NOS MAINS TENDUES FACE AUX BRAS TENDUS
Initialement publié le 9 juin 2020
Nul opportunisme. Nulle alliance contre-nature. Il n’y qu’amitié, solidarité et amour.
Samedi, dans les rues de Paris et partout en France, nous appelons les Gilets Jaunes à rejoindre massivement les différents rassemblements Black Lives Matter.
Des Gilets Jaunes s’offusquent d’un tel rapprochement ? Certains anti racistes refusent le soutien des GJ ? Ce n’est pourtant pas le moment de s’étouffer dans des puretés idéologiques.
« Ce mouvement est particulièrement complexe et protéiforme. D’un collectif à l’autre, les logiques et dynamiques semblent bien différentes. C’est aussi un mouvement qui évolue de jour en jour, et fait émerger une lame de fond qui couvait depuis longtemps dans la société. ». Cette phrase, nous l’avons écrit en novembre 2018 pour parler du mouvement GJ, qui secouait depuis quelques jours le pays. A l’époque, nous avions lancé notre premier événement CND : « Front de Gilets Jaunes antiracistes ». Nous précisions ensuite : « Nous devons accepter, et promouvoir, la diversité des profils, des méthodes et des objectifs de lutte. Mais, en ces temps particulièrement dangereux face au danger fasciste (Brésil, Italie, USA), nous nous devons de combattre cette peste brune sur le terrain et dans les luttes. Nous ne ferons reculer l’extrême droite qu’en remportant des batailles sociales contre un pouvoir aux abois détesté par le plus grand nombre. »
Dès cet acte 2, des membres du comité Adama soutiennent l’événement que nous avons lancé. La semaine suivante, pour l’acte 3, le comité lance son propre appel à rejoindre les GJ dans les rues de Paris. A l’époque, certains militants des quartiers populaires grognent et refusent de participer à ce mouvement arguant que ces gens là ne sont jamais venu soutenir les quartiers quand ils en avaient besoin, que ce soit face à la police raciste et violente ou face aux politiques d’abandon de ces quartiers. De la même façon que depuis quelques jours, certains GJ refusent de manifester contre les violences policières et son racisme systémique arguant que trop peu d’orgas des quartiers sont venues aux manifs GJ, qui ont connu une terrible répression de la part du pouvoir, de la police et de la justice.
Alors oui : trop de citoyens n’ont pas vraiment pris conscience du racisme qu’on pouvait vivre dans les quartiers. De la même manière que trop peu de personnes ont pris la mesure du traitement totalitaire et fascisant qu’ont subi les Gilets Jaunes. Mais que fait-on une fois qu’on a dit ça ? Chacun reste dans son coin et rumine le manque de solidarité passé ? Ou alors, on fait le premier pas. On tend la main. Et on prend conscience qu’au delà de nos différences, il y a surtout énormément de choses à partager et à construire ensemble.
Il n’y a que deux côtés d’une barricade. La force du pouvoir, c’est d’empêcher tous ceux qui ne sont pas de son côté d’oser s’approcher les uns des autres, pour être assez nombreux et assez forts pour le renverser. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Pour nous, il n’y aura pas de véritable victoire sur le front du racisme sans que le pouvoir actuel soit renversé. Sans que le système actuel ne soit détruit. Pas plus qu’il ne pourrait y avoir de véritable victoire sur le front des luttes sociales sans que le pouvoir soit renversé. Sans que le système actuel ne soit détruit.
Une révolution, une vraie, ne peut se faire que de façon globale : sur le front social, écologique et des droits civiques. Lorsqu’on combat l’oppression, on ne peut la combattre que totalement, et lutter avec tous ceux qui sont victimes de ce système oppressif : les plus faibles. Économiquement et socialement. Se battre pour un monde plus juste et égalitaire pour tous ! pour toutes. L’émancipation ne peut être qu’inclusive. Ce combat est celui des Gilets Jaunes, car c’est celui de l’émancipation, de la dignité et de la justice sociale.
Et si tout cela peut vous paraitre totalement déconnecté des réalités du terrain, dites vous qu’il y a plus de 30 ans, dans l’Angleterre de Thatcher, la Gay Pride de 1985 a vu défiler en tête de cortège, des ouvriers du syndicat national des mineurs ! Un an plus tôt, quelques militants homosexuels avaient créé l’organisation « Lesbiennes et gays en soutien aux mineurs » pour aider financièrement la grève historique en cours. Pour eux, les mineurs luttaient contre le même pouvoir et la même police. Un pouvoir qui détruit et qui opprime. Un pouvoir qui divise et qui stigmatise. Jugée contre nature et opportuniste, cette main tendue par une dizaines de militants a initialement été rejetée par les mineurs, avant que quelques dizaines de mineurs d’un village du Pays de Galle acceptent cette main tendue.
Il est tout aussi difficile d’être le premier à tendre la main que d’être celui qui accepte la main tendue. Mais rares sont ceux qui regrettent d’avoir fait l’un de ces gestes.
Alors, pour ne pas avoir de regrets dans quelques années, tendons nous la main. Dès samedi.
Témoignage : quand les normes sanitaires mettent en danger les personnes fragiles
Initialement publié le 5 juin 2020
Le témoignage d’E. gérante d’un poney-club au Pays-Basque.
Poney club fermé depuis le 17 mars.
Un discours d’une heure et tout le monde enfermé chez soi, comme si tout individu avait un bracelet électronique. Aujourd’hui on nous ‘autorise’ à ouvrir. En réalité on nous oblige étant donné qu’à partir de juin il n’y aurait plus d’aides, et que pour un bon nombre de centres équestres c’est de survie qu’il s’agit. Des protocoles de dingues à mettre en place, et tous les 2 jours, en bon pervers narcissique, le gouvernement donne des injonctions contradictoires ou modifie pour un détail ce que nous avons déjà mis en place.
On me demande de désinfecter tout le matériel, je me retrouve avec une responsabilité démesurée sur les épaules, et par contre lorsque je suis obligée d’aller dans un supermarché… je n ai jamais vu, depuis le début de tout ce foutoir, désinfecter un boîtier de carte bleue ! Combien de personnes par jour les touchent ??
On nous donne des consignes hallucinantes : 5 m de distance entre les enfants à pied ! Les gamins ont été privés de tout pendant 2 mois à cause du manque de moyens (de protection et de tests) et de la gestion absurde de la crise sanitaire, et maintenant ils ne peuvent plus faire de sport ? Et ils restent dans ces carrés peints dans les cours des écoles pendant les récrés… Violence.
Nous devons respecter la distance de 1 m, ce qui implique de ne plus pouvoir recevoir les jeunes en équithérapie. Ceux que nous recevions sont en demande réelle et urgente. La coupure des soins pour certains enfants autistes, fragiles, enfants d’ITEP obligés de retourner dans leur famille avec des éducateurs faisant leur job en télétravail : aberration !!! Violence.
Tous ces jeunes en difficulté ont besoin de soins et d’attention. Etant un lieu accueillant du public, on nous interdit de nous occuper d’eux alors que dans bien d’autres lieux les distances sont totalement oubliées… Il y a des régressions, des rechutes, des pétages de plomb… et nous, pour des questions d’assurances, nous sommes impuissants…
Ça suffit d’être séparés, isolés !!
Nous sommes adultes et en prenant les précautions nécessaires nous pourrions prendre soin de ces enfants qui ont besoin de contact, d’amour et du lien avec les chevaux !
Nous avons fait ce matin notre première séance d’équithérapie adulte. L’état de tensions, de pression et d angoisses est très dur à constater… Des personnes très fragiles mais sur un chemin de mieux-être ont fait un recul dans leurs parcours de vie qui est réel et mesurable. L’isolement.. violence !
Je suis en colère, en rage, et je souhaite par dessus tout en faire quelque chose de constructif, me mettre à l’action sans être aveuglée mais au contraire portée par cette énergie radicale et vitale. Ne nous laissons pas séparer : solidarité et action !
Décrétons l’autodéfense sanitaire - Raoul Vaneigem
Initialement publié le 20 mai 2020
La menace que le coronavirus a fait planer sur la santé des populations du monde entier a démontré que le véritable danger venait d’une dégradation des services médicaux. Cette dégradation, il n’est pas douteux que les impératifs de profit, partout prédominants, ne cesseront de l’accélérer.
Gérer les hôpitaux comme des entreprises à rentabiliser implique de sous-payer et de surexploiter le personnel, de diminuer le nombre de lits et de moyens techniques. Les grandes firmes pharmaceutiques paralysent la vraie recherche, jettent le discrédit sur les scientifiques qu’elles stipendient, interdisent des médicaments à bas prix qui ont fait leurs preuves pour vendre des vaccins douteux dont la seule efficacité garantie est l’intérêt financier qu’ils produiront.
Il va de soi que les États n’hésiteront pas à réitérer le coup des libertés restreintes, qui leur a si bien réussi. Tout en laissant se répandre les virus issus de la fonte du permafrost, ils se serviront sans scrupule du même prétexte épidémique pour confiner préventivement celles et ceux qui s’insurgent contre leur politique criminelle. Il faut dès maintenant déjouer cette manœuvre.
Il y va de notre vie et de celle de nos enfants : décrétons l’autodéfense sanitaire. Dans les rues, les villes, les campagnes, endossons la blouse blanche du personnel hospitalier. Tous aides-soignants, tous promoteurs de santé !
La morbidité de l’État et des institutions supranationales est permanente. À son encontre imposons, par la permanence et l’intransigeance de nos luttes, le droit imprescriptible à la vie.
Gilets jaunes, noirs, rouges, multicolores ne sont que les habits d’une révolution qui engage l’avenir de l’humanité. La blouse blanche est, plus qu’un symbole, une pratique. Si elle envahit les rues, comment l’État policier en viendra-t-il à bout ?
C’est aux peuples, principales victimes des mesures coercitives et des malversations budgétaires, de créer des conditions capables d’assurer à tous et à toutes la garantie d’éradiquer la maladie dont le capitalisme est le virus le plus implacable. Désobéissance civile, résistance à l’oppression, solidarité festive, y a-t-il meilleurs gages de santé ?
Nous sommes tous des aides-soignants. Le combat est partout où le pouvoir des Communes interdit les pesticides et les nuisances, réinvente l’école, les transports, les structures hospitalières, l’existence quotidienne. C’est un adage médical bien connu, que la plupart des maux se guérissent d’eux-mêmes si on leur donne suffisamment de temps. Nous sommes ce temps-là.
Raoul Vaneigem
On a visité le futur proche. On vous raconte !
Initialement publié le 8 mai 2020
A quelques heures du déconfinement et du monde d’après, voici une vision pour le moins sombre du futur. Sombre mais totalement crédible. Ce qui pourrait se passer si aucun soulèvement majeur ne s’opère pour bloquer les processus économiques et répressifs en cours. On a visité le futur proche, et on vous raconte :
16 MAI – Premier samedi post confinement. De nombreux appels (GJ mais pas que) à ressortir dans les rues, notamment à Paris. Les rassemblements restent interdits. La préfecture et le ministère de l’Intérieur communiquent massivement là-dessus, arguant de danger sanitaire. Résultat, 400 personnes à Paris, qui n’arriveront même pas à se rassembler vu l’arsenal policier mobilisé. Au moindre attroupement de 20 ou 30 personnes, la police nasse, verbalise, et emmène certains en GAV. Cela n’indigne pas grand monde.
21 MAI – Création de 50 Centres de Rétention Sanitaire (CRS) répartis sur le territoire et destinés à mettre en quarantaine les arrivants hors espace Schengen. Le principe des CRA s’étend pour gérer les potentiels malades étrangers.
25 MAI – Le gouvernement annonce prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’à fin octobre. La courbe des nouveaux cas et des décès continue de baisser de façon très encourageante mais le pouvoir annonce craindre une seconde vague, peut être encore plus forte que la première.
01 JUIN – Fin du chômage partiel pour cause de garde d’enfants. 15 millions de parents sont contraints de remettre leurs enfants à l’école et retournent au travail. La mesure est ressentie comme une double peine touchant les foyers les plus modestes. Parents et enfants sont désormais susceptibles de ramener le covid à la maison.
02 JUIN – Les syndicats appellent à une grosse journée d’action pour le service public et contre la réforme des retraites. Du monde, mais moins que début décembre. La manif est totalement entourée d’une nasse mobile policière, comme lors des précédents rassemblements. Le gouvernement communique sur de nouvelles primes de fin d’année pour les soignants, les pompiers et la police.
08 JUIN – Panique générale avec un nouveau krach boursier à Paris et sur les principales places financières du monde. Le CAC descend à son plus bas niveau depuis 2003.
12 JUIN – Le ministère du Travail annonce des mesures pour faire face à la crise économique et, selon lui, éviter trop de fermetures d’entreprises. Cela se concrétise par une application stricte du code du travail version 2016 et la facilitation des licenciements en masse (du droit du travail; des baisses de cotisations et la fin des 35h). Et également évoqué, sans être voté, la suppression d’une semaine de congés payés.
21 JUIN – Trois policiers de la BAC de Nantes se filment dans la base de loisirs de la Roche-Ballue, non loin de la métropole. L’un d’eux mime une noyade devant ses collègues, hilares. La vidéo, postée sur le profil Instagram de l’agent, provoque immédiatement la consternation des proches de Steve Maia Caniço, mort dans la Loire un an plus tôt, suite à une charge de la police lors de la Fête de la Musique. Aucune mise à pied ne serait prévue à ce jour.
03 JUILLET – Remaniement ministériel : Lallement devient ministre de l’Intérieur, Strauss Kahn est nommé à la Culture. Et le Premier Ministre est désormais… Nicolas Sarkozy !
14 JUILLET – Des opposants tentent de manifester sur les Champs-Elysées, comme en 2019. Mais les ordres venant d’en haut, afin de ne pas revoir les images de l’an passé, ont pour conséquence un véritable carnage. Dès le matin, tous ceux qui semblent être venus pour manifester et non pour acclamer Macron sont arrêtés : charges, lacrymo, LBD. Avant même le défilé, de nombreuses violences. Un jeune de 17 ans, militant écolo et GJ, perd un œil suite un tir de flashball. Un autre manifestant, âgé de 63 ans, reste trois jours dans le coma suite à une grenade de désencerclement (GM2L, remplaçante de la GLI-F4), ayant explosée au niveau de son torse alors qu’il était au sol.
15 JUILLET – Tous les recours juridiques contre l’usage de drones ont été déboutés. La police annonce l’embauche et la formation de 950 pilotes de drones supplémentaires.
07 SEPTEMBRE – Rentrée des classes un peu spéciale. Depuis le 1er déconfinement du 11 mai, le mouvement des professeurs itinérants Proferrants (en hommage à l’auteur Alain Damasio) a essaimé partout en France. Des milliers d’enseignants proposent, gratuitement, dans les quartiers populaires et les zones rurales désertées, des ballades pédagogiques pour apprendre à l’air libre. Mais de son côté, le lobby des Écoles privées et lucratives fait quasi-systématiquement stopper les cours, se référant à des textes de loi sur la protection de l’enfance et la sécurité à l’éducation.
11 SEPTEMBRE – Le gouvernement soumet son nouveau grand projet de loi santé, taillé pour affronter les épidémies futures. Peu d’investissement dans les salaires et les moyens matériels des soignants, mais une mesure phare : la généralisation de la collecte de données médicales (« tracing ») et leur partage via des plateformes ouvertes aux assurances maladie privées, aux banques et aux GAFAM.
3 NOVEMBRE – Réélection, haut la main, de Donald Trump à la Maison Blanche, le tout sur un programme encore plus outrancier. En ces temps de crise, il affirme que seule la survie (économique, sociale et religieuse) de l’Amérique compte. Plus que jamais, les murs se dressent et les frontières se durcissent.
30 NOVEMBRE – La 2ème vague n’est toujours pas arrivée, les brigades sanitaires ont de moins en moins de suspects atteints du covid à traquer, mais l’application stopcovid fonctionne depuis juin et commence à obtenir le graph social de tous les individus. L’État y voit une aubaine pour pouvoir enfin tout gérer au millimètre et devenir un des premiers « gouvernement parfait » de l’histoire.
05 DÉCEMBRE – Devant une crise économique sans précédent, beaucoup de foyers se retrouvent sans rien à manger. En vogue la nouvelle mouture de l’application de l’État permet à quiconque de devenir manager d’immeuble, de rue ou de quartier et d’obtenir des crédits pour la banque alimentaire ou des avantages sur les factures énergétiques avec les compteurs intelligents Linky. Filmer une infraction rapporte ainsi 5€, obtenir les coordonnées du contrevenant 5€ de plus. Faire un rapport étayé sur un individu ou un groupe qui aurait des projets contre l’État peut rapporter jusqu’à 400€. Les meilleurs d’entre eux sont recrutés par LREM et obtiennent des emplois stables avec des droits à la nouvelle couverture sociale créée par Blackrock.
14 DÉCEMBRE – Nouvelle étape dans la censure des médias critiques envers le pouvoir. En lien avec Facebook et Google, le gouvernement a désormais la possibilité de demander la fermeture des comptes Facebook et Youtube si les services de renseignements fournissent des éléments portant à penser que ces comptes portent atteinte à la sécurité nationale. Résultat, la semaine qui suit, Nantes Révoltée, Rouen dans la Rue et Lille Insurgée voient leurs pages Facebook et Youtube fermées, sans aucun recours possible. Certains administrateurs sont convoqués par la police pour incitation à la haine et promotion du terrorisme. Peu de réaction, notamment chez les médias de masse ou dans la classe politique.
« La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase. »
Romain Gary
Violence et autodéfense : Interview d'Elsa Dorlin
Initialement publié le 30 avril 2020
Il n’aura peut-être jamais été autant question de la violence dans nos vies. Paradoxalement, notre société est aujourd’hui l’une des plus « pacifiée » que l’histoire n’ait jamais connu, sauf du côté de la violence d’état. C’est pourtant cette violence qui est la plus minimisée et niée, tandis que les autres « violences » sont totalement exagérées et stigmatisées. Pour tenter de prendre un peu de recul, nous avons interrogé la philosophe Elsa Dorlin, autrice de l’ouvrage « Se défendre ».
Interview intégrale disponible ici :
Pourquoi nous soutenons les révoltes des quartiers populaires
Initialement publié le 23 avril 2020
Parce que nous n’avons pas oublié que fin 2018, la violence des gilets jaunes était devenue la dernière des options pour accéder à la dignité et à une justice sociale. Certains l’ont nié. Aujourd’hui, c’est une autre bataille d’intérêt général que beaucoup ne veulent pas voir. Celle des quartiers populaires qui sont en train de se battre avec violence, car la violence est devenue la dernière option que le pouvoir leur laisse pour se défendre d’une police qui s’octroie le droit de vie ou de mort dans ces territoires.
L’accident de moto provoqué par la police à Villeneuve la Garenne, samedi 18 avril, aura donc été l’étincelle. Depuis, plusieurs quartiers populaires s’embrasent chaque nuit. Comment pouvait-il en être autrement alors que les crimes et les violences policières s’enchaînent depuis le début du confinement, dans l’indifférence médiatique, et avec la certitude maintenant acquise d’une impunité policière à toute épreuve.
Comme toujours, et comme elle l’a fait abondamment contre le mouvement des gilets jaunes, la classe politique et médiatique condamnera ces révoltes populaires et nous expliquera que rien ne justifie de telles violences. Qu’il peut y avoir de la colère, des revendications légitimes, mais que cela ne peut s’exprimer de cette façon. Elle tentera de vider de leur substance des actes éminemment politiques. Elle expliquera que cette violence n’est que sauvagerie gratuite. Mais la sauvagerie ici, c’est l’injustice. Le « territoire perdu de la République » c’est la police.
Au nom du confinement de la population, il y a déjà eu 5 morts et 10 blessés graves*. La plupart dans les quartiers populaires. Et on ne compte plus les tabassages gratuits.
Face à ces injustices, la politique ne laisse aujourd’hui plus d’autres choix que celui de la violence car elle a saboté toute alternative de dialogue qui aurait pu avoir un impact significatif dans les quartiers. Toutes les mobilisations d’associations, les pétitions, les alertes médiatiques ont été méprisées et il ne reste plus qu’à compter les morts et les blessés.
On met des mots sur nos morts. Mais pour ceux qu’on n’entend jamais, qu’on n’écoute jamais, mettre des mots ne suffit pas. Alors certains mettent des maux sur leurs morts. Faire mal à ceux qui font du mal. Qui font le mal.
Comme lors des gros actes gilets jaunes, la violence qui embrase aujourd’hui les quartiers populaires est la construction d’une riposte face à une réelle menace. La menace d’une police qui s’octroie la peine de mort sur les habitants des quartiers. Aujourd’hui, que vous fassiez de la moto sans casque comme Mouldi à Villeneuve La Garenne ou que vous rentriez simplement de vos courses comme Ramatoulaye à Aubervilliers, la police peut vous tomber dessus et vous casser la gueule, ou vous tuer, comme c’est arrivé à Mohamed à Bézier.
La révolte en cours et en devenir dans les quartiers populaires, c’est la réaction à une progression fulgurante d’un État policier raciste et classiste.
La révolte de personnes parmi les plus exposées à l’injustice d’un système ne doit pas être condamnée. C’est une révolte populaire et elle doit être soutenue !
SIGNATAIRES (LISTE OUVERTE) :
AB7 Média – Cerveaux Non Disponibles – C.L.A.P33 – CNT Gironde – Coordination des Luttes – Désobéissance Ecolo Paris – Femmes Gilets Jaunes – Florian Neau – Front Social 13 – Front Social 54 – GJ Les réfractaires du 80 – Gilets Jaunes Loiret 45 – Gilets Jaunes 42 – Gilets jaunes 54 – Gilets jaunes de Lorraine – Gilets Nantais – GJ Rungis – GJ Genevilliers – Gilet jaune 62 peuple unis – Impact média militant – Jaunes Etc 33 – Jérôme Rodrigues – La France en colère carte des rassemblements – Le Relais – Leïla Dijoux – Lelly gijabet – Lelly gijabet Live – Lille Insurgée – L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre – Média Jaune Lorraine – Mickael Wamen (ex Goodyear) – Montpellier Poing Info – Montreuil rebelle au service des luttes populaires – Nantes Révoltée – Le Peuple Uni – Lyon Insurrection – Paris blocage résistance – Peuple Révolté – Philippe Lefebvre – Printemps Jaune – Rhéo – Ritchy Thibault – Source Média Indépendant – Secours Rouge Toulouse – Sud Education 92 – Teleia les Luttes- Ultimatum GJ – UFJP – Des Gilets Jaunes Paris Sud (Ianos Borovi, Elisabeth Zucker, Luc Chelly, Lena Grigoriadou, Marina Deslaugiers, Hélène Belghaouth, Patrick GOUAULT, Luc-Henry Choquet , Frédérique VICTOIRE, Valérie Martineau ,Lise Bouzidi)
Pour signer ce texte, envoyez un mail à cerveauxnondisponibles@riseup.net
Tribune disponible au format pdf ICI.
* https://paris-luttes.info/au-nom-de-la-lutte-contre-le-covid-13848
Confinez votre peur !
Initialement publié le 21 avril 2020
Tribune (anonyme)
Ce n’est pas le covid qui m’empêche et me fait peur, mais la police, c’est la police qui me fait peur, c’est elle qui m’empêche de sortir. Est-ce si compliqué de le dire ? Où faut-il encore jouer la comédie ? Et les appels à rester chez soi pour sauver l’hôpital n’auront été rien d’autre qu’une farce. Car rester chez soi ne sauve en rien un hôpital quand celui-ci est sous le coup d’une politique libérale comptable. Sans pressions populaire dans la rue aucun hôpital s’en trouverait sauvé. C’est un conte de fée que de croire un instant que l’hôpital serait sauvé par l’inaction et l’absence de manifestations, qu’il serait sauvé par le virus seul, et c’est une tartufferie majeure que de reporter à plus tard manifestations et contestations car après c’est encore d’autres problèmes. Et c’est pourquoi seule la police m’empêche de sortir et de manifester, et le dire donne une autre description du présent. Aucune adhésion, seulement une oppression, seulement une répression.
Et puisqu’il n’y aura pas de test massifs, pourquoi donc continuer ce confinement ?
Par peur de la police.
C’est la police qui nous confine. Ce n’est pas une quelconque politique sanitaire. C’est une politique libérale autoritaire qui nous confine.
A ce stade nous n’avons rien d’autre à faire que de s’équiper d’un masque et sortir. Et sortir manifester. Et c’est la police qui m’interdit de manifester, rien d’autre. Et qu’à la fin des fins c’est le droit de manifester qui aura été ainsi camouflé, retiré, pour la reconduction d’une politique libérale. Et la police n’aura jamais eu autant de pouvoir.
On se demande toujours comment un pouvoir autoritaire trouve les ressources de la servitude volontaire. Et bien regardez c’est à l’œuvre.
Il lui suffit de tisser une histoire à laquelle tout le monde est convié, un rôle pour chacun. Première ligne, seconde ligne, troisième ligne. Une belle distribution. Et c’est dans la terreur de l’uniforme planqué là dans l’ombre que chacun joue.
Mais je vous le dis, je ne veux plus jouer. Et je ne vois que de mauvais acteurs, de faux dévots, des tartuffes et beaucoup de gens terrorisés se racontant la nuit tombée le sauvetage des hôpitaux, s’applaudissant chaque jour, se donnant du courage, dans cette mauvaise comédie pour ne pas affronter la police, lui faire face.
Car c’est la vérité. Le pouvoir ne tient plus que par sa police. Vrai plus que jamais, une fois la comédie défaite.
Réponse à la tribune "Plus jamais ça !"
Initialement publié le 28 mars 2020
« Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre « jour d’après ». Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral. »
Par ces mots se termine une tribune signée par 18 responsables d’organisations syndicales, associatives et environnementales.
Selon eux, la crise sanitaire actuelle oblige à un « jour d’après » à la hauteur des enjeux, avec une lutte commune pour des changements radicaux. On aimerait se satisfaire d’une telle tribune. On aimerait y croire. Mais comment est-ce encore possible ?
La situation actuelle, et l’expérience des dernières luttes, nous donne plutôt envie de répondre « Plus jamais de tribune comme celle-ci ». Car combien en a-t-on lu, et même signé, des tribunes collectives de ce genre ? Nous même en avons écrit.
Mais aujourd’hui, continuer sur cette voie de la communication du « plus jamais ça » tout en tentant de négocier avec le pouvoir et les structures financières, relève au mieux d’une naïveté qu’on ne peut plus se permettre, au pire d’une complicité avec le système actuel.
Macron, son pouvoir et son monde, n’ont strictement rien appris de cette crise. Sous une façade d’unité et de solidarité avec le personnel de santé (la bonne blague), ils utilisent ce drame pour détruire encore un peu plus le droit du travail et pour passer des mesures encore plus liberticides.
Il n’y aura pas de « prise de conscience » des puissants que le système actuel nous amène à une catastrophe humaine et écologique. Si changement il y a, il se fera parce que ces personnes auront été poussées vers la sortie et ne tiendront plus les rênes du système.
La planète brule, littéralement. Et certains pensent encore pouvoir raisonner les incendiaires.
En deux ans, le pouvoir a été totalement sourd à l’un des mouvement les plus insurrectionnels depuis 68 (les Gilets jaunes) et à l’une des grèves les plus importante (par sa durée et son ampleur) depuis un quart de siècle. Il a également été sourd au mouvement climatique le plus important que le pays n’ait jamais connu. Et bien sûr, sourd à toutes les revendications sectorielles : pompiers, hôpitaux, profs, avocats….
Qui peut aujourd’hui croire que le drame du Covid19 va faire changer quelque chose à leur façon d’appréhender le gestion du monde ? Ces gens ne sont pas aux services des « citoyens » mais bien d’une petite élite d’ultras riches.
Nous n’avons qu’une vie. Nous n’avons qu’un père, qu’une mère. Nous n’avons qu’une planète. Et nous n’avons que trop tardé pour arrêter le carnage en cours.
Pour certains, la ligne infranchissable dans la lutte est celle de la pseudo « violence ».
Pour nous, c’est celle de la compromission avec le pouvoir.
Macron, sous une façade bien présentable, moderne et ouverte, a construit en quelque mois une société totalitaire où les seules libertés encore permises sont celles offertes aux capitaux et aux riches. La crise du Covid ne va qu’accélérer cette chute dans le totalitarisme 2.0
Macron a mutilé des milliers de manifestants : Gilets jaunes, pompiers, infirmières, profs. Il a réduit le droit de manifestation pour en faire une farce « pseudo démocratique » où il n’est désormais possible de manifester que dans une nasse policière géante. Il a verbalisé et condamné des personnes pour leur simple présence dans un lieu public, pour leur simple adhésion supposée à un mouvement (GJ). Les exemples sont malheureusement encore nombreux et ne vont que s’accumuler dans les mois à venir.
Face à cela, deux options : négocier ou se battre. Pour nous, on ne négocie pas avec un pouvoir totalitaire. On se bat pour le détruire.
Cela n’empêche pas d’écrire des tribunes. Mais cela engage à faire bien plus que ça, le fameux « jour d’après ».
Car rien ne serait pire que de déclamer « plus jamais ça », et, le jour d’après, continuer la lutte comme « avant », pour le résultat que l’on connait d’avance.
Faire culpabiliser les citoyens
Initialement publié le 23 mars 2020
Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué.
Texte de Marco Bersani (Attac Italie)
Cette stratégie a été largement mise en œuvre dans la dernière décennie avec le choc de la dette publique, présenté comme la conséquence de modes de vie déraisonnables, où l’on vivait au-dessus de ses moyens sans faire preuve de responsabilité envers les générations futures.
L’objectif était d’éviter que la frustration due à la dégradation des conditions de vie de larges couches de la population ne se transforme en rage contre un modèle qui avait donné la priorité aux intérêts des lobbies financiers et des banques sur les droits des individus.
C’est bien cette stratégie qu’on est est en train de déployer dans la phase la plus critique de l’épidémie de coronavirus.
L’épidémie a mis le roi à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine libérale.
Un système sanitaire comme celui de l’Italie, qui jusqu’il y a dix ans était l’un des meilleurs du monde, a été sacrifié sur l’autel du pacte de stabilité : des coupes budgétaires d’un montant global de 37 milliards et une réduction drastique du personnel (moins 46.500 personnes, entre médecins et infirmièr.e.s), avec pour brillant résultat la disparition de plus de 70.000 lits d’hôpital – ce qui veut dire, s’agissant de la thérapie intensive de dramatique actualité, qu’on est passé de 922 lits pour 100.000 habitants en 1980 à 275 en 2015.
Tout cela dans le cadre d’un système sanitaire progressivement privatisé, et soumis, lorsqu’il est encore public, à une torsion entrepreneuriale obsédée par l’équilibre financier.
Que la mise à nu du roi soit partie de la Lombardie est on ne peut plus illustratif : cette région considérée comme le lieu de l’excellence sanitaire italienne est aujourd’hui renvoyée dans les cordes par une épidémie qui, au cours du drame de ces dernières semaines, a prouvé la fragilité intrinsèque d’un modèle économico-social entièrement fondé sur la priorité aux profits d’entreprise et sur la prééminence de l’initiative privée.
Peut-on remettre en question ce modèle, et courir ainsi le risque que ce soit tout le château de cartes de la doctrine libérale qui s’écroule en cascade ? Du point de vue des pouvoirs forts, c’est inacceptable.
Et ainsi démarre la phase de culpabilisation des citoyens.
Ce n’est pas le système sanitaire, dé-financé et privatisé qui ne fonctionne pas ; ce ne sont pas les décrets insensés qui d’un côté laissent les usines ouvertes (et encouragent même la présence au travail par des primes) et de l’autre réduisent les transports, transformant les unes et les autres en lieux de propagation du virus ; ce sont les citoyens irresponsables qui se comportent mal, en sortant se promener ou courir au parc, qui mettent en péril la résistance d’un système efficace par lui-même.
Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible ; voilà pourquoi désigner un coupable (« les irresponsables »), en construisant autour une campagne médiatique qui ne répond à aucune réalité évidente, permet de détourner une colère destinée à grandir avec le prolongement des mesures de restriction, en évitant qu’elle ne se transforme en révolte politique contre un modèle qui nous a contraints à la compétition jusqu’à épuisement sans garantir de protection à aucun de nous.
Continuons à nous comporter de façon responsable et faisons-le avec la détermination de qui a toujours à l’esprit et dans le cœur une société meilleure.
Mais commençons à écrire sur tous les balcons : « Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème. »
NOUS NE SOMMES PAS EN GUERRE, par Sophie Mainguy, médecin urgentiste
Initialement publié le 19 mars 2020
NOUS NE SOMMES PAS EN GUERRE
et n’avons pas à l’être…
Par Sophie Mainguy, médecin urgentiste.
Il est intéressant de constater combien nous ne savons envisager chaque événement qu’à travers un prisme de défense et de domination.
Les mesures décrétées hier soir par notre gouvernement sont, depuis ma sensibilité de médecin, tout à fait adaptées. En revanche, l’effet d’annonce qui l’a accompagné l’est beaucoup moins.
Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être.
Il n’y a pas besoin d’une idée systématique de lutte pour être performant.
L’ambition ferme d’un service à la vie suffit.
Il n’y a pas d’ennemi.
Il y a un autre organisme vivant en plein flux migratoire et nous devons nous arrêter afin que nos courants respectifs ne s’entrechoquent pas trop.
Nous sommes au passage piéton et le feu est rouge pour nous.
Bien sûr il y aura, à l’échelle de nos milliards d’humains, des traversées en dehors des clous et des accidents qui seront douloureux.
Ils le sont toujours.
Il faut s’y préparer.
Mais il n’y a pas de guerre.
Les formes de vie qui ne servent pas nos intérêts (et qui peut le dire ?) ne sont pas nos ennemis.
Il s’agit d’une énième occasion de réaliser que l’humain n’est pas la seule force de cette planète et qu’il doit – ô combien- parfois faire de la place aux autres.
Il n’y a aucun intérêt à le vivre sur un mode conflictuel ou concurrentiel.
Notre corps et notre immunité aiment la vérité et la PAIX.
Nous ne sommes pas en guerre et nous n’avons pas à l’être pour être efficaces.
Nous ne sommes pas mobilisés par les armes mais par l’Intelligence du vivant qui nous contraint à la pause.
Exceptionnellement nous sommes obligés de nous pousser de coté, de laisser la place.
Ce n’est pas une guerre, c’est une éducation, celle de l’humilité, de l’interrelation et de la solidarité.
Sophie Mainguy, médecin urgentiste