multiplier les canaux d’information et de discussion pour pouvoir entre chaque mobilisation, s’organiser. Groupe Facebook, Chat Télégram, assemblée virtuelle, etc. Le tout accessible à tous et toutes.

Ce sont ici des pistes que nous proposons, pour que le mouvement puissent s’amplifier, s’inscrire dans la durée et gagner. Elles sont loin d’être parfaites et incritiquables mais elles nous paraissent nécessaires au vu de la tournure que prend cette mobilisation et de ses travers encore corrigeables.


Hold-up, la déchirure

Initialement publié le 18 novembre 2020

Tentative de réconciliation après les ravages qu’Hold Up a causés.

J’écris cette contribution après avoir vu et analysé le documentaire. Après avoir lu les dizaines d’articles des médias mainstream empilant les fact-checking, après avoir lu les articles des médias indépendants comme le Poing ou Rouen dans la rue ainsi que des avis et des analyses des militants comme Vincent Verzat, figure influente du mouvement climat, ayant publié une vidéo sur sa chaîne Partager C’est Sympa.

J’écris aussi après avoir attendu que d’autres médias indépendants que j’affectionne se positionnent, se murant parfois dans un silence assourdissant, à l’instar de Cerveaux non disponibles – où j’espère pouvoir publier cette contribution pour pallier à celui-ci.

J’écris ce texte après avoir parlé du documentaire avec des membres de ma famille, après avoir débattu avec des inconnu.e.s ou des ami.e.s qui m’avaient envoyé le lien de la vidéo m’invitant à absolument la regarder. Après avoir vu tout ces tweets témoignant de la peur d’une partie de la population. Que ce soit la peur du complot mondial, ou la peur du complotiste.

J’écris aussi ce texte avec de la peur. Mais celle-ci ne réside pas dans le contenu du documentaire et dans l’engouement que celui-ci a suscité. Cette peur est apparue un peu après.

Elle est apparue quand j’ai vu ce tweet d’une mère nous expliquant que sa fille avait rompu tout lien avec elle, suite à une discussion tendue autour de ce documentaire.

Quand j’ai vu cette déferlante de haine dans les commentaires d’un article du média indépendant Rouen dans la rue, qui s’était essayé à faire une critique du film et des « théories du complot » qu’il véhiculait.

Quand j’ai vu cette déferlante de haine, sous la vidéo de « partager c’est sympa », ce militant écologiste qui avec sa positivité et sa bienveillance habituelle, nous invitait à faire attention, pour nous, pour les autres, pour la lutte.

Voilà plus d’une semaine que « Hold Up » est apparu un peu partout sur la toile, et alors que les débats autour du contenu, du vrai et du faux, continuent de faire rage, nous pouvons déjà tirer une conclusion. Le film NOUS divise, nous fait mal, alors même que celui-ci nous invite à nous « réveiller ».

Le NOUS, précédemment cité, c’est toutes les personnes qui contestent ce pouvoir, qui manifestent depuis exactement deux ans, qui partagent leur rage envers cette société. La rage contre le capitalisme, contre l’individualisme, contre ceux qui gouvernent. De ceux qui votent les lois, à ceux qui mettent des amendes en passant par ceux qui refusent nos demandes de prêt.

NOUS, c’est toi, moi, ton cousin, ton voisin, le SDF en bas de la rue qui n’a rien à bouffer, le jeune exilé qui ne comprend pas pourquoi son énième demande d’asile est refusé, c’est l’aide soignante qu’on a envoyé au casse pipe, c’est le lycéen qui continue à aller en cours bien que tout le monde trouve ça absurde, dans de telles conditions sanitaires. C’est l’ensemble des personnes qui subissent d’innombrables injustices.

Et l’ensemble de ces personnes, aujourd’hui, se déchirent au sujet de Hold-Up, pendant que les dirigeants, eux, continuent inlassablement de détruire nos libertés, de construire l’état policier, de diffuser le virus de la peur.

« Les formes d’aversion se multiplient, la phobie du contact se répand, le mouvement de rétraction devient spontané. C’est précisément dans cette rétraction qu’il faut voir la tendance du citoyen à s’éloigner de la pólis et de tout ce qui réunit. Il n’en répond plus. Il est dés-affecté. Mais l’anesthésie du citoyen immunisé, la basse intensité de ses passions politiques, qui font de lui le spectateur impassible du désastre du monde, sont aussi sa condamnation. » Donatella Di Cesare, un virus souverain.

Peut-être que le vrai Hold-Up réside ici, sous nos yeux, dans chaque discussion que nous partageons à son sujet. Nous sommes pris dans une inertie de folie nous rendant aveugle. Nous ne voyons même pas qu’un documentaire censé nous éveiller, nous révolter, nous unir contre un pouvoir corrompu, incompétent et autoritaire, nous rend profondément vulnérables en nous divisant. Le documentaire est ainsi fait.

Il polarise le débat en deux points de vue drastiquement opposés et irréconciliables. Ceux qui croient au documentaire, à l’intégralité de son contenu, et ceux qui le rejettent sous la bannière du complotisme. Le documentaire est ainsi fait qu’il rend les choses profondément manichéenne. Ce serait soit tout blanc, soit tout noir. Nos divergences s’établissent pourtant sur un spectre et non sur une opposition binaire.

« La seule ligne en matière de complots consiste à se garder des deux écueils symétriques qui consistent l’un à en voir partout, l’autre à n’en voir nulle part — comme si jamais l’histoire n’avait connu d’entreprises concertées et dissimulées… » Frédéric Lordon, « le complotisme de l’anticomplotisme. »

Croyez bien que l’ensemble des médias dominants s’en donnent à coeur joie et exploitent cette opposition pour agrandir le fossé, et séparer davantage les deux camps que ce documentaire a imposé. De cette opposition est née une tempête, un ouragan de merde.

Discréditation sur les plateaux télés, alertes aux Fake news par les instituts de « fact-checking », mépris des éditorialistes et réactions à chaud déconnectées des réalités.

« De la croisade anticomplotiste à l’éradication de la fake news (fausse information), il n’y a à l’évidence qu’un pas. Au point d’ailleurs qu’il faut davantage y voir deux expressions différenciées d’une seule et même tendance générale. Mais comment situer plus précisément un « décodeur » du Monde.fr au milieu de ce paysage ? Il est encore loin de l’Élysée ou de Matignon. D’où lui viennent ses propres obsessions anticomplotistes ? Inutile ici d’envisager des hypothèses de contamination directe : il faut plutôt songer à un « effet de milieu », plus complexe et plus diffus. » Frédéric Lordon, « le complotisme de l’anticomplotisme. »

Mais aussi réflexions et analyses critiques de certaines personnes, de certains médias indépendants, désolidarisation de certains ayant participé au documentaire, conflits entre ami.e.s, familles, camarades.

Sans oublier les déferlantes de commentaires interposés d’insultes. « sale complotiste », « espèce de vendu, de collabo ». Une haine nous a envahi, une haine de l’autre camp. Aussi bien du coté de ceux dénonçant le caractère complotiste du film que des personnes le défendant corps et âme.

Nous sommes en train de nous entretuer alors que nous partageons un même combat contre les élites. D’un gouvernement qui gère la crise sanitaire avec ses pieds. Ce même combat pour l’égalité et la justice. Contre l’autoritarisme et pour la liberté.

Si je devais donner un exemple pour étayer mon propos, je prendrais celui de l’article de Rouen dans la rue, critiquant le complotisme du docu, qui est sans doute un des exemples les plus flagrants.

Rouen dans la rue est un média indépendant comme il y en a peu. Dénonçant depuis 2014 les violences policières, le capitalisme, le fascisme, le désastre environnemental, la mascarade des élections, les ignominies des gouvernements successifs (entre autres). Un média étant depuis le 17 novembre 2018 au coeur des manifestations des gilets jaunes et sur les ronds points, qui en a publié un livre. Un média qui a subi la répression policière, une perquisition et dont certains contributeurs sont fichés.

Rouen dans la rue est clairement de notre côté, de ceux qui luttent, de ceux qui refusent la mascarade politique à laquelle nous assistons et de ses décisions que nous subissons dans nos chairs et payons parfois de nos vies. Et alors que le média a essayé de produire une critique du documentaire, c’est une déferlante de haine qui s’est abattue dans les commentaires de l’article :

– « Rouen devant les écrans.. ça c’est la vérité. »

– « Rouen dans la rue contredit j hallucine mais qui dirige ça alors dire que j était à fond avec vous pendant les gilets jaunes je tombe des nus quand ça dérange on voit le vrai visage de ce groupe »

– « Voilà encore un qui a graté un peu de pognon en coulisse ! Vive Hold UP, et longue a vie à cet homme courageux et téméraire »

– « Au revoir Rouen dans la rue. »

– « Vous faites des raccourcis pour manipuler les personnes qui n’ont pas vu le film… Une honte de votre part, vous ne valez pas mieux que les médias cités dans le film ! (BG vous aurait-il graissé la patte à vous aussi ????) »

– « Rouen dans la rue vous avez était racheter par bfm ? cest pas possible autrement…. »

– « Mdr Rouen dans la rue. …mais du côté de LREM Élites et Lobbies !! »

Et ça ce n’est qu’une infime partie des plus de 400 commentaires publiés en quelques heures sous l’article.Mais qu’est ce qui nous prend ? Qu’est ce qui nous fait arriver à de tels point de clivages alors même que hier nous étions ensemble ? Quel virus avons-nous attrapé ?

Peut-être sommes nous en constante position de défense et de défiance car nous sommes plus que jamais vulnérables. Pour la première fois, l’ensemble de la planète est confrontée à une crise dont le responsable n’est pas visible à l’œil nu. Nous ne le voyons pas, nous ne comprenons pas et pour certain.e.s nous n’y croyons même pas.

Alors nous cherchons des réponses. C’est légitime. Chacun trouve les siennes.

Certain.es pointeront du doigt la destruction de la biodiversité que nos sociétés capitalistes ont causées. D’autres diront que le covid est passé de la chauve souris à l’homme de manière naturelle, certaines personnes diront qu’il s’est échappé du laboratoire P4 de Wuhan et enfin d’autres affirmeront qu’il a été créé par une élite qui désire éradiquer une partie de la population.

Chacun aura ses sources. Chacun en tirera ses conclusions. Mais une chose est sûre.

Chacune de ces conclusions mèneront aux mêmes responsables. Ceux qui n’ont pas su gérer la crise. Ceux qui ont menti. Ceux qui ont détruit la planète pour leurs profits. Ceux qui ont voulu manipuler un virus. Ceux qui complotent pour nous éradiquer.

Quelque soit la théorie que nous avons sur le covid19, les responsables de la situation restent les mêmes. De Bezos à Macron, des GAFAM aux gouvernement. Du capitaliste au politique.

Mais si nous arrivons à être défiant vis à vis des intentions d’un média indépendant tel que Rouen dans la rue , alors nous ne pouvons espérer voir un jour une lutte victorieuse ou une apocalypse vécue dans la solidarité.

« La démocratie immunitaire est pauvre en communauté – elle en est désormais quasi privée. Quand on parle de « communauté » on entend seulement un ensemble d’institutions qui renvoie à un principe d’autorité. Le citoyen est soumis à celui qui lui garantit protection. Il se garde en revanche de l’exposition à l’autre, il se préserve du risque de contact. L’autre est infection, contamination, contagion. » Donatella Di Cesare, « Un virus souverain »

Continuons de débattre, mais réconcilions nous.

Nous avons bien une élite et un gouvernement à combattre, qui est d’ailleurs entrain de faire passer une des lois les plus dangereuses pour asseoir le régime policier et autoritaire dans lequel nous sommes déjà. Une loi qui vise à décupler les pouvoirs de la police, les technologies de surveillance de masse et à interdire la diffusion d’images de policiers.

Des manifestations ont d’ailleurs été organisées partout en France ce 17 novembre, rassemblant des milliers de personnes. Une foule a explicitement dénoncée l’autoritarisme du pouvoir devant l’assemblée nationale.

Des lors, une simple question se pose. Vaut-il mieux continuer à se déchirer autour d’un documentaire, ou rejoindre les milliers de personnes qui luttent depuis de nombreuses années. Contre Amazon, contre le fascisme grandissant, contre le libéralisme destructeur, pour nos libertés, et la justice sociale ?

Texte écrit par un contributeur.